Communication scientifique
Session of 6 janvier 2004

Cancer du rein — Actualités — Diagnostics et thérapeutiques

MOTS-CLÉS : actualités.. cancer. rein
Renall cell carcinoma — Diagnostic and therapeutic — Update
KEY-WORDS : cancer. kidney. update.

Didier Jacqmin *

Résumé

Dans cet article nous passons en revue les actualités concernant le diagnostic et la prise en charge du cancer du rein. Nous avons retenu les tests diagnostics urinaires, les apports de la génétique et l’évolution de la classification TNM, pour l’aspect diagnostic. Pour l’aspect pronostic, nous insistons sur l’importance de la multifocalité, ainsi que de l’envahissement veineux microscopique dans les cancers du rein localisés. En ce qui concerne la prise en charge, à noter l’existence d’études prospectives randomisées comparatives chirurgicales sur le curage ganglionnaire dans les cancers localisés et une deuxième étude sur l’intérêt de la néphrectomie chez des patients porteurs de cancer du rein métastatique. Nous évoquons ensuite la place de la cryothérapie, de la radiofréquence et de la chirurgie laparoscopique, ainsi que les développements en cours, en particulier pour la prise en charge de la maladie métastatique. Le cancer du rein reste avant tout un traitement chirurgical. A tous ces stades des progrès dans la prise en charge de la maladie métastatique sont encore attendus.

Summary

In this paper we review the recent advances for the diagnosis and the management of renal cell carcinoma. Urine tests, genetics and modification of the TNM system help for the diagnosis. Multifocality and microvascular venous invasion are interesting prognostic factors. Recent prospective studies gave important informations on lymph node dissection and the role of surgery in metastatic disease. New surgical tools are in development and new approaches in medical treatment too.

INTRODUCTION

Au cours de la dernière décennie, le diagnostic et la prise en charge du cancer du rein a bénéficié de nombreuses évolutions. A l’aide d’exemples issus de notre expérience et de la littérature internationale, nous insisterons sur celles qui nous paraissent essentielles. Le diagnostic, le pronostic, le traitement chirurgical et les possibles développements futurs seront tour à tour évoqués.

Diagnostic

Les méthodes d’imagerie ont progressé dans ce domaine comme dans tous les diagnostics de tumeur. Il n’y a là aucune spécificité. Pour ceux qui s’intéressent à cet aspect, nous recommandons la lecture du dernier rapport du congrès de l’Association Française d’Urologie.

Les tests diagnostiques urinaires : Plusieurs travaux ont souligné la possibilité de faire un diagnostic de cancer du rein par la mise en évidence d’altérations génétiques dans le sédiment urinaire. Nous avons sur ce sujet publié sur l’intérêt de l’analyse des microsatellites urinaires dans cette indication [1]. L’intérêt de telles méthodes n’est pas affirmé, les tumeurs étant déjà visibles à l’imagerie à ce stade. Un dépistage avec ce genre de technique nécessiterait une meilleure sensibilité.

Apports de la génétique pour le diagnostic : La caractérisation génétique des diffé- rents types de tumeur permet à l’heure actuelle de préciser certains diagnostics difficiles en anatomo-pathologie. C’est le cas en particulier pour distinguer les cancers à cellules chromophobes des Oncocytomes [2].

Evolution de la classification TNM : À chaque nouvelle mouture de la classification

TNM, la limite entre les tumeurs T1 et T2 a été modifiée. Cette limite est ainsi passée de 5 à 2,5 cm puis à 7 cm. La dernière modification subdivise les tumeurs T1 en T1a (<4cm) et T1b (de 4 à 7 cm). En pratique lorsque l’on analyse les séries, on constate que le risque augmente avec la taille mais que toutefois une petite taille (<4cm) ne garantit pas que la lésion est peu agressive [3].

