Communication scientifique
Séance du 15 novembre 2011

Conclusion

Gérard Pascal *

 

CONCLUSION

Gérard PASCAL *

L’introduction de cette séance et les présentations qui l’ont suivie ont apporté une masse d’informations commentées et discutées sur les raisons qui ont conduit à l’organisation de cette réunion (essentiellement la nécessité d’une mise au point scientifique), les éléments quantitatifs qui caractérisent la production et la consommation de viande bovine, ses propriétés nutritionnelles, les conséquences de sa consommation sur la santé, les systèmes garantissant sa sécurité sanitaire et l’impact environnemental de l’élevage bovin.

Une écoute attentive des intervenants, qu’il faut remercier pour la qualité de leurs présentations, amène à tirer cinq conclusions essentielles :

Même si chaque intervenant à pris grand soin de définir aussi précisément que possible ce dont il parlait, les données présentées, souvent en raison de l’imprécision des documents analysés, ne concernaient pas toujours les mêmes produits : viande de bœuf, viande rouge, viande de boucherie, viandes incluant même les charcuteries, pouvaient être alternativement l’objet de ces données. Il reste ainsi difficile de préciser la consommation moyenne en France de viande de bœuf, le chiffre d’environ 30 grammes par jour devant cependant être proche de la réalité.

En ce qui concerne les relations entre la consommation de viande bovine et la santé, il est primordial de savoir de quel produit l’on parle (espèce animale, race, stade de développement), de quel morceau, de quelle préparation culinaire il a été l’objet. La composition, dont la teneur en lipides, la teneur en produits résultants des traitements culinaires (amines hétérocycliques pour les cuissons longues de type « pot au feu » ou hydrocarbures aromatiques polycycliques pour les cuissons à haute tempé- rature avec contact éventuel avec la flamme, de type braisé ou barbecue, mutagènes et/ou potentiellement cancérogènes) en dépendent. Lorsque les charcuteries sont incluses dans « les viandes », le rôle des nitrates et nitrites ne peut être exclu.

Les résultats des études épidémiologiques sont difficiles à interpréter. La mauvaise caractérisation des produits objet des études, évoquée ci-dessus, rend très difficile la conduite des méta-analyses puisque l’on risque de regrouper des études qui concernent des produits de viande différents, ce qui arrive souvent. Les données de consommation alimentaire sont fragiles, surtout lorsque l’on s’intéresse à des pathologies qui se développent à long terme comme les cancers ou les affections cardio-vasculaires : que mangiez-vous il y a dix ou vingt ans ? La qualité du recueil des données est essentielle.

Les risques relatifs enregistrés sont faibles, souvent de l’ordre de 1,2-1,3, la limite inférieure de l’intervalle de confiance étant parfois inférieure à 1, qu’il s’agisse de risque cardio-vasculaire, de cancer ou de diabète de type II. Les facteurs confondants peuvent jouer un rôle important ; il en va ainsi dans l’étude qui fait référence en matière de relations entre consommation de viande (de bœuf ?) et risques de cancer recto-colique, celle de T. Norat et al. (J. Natl Cancer Institute, 2005, 97, 906-916). Un impact significatif est enregistré si les auteurs ajustent les données en prenant en compte l’énergie des lipides, l’âge et le sexe des consommateurs (plus de 400 000 sujets de l’étude EPIC), signification statistique qui disparaît si l’on ajoute à ces facteurs, le poids, la taille, la consommation de tabac et d’alcool, de fibres et l’activité physique, tous facteurs qu’il est légitime de prendre en compte. Si l’on ne doit pas négliger des risques relatifs faibles comme ceux liés à la consommation de viande, il faut les replacer dans une échelle de risques sanitaires et surtout insister sur le fait que ces risques ne deviennent en général significatifs que pour de fortes consommations de viande de bœuf, sans commune mesure avec les 30g par jour, consommation moyenne en France. Différents facteurs explicatifs des risques potentiels de la consommation de viande bovine, fer, acides gras saturés par exemple sont souvent évoqués sans que leurs mécanismes d’action n’aient souvent été démontrés (sauf peut être pour le fer) et que l’on puisse établir de relations quantitatives.

