Autre
Séance du 9 juin 2009

Conférence invitée Obésité de l’enfant : une nouvelle vision

MOTS-CLÉS : génétique. habitudes alimentaires. obésité/prévention et contrôle
Childhood obesity : a new vision
KEY-WORDS : food habits. genetics. obesity/prevention and control

Patrick Tounian

Résumé

Seuls les enfants constitutionnellement sensibles à l’abondance alimentaire et aux conditions favorisant la sédentarité sont susceptibles de développer une obésité. Les enfants qui ne sont pas génétiquement prédisposés, largement majoritaires, n’ont pas ce risque, quel que soit leur alimentation ou le niveau de leur activité physique. L’environnement obésogène des pays industrialisés n’est donc pas la cause de l’obésité infantile mais simplement le moyen permettant à cette susceptibilité individuelle de s’exprimer. La stagnation de la prévalence de l’obésité infantile depuis une décennie dans les pays industrialisés confirme que notre environnement n’influe plus sur la progression de cette maladie. Dans la mesure où la majorité des enfants n’a pas de prédisposition génétique à devenir obèse, il n’est pas surprenant que les actions de prévention s’adressant à la population générale soient inefficaces, notamment celles mises en place dans les écoles. De plus, ces mesures collectives sont susceptibles d’accroître la discrimination et la culpabilité des enfants obèses et d’induire des troubles du comportement alimentaire chez les nombreux enfants non concernés. Il serait donc préférable de cibler les mesures préventives sur les enfants à risque dépistés précocement, c’est-à-dire ceux ayant un rebond précoce (avant six ans) de l’indice poids/taille 2 . Dans le futur, les progrès de la recherche devraient permettre le développement de thérapeutiques préventives plus efficaces.

Summary

There is considerable evidence that, in an obesogenic environment, constitutional susceptibility to fat gain is necessary for a given child to become obese. Only children highly sensitive to abundant palatable food and with conditions favouring little physical activity are at risk of obesity. A high-risk environment has no effect on non predisposed children. An obesogenic environment is therefore a trigger but not the primary cause of obesity: it simply enables phenotypic expression of a genetic predisposition. As most children are not constitutionally predisposed to obesity, prevention strategies should focus on children at risk. This is supported by the disappointing results of most collective interventions, particularly at school. In addition, broad-reaching preventive campaigns may increase discrimination towards obese children and induce eating behaviour disorders in non predisposed children. Children at risk of becoming obese are those who have adiposity rebound before 6 years of age. These at-risk children must be detected early and offered personalized interventions aimed at preventing further fat gain. In the future, the improvement of obesity pathophysiology knowledge will probably allow the development of more promising preventive approaches.

Le mode de vie moderne qui accompagne l’industrialisation de différentes régions de la planète va de pair avec une augmentation considérable de la prévalence de l’obé- sité infantile. Il apparaît alors comme une évidence que les symboles de cette industrialisation que sont la multiplication des fast-foods, la consommation croissante de sodas, l’ajout de sucres dans les aliments et boissons, la publicité à la télévision ou encore la prolifération des jeux vidéo sont les coupables de cette épidémie.

Si de telles déductions ne sont pas totalement stupides, une analyse plus pertinente des phénomènes qui conduisent un enfant à devenir obèse montre que la réalité est bien plus complexe. Le développement qui suit a pour ambition de proposer une nouvelle vision sur les raisons de cette épidémie. Ce point de vue différent, basé uniquement sur des données scientifiques, bouscule un grand nombre d’idées reçues et amène à réfléchir sur les politiques actuelles de prévention de l’obésité infantile.

ORIGINE GÉNÉTIQUE DE L’OBÉSITÉ DE L’ENFANT

Rôle de l’environnement obésogène

L’environnement obésogène est un milieu sociétal où l’offre alimentaire abonde, les déplacements sont de plus en plus motorisés, et les jeux et loisirs de plus en plus sédentaires. Il reflète le mode de vie actuel des nations industrialisées et celui que cherchent à mettre en place les pays en voie de développement. Un tel environnement est bien sûr nécessaire pour rendre un enfant obèse comme le démontrent certaines études de prévalence réalisées dans les pays en cours d’industrialisation.

Dans ces nations, la prévalence de l’obésité infantile augmente considérablement dans les régions urbaines alors que les zones rurales sont épargnées [1], confirmant que l’environnement obésogène qui accompagne l’urbanisation de ces régions est nécessaire pour qu’un enfant devienne obèse.

Dans les pays totalement industrialisés, l’environnement est obésogène sur l’ensemble du territoire, et pourtant seule une minorité des enfants qui y vivent est obèse. Un tel constat amène à sérieusement s’interroger sur le rôle exact de notre mode de vie moderne dans la genèse de l’obésité de l’enfant. Cette perplexité est majorée par d’autres données. Ainsi, Malte est un des pays européens où la prévalence de l’obésité infantile est la plus importante, supérieure à celle des États-Unis, alors que cette nation est loin d’être la plus industrialisée de la planète [2]. Les enfants obèses sont proportionnellement deux à trois fois plus nombreux en Polynésie française et sur l’Ile de la Réunion qu’en Métropole, alors que l’environnement n’y est pas plus obésogène. Enfin, aux Etats-Unis la proportion d’enfants obèses est plus de deux fois plus importante chez les enfants noirs et amérindiens que chez les blancs [3], sans que l’incitation à manger davantage ou rester sédentaire soit particulièrement dirigée vers un groupe ethnique particulier.