Pronostic

De nombreux facteurs biologiques, anatomopathologiques ou cliniques ont été étudiés ces dernières années. Certains semblent intéressants sur le plan théorique, mais très peu se sont avérés utilisables en pratique [4]. Nous insisterons sur deux aspects que nous avons étudiés, la multifocalité en cas de néphrectomie radicale et l’envahissement vasculaire microscopique.

Multifocalité : Le développement de la chirurgie conservatrice pour les petites tumeurs avec rein controlatéral sain expose au risque de laisser une tumeur méconnue sur le rein opéré. Dans une telle situation existe-t-il une différence de pronostic

TABLEAU 1. — Patients : caractéristiques cliniques et pathologiques

TABLEAU 2. — Corrélation entre Multifocalité et variables (cas où p < 0,10) TABLEAU 3. — Progression et survie cumulative en fonction de la multifocalité (Kaplan Meier)

FIG. 1. — Survie sans récidive (Kaplan Meier) (p < 0,0001).

FIG. 2. — Survie spécifique (Kaplan Meier) (p < 0,001).

FIG. 3. — Survie globale (Kaplan Meier) (p = 0,0214).

entre les tumeurs solitaires et les tumeurs multiples même en cas de néphrectomie radicale ? Nous avons pour cela étudié une série de 255 cancers localisés ayant un suivi de 15 ans.

Traitement chirurgical

Pour la première fois des études prospectives randomisées comparant des techniques chirurgicales ont été effectuées. De plus, de nouveaux outils sont apparus dans l’arsenal chirurgical tels la laparoscopie, le bistouri ultrasonique, la cryothérapie et la radiofréquence.

Etudes prospectives comparatives phase III randomisées : Deux études ont déjà été publiées. La première a consisté à comparer la survie chez deux groupes de patients porteurs de tumeurs T1-2 N0M0 traités par néphrectomie élargie avec ou sans curage ganglionnaire étendu (EORTC 30881) [5]. 772 patients ont été inclus dans cette étude, 389 ont eu une néphrectomie sans curage ganglionnaire et 383 avec. 41 patients n’étaient pas éligibles (tumeurs bénignes à l’histologie) laissant 369 versus 362 patients. Il n’a pas été constaté de différence de morbidité entre les deux groupes et à 5 ans il n’y a pas de différence de survie globale ou spécifique. Les résultats à 10 ans seront prochainement disponibles.

La deuxième étude publiée concerne les patients porteurs de métastases. Deux groupes de patients ont été comparés, un groupe a reçu une immunothérapie seule,

TABLEAU 4. — Influence de l’envahissement microscopique sur la survie (Kaplan Meier).

2 ans (%) 5 ans (%) 10 ans (%) 15 ans (%)

Survie sans récidive

MVI + 76 70 50 50 MVI — 97 88 81 73 Survie spécifique

MVI + 74 68 45 43 MVI — 93 83 76 72 Survie globale

MVI + 71 62 36

Développements en cours

Le problème majeur posé par le cancer du rein est l’absence de traitement efficace dans les formes avancées. Les thérapeutiques actuellement reconnues dans la maladie métastatique ne donnent pas plus de 20 % de réponse et celles-ci sont le plus souvent de courte durée. Pour cette raison, nous continuons la poursuite de nos travaux de recherche fondamentale. En utilisant des anticorps anti PTHrP et des inhibiteurs du RTPH1, nous avons obtenu une régression de 70 % et une stabilisation de tumeurs sous-cutanées développées à partir de lignées de cancer du rein chez la souris nude [11]. Des études complémentaires sont en cours.

Conclusion

Le cancer du rein au cours des dix dernières années a suscité de nombreux développements et recherches. Les applications sont encore souvent modestes mais les bénéfices sont significatifs et rendent optimiste pour l’avenir des patients atteints par cette affection.

BIBLIOGRAPHIE [1] SCHNEIDER A., BORGNAT S., LANG H., RÉGINE O., LINDNER V., KASSEM M., SAUSSINEC, OUDET P., JACQMIN D., GAUB M.P. — Évaluation of Microsatellite Analysis in Urine Sediment for Diagnosis of Bladder Cancer. Cancer Research , 60 , 4617-4622, August 15, 2000.

