Résumé
Pendant longtemps, les malades atteints de métastases hépatiques d’un cancer colorectal étaient considérés comme incurables. Au cours des 30 dernières années, les progrès de la chirurgie et de la chimiothérapie ont permis d’améliorer considérablement la prise en charge de ces patients. Actuellement, la résection chirurgicale est encore le seul traitement des métastases hépatiques pouvant permettre d’obtenir une survie à long terme acceptable, voire une guérison définitive dans un certain nombre de cas. Cependant, seule une minorité des malades, du fait de la dissémination de leurs lésions, peut bénéficier d’une chirurgie à visée curative et par ailleurs, après résection hépatique, une récidive est observée dans deux tiers des cas. Cependant, des progrès ont été réalisés au cours des dernières années pour permettre, d’une part d’augmenter le nombre de patients pouvant bénéficier d’une chirurgie d’exérèse à visée curative, et d’autre part de diminuer le risque de récidive après résection hépatique. En particulier la chimiothérapie pré-opératoire, par la réduction tumorale qu’elle entraîne, et de nouvelles techniques chirurgicales comme l’embolisation portale pré- opératoire et la destruction locale par la cryothérapie ou la radiofréquence, permettent, maintenant, dans un certain nombre de cas, le traitement à visée curative de métastases hépatiques considérées initialement comme non résécables. Enfin, des nouveaux protocoles de chimiothérapie ont été développés pour diminuer le risque de récidive après résection hépatique.
Summary
For a long time, patients with liver metastases from colorectal cancer were considered to be incurable. Over the last 30 years, the benefits of surgical resection and systemic chemotherapy have been established. To date, surgical resection remains the only treatment that can ensure long-term survival and cure in some patient. However, only a minority of patients with liver metastases are amenable to surgery and after resection of liver metastases, recurrences are still observed in two third of patients. Therefore, efforts have been made to increase the number of patients that could be candidates for surgery and to decrease the risk of recurrence after surgical resection. Shrinkage of tumours after administration of preoperative chemotherapy and the availability of new surgical technique, including portal vein embolization, cryotherapy and radiofrequency ablation, now allows the treatment, with curative intent, of metastases initially considered as non-resectable. Chemotherapy regimens have been developed to decrease the risk of postoperative recurrence.
LA PRISE EN CHARGE DES MÉTASTASES HÉPATIQUES DES CANCERS COLORECTAUX
Pendant longtemps, les patients porteurs de métastases hépatiques d’origine colorectale, étaient considérés comme incurables. En cas de métastases hépatiques synchrones, il persistait même des interrogations quant à l’intérêt d’un éventuel traitement sur le cancer colorectal primitif. Certains patients étaient traités par chimiothérapie sans que l’intérêt d’un tel traitement soit évident. Au cours des 30 dernières années, la prise en charge des métastases hépatiques a considérablement évolué en perpétuelle évolution.
Tout d’abord, il a été montré qu’en cas de métastases hépatiques non resécables, la chimiothérapie, pour peu qu’elle soit commencée avant l’apparition des symptômes, permettait d’améliorer, par rapport à un simple traitement symptomatique, la survie à long terme et la qualité de vie des patients atteints de métastases hépatiques [1].
Ainsi, la chimiothérapie est devenue le traitement standard pour la majorité des patients atteints de métastases hépatiques d’origine colorectale, en particulier dans les pays ou le système de soins permet aux patients l’accès à un traitement palliatif.
Si un traitement par chimiothérapie exclusive ne permet pas de guérir les patients, il a permis d’augmenter significativement la médiane de survie en la faisant passer de moins d’un an chez les patients non traités à plus d’un an voir même 18 mois chez les patients traités avec de nouveaux protocoles de chimiothérapie associant plusieurs drogues [2-4]. Avec le temps, de nouveaux modes d’administration des drogues de chimiothérapie ont été développés comme la voie intra-portale, la voie intraartérielle hépatique et la voie intra-péritonéale. De plus, de nouvelles drogues de chimiothérapie plus efficaces ont été développées comme l’irinotecan et l’oxaliplatine. Bien que l’ensemble des développements concernant la chimiothérapie aient constitué un progrès significatif, ils ne sont pas suffisants puisque la majorité des patients ainsi traités finissent par décéder de leurs métastases hépatiques.