Seule l’existence d’une susceptibilité génétique à devenir obèse peut expliquer que l’environnement obésogène n’entraîne pas de conséquences identiques chez tous les enfants.

Rôle de la susceptibilité génétique à l’obésité

Les études de jumeaux confirment la prééminence majeure des facteurs génétiques dans l’obésité de l’enfant. En 1990, une équipe nord-américaine avait montré une excellente corrélation à l’âge adulte entre les indices poids/taille2 des jumeaux monozygotes, qu’ils aient été élevés séparément, donc dans un environnement différent (r=0,70) ou ensemble, dans le même environnement (r=0,74), alors que celle-ci était beaucoup moins bonne chez les jumeaux dizygotes (respectivement r=0,15 et r=0,33) [4]. On a longtemps reproché à cette étude d’avoir été réalisée avant l’épidémie d’obésité et d’avoir ainsi sous-estimé l’effet de l’environnement obésogène moderne. Récemment, une équipe britannique a confirmé ces données en évaluant à 77 % la part des facteurs génétiques dans la détermination de l’indice poids/taille2 grâce à l’étude de 5 092 paires de jumeaux mono- et dizygotes nées au Royaume-Uni entre 1994 et 1996 et âgées de huit à onze ans [5].

Tous ces travaux traduisent une évidence, seuls les enfants génétiquement programmés à devenir obèses sont sensibles à l’environnement obésogène dans lequel ils vivent tous et qui permet simplement l’expression de leur prédisposition. Les autres, largement majoritaires dans tous les pays industrialisés, ne risquent pas de le devenir, quelle que soit leur alimentation ou quel que soit leur degré d’activité physique.

Sélection génétique des obèses au cours du temps

La sélection génétique des obèses dans certaines parties du monde au cours des siècles précédents explique probablement la susceptibilité accrue à devenir obèse des enfants issus d’ancêtres ayant subi cette sélection. En effet, dans toutes les régions de la planète où les conditions de vie ont été jadis difficiles, une sélection naturelle des obèses s’est opérée en raison de leur meilleure résistance aux périodes de disette qui accompagnaient inéluctablement ces conditions précaires [6]. La pression de cet environnement défavorable, qui permet de faire émerger les plus adaptés aux dépens des plus fragiles, s’exerce bien sûr sur plusieurs générations. Le métissage par des individus n’ayant pas subi les méfaits d’un milieu hostile est ainsi un moyen efficace pour enrayer cette sélection naturelle. Cela pourrait être une explication à la prévalence majeure de l’obésité dans certaines îles (îles de l’Océan Pacifique, Malte, Crête, etc.) dont les ancêtres n’ont pas bénéficié d’un tel métissage en raison de leur isolement géographique et ont donc davantage subi la sélection génétique de leur environnement. On peut enfin ajouter une sélection culturelle des obèses dans certaines régions de la planète comme la Polynésie ou certains pays d’Afrique (Togo, Mauritanie, etc.). Dans ces ethnies, le gavage de nourriture était un culte et ceux qui avaient la capacité d’en exprimer les résultats physiques, c’est-à-dire les obèses, ont toujours été glorifiés. L’obésité était un critère de beauté et de bonne santé et ceux qui le devenaient avaient une descendance bien supérieure aux autres, d’où la notion de sélection.

Un point est important pour bien comprendre. Même parmi nos ancêtres, seuls ceux dont les gènes étaient propices au développement d’une obésité étaient capables de faire des réserves lorsque la nourriture était moins rare entre deux périodes de disette ou de bénéficier des effets d’un gavage pour répondre aux critères de beauté de leur culture. Tous les individus n’étaient pas aptes à devenir obèses, c’est pour cette raison qu’une sélection a pu s’exercer. Même à cette époque tous les êtres n’étaient pas égaux face à l’abondance de nourriture.

On comprend donc que les enfants issus d’ancêtres ayant vécu dans des conditions de vie propices à la sélection génétique des obèses soient aujourd’hui plus sensibles à un environnement obésogène. Nous détenons là probablement la raison pour laquelle la prévalence de l’obésité infantile est aussi importante à Malte, en Polyné- sie et à la Réunion, et cela explique également la proportion accrue d’enfants obèses dans les populations noires et amérindiennes d’Outre-Atlantique. On notera à ce propos que, contrairement à une idée répandue, le milieu socioéconomique souvent précaire dans lequel vivent ces enfants noirs et amérindiens aux Etats-Unis n’explique pas qu’ils soient davantage atteints d’obésité. En effet, si la prévalence de l’obésité diminue lorsque le statut socioéconomique s’accroît chez les enfants blancs, l’association entre ces deux paramètres est inversée chez les noirs. En d’autres termes, le risque d’obésité chez les enfants noirs est d’autant plus important qu’ils vivent dans un milieu économiquement plus favorisé [3].

AUTRES ORIGINES POSSIBLES

Facteurs biologiques

D’autres facteurs biologiques ont également été incriminés dans la genèse de l’obésité. Mais contrairement à l’origine génétique, le rôle de ces facteurs n’est qu’hypothétique dans la mesure où leur implication n’a jamais été formellement démontrée et repose uniquement sur des données expérimentales in vitro ou sur des déductions épidémiologiques. Il est également possible qu’ils n’aient pas d’effet générateur propre mais agissent simplement comme des facteurs déclenchants permettant l’expression phénotypique de la prédisposition génétique.

