Communication scientifique
Session of 27 novembre 2007

Compte-rendu de la troisième conférence de consensus sur la transplantation hépatique. Lyon (Palais des Congrès) 19 et 20 janvier 2005

MOTS-CLÉS : cancer du foie. cirrhose alcoolique. donneur vivant. hépatites virales humaines. transplantation hépatique
Third consensus conference on liver transplantation. Lyon, France, 19 and 20 January 2005
KEY-WORDS : hepatitis, viral, human. liver cirrhosis, alcoholic. liver neoplasms. liver transplantation

Karim Boudjema

Résumé

Depuis son avènement, au début des années 1980, les indications de la transplantation hépatique n’ont jamais cessé d’évoluer. Reconnue thérapeutique à part entière après la conférence de consensus de Bethesda en 1983, la greffe de foie est devenue en dix ans, le traitement de référence des insuffisances hépatiques terminales. En 1993, à Paris, une seconde conférence de consensus permettait de reconnaître les bonnes indications des contre indications et isolait un groupe d’indications discutables parce que marquées par le risque de récidive de la maladie initiale. En une décennie à peine, ces dernières sont devenues numériquement les plus fréquentes, aussi fallait-il une nouvelle fois retracer les limites d’une thérapeutique bridée dans son application par la rareté des greffons. En 2005 s’est donc tenue à Lyon, sous l’égide des Académies françaises de chirurgie et de médecine et sous la présidence du Professeur Didier Sicard, une 3ème conférence de consensus. Les membres du jury ont eu à répondre aux cinq questions suivantes : — Comment optimiser la prise en charge des patients transplantés pour hépatite virale ? — Dans quels cas la cirrhose alcoolique estelle une indication de transplantation hépatique ? — Quels cancers du foie peut-on traiter par la transplantation hépatique ? — Quelle est la place du donneur vivant en transplantation hépatique ? — Quelles sont les extensions à l’indication de transplantation hépatique ?

Summary

The indications of liver transplantation have gradually expanded since the first procedure was carried out in the early 1980s. Endorsed by the Bethesda consensus conference in 1983, transplantation is now the standard therapy for patients with terminal liver failure. The second consensus conference, held in Paris in 1993, refined the indications and contraindications of liver transplantation, and also identified several controversial settings in which there was a major risk of recurrence of the underlying liver disease. In the space of barely a decade, the latter situations became far more frequent, and the time came to redefine the indications of this procedure, which was still restricted by the lack of donors. In 2005, under the aegis of the Académies françaises de Chirurgie et de Médecine and chaired by Professor Didier Sicard, a third consensus conference was held in Lyon, France. The jury was asked the following five questions : How to optimize the management of patients transplanted for viral hepatitis ? When is liver transplantation indicated for alcoholic cirrhosis ? Which types of liver cancer qualify for transplantation ? What place for living donors in liver transplantation ? and What new indications for liver transplantation ?

AVANT-PROPOS

Cette conférence a été organisée et s’est déroulée conformément aux règles méthodologiques préconisées par l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (Anaes).

Les conclusions et recommandations présentées dans ce document ont été rédigées par le jury de la conférence, en toute indépendance. Leur teneur n’engage en aucune manière la responsabilité de la HAS.

Question 1.

Comment optimiser la prise en charge des patients transplantés pour hépatite virale ?

En cas d’hépatite virale, la TH doit être envisagée en cas d’hépatite fulminante, de cirrhose décompensée et/ou de CHC.

Les hépatites virales représentent actuellement 20 % des indications de TH en France, soit environ 200 à 250 TH par an (sans compter les TH pour CHC ; cf.

question 3 ). En l’absence de données épidémiologiques précises, on ne sait cependant pas quel pourcentage des malades atteignant l’insuffisance hépatique terminale et/ou le CHC sont actuellement proposés à la TH.

Les progrès et limites de la TH pour hépatite virale dépendent aujourd’hui principalement de ceux des traitements antiviraux dans le contrôle de la virémie.

I. Quels traitements proposer pour réduire le risque de récidive de la maladie virale B sur le greffon ?

Le bien-fondé de l’indication de TH pour hépatite B n’est aujourd’hui plus discuté, et la survie à moyen et long terme est parmi les meilleures (75 % à 5 ans 63 % à 10 ans
dans le registre européen) (grade 1 C). Le principal problème est la prévention de la récidive sur le greffon, dont le risque (de l’ordre de 80 % avant l’instauration de mesures préventives) croît avec la charge virale prétransplantation.