L’intérêt nutritionnel de la viande de bœuf n’est plus à démontrer pour ce qui a trait à la qualité de ses protéines, à la présence de fer bio-disponible, de zinc, de sélénium, de vitamines du groupe B, en particulier B12.

La teneur et la nature des lipides de la viande bovine sont mises en cause, alors que les valeurs incriminées ne concernent souvent pas les animaux produits en Europe, mais plutôt des données américaines (animaux environ deux fois plus gras). Si les lipides de la viande bovine sont riches en acides gras saturés, ils renferment aussi une forte quantité d’acide oléique constituant principal de l’huile d’olive. Par ailleurs, l’ont sait aujourd’hui que tous les acides gras saturés ne se valent pas en matière de risque cardiovasculaire et qu’il faut faire la distinction entre eux, l’acide palmitique étant le plus à craindre, à la différence de l’acide stéarique.

Un élément essentiel du risque sanitaire d’une forte consommation de viande bovine est le profil alimentaire des gros mangeurs de viande : forte consommation de calories, de lipides, d’alcool, de tabac… Ils accumulent les facteurs de risque.

S’il convient de recommander d’éviter de fortes consommations de viande bovine, il ne semble pas que jusqu’à 70-80g par jour, il soit possible de démontrer la moindre élévation du risque sanitaire, et qu’au contraire, grâce à ses qualités nutritionnelles elle doit avoir sa place dans une alimentation variée et équilibrée.

La qualité hygiénique de la viande bovine est un aspect particulièrement important pour le consommateur après la crise de la vache folle (ESB) et quelques toxi- intoxications alimentaires collectives (TIAC) plus ou moins récentes dues à E.coli producteur de vérotoxines. Il convient cependant de souligner que le nombre de TIAC est en constante diminution dans notre pays.

L’existence d’encéphalopathie spongiforme bovine, aujourd’hui pratiquement éradiquée en France, a conduit à une amélioration considérable des pratiques en ce qui concerne l’alimentation animale (interdiction et élimination des matériaux à risque spécifiques bovins et ovins), les abattoirs qui sont aujourd’hui des « sanctuaires » et la traçabilité des produits. Sur le plan réglementaire, elle a aussi eu comme consé- quence, l’adoption dans l’Union Européenne du « paquet hygiène », ensemble de cinq règlements destinés soit aux professionnels soit aux services de contrôle qui résultent des recommandations du « livre blanc sur la sécurité alimentaire » de janvier 2000.

Aujourd’hui, la qualité hygiénique des viandes est assurée à la fois par la mise en œuvre d’une assurance qualité dans les entreprises et par l’inspection publique.

Cette inspection regroupe environ deux mille agents dont cependant seulement moins de 50 sont des titulaires.

Dans notre pays, les principaux risques de TIAC concernant la viande bovine sont liés à la présence de Campylobacter et de Salmonelles. Ceux de zoonoses, concernent la toxoplasmose et la tuberculose.

Pour certains, la production de viande bovine devrait être remise en cause en raison de ses impacts environnementaux et sur le développement durable : production de gaz à effet de serre et mauvais taux de conversion « biomasse végétale/biomasse animale » (entre 2 et 5). Outre le fait que les ruminants mangent de l’herbe et des broussailles, ce que ne sait pas faire l’homme, la réalité est un peu plus complexe. La prairie est un puits de carbone, elle le stocke.

Il est vrai que l’élevage peut avoir des effets négatifs lorsque les systèmes sont très intensifs et qu’il faut poursuivre les efforts pour minimiser les émissions, mais il faut aussi considérer le rôle qu’exerce l’élevage, valorisant les surfaces herbagères naturelles, tant au niveau environnemental, qu’économique et social.

Je terminerai sur une note plus personnelle ; vivant maintenant à plein temps dans les monts du Livradois, face à ceux du Forez, j’invite ceux qui seraient intéressés à venir constater l’impact négatif de la disparition partielle de l’élevage bovin sur l’environnement, les paysages, l’occupation de l’espace rural et finalement la vie sociale dans ces régions.

 

<p>* Membre de l’Académie d’Agriculture de France Tirés à part : Professeur Gérard Pascal, Le Breuil, 63220 Saint-Alyre d’Arlanc.</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, no 8, 1827-1829, séance du 15 novembre 2011