Une programmation précoce par des facteurs environnementaux auxquels les enfants sont exposés a été suggérée. Des phénomènes d’épigénétique, c’est-à-dire une modification de l’expression des gènes par ces facteurs exogènes, pourraient en être responsables. Ont été ainsi évoqués, in utero , une dénutrition de la mère pendant les deux premiers trimestres de la grossesse [7], le tabagisme maternel [8] et le diabète gestationnel [9], et, au cours des premiers mois de vie, l’allaitement artificiel plutôt que maternel [10], des apports importants en acides gras oméga 6 [11] et des apports protéiques accrus [12]. Les résultats préliminaires d’une étude prospective et randomisée récente cherchant à objectiver le rôle d’un excès d’apports protéiques dans les six premiers mois de vie sur le risque ultérieur d’obésité confirment le doute soulevé sur la responsabilité de ces facteurs précoces [13]. Ils montrent qu’à l’âge de deux ans, la corpulence des enfants dont les ingesta protéiques avaient été plus élevés est très modérément supérieure à celle de l’autre groupe. Cependant, si la différence constatée est statistiquement significative, elle reste cliniquement insignifiante (180 grammes pour le poids et 2 millimètres pour la taille). Donc, même si de telles facteurs exogènes précoces interviennent effectivement dans la programmation vers l’obésité, leur rôle est probablement marginale et de toute évidence négligeable par rapport à la génétique.

Des facteurs infectieux et toxiques ont aussi été rapportés. L’adénovirus 36 induit la différenciation des pré-adipocytes humains en adipocytes matures et entraîne une prise de poids lorsqu’il est injecté à l’animal [14]. Certains auteurs ont également montré que les individus obèses avaient plus fréquemment une sérologie positive à ce virus [15]. A partir de ces données, l’hypothèse virale a été soulevée dans l’obésité.

La microflore digestive des sujets obèses est plus riche en Firmicutes et moins abondante en Bacteroidetes que celle des individus de poids normal [16]. Après amaigrissement, la composition de la flore devient comparable à celle des sujets normopondéraux [17]. Des travaux demeurent nécessaires pour préciser si le microbiote joue un rôle dans la genèse de l’obésité ou si elle n’est que le simple reflet de l’état pondéral. Enfin, certains toxiques dont la présence augmente dans notre environnement (pesticides, phthalates), ont montré, in vitro , qu’ils pouvaient exercer un effet sur la différenciation des pré-adipocytes en cellules matures [18]. Leur potentiel rôle dans l’épidémie d’obésité a alors été évoqué mais demande à être confirmé.

Une grande partie des facteurs biologiques précédemment évoqués reflète l’évolution de notre environnement au cours des dernières décennies (augmentation des apports en protéines et en oméga 6, tabagisme, propagation accrue des infections, toxiques). Dans la mesure où la prévalence de l’obésité a beaucoup crû au cours de la même période, il est légitime de suggérer un éventuel lien de cause à effet entre ces deux phénomènes. Mais il est également tout à fait possible qu’il s’agisse de deux processus parallèles aucunement liés.

 

Pauvreté et obésité

En France comme dans la plupart des nations occidentales développées, les obèses sont plus nombreux dans les couches défavorisées de la population [19]. Mais contrairement à une idée bien répandue, les facteurs socioéconomiques associés à l’obésité n’en sont pas la cause mais la conséquence. Imaginer que les familles financièrement démunies favorisent l’installation d’une obésité chez leur enfant en les nourrissant avec des aliments de mauvaise qualité nutritionnelle ou de forte densité énergétique n’a aucun sens. Rappelons que l’obésité résulte d’un déséquilibre énergétique quantitatif chez un enfant prédisposé, quels que soient les aliments qui en sont à l’origine.

En fait, ce n’est pas la pauvreté qui rend les enfants obèses, mais ce sont les obèses qui se concentrent dans les couches les plus défavorisées des pays industrialisés.

Deux arguments solides permettent d’étayer cette hypothèse. Le principal est la discrimination dont les obèses sont victimes et qui les conduit à une précarisation socioéconomique. Une étude prospective qui a suivi des adolescents jusqu’à l’âge adulte pendant une dizaine d’années a montré que les obèses, plus particulièrement les filles, se mariaient moins souvent, avaient un salaire annuel inférieur, vivaient plus souvent en-dessous du seuil de pauvreté et suivaient une scolarité moins longue que les non obèses, tout ceci indépendamment de leur statut socioéconomique initial [20]. Le second argument est la plus grande proportion habituelle de familles issues de pays aux conditions de vie difficiles dans les couches les moins socialement favorisées des pays développés. Comme nous l’avons vu, ces familles sont constitutionnellement davantage prédisposées à devenir obèses [3].

ORIGINE DE L’ÉPIDÉMIE D’OBÉSITÉ INFANTILE

À partir des constats précédents, comment expliquer la progression de l’obésité infantile dans les pays industrialisés au cours des dernières décennies ?

Les modifications environnementales survenues au cours de cette période sont bien sûr la première explication. L’abondance alimentaire, la motorisation des déplacements, et la sédentarisation des jeux et des loisirs (télévision, informatique) se sont amplifiées, offrant ainsi un contexte idéal pour une positivation de la balance énergétique. Une telle évolution a permis de recruter progressivement l’ensemble des enfants prédisposés de chaque pays, au fur et à mesure de l’expansion au sein du territoire de ce biotope favorable au développement de l’obésité.