I.1. Avant la transplantation

Il faut essayer de réduire la virémie au moins au-dessous de 105 copies/ml, en utilisant la lamivudine ou l’adéfovir (l’interféron est contre-indiqué en cas de cirrhose décompensée) chez tous les malades ayant une virémie détectable (avis d’experts). Si la virémie est J 105 copies/ml, la TH est discutable.

La lamivudine ou l’adéfovir peuvent améliorer la fonction hépatique et faire revenir certains malades en dehors des indications de TH, mais avec un risque d’échappement par induction de résistance virale, plus important avec la lamivudine qu’avec l’adéfovir (grade C).

Le traitement antiviral B doit être discuté avant son institution avec une équipe de TH chez tout malade cirrhotique potentiellement transplantable. L’utilisation trop précoce de traitements antiviraux au long cours, et notamment de l’adéfovir, doit être limitée chez des malades ayant des lésions hépatiques peu sévères pour ne pas induire de résistance virale avant la TH.

I.2. Pendant et après la transplantation

L’administration à vie de fortes doses d’immunoglobulines anti-HBs (Ig antiHBs) diminue le risque de récidive (définie par la réapparition de l’antigène HBs) (grade C). Ce risque reste cependant élevé chez les malades ayant une virémie > 105 copies/mL avant la TH et justifie l’adjonction d’antiviraux (grade C).

La thérapeutique par Ig anti-HBs et antiviraux ne doit pas être interrompue tout au long de la vie, sauf lorsqu’une séroconversion spontanée anti-HBs peut être suspectée quand le titre des anticorps anti-HBs ne diminue pas entre 2 injections d’Ig anti-HBs.

L’arrêt ou la diminution des Ig anti-HBs sous couvert de la poursuite d’un antiviral ne devrait pas être proposé en dehors d’essais randomisés de taille et de durée suffisantes, dont le jury recommande la mise en œuvre rapide en raison du coût très élevé du traitement à vie par les Ig anti-HBs.

II. Quels traitements proposer pour réduire le risque de récidive de la maladie virale C sur le greffon ?

Le bien-fondé de l’indication de la TH pour hépatite C n’est pas remis en cause par la dégradation aujourd’hui certaine des résultats à moyen et long termes, par rapport à un passé récent plus favorable à la TH dans cette indication. Ces résultats sont liés à :

1. Voir annexe 1 .

— la réinfection plus ou moins précoce du greffon par le VHC ;

— l’évolution accélérée vers la cirrhose (10 à 40 % à 5 ans), avec ensuite un risque de décompensation très important (40 % 1 an après le diagnostic), une augmentation de la mortalité de 10 à 20 % après 5-10 ans de suivi par rapport aux autres indications de la TH. La survie à 5 ans dans le registre européen est de 62 % quand il y a une cirrhose et de 89 % en l’absence de cirrhose ;

— l’âge croissant des patients et des donneurs.

II.1. Avant la transplantation hépatique

L’éradication du VHC doit être recherchée, notamment chez les malades qui n’ont pas reçu antérieurement un traitement antiviral optimal.

La TH est indiquée même chez les sujets qui restent virémiques après antiviraux. Il n’y a pas de limite maximale du nombre de copies acceptées pour faire une TH, mais les malades qui ont une charge virale > 106 copies/ml ont une survie du greffon et une survie propre inférieures à ceux qui ont une charge virale < 106 copies/ml. Il n’y a pas de limitation des indications de TH en fonction du génotype viral.

II.2. Après la transplantation hépatique

Une évaluation histologique régulière du foie est indispensable.

La période optimale du traitement de la récidive virale C semble se situer après 1 an (avis d’experts), lorsque apparaissent des lésions au moins égales à A1F1, prédictives d’un risque élevé d’évolution vers la cirrhose (grade C). Bien qu’une augmentation du risque de rejet n’ait pas été observée avec le traitement antiviral, il est prudent de ne pas trop diminuer l’immunosuppression pendant le traitement de la récidive virale C (avis d’experts).

