Conclusion : humanisme et handicap
Denys PELLERIN Au cours de cette séance dédiée aux handicaps, nous avons entendu deux rapports et une communication. Avec ces rapports, qui faisaient suite à celui qui portait sur les Handicaps sensoriels de l‘enfant adopté par notre Compagnie le 7 novembre 2006, la
Commission XIII, achevait sa réflexion consacrée aux
Handicaps congénitaux .
La communication de Bernard Bussel, nous a éclairés sur la situation actuelle des personnes souffrant d’un lourd handicap neurologique du fait d’ accidents du trafic .
Le nombre des accidents semble heureusement en légère régression, mais surtout leurs séquelles cérébrales, motrices, sphinctériennes sont aujourd’hui plus efficacement abordées.
Par la seule présentation de ces trois types de situation de handicap, nous percevons qu’au-delà de leurs différences étiologiques, au sein même de chaque groupe, l’expression du handicap est toujours d’une extrême diversité. Et partant, nous concevons ce que peut être la complexité de l’approche du « Handicap », à l’échelle de la Société . On ne saurait opposer les uns aux autres, ni s’intéresser aux uns et oublier les autres. Mais aussi on ne peut être indifférent à ce qui les distingue profondément. Je prends, pour seul exemple, les conditions de leur survenue et le ressenti qui en résulte.
Le handicap congénital , se révèle dès la naissance et va durer toute la vie.
Il touche l’enfant, mais aussi ses parents . Ils partageront eux aussi, leur vie durant, le poids de cette différence. Plus encore, pour les parents des personnes handicapées de l’intelligence qui pour un grand nombre d’entre eux, seront, leur vie durant les « aidants » de celui ou celle qui sera toujours leur enfant handicapé et vivront avec l’ angoisse de « l’après eux » .
Le handicap acquis par l’accident brise une vie, porteuse d’espoirs, de projets, d’ambitions.
Il brise aussi l’entourage de la personne accidentée, dans la nostalgie d’un passé dont il n’avait pas imaginé la fragilité. Par ailleurs une vie brisée suscite plus facilement l’attention, l’empathie, une plus grande sensibilité de la société au courage déployé par la victime de l’accident pour surmonter son handicap. Les exemples sont nombreux, quelques-uns, médiatisés à l’excès, de ceux qui ont surmonté leur handicap jusqu’à accéder à un haut niveau de performance sportive ou à l’exercice de hautes fonctions de responsabilité. Mais aussi combien de jeunes accidentés vont demeurer profondément et définitivement brisés par les lourdes séquelles cognitives de leur traumatisme encéphalique.
Mais il nous faut élargir encore notre réflexion .
• Nous ne saurions oublier que la société doit aussi faire face à d’autres formes de handicap, notamment le handicap social dont souffre le nombre croissant de personnes handicapées mentales et psychiques.
• La société, doit aussi répondre au problème, aujourd’hui prégnant, que posent les personnes handicapées du fait du processus biologique normal du vieillissement 1 qui prend aujourd’hui une importance particulière du fait de la longévité accrue de la population.
Depuis la généreuse et ambitieuse Loi d’orientation de 1975 votée à l’initiative obstinée de Melle Marie Madeleine Dienesch, la société a fait beaucoup, comme l’on dit, pour le handicap . Des efforts considérables ont été consentis. Un grand nombre de colloques ont été organisés.
De nombreuses commissions ont été constituées et réunies. De nombreux et souvent excellents rapports ont été rédigés. Il y a eu des journées du handicap 2 . Il existe un
Conseil national consultatif des personnes handicapées , créé par la Loi d’orientation de 1975 et mis en place en application de la loi de 2005. Il se réunit annuellement. Le rapport de la dernière réunion de ce Comité consultatif national qui s’est tenue le 8 juin dernier, publié par la documentation française ne fait pas moins de 335 pages !
Et néanmoins, nous pouvons en témoigner, persiste globalement l’expression d’ un sentiment d’insatisfaction, de méconnaissance, largement partagé et relayé par l’action admirable des nombreuses associations qui œuvrent, de façon diverse et nécessairement ciblée auprès des personnes handicapées.
Dans une société de plus en plus assistée, sécuritaire et consumériste , la personne handicapée et son entourage, ne se sentent pas écoutés, ou pas entendus, pas compris. N’at-on pas été jusqu’à parler de discrimination ? La cause de cette insatisfaction tient à ce que trente ans après la « Loi d’orientation en faveur des personnes handicapées », (Loi no 75-534 du 30 juin 1975) en dépit des bonnes intentions qui fondaient la « Loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » (Loi no 2005-102 du 11 février 2005.) les dispositions qui en découlent ne peuvent apporter qu’une réponse globale, déclinée dans le cadre réglementaire d’une administration souvent tatillonne.
Bien que, progrès majeur, les textes retiennent effectivement cette notion de personne handicapée , et non plus le seul terme handicap , il persiste, (je fais ici une citation) :
«
Une vision réductrice et simplificatrice du champ formé par l’ensemble des personnes handicapées. Champ très hétérogène, aux limites floues, dans lequel, dans leur extrême diversité, chaque personne a du mal à se reconnaître, à se retrouver. » 1 La biologie du vieillissement et les handicaps qui en résultent » sont dés maintenant le nouveau thème de réflexion de la Commission XIII.
2 L’année 2011qui s’achève était, à ma connaissance, « l’année du handicap » ! Que ce soit le handicap définitif, cognitif ou autre, et son étiologie .