Une autre explication probable est l’augmentation dans les pays développés du nombre d’enfants dont les ancêtres étaient issus de pays aux conditions de vie difficile, dont on a vu qu’ils avaient été davantage génétiquement sélectionnés pour devenir obèses. L’exemple des États-Unis étaye cette hypothèse. En effet, la prévalence de la surcharge pondérale pédiatrique outre-Atlantique a triplé entre les années soixante-dix et aujourd’hui, et durant la même période, celle-ci a doublé chez les enfants blancs alors qu’elle a presque quadruplé chez les enfants noirs et amérindiens [21]. En France, les études prenant en compte l’origine ethnique des individus ne sont pas autorisées. L’INSEE signale néanmoins dans son dernier rapport une forte hausse de l’immigration, notamment du continent africain [22]. A l’hôpital Trousseau, entre le début des années 90 et aujourd’hui, nous avons constaté une multiplication par trois de la proportion d’enfants obèses originaires du Maghreb ou d’Afrique noire parmi ceux qui sont venus consulter.

La stagnation de la prévalence de l’obésité infantile constatée dans de nombreux pays industrialisés depuis la fin des années quatre-vingt-dix (France, Allemagne, Suède, Etats-Unis) [23-26] apporte un argument supplémentaire en faveur de ces explications. En effet, depuis une dizaine d’années, la totalité des enfants prédisposés a été recrutée par l’expansion de l’environnement obésogène qui a envahi l’ensemble du territoire des pays développés jusqu’aux régions les plus rurales.

Depuis, la progression de la prévalence de l’obésité infantile repose uniquement sur l’apparition de nouveaux cas d’enfants génétiquement prédisposés. On peut alors concevoir que la diminution de la natalité au fil des générations, notamment dans les familles issues de pays aux conditions de vie difficiles, et le métissage génétique ont réduit l’émergence de ces nouvelles victimes potentielles et expliquent probablement la stagnation observée.

Ainsi, depuis quelques années dans les pays développés, la prévalence de l’obésité infantile est uniquement déterminée par la proportion d’enfants génétiquement prédisposés, l’environnement obésogène permet simplement l’expression de cette susceptibilité génétique mais n’influe plus sur la progression de l’obésité. D’ailleurs, la prévalence de l’obésité infantile stagne depuis une dizaine d’années dans ces pays, alors que sur la même période l’offre alimentaire (multiplication des « junk-foods », amplification de la publicité alimentaire destinée aux enfants) et les loisirs sédentaires (Internet, jeux vidéo, programmes télévisés pour enfants) se sont considérablement accrus. Leur responsabilité est donc infiniment moindre que celle qui leur est habituellement attribuée.

CONSÉQUENCES PRATIQUES

Une prévention inadaptée

Dans la mesure où la majorité des enfants n’a pas de prédisposition constitutionnelle à devenir obèse et n’est donc pas concernée par la prévention de l’obésité, on peut douter de l’efficacité de mesures préventives s’adressant à l’ensemble de la population. Toutes les méta-analyses des programmes éducationnels de prévention de l’obésité infantile confirment ce doute.

La dernière méta-analyse Cochrane a repris toutes les études contrôlées réalisées entre 1990 et 2005 dont l’objectif était d’évaluer l’efficacité des mesures préventives de l’obésité mises en place chez l’enfant [27]. Vingt-deux travaux ont été sélec- tionnés, la grande majorité (19 sur 22) était réalisée en milieu scolaire. Les interventions associaient une éducation nutritionnelle et la promotion de l’activité physique dans la plupart des cas. Les résultats sont sans équivoque puisque dix-neuf de ces études ne montraient aucune efficacité sur la prévention de l’obésité, l’une trouvait un effet à la limite de la significativité chez les filles mais pas chez les garçons et les deux restantes des résultats statistiquement significatifs mais cliniquement insignifiants. On notera enfin qu’aucune donnée sur les coûts de ces mesures, probablement colossaux, n’était rapportée.

La plus récente méta-analyse sur le même sujet confirme l’inefficacité de la prévention collective [28]. Selon les mêmes critères que précédemment, trente-quatre travaux ont été sélectionnés concernant au total plus de 32 000 participants. Les interventions associaient également dans la plupart des cas une éducation à la fois nutritionnelle et incitant à accroître l’activité physique. Elle était dispensée dans les écoles, mais aussi au domicile et en milieu hospitalier. Seule l’évaluation globale de l’ensemble des interventions est rapportée et montre un effet nul sur l’évolution de l’indice de masse corporelle. Il est intéressant de noter que les auteurs s’interrogent sur les effets délétères que pourraient avoir de telles interventions en induisant notamment des troubles du comportement alimentaire.

D’autres revues systématiques du même type ont abouti aux mêmes conclusions [29, 30], ne laissant ainsi plus planer le moindre doute sur l’absence d’intérêt de ces interventions collectives dans la prévention de l’obésité de l’enfant, notamment sous la forme d’éducation dans les écoles. Quelques études d’intervention isolées relatent bien des résultats positifs [31-34], mais la plupart sont entachées de biais majeurs, notamment celle réalisée en France [34], et les bénéfices rapportés sont particulièrement minces.