Avec l’association d’interféron pégylée (IFNp) et de ribavirine (à posologie optimale tout en s’aidant de facteurs de croissance), une réponse virologique (virémie nulle par PCR) durable est observée chez environ un tiers des malades (grade C). Le traitement antiviral doit être poursuivi si possible au moins 6 mois après la négativation de la recherche du VHC par PCR. S’il n’y a pas de négativation, le traitement est arrêté. Le bénéfice éventuel de l’adjonction d’amantadine n’a pas été évalué après la TH.

Une dégradation progressive des résultats de la TH pour hépatite virale C a été observés au cours des 3 dernières décennies, sans que la cause en soit connue avec certitude. Il est possible qu’elle soit liée à l’âge plus élevé des donneurs, à l’utilisation des donneurs vivants et au renforcement des traitements immunosuppresseurs. Il est actuellement recommandé d’éviter les bolus de corticoïdes, l’anti-OKT3, de ne diminuer que lentement la corticothérapie et d’utiliser un traitement immunosuppresseur limité à un anticalcineurine (avis d’experts).

La réduction des cofacteurs aggravant l’évolution cirrhogène (consommation d’alcool, de tabac, syndrome métabolique) est toujours nécessaire (avis d’experts).

III. Peut-on proposer la transplantation hépatique chez les malades co-infectés par le VIH ?

Les maladies virales B et C du foie sont devenues la première cause de décès chez les malades infectés par le VIH. La prévention, le dépistage et le traitement des hépatites virales B et C sont impératifs chez tous ces malades.

III.1. Traitement des co-infections

L’évolution lésionnelle de l’hépatite B peut être ralentie par des antiviraux antiVHB (interféron, lamivudine, adéfovir, ténofovir), avec des chances d’obtenir une réponse virale durable plus faibles que chez les malades non co-infectés. L’utilisation des antiviraux anti-VHB doit être raisonnée et discutée entre infectiologues et hépatologues, pour ne pas, en fonction des stades d’évolution des 2 infections, hypothéquer leur avenir.

La guérison de l’hépatite C peut être obtenue avec une bithérapie associant INFp et ribavirine chez environ 1/3 des malades traités (grade B). L’épidémiologie actuelle comme l’évolution cirrhogène des hépatites virales, nettement plus rapide chez les malades infectés par le VIH (grade C), font du recours éventuel à la TH une question majeure chez le sujet co-infecté.

III.2. Transplantation hépatique chez les malades co-infectés

On ne dispose actuellement que de courtes séries de TH totalisant environ 200 malades. Les TH ont été essentiellement réalisées pour cirrhose décompensée, chez des malades très sélectionnés, dont l’infection VIH était contrôlée par la HAART.

Le recul est faible, généralement 2-3 ans.

En cas d’hépatite B ou C, la survie à court terme en cas de co-infection n’apparaît pas être plus mauvaise qu’en d’absence de co-infection VIH (grade C).

En cas de co-infection VIH-VHC, la charge virale C et surtout la vitesse de progression de la fibrose sont très supérieures à celles observées chez les malades non co-infectés. Le traitement de l’hépatite C est plus difficile et a une efficacité plus limitée qu’en l’absence de co-infection. Des complications spécifiques (cytopathies mitochondriales notamment) doivent être prévenues et dépistées. Le traitement immunosuppresseur doit être très rigoureusement adapté en raison d’interactions médicamenteuses majeures avec les antiprotéases.

En résumé, la TH chez des malades infectés par le VIH apparaît faisable (grade C) chez des malades hautement sélectionnés ayant notamment une infection VIH stable, dans les mêmes indications que chez les malades indemnes d’infection VIH, aux conditions d’une organisation particulière des services transplanteurs, d’un accompagnement renforcé et d’une évaluation prospective rigoureuse (avis d’experts). La lourdeur particulière du traitement, impliquant une observance plus difficile, et du suivi laisse présager une réinsertion sociale encore plus difficile que chez les malades non co-infectés.

Question 2.

Dans quels cas la cirrhose alcoolique est-elle une indication de transplantation hépatique ?

La cirrhose alcoolique est en France la première cause de TH (270 sur 850 TH réalisées en 2003). La survie selon le registre européen est de 83 % à 1 an, 72 % à 5 ans, 59 % à 10 ans.