J’ai cité les termes même du remarquable rapport remis par notre collègue Michel Fardeau, à Mme Martine Aubry (alors Ministre de l’Emploi et de la Solidarité) et M.
Bernard Kouchner (alors Secrétaire d’Etat à la Santé et aux Handicapés) qui l’en avaient saisi par lettre de mission de mission du 5-07-1999. Il y a douze ans de cela.
Il avait sous-titré son rapport par ces mots qui résument l’attente des personnes handicapées : « Vivre comme vous » c’est-à-dire « comme nous, tout simplement »
Il n’y a pas un mot à y changer ! Et Fardeau continuait :
« (Le problème des personnes handicapées) paraît encore aujourd’hui à beaucoup, réduit aux utilisateurs de fauteuils roulants et de cannes blanches… L’utilisation d’un terme unificateur mais réducteur de cette diversité a permis d’importants progrès sur le plan conceptuel, mais également contribué à masquer cette extrême hétérogénéité des conditions personnelles… »
Rien n‘aurait-il donc changé depuis plus de dix ans ?
Oui, pourtant, et nul ne peut contester que des efforts considérables ont été consentis en faveurs des handicapés. Mais en fait , comme la maladie, le handicap est toujours unique pour la personne qui en souffre. Pas plus qu’il n’y a pas des maladies mais des malades, Il n’y a pas des handicaps mais des personnes handicapées, chacune singulière comme l’est chaque personne humaine. Pour un grand nombre, la réponse à l’attente est inappropriée, ou insuffisante, voire absente .
Je n’en donnerai qu’un exemple. Il concerne ce que l’on dénomme « l’aide aux aidants » ou « le répit aux aidants » des personne handicapées. Il est depuis peu abordé dans le cadre spécifique de la maladie Alzheimer, qui, non sans raison, focalise aujourd’hui nos décideurs. Mais on ne saurait méconnaître la charge qui pèse également sur l’entourage d’autres personnes lourdement handicapées, de quelque nature que soit le handicap cognitif ou autre et son étiologie.
Pour ne citer qu’eux, j’évoquerai ici ces parents admirables d’un enfant handicapé lourdement dépendant, notamment ceux qui devenus adultes voire prématurément vieillissants sont demeurés dans le milieu familial.
Quelques trop rares expériences récentes de dispositif de répit offert à l’entourage immédiat de la personne handicapée, nous ont été rapportées 3. Fruit d‘initiatives individuelles et de persévérance obstinée pour surmonter les obstacles de toutes sortes, elles démontrent tout l’intérêt de ce répit, encore accru lorsqu’il offre simultanément l’opportunité d’un accueil très temporaire de la personne handicapée elle-même dans une structure médicale appropriée permettant de procéder à l’évaluation d’ensemble de son état et la réactualisation de son programme de soin.
De telles actions, parfaitement ciblées , comme beaucoup d’autres, devraient théoriquement être accessibles et mises en œuvre dans le cadre de la mission désormais 3 À l’initiative de notre consœur Annie Barois, la Commission XIII a procédé à plusieurs auditions sur ce sujet au-delà de la présentation de son rapport devant le Conseil d’Administration en janvier 2010.
dévolue dans chaque département aux
Maisons départementales des personnes handicapées. Instituées pour aider à mettre un terme aux difficultés individuelles des personnes handicapées, elles ne sont pour la plupart, hélas ! que l’agglomérat des services administratifs antérieurs, associant leurs lourdeurs dans le maquis des réglementations nationales et les contraintes budgétaires des collectivités locales — les Conseils Généraux.
L’aide personnalisée à l’autonomie, l’APA, qu’elles ont la mission de dispenser, ne saurait par ailleurs se décliner uniquement en terme d’ allocation de soutien . L’un des motifs de cette situation est probablement qu’au sein des MDPH le rôle du médecin traitant y très marginal, voire inexistant. Les décisions prises au sein des MDPH relèvent essentiellement d’instances administratives.
L’Académie nationale de médecine avait déjà formulé cette observation pour la déplorer.
Or, le médecins traitant et les personnels de soins qui l‘entourent, savent mieux que quiconque ce que sont les besoins et les attentes — ou par ailleurs la relation personnelle du soignant avec la personne handicapée, est toujours pour celle-ci et son entourage ressentie comme une aide précieuse dont les conseils apaisent les inévitables inquiétudes. Encore faudrait-il, sans doute, que les médecins soient aidés dans cette mission et que les plus jeunes d’entre eux soient formés à cette tâche, pour laquelle, à l’avenir, ils seront de plus en plus sollicités. Il convient de les y préparer.
Dès lors, on ne peut que regretter et s’inquiéter pour l’avenir, de la quasi inexistence dans les programmes actuels de l’enseignement aux futurs médecins et aux personnels soignants de l’approche des personnes handicapées .
Un seul diplôme interuniversitaire , récemment créé à l’initiative de notre consœur
Marie-Odile Réthoré, s’efforce avec succès de remédier à cette carence. Puisse-t-il servir d’exemple !
Dans le rapport présenté par François-Bernard Michel qu’elle adoptait en Juin dernier, notre Compagnie « recommandait dans l’intérêt des malades un humanisme médical pour notre temp s ».
Cette séance dédiée aux handicaps, est aussi pour l’Académie nationale de médecine l’occasion d’appeler la société à ne pas omettre dans ses réflexions de toujours associer Humanisme et Handicap .
Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, no 7, 1725-1728, séance du 25 octobre 2011