Par ailleurs, au cours des 30 dernières années, la chirurgie d’exérèse hépatique s’est considérablement développée. La première hépatectomie droite pour une métastase
hépatique unique a été réalisé en 1952 par Lortat-Jacob. Depuis cette date, les métastases hépatiques d’origine colorectale sont devenues une des indications les plus fréquentes de résection hépatique [5-7]. Avec les progrès des techniques chirurgicales, la mortalité opératoire après une résection hépatique majeure est devenue très faible, inférieure à 5 %. Le bénéfice de la chirurgie d’exérèse pour le traitement des métastases hépatiques n’a pas été démontré par un essai contrôlé, qui ne paraîtrait pas conforme à l’éthique, dans la mesure ou le taux de survie à 5 ans est de l’ordre de 25-30 % après résection alors que très peu de malades survivent au-delà de 3 ans en l’absence de chirurgie [8]. Du fait des bons résultats de la chirurgie d’exérèse, les chirurgiens sont devenus de plus en plus agressifs. En effet, au début, seules les métastases uniques de petites tailles constituaient une indication d’exérèse chirurgicale. Progressivement, les indications d’exérèse ont été étendues aux grosses lésions, aux lésions multiples bi-lobaires et actuellement, même la présence de métastases extra-hépatiques, à condition qu’elles puissent être réséquées en totalité, ne constitue plus une contre-indication à l’exérèse des métastases hépatiques. De plus, en cas de récidive après une première résection hépatique, certains malades peuvent être candidats à une résection itérative avec un bénéfice en terme de survie comparable à celui observé après une première résection [9]. Seule la transplantation hépatique a été abandonnée en raison du risque quasi inéluctable de récidive sur le greffon favorisé par le traitement immunosuppresseur.
Cependant, malgré tous les progrès réalisés, seule une minorité de malades est porteuse de métastases accessibles à une chirurgie d’exérèse à visée curative. De plus, après une exérèse hépatique, une récidive est observée dans près de deux tiers des cas.
C’est pourquoi, de nombreux efforts doivent être encore réalisés pour améliorer les résultats de la prise en charge des métastases hépatiques d’origine colorectale.
COMMENT AMÉLIORER LES RÉSULTATS ?
Pour améliorer les résultats, un premier objectif est d’augmenter le nombre de malades pouvant être candidats à une chirurgie d’exérèse à visée curative. Une première approche serait d’augmenter en pré-opératoire le volume du futur foie restant afin de permettre des résections hépatiques plus larges. En effet, dans un certain nombre de cas, alors que les lésions sont techniquement résécables, l’exérèse hépatique est contre-indiquée par le fait qu’après exérèse hépatique, le volume du foie restant est jugé trop petit pour permettre une fonction hépato-cellulaire postopératoire suffisante. Ainsi, l’embolisation portale sélective pré-opératoire réalisée par voie percutanée a été proposée pour induire d’une part une atrophie du foie tumoral et d’autre part une hypertrophie du foie non tumoral. Cependant, le futur foie restant doit être indemne de lésion car le risque de cette technique est d’entraî- ner une hypertrophie plus importante de la lésion tumorale comparée à celle du foie sain [10]. A la suite d’une embolisation portale, une résection hépatique, jugée initialement comme non faisable, est possible dans 60 à 80 % des cas, et la survie à long terme après résection hépatique est comparable à celle observée après résection
sans embolisation [11, 12]. Une deuxième approche a été le développement de nouvelles techniques comme la radiofréquence, la cryothérapie, et le laser hyperthermique, permettant la destruction in situ des métastases hépatiques. La faisabilité et l’efficacité de ces techniques, pour détruire les métastases hépatiques, ont été largement démontrées, et de nombreuses équipes les utilisent en pratique quotidienne. Cependant, la place exacte de ces techniques dans le traitement des métastases hépatiques n’est pas clairement établie et leur impact sur la survie à long terme des malades n’est pas prouvé par un essai contrôlé. En particulier, la comparaison de ces techniques à la chirurgie d’exérèse et le bénéfice potentiel de leur association à la chimiothérapie, pour la prise en charge de métastases hépatiques jugées non résécables, méritent d’être évalués dans de futurs essais cliniques contrôlés. Une troisième approche a été d’essayer de rendre resécables des métastases jugées initialement irrésécables par une chimiothérapie pré-opératoire. Ce concept est devenu possible avec le développement de nouvelles drogues de chimiothérapie comme l’oxaliplatine et l’irinotecan, avec lesquelles une réduction tumorale est observée dans près de 60 % des cas [2]. Ainsi, dans une étude, la chimiothérapie systémique a permis une exérèse à visée curative des métastases hépatiques de 16 % des patients considérés comme non resécables auparavant du fait, soit de la dissémination hépatique des lésions, soit de l’existence de métastases extra-hépatiques non résécables [13]. Si l’intérêt de rendre resécables certaines métastases par la chimiothérapie est validé, la distinction entre métastases resécables d’une part, et métastases non resécables d’autre part, deviendra obsolète et il faudra ajouter un troisième groupe incluant les métastases « devenues résécables ». Il reste cependant à démontrer que ces patients, dont les métastases sont devenues résécables, ont pu profiter de la chirurgie d’exérèse, par une amélioration de leur durée de survie.