Malgré ces résultats, une controverse persiste sur l’indication de la TH dans la cirrhose alcoolique du fait du risque de récidive de l’intoxication alcoolique après la greffe et à propos de la durée d’abstinence avant la greffe. Cependant, les recommandations existantes vont toutes dans le même sens :

— la cirrhose alcoolique est une indication de la TH au même titre que les autres cirrhoses ;

— la prise en charge de la maladie alcoolique doit être assurée par une équipe pluridisciplinaire.

En dehors du CHC, l’indication de la TH reste limitée aux cirrhoses compliquées (classe C de Child-Pugh) (grade B). Elle n’est pas recommandée en cas de stade B de Child-Pugh.

L’inscription des malades en liste d’attente de TH est possible à 2 conditions :

— un bilan pré-greffe particulièrement attentif à la recherche des lésions liées à une toxicité alcoolique, voire alcoolo-tabagique, extra-hépatique, tels les cancers et états pré-cancéreux ORL, bronchiques, œsophagiens, une pathologie cardiovasculaire et respiratoire ;

— une prise en charge alcoologique aussi précoce que possible par une équipe spécialisée. Celle-ci peut aider au sevrage alcoolique, source d’une amélioration fonctionnelle hépatique suffisante pour faire sortir le malade des critères d’indication d’une TH.

Le sevrage est indispensable et la période pré-greffe doit être utilisée pour forger la motivation à l’arrêt de l’alcool. Cet arrêt engage le patient dans une démarche de soins alcoologiques susceptible de le protéger de la rechute en post-greffe. La durée de 6 mois d’abstinence avant TH (grade B) ne doit plus être une règle intangible et ne doit pas être considérée comme une condition à elle seule de l’accès à la TH.

La prévention de la rechute de l’alcoolisme avant et après la TH doit être une préoccupation constante pluridisciplinaire, qui a été trop longtemps négligée. Il existe des éléments d’orientation prédictifs d’une rechute comme la précocité du début de l’intoxication, des antécédents familiaux et des conditions socioéconomiques difficiles (grade B). Un épisode de réalcoolisation ne préjuge pas d’une rechute : l’intervention d’un psychiatre, d’un psychologue ou d’un addictologue est recommandée pour évaluer cet événement et éviter la rechute.

La comorbidité hépatite C-alcool (30-40 % des malades alcooliques) ne constitue pas une contre-indication de la TH. La TH inclut alors les contraintes de soins et de suivi liées à la fois au VHC et à l’intoxication alcoolique. Un prise en charge alcoologique est recommandée, d’autant plus que l’alcool est un facteur reconnu d’évolution cirrhogène des hépatites C.

La consommation concomitante d’alcool et de tabac nécessite une attention particulière car les patients abstinents en matière d’alcool peuvent majorer leur consommation tabagique. Il est alors recommandé de proposer une substitution nicotinique.

En résumé :

— la cirrhose alcoolique est une bonne indication de TH ;

— un encadrement alcoologique systématique est fortement recommandé, car la période avant la greffe doit permettre la mise en place d’un projet de soins alcoologique ;

— la période post-greffe de la cirrhose alcoolique doit, dans le cadre d’une alliance thérapeutique, mobiliser l’attention de l’ensemble de l’équipe de suivi au même titre que les autres formes de cirrhoses. La participation à cette période d’une équipe alcoologique est fortement recommandée ;

— le regard de la société et des professionnels de santé sur la cirrhose alcoolique doit changer. Le patient cirrhotique alcoolique candidat à la TH doit être considéré comme souffrant d’une double pathologie, à la fois alcoolique et hépatique, et devrait en conséquence bénéficier systématiquement d’une double prise en charge spécialisée.

Question 3.

Quels cancers du foie peut-on traiter par transplantation hépatique ?

I. Le carcinome hépatocellulaire

Le CHC représente 15 % des indications de TH en Europe. La TH est contreindiquée en cas de métastases, d’adénopathies, d’envahissement vasculaire.

La réalisation d’une biopsie hépatique n’est pas contre-indiquée chez les candidats à la TH sous réserve de protection du trajet pariétal et d’une sélection attentive des indications (avis d’experts) :

— tumeur unique de petite taille : sous réserve de difficulté d’interprétation liée à l’atteinte de l’échantillon tumoral et aux variations inter observateurs, elle peut préciser la nature d’un petit nodule isolé et diminuer ainsi les faux positifs ;

— tumeur plus volumineuse : elle permet de rechercher des critères (mauvaise différenciation, invasion microvasculaire) qui pourraient être de mauvais pronostic. Ils n’ont de valeur que s’ils sont présents et amènent alors certaines
équipes à discuter l’indication de la TH, mais cette attitude est controversée. Le jury suggère des études spécifiques sur cette question.

