Communication scientifique
Session of 6 avril 2004

Circuits neuronaux de la lecture et de l’écriture dans la langue japonaise (le kanji et le kana)

MOTS-CLÉS : agraphe.. dyslexie. japon. lecture
Neuronal circuits of reading and writing in Japanese language
KEY-WORDS : agraphia.. dyslexia. japan. reading

Makoto Iwata *

Résumé

La langue japonaise peut s’écrire suivant deux types différents de caractères : les kana (phonogramme) et les kanji (morphogramme). Au cours des alexies avec ou sans agraphie par lésions localisées de l’hémisphère gauche, kanji ou kana peuvent être perturbés de façon spécifique pour chaque syndrome. En se basant sur des observations neuropsychologiques présentant une telle dissociation, nous avons proposé la dualité des circuits neuronaux pour la lecture et l’écriture. Afin de confirmer cette hypothèse, des études d’activation cérébrale, contrôlée par PET scan, ont été entreprises. Elles ont montré que le centre cortical de la lecture sémantique se situe dans l’aire 37, au bord inférieur du lobe temporal gauche, tandis que celui de la lecture phonologique est placé dans la partie latérale moyenne du lobe occipital gauche (O2).

Summary

Japanese writing system consists of two different types of letters, kana (phonogram) and kanji (morphogram). Various types of alexia with or without agraphia in the Japananese language cause specific type of kanji/kanja dissociation. Upon the neuropsychological analysis of these dissociations, we have proposed a hypothesis of dual neuronal circuits of reading and writing process. Subsequent PET activation studies upon normal subjects confirmed the hypothesis ; semantic reading pathway via area 37 on the inferior border of the left temporal lobe and phonological reading pathway via middle portion of the left lateral occipital lobe.

INTRODUCTION

L’écriture dans la langue japonaise

Il y a deux variétés d’écriture dans la langue japonaise : l’une est formée par les « kana », système phonogramme, l’autre par les « kanji », système morphogramme. [1, 2]. Chaque caractère kana correspond rigoureusement au mora, syllabe de la langue parlée et la prononciation de chacun d’eux est bien définie. Au contraire, chaque caractère kanji , équivalent d’un morphème de la langue parlée, possède une valeur à la fois phonétique et sémantique. Par exemple le mot japonais « shinkei » qui signifie « nerf » en français est écrit en kana, phonogramme comme . Le mot est constitué de quatre moras, , = , , = , chacun d’eux représente un caractère kana distinct. Mais le même mot « shin-kei » peut être écrit en kanji de la façon suivante :

. Le premier caractère qui signifie « dieu » ou « esprit » peut être prononcé « shin », « kami » ou « michi ». Si ces caractères sont présentés isolément, on ne peut pas en déterminer la prononciation, mais si deux caractères kanji sont combinés pour former le mot « shin-kei », la prononciation de chaque caractère est alors bien définie, le mot ne pouvant être prononcé que « shinkei », à l’exclusion de toute autre prononciation.

Dans la vie quotidienne, les « kanji » sont utilisés pour exprimer les radicaux des noms, verbes, adjectifs et adverbes et les « kana » sont réservés aux expressions grammaticales, aux mots d’origine étrangère et aux onomatopées.. Mais n’importe quel mot japonais, n’importe quelle phrase japonaise peuvent être écrits aussi en kana . Les enfants apprennent d’abord à lire et à écrire en kana . L’apprentissage des kanji suit toujours celui des kana .

ETUDES NEUROPSYCHOLOGIQUES DES VARIETES D’ALEXIE ET D’AGRAPHIE PAR LESIONS LOCALISEES DE L’HEMISPHERE GAUCHE

Dissociation dans l’alexie avec agraphie

Les neurologues japonais avaient depuis longtemps remarqué des atteintes sélectives pour les kana ou les kanji suivant les variétés d’alexie ou d’agraphie. En 1901,

Kinnosuke Miura [3], un des derniers élèves de Charcot, avait montré que la lecture et l’écriture kanji sont souvent conservées malgré l’impossibilité de lire et d’écrire des caractères kana chez les aphasiques. Le plus souvent, chez les sujets alexiques avec agraphie, le trouble de la lecture des kanji a été rapporté à une atteinte du pli courbe gauche [4]. Les patients alexiques et agraphiques pour les kana sont seulement agraphiques mais jamais alexiques pour les kanji . Dans un cas d’infarctus du pli courbe gauche, une alexie avec agraphie pour les kana ne s’accompagnait que
d’une agraphie pour les kanji [5, 6] dont la lecture était remarquablement bien conservée.