De surcroît, les campagnes actuelles de prévention de l’obésité infantile sont susceptibles d’induire des effets collatéraux. Il est en effet probable qu’elles accroissent la discrimination et la stigmatisation des enfants obèses en laissant croire que leur état est la conséquence d’un manque notoire de volonté qui les fait succomber aux aliments gras et sucrés, notamment ceux promus par les publicités, ou qui les rend paresseux. Il est également possible qu’elles entraînent un sentiment de culpabilité chez les parents en insinuant que le mal de leur enfant est dû à une éducation déficiente ou un laxisme manifeste. Enfin, en laissant imaginer que l’obésité menace chaque enfant, elles risquent d’entraîner des troubles du comportement alimentaire chez ceux, nombreux, qui n’ont pas de prédisposition génétique et qui ne sont donc pas concernés. La recrudescence sensible des conduites alimentaires pathologiques, le plus souvent motivées par le risque de devenir obèse, que constatent unanimement les spécialistes du domaine depuis quelques temps corrobore cette inquiétude.

Pour écarter toute méprise, un point important doit être souligné. Notre propos n’est pas d’encourager une alimentation anarchique sous prétexte que seule une minorité d’enfants est concernée par le problème de l’obésité. Il est certain que la population a besoin de repères nutritionnels. Il est ainsi utile d’informer le grand public qu’une activité physique régulière ou la consommation de fruits et légumes et de produits laitiers sont bénéfiques pour la santé. Il est tout aussi capital de combattre l’excès d’alcool ou le tabagisme chez les adolescents. Il est enfin nécessaire que les parents apprennent à leurs enfants à ne pas manger n’importe quoi et n’importe quand, afin d’une part de respecter la dimension sociale du repas en famille et d’autre part, éviter les carences, notamment en fer et en calcium. L’information nutritionnelle est donc indispensable et nous ne pouvons que nous réjouir de l’efficacité avec laquelle elle est transmise dans notre pays, grâce notamment au Programme National Nutrition Santé. En revanche, nous souhaitons dénoncer l’argument fallacieux de la lutte contre l’obésité infantile qui sous-tend certains de ces messages, même si celui-ci n’est pas toujours explicitement affiché.

Une prévention ciblée sur les enfants à risque

Dans la mesure où seuls les enfants constitutionnellement prédisposés risquent de devenir obèses, une prévention ciblée sur ces enfants semble plus opportune. L’existence d’une obésité parentale et surtout la précocité de l’âge du rebond de l’indice poids/taille2, c’est-à-dire sa réascension avant l’âge de six ans, sont deux facteurs de risque aisément décelables en pratique courante [35]. C’est aux professionnels de la santé de l’enfant, et notamment à ceux de la médecine scolaire, qu’incombe la responsabilité de dépister ces enfants à risque et d’informer les familles sur les mesures éducatives qu’elles doivent mettre en place. Celles-ci sont simples dans leur principe, qui consiste à limiter les calories ingérées et augmenter l’activité physique, mais difficiles dans leur application au long cours. On conçoit donc bien que seule la famille de l’enfant peut les lui transmettre, ni l’école, ni les pouvoirs publics ne peuvent s’y substituer.

La prévention ciblée sur les enfants à risque est séduisante et mérite donc d’être promue. Il faut néanmoins là encore faire preuve d’une grande humilité car son efficacité à long terme n’a encore jamais été démontrée [36]. Il est effectivement légitime de s’interroger sur les conséquences que pourrait avoir un dépistage précoce sans solution thérapeutique efficace sur les enfants ainsi étiquetés [36]. La prévention ciblée doit malgré tout être encouragée car elle présente le double avantage de s’avérer peut-être efficace et de ménager les nombreux enfants que la nature a épargnés.

CONCLUSION

Proposer une nouvelle vision à la genèse de l’obésité infantile, alors qu’il existe des postulats communément admis par la majorité des experts, conduit inexorablement à installer des doutes. Le premier d’entre eux est de s’interroger sur la pertinence de cette nouvelle approche. Comme toute hypothèse, elle peut s’avérer inexacte, admettons-le humblement. Mais pour ceux que cette façon différente d’appré- hender l’obésité de l’enfant convainc, le doute se déplace sur les moyens actuels mis en œuvre pour lutter contre cette pathologie, et sur les effets collatéraux potentiels qu’ils risquent d’entraîner. Parmi ceux envahis par ce doute, il y aura probablement de nombreux acteurs de santé déçus du temps et de l’enthousiasme qu’ils ont consacrés à des programmes de prévention collective qui se sont avérés vains.

Pour les enfants obèses qui souffrent de plus en plus de leur état dans notre société, pour les professionnels de santé qui se démobilisent, faute de résultats probants, et pour ceux que cette nouvelle vision a séduits, nos décideurs seraient bien avisés de réorienter les budgets destinés à la lutte contre l’obésité infantile. La piste de la prévention ciblée mérite d’être explorée, et surtout la recherche a besoin d’être considérablement développée car c’est elle qui nous apportera des solutions enfin efficaces. Car admettons-le tous, nous ne savons toujours pas précisément pourquoi un enfant devient obèse.

BIBLIOGRAPHIE [1] Wang Y., Monteiro C., Popkin BM. — Trends of obesity and underweight in older children and adolescents in the United States, Brazil, China and Russia. Am. J. Clin. Nutr ., 2002, 75, 971-977.

[2] Janssen I., Katzmarzyk PT., Boyce WF. et al . — Comparison of overweight and obesity prevalence in school-aged youth from 34 countries and their relationships with physical activity and dietary patterns. Obes. Rev ., 2005, 6, 123-132.