Les CHC formés d’une tumeur unique de moins de 5 centimètres ou de 2 à 3 nodules de moins de 3 cm représentent l’indication la mieux validée de la TH (« critères de Milan ») (grade B).

Bien que la TH soit le traitement le plus efficace à long terme, le CHC unique de moins de 2 cm (TNM1) ne doit plus être considéré comme une indication systématique de la TH en dehors de la cirrhose Child-Pugh C (avis d’experts). Les raisons sont l’existence d’alternatives thérapeutiques (notamment la TH de rattrapage immédiat), le risque de faux positifs, la rareté des greffons contrastant avec l’augmentation prévisible de cette situation.

En France, 28 % des CHC transplantés dépassent les « critères de Milan ». Les tumeurs définies par les critères UCSF (un nodule < 6,5 cm de diamètre, ou plusieurs nodules dont le plus volumineux est < 4,5 cm et dont la somme des diamètres n’excède pas 8 cm) auraient une survie de 50 %. Le jury recommande une évaluation pour confirmer cette survie à 5 ans et préciser les facteurs pronostiques, notamment histologiques et biologiques. Il est essentiel, compte tenu de la pénurie actuelle de greffons, de faire de telles TH uniquement dans le cadre d’études.

Bien qu’un traitement d’attente soit habituellement prescrit, aucun n’a fait la preuve de son efficacité réelle. Il est indispensable de les évaluer.

II. Autres cancers

La place de la TH dans la prise en charge des tumeurs malignes autres que le CHC est incertaine en raison de la multiplicité des étiologies, de l’hétérogénéité des stades de prise en charge et de l’insuffisance méthodologique des données de la littérature.

Une survie d’au moins 50 % à 5 ans autorise la TH de rares patients porteurs d’hépatoblastome, d’hémangio-endothéliome épithélioïde ou de métastases de tumeurs carcinoïdes (grade C).

Les mauvais résultats des TH pour métastases de cancers colorectaux, tumeur endocrine pancréatique, cholangiocarcinome périphérique contre-indiquent ces indications. Soit elles sont résécables et ne relèvent pas de la TH, soit elles sont inextirpables par hépatéctomie partielle, donc évoluées, et la TH a de mauvais résultats.

Le cholangiocarcinome hilaire semble faire parti de ce dernier groupe : le taux élevé de récidive et la fréquence des complications septiques, associé à la pénurie de greffons a contre-indiqué cette indication pour la majorité des équipes. Une publication récente de la Mayo Clinic repose la question ; mais elle a concerné un groupe hypersélectionné (2 % des patients), a associé un traitement adjuvant lourd et n’a porté que sur 28 cas.

Question 4.

Quelle est la place du donneur vivant dans la transplantation hépatique ?

I. La transplantation hépatique à partir d’un donneur vivant

La TH à partir d’un donneur vivant (THDV) s’est développée ces dernières années pour répondre à des exigences culturelles (impossibilité de prélèvement dans certains pays liée à l’image du corps) ou à des exigences contextuelles (rareté et délai prolongé d’accès aux greffons incompatible avec la survie de certains patients).

• En Europe, les THDV représentaient 2,7 % des greffes et en France 5 % en 2003.

Globalement, un centre sur 2 est concerné et en France 12 sur 24, avec ces 3 dernières années, 40 greffes annuelles en moyenne au plan national.

Du fait de l’hétérogénéité des situations, de l’amélioration des techniques et de la progression des expériences, il n’est pas possible d’avoir un avis définitif sur les résultats de la THDV, mais l’intérêt de cette procédure est acquis avec des survies qui semblent comparables aux TH à partir de donneurs cadavériques (THD) chez l’adulte et probablement meilleures chez l’enfant.

Il n’y a pas d’indications spécifiques à la THDV et le jury, préoccupé par une mortalité du donneur de 0,27 % en Europe (0,46 % en cas de prélèvement de foie droit qui est celui utilisé pour la TH chez l’adulte) et une morbidité élevée (27 %), suggère que cette activité soit limitée à certains centres ayant une expérience suffisante et régulière.