Une deuxième manière d’améliorer les résultats est de diminuer le taux de récidive après chirurgie d’exérèse des métastases hépatiques. Une première approche serait de réserver cette chirurgie à un sous-groupe de patients à faible risque de récidive.
Dans ce sens, à partir de grandes cohortes de malades, ont été établis des scores pronostiques permettant de prédire le risque de récidive [5]. Si ces scores sont actuellement très utiles pour stratifier les malades dans le cadre d’essais cliniques contrôlés, ils ne sont pas utilisés pour écarter des candidats à l’exérèse chirurgicale, puisque même si le risque de récidive est élevé, la chirurgie constitue le seul traitement qui peut permettre une longue survie. Une deuxième approche est d’essayer de diminuer les récidives par une chimiothérapie adjuvante. Actuellement, le bénéfice d’une chimiothérapie adjuvante après exérèse à visée curative des métastases hépatiques d’origine colorectale n’est pas clairement démontré. En effet, très peu d’essais contrôlés ont été publiés et ils ont concerné la chimiothérapie administrée par voie intra-artérielle hépatique. Si un premier essai contrôlé multicentrique n’a montré aucun bénéfice en termes de survie à la chimiothérapie intra-artérielle hépatique seule [14], deux autres essais ont révélé que l’association d’une chimiothérapie par voie intra-artérielle et par voie systémique permettait d’augmenter la survie uniquement à 2 ans par rapport à une chimiothérapie systémique [15] seule et
de diminuer le risque de récidive par rapport à une chirurgie seule [16]. Dans tous ces essais, les protocoles de chimiothérapie étaient basés sur une association à base de 5FU. Le message que l’on peut retenir de ces essais est que la chimiothérapie intra-artérielle seule n’est pas suffisante et que lorsqu’elle est associée à une chimiothérapie systémique, elle diminue le risque de récidive, au prix d’une toxicité élevée.
Si ces essais, utilisant des drogues peut—être déjà obsolètes, ne sont probablement pas suffisants pour valider l’utilisation en routine de la chimiothérapie intraartérielle, ils constituent néanmoins une raison de penser que, dans un avenir proche, la prise en charge optimale des métastases hépatiques reposera sur l’association de la chirurgie et de la chimiothérapie. Cependant il reste à déterminer, d’une part quelles sont les meilleures drogues de chimiothérapie à utiliser, et d’autre part si la chimiothérapie doit être réalisée en pré-opératoire, en post-opératoire ou doit encadrer la résection hépatique. C’est pourquoi, il est urgent que les oncologues d’une part et les chirurgiens d’autre part participent de façon conjointe à des essais contrôlés pour répondre à l’ensemble de ces questions. Afin d’inclure un nombre élevé de malades, ces essais ne peuvent être que multicentriques et internationaux.
Actuellement, un essai organisé par ‘‘ the European Organisation for Research and Treatment of Cancer ’’ est ouvert pour les malades ayant des métastases hépatiques d’origine colorectale, comparant la chirurgie avec ou sans une chimiothérapie néoadjuvante et adjuvante associant l’oxaliplatine, le 5FU et l’acide folinique. Des essais comparables utilisant l’irinotecan sont également en préparation.
CONCLUSIONS
La prise en charge des métastases hépatiques d’origine colorectale a fait de considérables progrès au cours des 30 dernières années avec le développement de la chirurgie d’exérèse et de la chimiothérapie. Cependant ces progrès sont encore insuffisants, et il semble que dans le futur, les avancées résulteront de l’association de la chirurgie et de la chimiothérapie utilisant des drogues de plus en plus efficaces.
Ceci ne sera possible que par une approche multidisciplinaire et une parfaite coopération entre les différents centres d’oncologie chirurgicale et médicale.
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* Service de Chirurgie Générale Digestive et Oncologique, Hôpital Ambroise Paré, 9 avenue Charles de Gaulle — 92104 Boulogne cedex. Tirés-à-part : Professeur Bernard NORDLINGER, à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 14 mars 2003, accepté le 7 avril 2003.
Bull. Acad. Natle Méd., 2003, 187, n° 5, 899-904, séance du 6 mai 2003