[2] LINDNER V., LANG H., JACQMIN D. — Pathology and Genetics in Renal Cell Cancer.

EAU

Update Series 1 (2003), 197-208.

[3] ESCHWEGE P., SAUSSINE C., STEICHEN G., DELEPAUL B., DRELON L., JACQMIN D. — Radical nephrectomy for renal cell carcinoma smaller or equal to 30 mm : long term followup results. J.

Urol. 1996, 155 , 1196-1199.

[4] LANG H., JACQMIN D. — Prognostic Factors in Renal Cell Carcinoma.

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[7] FLANIGAN R.C., SALMON S., BLUMENSTEIN B.A., BEARMAN S.I., ROY V., MCGRATH P.C., et al.

— Nephrectomy followed by interferon alpha-2b compared with interferon alpha-2b alone for metastatic renal cell cancer. New Engl. J Med 2001 ; 345 : 1655-9.

[8] LANG H., GIMMEL P., MARTIN M., NGUYEN NGOC T., SAUSSINE C., JACQMIN D. — Néphrectomies totales élargies par laparoscopie pour carcinome rénal localisé. A propos de 25 cas
comparés à 32 chirurgies conventionnelles.

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[10] SAIKA T., ONO Y., HATTORI R., GOTOH M., KAMIHIRA O., YOSHIKAWA Y., YOSHINO Y., OSHIMA S. — Long-term outcome of laparoscopic radical nephrectomy for pathologic T1 Renal cell carcinoma. Urology : 62 : 1018-1023 Dec. 2003.

[11] KIM F.J., RHA K.H., HERNANDEZ F., JARRETT T.W., PINTO P.A., KAVOUSSI L.R. — Laparoscopic radical versus partial nephrectomy : assessment of complications. J. Urol. : 170 : 408-411

Aug. 2003.

[12] MASSFELDER T., LANG H., SCHORDAN E., LINDNER V., ROTTHNUT S., WELSCH S., SIMONASSMAN P., BARTHELMEBS M., JACQMIN D., HELWIG J.J. — Parathyroid Hormone-Related Protein is an essentiel growth factor for human clear cell renal carcinoma and a target for the von Hippel Lindau tumor suppressor gene product. Accepté pour publication Cancer Research 2004.

[13] LIMACHER J.M., GIRAUD S., TEH B.T., JACQMIN D., FLORI E., BERGERAT J.P. — Familles à cancer du rein non liées à VHL. Communication au Club de Génétique de l’Est — Génétique et Pathologie Rénale — Institut de Génétique et de Biologie Moléculaire et Cellulaire (I.G.B.M.C.) d’Illkirch, 26 Juin 1999.

DISCUSSION

M. Jean-Daniel SRAER

Existe-t-il des métastases même dans les tumeurs diagnostiquées alors qu’elles ont un petit volume ?

Les tumeurs de petit volume peuvent être à l’origine de maladies métastatiques, comme nous l’avons décrit dans un article paru au Journal of Urology [3].

M. Patrice QUENEAU

Indépendamment de la taille de la tumeur et de son extension locale, son type anatomopathologique intervient-il vis-à-vis du choix de l’intervention et au regard de stratégies thérapeutiques différentes suivant le risque plus ou moins élevé d’évolutions métastatiques, à plus ou moins court terme ?

La taille de la tumeur et son extension locale sont évidemment les éléments essentiels pour le choix de la technique opératoire utilisée. Le type anatomopathologique n’intervient pas dans ce choix puisqu’il n’est pas encore connu lors de l’intervention. Il est parfois effectué un examen extemporané qui permet éventuellement d’orienter la chirurgie, par exemple dans un cas de tumeur papillaire d’inciter à une exérèse radicale plutôt qu’à une chirurgie conservatrice. Par contre en post-opératoire, le type histologique, de même que les deux autres éléments, interviennent dans la stratégie thérapeutique et en particulier dans la stratégie de surveillance, le risque de progression étant variable en fonction du type histologique. Il est faible pour les tumeurs chromophobes, un peu plus
élevé pour les tumeurs papillaires, encore plus pour les tumeurs à cellules conventionnelles dites aussi à cellules claires, plus inquiétant pour les tumeurs ayant une composante sarcomatoïde et de mauvais pronostic pour les tumeurs du collecteur de Bellini [ 2 ].