• Les contre-indications, en dehors de celles communes à la THDC, sont représentées essentiellement par un volume hépatique fonctionnel inadéquat, à la fois pour le donneur et le receveur, et par certaines particularités anatomiques.

Chez le donneur, on doit s’assurer de l’intégrité hépatique (absence de fibrose et de stéatose), de l’absence de comorbidités, de fragilité psychologique et de troubles psychiatriques invalidants. Ceci impose un bilan très rigoureux sur le plan médical et des entretiens successifs permettant une information complète et bien comprise, de façon à obtenir un consentement éclairé et en toute liberté, dans le respect des dispositions prévues par la loi relative à la bioéthique du 6 août 2004.

• Le jury insiste sur l’obligation absolue de prévoir pour le donneur un suivi médical, psychologique et social à long terme. La tenue d’un registre par l’Établissement français des greffes, prévue par la loi, est conforme à ce souhait et permettra une estimation à long terme des risques encourus, information qui n’est pas disponible à ce jour. Pour des cas exceptionnels de complications chez le donneur, la solidarité nationale doit être mobilisée.

• La THDV est une solution de recours qui ne doit pas conduire, dans l’état actuel des connaissances, à un élargissement des indications, même si le jury a bien perçu l’extension souhaitée par certains dans le cadre du CHC.

• La THDV est une procédure qui devrait se stabiliser, si l’on se donne les moyens en personnel et en matériel de faire appel à d’autres techniques à développer ou à initier.

Ainsi, deux modalités ( split et domino), pour lesquelles le jury regrette que l’on ne puisse à ce jour avoir une évaluation suffisante, nécessitent une meilleure coordination et coopération entre les centres avec une rationalisation des moyens et devraient être étendues. La technique de prélèvement sur cœur arrêté, à l’instar d’autres pays européens, doit être rapidement initiée en France.

Enfin, le jury souhaite insister sur le point le plus important de sa réflexion, à savoir la nécessité de se donner les moyens d’une information et d’une éducation du public et des médecins, ciblées sur l’utilisation optimale des possibilités de prélèvements cadavériques, qui restent manifestement sous-exploitées.

II. Quels sont les moyens chirurgicaux autres que le donneur vivant pour pallier le manque de greffons hépatiques ?

• La bipartition du foie (split) nécessite des équipes chirurgicales très entraînées et maîtrisant parfaitement cette technique. Elle nécessite encore plus une organisation sophistiquée autour de l’acte opératoire et la collaboration de plusieurs équipes habituées à travailler ensemble. Le receveur du foie gauche, quand il ne s’agit pas d’un enfant, doit être soigneusement sélectionné, particulièrement en fonction du poids.

• La transpl antation séquentielle ( ou domino) est représentée actuellement par la polyneuropathie amyloïde familiale, où la TH est devenue le traitement de choix, et pour laquelle le foie explanté ne provoque pas de symptomatologie pendant au moins 10 ans. Une surveillance attentive est requise, car le recul à moyen et long termes est insuffisant.

• L’utilisation de foies marginaux ne peut être acceptée en routine, mais peut rendre des services chez des receveurs en danger immédiat.

• Le prélèvement sur donneur à cœur arrêté n’est pas autorisé actuellement en France.

Il nécessite des procédures contraignantes et des équipements importants rapidement mobilisables. Malgré ces difficultés, le jury recommande que cette procédure soit initiée rapidement en France.

Question 5.

Quelles sont les extensions à l’indication de transplantation hépatique ?

I. Comment tenir compte de l’âge en transplantation hépatique ?

Donneurs et receveurs ont vieilli. Ainsi en 2003, 15 % des malades greffés avaient plus de 60 ans, 4 % plus de 65 ans et ils étaient principalement transplantés pour
cirrhose (69 %) et cancer (20 %). L’âge des malades arrivés au stade de la TH pour hépatite C est en augmentation constante.

• L’utilisation de greffons provenant de donneurs de plus de 60 ans ne semble pas délétère, sauf peut-être en cas de TH pour hépatite C.