[3] Wang Y., Zhang Q. — Are American children and adolescents of low socioeconomic status at increased risk of obesity? Changes in the association between overweight and family income between 1971 and 2002. Am. J. Clin. Nutr ., 2006, 84 , 707-716.

[4] Stunkard AJ., Harris JR., Pedersen NL., McClearn GE. — The body-mass index of twins who have been reared apart. N. Engl. J. Med ., 1990, 322, 1483-1487.

[5] Wardle J., Carnell S., Haworth CMA., Plomin R. — Evidence for the strong genetic influence on childhood adiposity despite the force of the obesogenic environment. Am. J. Clin.

Nutr ., 2008, 87, 398-404.

[6] Bouchard C. — The biological predisposition to obesity: beyond the thrifty genotype scenario.

Int. J. Obes ., 2007, 31 , 1337-1339.

[7] Ravelli GP., Van der Meulen JHP., Osmond C., Barker DJP., Bleker OP. — Obesity at the age of 50 y in men and women exposed to famine prenatally. Am. J. Clin. Nutr. , 1999, 70 , 811-816.

[8] Von Kries R., Toshke AM., Koletzko B., Slikker W. — Maternal smoking during pregnancy and childhood obesity. Am. J. Epidemiol ., 2002, 156 , 954-961.

[9] Gillman MW., Rifas-Shiman S., Berkey CS., Field AE., Colditz GA. — Maternal gestational diabetes, birth weight, and adolescent obesity. Pediatrics , 2003, 111 , e221-e226.

[10] Arenz S., Ruckerl R., Koletzko B., Von Kries R. — Breast-feeding and childhood obesity.

A systematic review. Int. J. Obes. Relat. Metab. Disord ., 2004, 28, 1247-1256.

[11] Ailhaud G., Guesnet P. — Fatty acid composition of fats is an early determinant of childhood obesity: a short review and an opinion. Obes. Rev ., 2004, 5 , 21-26.

[12] Rolland-Cachera MF., Deheeger M., Akrout M., Bellisle F. — Influence of macronutrients on adiposity development: a follow up study of nutrition and growth from 10 months to 8 years of age. Int. J. Obes. , 1995, 19, 573-578.

[13] Koletzko B., Von Kries R., Closa R., et al. — Lower protein in infant formula is associated with lower weight up to age 2 y: a randomized clinical trial.

Am. J. Clin. Nutr. , 2009, 89, 1836-1845.

[14] Pasarica M., Shin AC., Yu M., et al . — Human adenovirus 36 induces adiposity, increases insulin sensitivity, and alters hypothalamic monoamines in rats.

Obesity , 2006, 14, 1905-1913.

[15] Atkinson R., Dhurandhar NV., Allison DB. et al . — Human adenovirus-36 is associated with increased body weight and paradoxical reduction of serum lipids.

Int. J. Obes. (Lond.) , 2005, 29 , 281-286.

[16] Schwiertz A., Taras D., Schéfer K. et al . — Microbiota and SCFA in lean and overweight healthy subjects.

Obesity , 2009, [Epub ahead of print].

[17] Nadal I., Santacruz A., Marcos A., et al . — Shifts in clostridia, bacteroides and immunoglobulin-coating fecal bacteria associated with weight loss in obese adolescents.

Int. J.

Obes. , 2009, 33 , 758-767.

[18] Feige JN., Gelman L., Rossi D. et al . — The endocrine disruptor monoethyl-hexyl-phthalate is a selective peroxisome proliferator-activated receptor gamma modulator that promotes adipogenesis. J. Biol. Chem. , 2007, 282 , 19152-19166.

[19] Charles MA. — Épidémiologie de l’obésité infantile. In

Tounian P. L’obésité de l’enfant . (John

Libbey Eurotext, Edit.), 2006, 60-66.

[20] Gortmaker SL., Must A., Perrin JM. et al. — Social and economic consequences of overweight in a., Khan LK., Serdula M., Ogden CL., Dietz WH. — Racial and ethnic differences in secular trends for childhood BMI, weight and height. Obesity , 2006, 14, 304-308.

[21] INSEE. Les immigrés en France, édition 2005.

[22] Salanave B., Peneau S., Rolland-Cachera MF., Hercberg S., Castetbon K. — Stabilization of overweight prevalence in French children between 2000 and 2007. Int. J. Pediatr. Obes ., 2009, 4, 66-72.

[23] Johannsen M., Plachta-Danielzik S., Landsberg B., Lange D., Müller MJ. — 10-year changes of parameters of nutritional status in 6-year old children of the Kiel Obesity Prevention Study (KOPS): 1997 vs. 2007 . Int. J. Obes ., 2008, 32 (suppl 1), S185.

[24] Sjöberg A., Lissner L., Albertsson-Wikland K., Marild S. — Recent anthropometric trend among Swedish school children: evidence for decreasing prevalence of overweight in girls. Acta Paediatr ., 2008, 97 , 118-123.

[25] Ogden CL., Carroll MD., Flegal KM. — High body mass index for age among US children and adolescents, 2003-2006. JAMA , 2008, 299, 2401-2405.

[26] Summerbell CD., Waters E., Edmunds LD., Kelly S., Brown T., Campbell KJ. — Interventions for preventing obesity in children. Cochrane Database Syst. Rev. , 2005, 20, CD001871.