Dissociation dans l’alexie pure

Les signes d’alexie pure par lésion occipitale interne gauche sont aussi particuliers chez les patients japonais. Ceux-ci sont toujours atteints d’une agraphie pour les kanji . Les erreurs dans cette agraphie concernent les lettres dont le graphisme complexe comporte de nombreux traits [5, 7].

Alexie et agraphie du kanji

Alors que la lecture et l’écriture des kana étaient bien conservées, un cas alexie avec agraphie exclusivement pour les kanji a été rapporté après une lésion postéroinférieure du lobe temporal gauche [8]. Les causes d’erreur dans la lecture étaient diverses : déficit de la perception de l’ensemble des caractères, confusion avec des caractères graphiquement semblables et paralexie sémantique [5, 6]. La lecture des mots était perturbée spécifiquement par un défaut de sélection phonétique. Ainsi quand on lui présentait le mot « place libre » écrit, phonogramme comme , qui doit être lu « kou-seki », le patient commençait par lire « sora » sans pouvoir continuer. La première lettre peut être lue, selon le contexte, soit « kou », qui signifie « libre », soit « sora » dont le sens est « ciel ». Précédant l’autre lettre qui signifie place, doit être prononcée « kou ». La valeur phonétique de chaque lettre est donc déterminée selon le contexte ce que le patient atteint d’une lésion postéro-inférieure du lobe temporal gauche est incapable d’exé- cuter.

L’agraphie pour les kanji est aussi très marquée dans ce type d’alexie. Le patient ne peut écrire les mots qu’en kana . Si on lui demande d’écrire les mots ou les phrases en kanji , il le fait en kana , reconnaissant ne pas pouvoir les écrire en kanji . Pour analyser le mécanisme de cette agraphie, une épreuve de construction de caractères kanji a été élaborée [5, 6]. Des mots sont présentés verbalement ne comportant qu’un seul caractère kanji , on demande au patient de les écrire en kanji ; il ne parvient à les écrire qu’en kana . Ensuite six cartes lui sont présentées, un fragment de la lettre kanji étant figuré sur chacune d’elles, et on lui demande de reconstituer le mot qu’il ne pouvait écrire auparavant. A cette épreuve de reconstruction des lettres kanji , le patient essaie au hasard une combinaison de deux cartes. Après avoir examiné la nouvelle figure, il reconnaît immédiatement si elle est correcte, si elle ne l’est pas, il tente une nouvelle combinaison. En procédant ainsi, il réussit à reconstruire la plupart des lettres kanji qu’il ne pouvait pas dicter spontanément. Ainsi cette épreuve montre-t-elle que l’agraphie au kanji de ce patient est due à un déficit de l’évocation des images visuelles du kanji.

TABLEAU 1. — Dissociation de kanji/kana dans les variétés d’alexie et d’agraphie sans aphasie par une lésion localisée de l’hémisphère gauche dans les japonais Siège de la lésion

Pli courbe gauche

Partie médiale du

Partie postéro- lobe occipital gauche inférieure du lobe temporal gauche

Lecture de kanji o × × Lecture de kana × × o Écriture de kanji × × × Écriture de kana × o o o : conservée × : affectée Dissociation kanji/kana dans les diverses variétés d’alexie et d’agraphie

Le tableau I montre les différents types de dissociation kanji/kana dans les alexies et agraphies sans aphasie. Les signes cliniques de l’alexie et de l’agraphie des kana sont identiques aux signes classiques tandis que ceux des kanji sont totalement différents. D’après les résultats qui ressortent de ce tableau, nous avons été conduits à proposer deux circuits neuronaux pour l’écriture et la lecture en japonais (fig 1) [1, 5, 6].

ETUDES D’ACTIVATION PAR PET SCAN

Pour valider notre hypothèse de double circuits neuronaux, l’activité cérébrale de sujets normaux a été étudiée à l’aide du PET Scan [9, 10, 11, 12] chez des droitiers adultes au cours de deux épreuves : l’une consistait à regarder un point de fixation sur un écran (tache de fixation), dans l’autre le sujet devait lire à haute voix des mots écrits verticalement, soit deux caractères kanji , soit trois kana , soit trois kana non-sens (tache de lecture). Les caractères étaient présentés tachistocopiquement toutes les trois secondes durant 30 msec. Les détails de cette méthode ont été donnés dans des publications antérieures [9, 10], leurs résultats analysés d’abord par la méthode ROI (region of interest) [9, 10], puis plus récemment par la méthode SPM (statistical parametric mapping) [11, 12] De cette étude, il ressort que l’aire activée spécifiquement par la lecture sémantique (mots kana , non-mots kana ) est située au bord inférieur du lobe temporal gauche (aire 37) et l’aire activée par la lecture phonologique ( kana-kanji ) se projette sur la partie latérale moyenne du lobe occipital gauche (O2) [12]. L’activation du pli courbe, considéré comme le centre classique de la lecture et de l’écriture, n’a jamais été observée au cours des stimulations à l’aide du PET Scan.