• En l’absence de comorbidité affirmée après un bilan particulièrement développé (notamment aux plans cardiovasculaire et oncologique), il est légitime d’accepter de transplanter jusqu’à l’âge de 70 ans (à l’exception des malades hospitalisés en unité de soins intensifs). L’augmentation de la morbidité post-greffe, liée principalement au traitement immunosuppresseur, explique probablement la surmortalité d’environ 10 % par rapport aux malades de moins de 60 ans observée dans la décennie suivant la TH.

• Les indications ne doivent pas différer de celles admises pour les malades plus jeunes.

II. Retransplantation hépatique

Dix pour cent des TH en France sont de retransplantations.

• Celles-ci s’imposent en cas de non-fonctionnement ou de dysfonctionnement du greffon en super urgence ou en urgence. Globalement le résultat est inférieur de 20 % à celui de la TH initiale.

• Les TH tardives ou « électives », généralement pour récidive de la maladie initiale, imposent aux équipes un choix entre transplantation primaire et retransplantation, ce qui justifie de définir, de manière souple, les contre-indications à la retransplantation.

La décision de retransplantation repose d’abord sur l’analyse détaillée des souhaits du patient lui-même et doit intégrer l’âge et les possibilités thérapeutiques sur le ou les facteurs étiologiques. C’est particulièrement le cas pour l’infection du greffon par le virus de l’hépatite C, où les résultats des retransplantations sont incomplètement connus et où les indications doivent être analysées au cas par cas.

III. Indications des greffes multi-organes

Elles représentent 5 % des THDC, essentiellement greffes foie-rein, et font l’objet d’une priorité régionale attribuée aux greffes multiples.

La question de l’effet protecteur de la TH sur la greffe rénale sur le plan immunitaire reste une constatation dont l’explication n’est pas claire.

Si l’indication de greffe foie-rein est incontestable dans une affection comme l’hyperoxalurie primitive de type I ou la polykystose hépato-rénale, la question se pose des doubles greffes dans les cirrhoses. L’indication dans le cas de la cirrhose alcoolique associée à une néphropathie chronique pré-terminale n’est pas clairement définie.

Dans le cadre des cirrhoses virales, la survie globale, lorsqu’elle est comparée à la THDC isolée, ne semble pas différente.

Le syndrome hépato-rénal n’est pas une indication du fait de la réversibilité de l’atteinte rénale après TH isolée.

La question a été débattue du caractère prioritaire accordé aux receveurs des doubles greffes. Son caractère systématique a été critiqué au profit d’une discussion au cas par cas.

Quant aux greffes foie-cœur, foie-poumon ou foie-intestin, le manque de données nécessaires pour évaluer correctement leurs indications nécessite une collaboration internationale et leur soumission exhaustive à un registre avant de proposer des recommandations.

CONCLUSION

La rareté des dons d’organes et la croissance des indications ne doivent pas orienter exclusivement la recherche vers les solutions qui substituent à la THDC des techniques toujours plus complexes ou contraignantes.

L’humanité constitue désormais, grâce aux (ou à cause) des propositions médicochirurgicales de plus en plus audacieuses, un réseau interactif permanent ; celui-ci doit encourager l’inscription des dons provenant de personnes en état de mort cérébrale dans l’univers culturel quotidien. Il ne s’agit pas seulement de générosité et de compassion, mais d’un véritable enjeu de solidarité écologique interhumaine.

La pénurie, mieux nommée rareté des organes transplantables, n’est pas une situation à laquelle on doive se résigner. Des exemples français et européens montrent l’efficacité d’initiatives régionales ou nationales pour maximiser les dons.

À ce prix seulement l’élargissement des indications pourra être discuté. Le recours au donneur vivant, au donneur à cœur arrêté, au partage des foies pourra certes améliorer la situation, mais ne remplacera jamais le pool des greffons disponibles non exploités. Un effort majeur doit être déployé dans ce domaine, sans hésiter à affronter les obstacles culturels contemporains, au premier rang desquels figure ce paradoxe d’une société individualiste simultanément demandeuse de réparation et hostile au prélèvement du corps.