[27] Kamath CC., Vickers KS., Ehrlich A. et al . — Behavorial interventions to prevent childhood obesity: a systematic review and metaanalyses of randomized trial.

J. Clin. Endocrinol. Metab ., 2008 , 93, 4606-4615.

[28] Reilly JJ., McDowell ZC. — Physical activity interventions in the prevention and treatment of pediatric obesity: systematic review and critical appraisal. Proc. Nutr. Soc ., 2003, 62, 611-619.

[29] Flodmark CE., Marcus C., Britton M. — Interventions to prevent obesity in children and adolescents: a systematic literature review. Int. J. Obes ., 2006, 30, 579-589.

[30] Martinez Vizcaino V., Salcedo Aguilar., Franquelo Gutierrez R. et al . — Assessment of an after-school physical activity program to prevent obesity among 9- to 10-year-old children: a cluster randomized trial. Int. J. Obes ., 2008, 32 , 12-22.

[31] Foster GD., Sherman S., Borradaile KE. et al . — A policy-based school intervention to prevent overweight and obesity.

Pediatrics , 2008, 121 , e794-802.

[32] Taylor RW., Mcauley KA., Barbezat W., Farmer VL., Williams SM., Mann JI. — APPLE project: 2-y findings of a community-based obesity prevention program in primary school-age children. Am. J. Clin. Nutr ., 2007, 86, 735-742.

[33] Romon M., Lommez., Tafflet M. et al . — Downward trends in the prevalence of childhood overweight in the setting of 12-year school- and community-based programmes.

Public Health Nutr ., 2008, 23 , 1-8.

[34] Rolland-Cachera MF., Deheeger M., Bellisle F., Sempé M., Guilloud-Bataille M., Patois E. — Adiposity rebound in children: a simple indicator for predicting obesity. Am. J.

Clin. Nutr ., 1984, 39, 129-35.

[35] Westwood M., Fayter D., Hartley S. et al . — Childhood obesity: should primary school children be routinely screened ? A systematic review and discussion of the evidence.

Arch. Dis.

Child ., 2007, 92 , 416-422.

 

DISCUSSION

M. Christian NEZELOF

A-t-on pu étudier rétrospectivement le poids du placenta chez les enfants devenus obéses ?

A ma connaissance, aucune étude n’a été réalisée pour rechercher un lien entre le poids du placenta et l’apparition d’une obésité ultérieure chez l’enfant à qui appartenait ce placenta. En revanche, une étude danoise a trouvé une association entre la prise de poids de la mère pendant la grossesse et la survenue d’une obésité dans les décennies suivantes chez l’enfant issu de cette grossesse. En dépit des ajustements statistiques réalisés, il est difficile de savoir si la prise de poids pendant la grossesse est à l’origine de l’obésité de l’enfant ou s’il s’agit de la simple expression familiale de la prédisposition génétique à l’obésité.

M. Jean-Marie MANTZ

Je voudrais apporter un certain bémol à l’importance des facteurs génétiques dans la genèse de l’obésité de l’enfant, au moins dans notre Pays : 70 % de cas d’obésité avérée chez l’enfant relèvent d’une boulimie réactionnelle à la souffrance de l’enfant, en raison d’un problème familial : discorde, carence parentale, séparation des parents, alcoolisme parental…

Dans notre expérience, les parents déclarent très souvent qu’un stress émotionnel ou une modification importante de l’environnement familial est à l’origine de la surcharge pondérale de leur enfant. Lorsque nous traçons la courbe d’IMC, il est fréquent de constater que le rebond de cet indice est survenu bien avant l’évènement relaté, mais que l’ascension de l’IMC s’est effectivement accélérée à partir du problème mentionné. Nous en déduisons que la souffrance d’un enfant peut indiscutablement aggraver une surcharge pondérale, mais n’en est que rarement la cause.

M. Maurice TUBIANA

Quelles sont les causes de la liaison entre niveau socio-économique et obésité du jeune enfant ? Existe-t-il un lien entre la taille du nouveau-né et l’obésité infantile ?

La taille du nouveau-né paraît liée à la secrétion d’ IGF 1 et 2 par la mère liée elle-même à l’alimentation pendant la gestation. De tels facteurs existent-ils pour l’obésité infantile ?

La discrimination socioéconomique dont sont victimes les obèses dans nos cultures occidentales augmente la proportion des sujets obèses dans les couches défavorisées aux dépens des couches favorisées. Il a ainsi été montré que les obèses faisaient plus souvent des mariages « descendants » (mariage avec un conjoint de niveau socioéconomique plus bas) que les individus de corpulence normale. Le risque d’avoir un enfant obèse étant plus important lorsque l’un des parents l’est, cette discrimination explique la proportion plus grande d’enfants obèses dans les familles de niveau socioéconomique plus faible. Il est d’ailleurs intéressant de noter que dans les cultures où l’image de l’obésité n’est pas négative, les enfants obèses sont plus nombreux dans les couches socioéconomiquement favorisées que dans les milieux défavorisés (Maghreb, enfants noirs aux Etats-Unis), étayant ainsi l’hypothèse précédemment proposée. Certains travaux ont trouvé une corrélation entre le poids de naissance et le risque d’obésité ultérieure. Les nombreux facteurs confondants rendent difficile l’interprétation d’une telle association, d’autant plus qu’elle est à la limite de la significativité statistique.

