Séance thématique
Les Thromboses artérielles et veineuses
Conclusion
Jacques CAEN *
Plus d’un décès par heure en France par thrombose veineuse, de nombreuses séquelles, c’est l’enjeu de santé publique auquel nous sommes confrontés. La séance de janvier 2003 à l’Académie nationale de médecine vient à point nommé car nous sommes à la croisée des chemins qui marquent un réel progrès en épidémiologie, physiopathologie des accidents et par voie de conséquence, thérapeutiques adaptées.
Joseph Emmerich du service de médecine vasculaire crée par E. Housset, développé par J.N. Fiessinger et M. Aiach de l’Hôpital Broussais à Georges Pompidou rappelle opportunément les interactions des multiples facteurs environnementaux et innés dans l’apparition des accidents thrombo-emboliques, récidivants le plus souvent.
De substantiels progrès ont été réalisés durant les 2 dernières décennies dans la précision des facteurs de risque génétique en matière de thrombose veineuse récidivante et d’embolie pulmonaire. Il est particulièrement intéressant qu’on redécouvre l’importance de la réaction inflammatoire de la paroi veineuse si bien décrit par Oettinger en 1895 1 dans le Traité de médecine de Charcot, Bouchard et Brissaud faisant remonter à Hunter, en 1775, les premières descriptions des atteintes veineuses phlébitiques après une saignée.
La physiopathologie est la plus importante part de la réunion en faisant intervenir des biochimistes et des angiohématologistes. Ici comme ailleurs, ainsi que le rappelle Pierre Potier, la chimie est à la biologie cellulaire ce que le solfège est à la musique.
La science française peut se targuer de résultats substantiels grâce à l’union dans le cadre du groupe de recherches (GEHT) de la Société d’Hématologie créée voici plus de 30 ans où travaillent en harmonie les chercheurs publics et les chercheurs privés des industries pharmaceutiques. Au même moment, l’ European Thrombosis Research Organisation (ETRO) a été élaborée et a permis un efficace mouvement de
coopération entre les pays européens voisins. Il n’est pas surprenant que la France et les Pays-Bas (grands pays fondateurs de la coagulation) soient associés aujourd’hui comme naguère, voici 30 ans, dans la création de l’ETRO à Paris et à Leyden.
Comme dans le théâtre grec ou le théâtre classique, 3 éléments concourent à l’hémostase et à la thrombose (hémostase au mauvais endroit selon Mac Farlane).
Les plaquettes sanguines, les facteurs de coagulation dont le fibrinogène et la paroi vasculaire 2.
L’équipe de J. Pierre Cazenave s’est attachée à définir l’importante participation des plaquettes dans la thrombose artérielle tout en n’occultant pas, cependant, un rôle déterminant d’autres cellules, les monocytes et surtout la thrombine qui intervient massivement dans toutes les formes de thrombose. L’équipe aborde le rôle essentiel de la thérapeutique antiplaquettaire et esquisse le rôle non négligeable des antiplaquettaires dans les thromboses veineuses et des antithrombines dans les thromboses artérielles 3, 4.
Les présentations associées de M. Petitou (Sanofi) et du Professeur C. Hemker jettent une lumière décisive sur ce que Jean Choay décrivait comme les métamorphoses de l’héparine, que nous avons publié avec notre Secrétaire perpétuel JacquesLouis Binet en 1982 5. Nous sommes passés depuis un quart de siècle de l’héparine très hétérogène fabriquée à partir de la muqueuse de porc à une synthèse d’un pentasaccharide (Choay, Sanofi-Synthélabo) et de composés qui réagissent spécifiquement avec le facteur Xa et la thrombine en épargnant le facteur plaquettaire 4 et donc démunis d’action nocive sur les plaquettes qui pouvaient être thrombogènes.
M. Petitou insiste sur l’importance de l’oligosaccharide 22 et grâce à une technique ingénieuse, susceptible à l’aide d’une version automatisée d’un appareil que l’équipe de Maastricht a breveté, C. Hemker et coll, ont pu reconnaître le saccharide inhibant de manière sélective la génération de thrombine qu’en attachement personnel le Professeur Hemker authentifie comme le domaine Choay.
Irène Juhan-Vague introduit un problème très important qui concerne le fibrinogène et la fibrine lorsque la thrombine se forme en décrivant les différentes étapes qui confèrent l’insolubilité à la fibrine, mais aussi qui jouent dans la circulation, la migration et la prolifération cellulaire grâce à des interactions avec les cellules endothéliales, les leucocytes, les monocytes et les composants matriciels du vaisseau.
Le Professeur Juhan-Vague qui entretient des relations suivies avec l’équipe de Désiré Collen à Louvain, apporte des lueurs très précises sur le mécanisme de destruction de la fibrine amenant à comprendre les indications de la thrombolyse dans les thromboses veineuses mais aussi artérielles, en esquissant les interactions avec l’obésité et le diabète.
2. JOBIN F. — La Thrombose. Ed. Maloine, 1995.
3. KAPLAN X.L et FRANCIS C.W. — Direct. thrombin inhibitors. Semin. Hématologie, 2002, 39 , 187-194.
4. TOBELEM G. — Les antithrombines directes : du concept au développement. STV, 2002, 9-10, 509-511.
5 CHOAY J. — Les métamorphoses de l’héparine. Nouv.Rev.Fr Hematol , 1981, 23 , 253-256.
Il appartenait à Ludovic Drouet, biologiste et hématologiste, de conclure ce Forum multidisciplinaire consacré aux thromboses veineuses en montrant les substantiels progrès enregistrés pendant la dernière décennie et permettant de supposer très fermement que non seulement les thromboses veineuses mais aussi les thromboses coronaires, cérébrales par fibrillation auriculaire seront mieux reconnues, prévenues et traitées d’urgence. La panoplie des molécules attaquant une cible donnée (par exemple la génération de thrombine, l’activation plaquettaire, les étapes de la fibrinoformation ou de la fibrinolyse) doit permettre d’espérer qu’une maladie qui paye annuellement un plus lourd tribut que les accidents de la route soit partiellement éradiquée.
Bull. Acad. Natle Méd., 2003, 187, n° 1, 99-101, séance du 14 janvier 2003