M. Raymond ARDAILLOU

Pourquoi avoir choisi le PTHrP comme cible immunologique dans le traitement des cancers du rein par immunothérapie ?

Le choix de la PTHrP répond à deux critères, un critère scientifique qui est le fait que dans certains cancers du rein la PTHrP est secrétée et ceci s’associe à un syndrome paranéoplasique qui est une hypercalcémie. On sait donc que la PTHrP est présente dans le cancer du rein et qu’en plus elle a un effet antiapoptotique qu’il paraissait donc intéressant de pouvoir combattre. Le deuxième élément est un élément logistique local puisque nous avons à proximité un laboratoire de physiologie rénale qui travaille sur la PTHrP depuis de nombreuses années.

M. Roger NORDMANN

Vous avez signalé que l’incidence de la tumeur du rein est deux fois plus importante en Alsace que dans les autres régions françaises. Pensez-vous que cette différence est liée à un meilleur dépistage ou à des particularités génétiques ou alimentaires en Alsace (richesse en lipides, consommation relativement importante de bière, par exemple ?) Qu’en est-il de cette incidence dans les régions voisines de l’Alsace (Bade Wurtemberg, Suisse) ? Est-elle également plus élevée que la moyenne nationale française ?

L’incidence élevée du cancer du rein en Alsace et particulièrement dans le Bas-Rhin, puisque l’incidence est le double de la moyenne nationale, est retrouvée aussi dans la région voisine du Bade Wurtemberg, beaucoup moins en Suisse, puisque même déjà dans le Haut-Rhin l’incidence est inférieure à celle du Bas-Rhin. Les facteurs responsables de cette incidence élevée sont à l’heure actuelle inconnus. Des études avaient été effectuées, en particulier sur l’alimentation riche utilisée en Alsace, aucune différence statistique n’a pu être mise en évidence. Il s’agit vraisemblablement donc d’un mélange de causes comprenant l’alimentation, l’environnement et peut-être aussi des particularités génétiques puisque nous avons observé des familles avec anomalies génétiques qui n’étaient pas des maladies de Von Hippel Lindau. [13].

M. Louis HOLLENDER

La radiofréquence endoopératoire est-elle aussi anodine que l’on veut bien le dire ?

La réponse à cette question est que comme toutes les nouvelles techniques de destruction tissulaire le contrôle de l’énergie délivrée et de la dosimétrie est indispensable, ce qui fait que nous avons eu l’occasion d’observer par exemple une complication lors d’une chirurgie conservatrice sur un rein porteur d’une tumeur de 5 cm où nous avons essayé de pratiquer une hémostase de la tranche de section avant l’exérèse. L’énergie utilisée nécessaire à effectuer cette hémostase était vraisemblablement trop importante et transmise au bassinet ce qui a eu pour effet d’entraîner une brûlure de ce dernier nécessitant dans le même temps opératoire une plastie de reconstruction. L’explication la plus
vraisemblable de cet accident est la perte de chaleur engendrée par la circulation rénale, qui entraîne la machine à augmenter l’énergie délivrée alors que l’urine ayant un faible débit chauffe à une température au-delà du raisonnable. Nous devons donc apprendre à maîtriser ces nouvelles technologies avant de pouvoir les utiliser en pratique courante.


* Hôpitaux Universitaires de Strasbourg — Service de Chirurgie Urologique — 1, place de l’hôpital — BP 426 67091 STRASBOURG cedex. Tirés à part : Professeur Didier JACQMIN, même adresse.

Bull. Acad. Natle Méd., 2004, 188, no 1, 27-37, séance du 6 janvier 2004