M. Claude JAFFIOL

Quelles sont les relations entre le diabète gestationnel et l’obésité infantile ? Les actions collectives d’éducation nutritionnelle des familles sont-elles vraiment inutiles si elles se font à travers le relais de l’école ?

Les travaux ayant cherché une relation entre l’existence d’un diabète gestationnel et une obésité ultérieure chez l’enfant à naître apportent des résultats divergents. Des facteurs confondants comme l’obésité maternelle ou une susceptibilité accrue à l’insulinorésistance, qui favorisent à la fois le diabète gestationnel et le risque d’obésité familiale, pourraient expliquer les relations positives retrouvées. Le diabète gestationnel ne serait alors qu’un marqueur de la prédisposition familiale à l’obésité et non un facteur causal. Il existe toutefois des preuves expérimentales chez l’animal montrant que l’hyperinsulinémie fœtale induite par l’hyperglycémie maternelle peut altérer l’expression des neurotransmetteurs, et donc probablement dété- riorer l’élaboration des systèmes de régulation du poids. On ne peut donc totalement exclure l’induction par le diabète gestationnel d’un dysfonctionnement constitutionnel des systèmes de régulation du poids qui entraînerait, plusieurs années après, une obésité chez l’enfant. Cependant, si cette relation existe, son effet semble relativement modeste. Toutes les méta-analyses montrent que l’éducation nutritionnelle à l’école est inefficace pour prévenir l’obésité de l’enfant. Ces résultats ne nous surprennent nullement. Indépendamment de cette inefficacité, il est insensé d’imaginer éduquer les parents à travers leurs enfants comme le suggèrent certains.

M. François DUBOIS

Y-a-t-il des obésités résistant à une famine ? Une de mes patientes obèse, m’avait répondu qu’ayant passé deux ans en camp de concentration, elle était restée relativement obèse, tout en étant au même régime que les autres détenues.

La restriction énergétique chez l’obèse entraîne une réduction adaptative de la dépense énergétique de repos qui s’oppose à la perte de poids. Un sujet obèse qui réduit faiblement ses ingesta peut ainsi ne pas maigrir. En revanche, lorsque la dette énergétique est importante, les systèmes de compensation sont insuffisants pour maintenir le poids en l’état. De ce fait, la déclaration de votre patiente défie les lois de la thermodynamique.

M. Paul VERT

Dans la pratique pédiatrique courante il arrive d’observer des obésités de jeunes filles prépubères qui régressent totalement passé l’âge de la puberté. Quelles sont les influences hormonales possibles ?

Nous constatons effectivement quelques régressions de surcharges pondérales après la puberté. Il est cependant difficile de savoir s’il s’agit d’une évolution naturelle, probablement en partie génétiquement déterminée, ou si cet amaigrissement est lié à une restriction énergétique volontaire chez une adolescente enfin motivée à maigrir.

M. Pierre DELAVEAU

En France la consommation de sucre (saccharose) passe de 2,7 kg per capita et par an en 1840, à 33,5 kg en 1985. L’accès à l’alimentation sucrée est très large dans les pays industrialisés. La question du « goût sucré » est-elle examinée avec soin chez les enfants, les adolescents, les adultes, en supposant l’intervention de la dopamine ?

La consommation de sucre a beaucoup crû en France au cours des dernières décennies, parallèlement à l’augmentation de la prévalence de l’obésité. La relation de cause à effet est avancée par certains, mais aucun élément objectif ne permet de l’étayer. L’expansion de l’environnement obésogène (abondance et accessibilité à la nourriture, diminution de l’activité physique) a permis le « recrutement » des enfants génétiquement prédisposés et explique en partie l’accroissement de la prévalence de l’obésité infantile. L’augmentation de la consommation de sucre fait partie de cet environnement obésogène, mais il serait trop restrictif de se limiter à elle. Il a en revanche bien été démontré que la préférence gustative pour la saveur sucrée et la consommation de glucides n’étaient pas associées à un risque ultérieur d’obésité chez l’enfant, comme chez l’adulte.

M. Roger HENRION

Les « sumos » sont-ils des enfants obèses ?

Seuls les individus ayant une propension naturelle à prendre du poids de manière excessive sont susceptibles d’accumuler suffisamment de graisse pour être compatibles avec les canons exigés par cette discipline. Un sujet que la nature n’a pas doté d’une telle prédisposition génétique ne pourra donc pas devenir sumo. Le dernier livre d’Eric-Emmanuel Schmitt intitulé « Le sumo qui ne pouvait pas grossir » illustre parfaitement ces propos.

M. Jacques BATTIN

Que faut-il penser de l’augmentation de la leptine dans le lait des femmes obèses, ce qui entraînerait un effet satietogène et une diminution du poids de l’enfant par rapport aux courbes prévisionnelles ? Cet effet épigénétique est-il à prendre en considération ?

Le lait maternel contient effectivement de la leptine, mais on ignore sa fonction. En effet, elle va être ingérée par le nourrisson mais il est peu probable qu’elle passe intacte la barrière intestinale pour parvenir à exercer un effet hypothalamique.

 

* Gastro-entérologie et nutrition pédiatriques, Hôpital Armand Trousseau, 26, avenue du Docteur Arnold Netter, 75012 Paris, e-mail : p.tounian@trs.aphp.fr Tirés à part : Professeur Patrick Tounian, même adresse

 

Bull. Acad. Natle Méd., 2009, 193, no 6, 1243-1257, séance du 9 juin 2009