FIG. 1. — Circuits neuronaux doubles de la lecture et de l’écriture Voie de lecture de kana : V→AG →A Voie de lecture de kanji : V →T →A Voie d’écriture de kana : A →AG →S Voie d’écriture de kanji : A →T →V →AG →S DISCUSSION

Les études de stimulation par PET Scan ont confirmé la dualité des circuits pour la lecture de la langue japonaise. L’aire corticale intermédiaire de la lecture sémantique, localisée à la partie postéro-inférieure du lobe temporal gauche par les études cliniques chez les alexiques, a été précisée grâce aux enregistrements des sujets normaux effectués par PET Scan. Elle est située à l’aire 37, au bord inférieur du lobe temporal gauche. Quant à l’aire corticale intermédiaire de la lecture phonologique, les études à l’aide du PET Scan ne l’ont pas localisée au pli courbe gauche, mais sur le lobe occipital gauche, contrairement aux données classiques.

En 1934, Kleist [13] écrivait que le vrai centre occipital de la lecture n’est pas le pli courbe, mais la circonvolution occipitale gauche moyenne (O2). Selon lui, l’alexie causée par la lésion du pli courbe gauche est due à la destruction dans cette circonvolution des fibres de la substance blanche sous-corticale. Les études d’activation grâce au PET Scan ont donc confirmé cette hypothèse ancienne de Kleist. A partir des résultats précédents, nous avons modifié le diagramme original des voies d’association et proposé un nouveau schéma des deux circuits neuronaux de la lecture (fig 2).

FIG. 2. — Nouvelle proposition des circuits neuronaux doubles de la lecture Voie de lecture phonologique : V →LO →A Voie de lecture sémantique : V →T →A BIBLIOGRAPHIE [1] IWATA M. — Kanji versus kana. Neuropsychological correlates of the Japanese writing system.

Trends in Neurosciences , 1984, 7 , 290-293.

[2] IWATA M., SUGISHITA M., TOYOKURA Y. — The Japanese writing system and functional hemispheric specialization. In Neurology. Proceedings of 12th World Congress of Neurology (Excerpta Medica), 1982, pp 53-62.

[3] MIURA K. — Lecture sur aphasie. (en japonais)

Iji Shinbun , 1901, 584 , 249-256.

[4] YAMADORI A. — Ideogram reading in alexia.

Brain , 1975, 98 , 231-238.

[5] IWATA M. — Neural mechanism of reading and writing in the Japanese language.

Functional

Neurology , 1986, 1 , 43-52.

[6] IWATA M. — Neural mechanism of reading and writing ; Neurogrammatological approach. In Perspectives on Neuro-sciences : From Molecule to Mind (University of Tokyo Press), 1985, pp 299-312.

[7] IWATA M. — Neuropsychological aspects of pure alexia syndrome. (en japonais) Shinkei- kenkyu-no-shinpo , 1977, 21 , 930-940.

[8] IWATA M., TOYOKURA Y. — Neural mechanism of alexia due to left cerebral hemispheric lesion (abst) Jap. J. Med. 1982, 21 , 308.

[9] SAKURAI Y., MOMOSE T., IWATA M., et al . — Kanji word reading process analysed by positron emission tomography.

NeuroReport , 1992, 3 , 445-448.

[10] SAKURAI Y., MOMOSE T., IWATA M., et al . — Semantic process in kana word reading : activation studies with positron emission tomography.

NeuroReport , 1993, 4 , 327-330.

[11] SAKURAI Y., MOMOSE T., IWATA M., et al . — Different cortical activity in reading of Kanji words, Kana words and Kana nonwords.

Cog. Brain Res. , 2000, 9 , 111-115.

[12] SAKURAI Y., MOMOSE T., IWATA M., et al . — Cortical activation in reading assessed by region of interest-based analysis and statistical parametric mapping.

Brain Research Protocols , 2001, 6 , 167-171.

[13] KLEIST K. — Kriegsverletzungen des Gehirns in ihrer Bedeutung für die Hirnlokalization und Hirnpathologie. In Handbuch der érztlichen Erfahrungen im Weltkriege 1914/1918 (Barthe), 1934, pp 553-558.


* Neurological Institute, Departement of Neurology, Tokyo Women’s Medical University, 8-1, Kamadacho, Shinjuku-kum, Tokyo, 162-8666 — Japan-e-mail : miwata@nij.tmmu.ac.jp Tirés à part : Professeur Makoto IWATA, même adresse. Article reçu le 14 février 2004, accepté le 29 mars 2004.

Bull. Acad. Natle Méd., 2004, 188, no 4, 667-673, séance du 6 avril 2004