*

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DISCUSSION

M. Denys PELLERIN

Vous avez fait état de l’accroissement du nombre de transplantations hépatiques pour cirrhose alcoolique, passé dans les dix dernières années de 7 % à 20 % de l’ensemble des
transplantations effectuées toutes indictions confondues. Il a aussi été fait état d’un certain nombre de retransplantations, voire même de plusieurs retransplantations successives, en rapport avec la récidive du processus cirrhotique sur le transplant, du fait du non respect par le malade de l’impérieuse nécessité de cesser toute prise d’alcool. Dans la décision de faire une transplantation hépatique à un patient atteint de cirrhose alcoolique, quelle place faites-vous à la réflexion éthique qu’impose aujourd’hui « les contraintes budgétaires en milieu hospitalier, notamment en matière d’arbitrage des traitements particulièrement coûteux ou des interventions très lourdes » ? J’ai cité les termes mêmes par lesquels Madame La Directrice générale de l’AP-HP avait saisi le Comité Consultatif National d’Éthique. Elle y ajoutait « sur quels critères peut-on fonder une décision équitable lorsqu’il s’agit de choisir entre deux impératifs souvent contradictoires : préserver la santé d’un individu et gérer au mieux celle d’une communauté de personnes ? ». Comme vous le savez, le CCNE vient d’apporter sa réponse dans son avis no 101, récemment publié. Je ne retiendrai que quelques termes des recommandations qui concluent cet avis : — « Réintégrer la dimension éthique et humaine dans les dépenses de santé afin de permettre à l’hôpital de remplir de manière équilibrée l’ensemble de ses misions et pas uniquement les plus techniques ou les plus spectaculaires ». — « l’adaptation permanente de l’offre de soins aux besoins démographiques (…) aux progrès technologiques justifie (…) des choix clairs, courageux, explicites aux yeux des citoyens (…) en gardant comme objectif central le service rendu aux plus vulnérables ». Pensez-vous que les contraintes budgétaires de plus en plus prégnantes soient de nature à remettre en cause certaines indications de transplantation d’organes, notamment de transplantation hépatique dans des circonstances telles que celles que vous avez relatées dans certaines cirrhoses alcooliques ?

La réflexion éthique a, dès le début de la transplantation hépatique, fait partie du processus amenant à poser l’indication opératoire. Cette démarche est, vous l’imaginez avant tout motivée par le déséquilibre qui existe entre hautes performances de la greffe et nombre important des candidats d’un côté, rareté des greffons de l’autre. Les médecins impliqués dans le processus de transplantation savent donc qu’il leur faut prendre en compte, dans l’indication qu’ils portent, la gravité de la maladie hépatique autant que le bénéfice attendu. L’indication de transplantation hépatique pour cirrhose alcoolique ajoute à cette difficulté celle de la prise en charge d’une maladie auto-infligée. Toutes les équipes de greffe, du moins en France, considèrent que l’indication de greffe dans ce cas n’est légitime que si la maladie alcoolique est totalement stabilisée depuis des mois. Les risques de récidive de l’alcoolisme après la greffe sont alors très faibles et il est exceptionnel que la rechute mette en péril la survie du greffon. Une situation particulière est représentée par l’hépatite alcoolique aiguë du sujet jeune. Le pronostic spontané est redoutable et la greffe est un moyen de traitement très efficace lorsque la corticothérapie n’a pas permis l’amélioration. Quelques équipes préconisent malgré tout la transplantation parce que les malades sont jeunes et les délais imposés par l’évolution spontanée de la maladie trop courts pour traiter le versant psychologique de l’affection. Une prise en charge post greffe est dans tous les cas nécessaire.

Annexe 1. Échelle de gradation des recommandations utilisées par l’Anaes pour les études thérapeutiques.

TABLEAU. Grade des recommandations.

Niveau de preuve scientifique fourni par la littérature

Grade des recommandations (études thérapeutiques)

Niveau 1

A Essais comparatifs randomisés de forte puissance — Méta-analyse d’essais comparatifs randomisés — Analyse de décision basée sur des études bien Preuve scientifique établie menées Niveau 2

B Essais comparatifs randomisés de faible puissance — Études comparatives non randomisées bien menées — Études de cohorte Présomption scientifique Niveau 3 Études cas-témoin

C

Niveau 4 Études comparatives comportant des biais importants — Études rétrospectives Faible niveau de preuve — Séries de cas


* Service de Chirurgie générale, Hôpital de Pontchaillou, 2 rue Henri Guillou, 35033 Rennes cedex 9. Tirés-à-part : Professeur Karim BOUDJEMA, même adresse. Article reçu et accepté le 26 novembre 2007.

Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, no 8, 1627-1640, séance du 27 novembre 2007