Communication scientifique
Séance du 7 mars 2006

Conclusion

Gérard Orth *

Conclusion

Gérard ORTH *

En épilogue de cette séance, quelles leçons pouvons-nous tirer de l’histoire des zoonoses auxquelles nous avons été confrontés dans le passé ou auxquelles nous avons eu à faire face depuis une vingtaine d’années ? Quels sont les enseignements à retenir pour pouvoir contrôler et, surtout, anticiper l’émergence ou la réémergence de zoonoses, dans le futur ?

La transmission à l’homme d’agents de maladies infectieuses ou parasitaires d’origine animale s’est produite tout au long de son histoire, au fil des variations climatiques, des migrations et des changements de mode de vie qui ont jalonné l’évolution humaine. Jean Blancou nous a rappelé que les découvertes de Pasteur et de Koch ont permis d’éradiquer, dans les pays développés, des maladies animales majeures transmissibles à l’homme, par une vaccination, comme dans le cas du charbon ou de la rage, ou par l’application de mesures de police sanitaire, comme dans le cas de la tuberculose bovine et de la morve équine. La disparition du réservoir animal a entraîné celle des maladies humaines associés à ces agents zoonotiques. Mais ces maladies nous menacent encore car elles sévissent toujours dans des pays en développement et de nouveaux réservoirs apparaissent dans nos régions pour certaines d’entre elles.

François Bricaire nous a rappelé que ces deux dernières décennies ont vu l’émergence de nombre de maladies infectieuses humaines nouvelles, d’étiologie auparavant inconnue, ou la résurgence de maladies connues, dont la grande majorité ont pour origine un agent pathogène (le plus souvent un virus) infectant un animal domestique ou sauvage. Leur liste vous est familière. Ces maladies ont défrayé ou défrayent actuellement la chronique, en raison de la menace qu’elles représentent pour la santé humaine globale et pour l’économie mondiale. Des bouleversements sociologiques, économiques et écologiques caractérisent le monde actuel. Ils ont joué un rôle crucial dans l’émergence de ces maladies. La grande plasticité des microorganismes a aussi été un facteur déterminant. Alain Philippon nous a rappelé qu’à ces maladies médiatisées s’ajoutent des zoonoses dues à des bactéries difficiles à cultiver, transmises directement ou par un arthropode à partir d’un animal sauvage ou domestique. Ces zoonoses restent encore trop peu étudiées, bien qu’elles
sévissent sur notre territoire. Philippe Sansonetti nous a dit combien il est important de comprendre les mécanismes de la spécificité d’espèce, du franchissement de la barrière d’espèce, et de l’acquisition d’une capacité de transmission interhumaine efficace, pour anticiper et maîtriser des évènements d’émergence.

Toutes ces maladies placent les vétérinaires et les médecins face à leurs responsabilités et à leurs missions de surveillance, de détection et d’intervention. Elles imposent une nécessaire collaboration entre les autorités de santé publique et de santé animale que sont la Direction Générale de la Santé et l’Institut de Veille Sanitaire, d’une part, et la Direction générale de l’Alimentation du Ministère de l’Agriculture et l’Agence française de Sécurité sanitaire des Aliments, d’autre part. Mais les évènements récents d’émergence ou de réémergence ont montré la dimension internationale de la maîtrise des maladies infectieuses et la nécessité de renforcer les systèmes internationaux de surveillance et d’alerte et les mécanismes d’intervention, dans les différentes régions du monde. Ceci ne peut se faire sans une réelle volonté politique de s’attaquer aux problèmes. Et ceci d’autant plus que les évènements d’émergence ou l’éclosion d’épizooties, comme la grippe aviaire, surviennent le plus souvent dans des pays en développement, ne disposant pas des moyens financiers et humains qui permettraient de les combattre. Le prix à payer est lourd . L’efficacité du réseau de surveillance des maladies infectieuses et de réponse aux alertes, organisé sous l’égide de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), s’est illustrée lors de la récente épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère. Mais il a fallu la menace d’une pandémie due à l’émergence d’un nouveau virus grippal pour que l’Organisation mondiale de la Santé animale (OIE), le Département des Maladies infectieuses de l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), et l’OMS conjuguent leurs efforts pour organiser la surveillance et le contrôle des maladies animales. Et que, très récemment, ces organisations internationales organisent en commun, avec la Banque mondiale, la lutte contre la grippe aviaire qui persiste en Asie du Sud-Est.

Nous sommes sous la menace d’une pandémie grippale. Mais peut-être faut-il s’attendre à l’imprévisible ? Dans quelques semaines sera publié le rapport sur la science et la technologie (RST no 24) de l’Académie des sciences « La maîtrise des maladies infectieuses : un défi de santé publique, une ambition médico-scientifique », dont Philippe Sansonetti et moi-même avons eu le privilège de coordonner la rédaction. Ce rapport fonde ses conclusions sur la notion qu’il y aura toujours des maladies infectieuses et que les zoonoses jouent, et joueront, un rôle croissant dans l’émergence des infections humaines. Il propose de relever le défi que pose ces maladies, sachant que cette ambition nécessite de mobiliser des ressources financières, humaines et technologiques sans précédent, au service d’une recherche multidisciplinaire en biologie (au sens large), en épidémiologie, en sciences sociales et humaines et en économie de la santé. Un tel effort est seul garant de l’acquisition des connaissances indispensables à la maîtrise des maladies infectieuses. Mais, ainsi que le souligne le rapport de l’Académie des Sciences, son succès suppose que soient remplies plusieurs conditions : une collaboration entre une recherche académique de haut niveau
et la recherche industrielle, une meilleure coordination des systèmes nationaux et trans-nationaux de veille, d’alerte et d’intervention, une prise de conscience de la nécessité d’intégrer l’ensemble de la pathologie humaine et animale dans un concept global de recherche et d’enseignement, et une meilleure éducation de la population, lui permettant de mieux connaître, comprendre et maîtriser le risque infectieux.

C’est à ce prix que pourra être assurée la transition de l’approche réactive actuelle vers une approche anticipatoire et proactive de la maîtrise des zoonoses émergentes ou réémergentes.

* Membre de l’Académie Vétérinaire de France, et de l’Académie des sciences. Département de virologie, Institut Pasteur, Paris.

Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, no 3, 625-627, séance du 7 mars 2006