Communication scientifique
Séance du 15 mai 2007

Au-delà de l’information, la prévention

MOTS-CLÉS : communication interdisciplinaire. comportement.. évaluation résultats et méthodes. prévention primaire
From information to prevention
KEY-WORDS : behavior.. interdisciplinary communications. outcome and process assessment. primary prevention

Hélène Sancho-Garnier

Résumé

La prévention primaire des maladies les plus fréquentes et les plus mortelles (cancers, maladies cardiovasculaires, accidents) passe essentiellement par la modification des comportements à risque, défi qui ne peut être résolu par la simple diffusion d’informations. Pour pouvoir modifier les comportements, il faut tenir compte d’une part, des individus euxmêmes et de ce qui les amène à changer leurs manières de vivre et, d’autre part, de l’environnement culturel, social, physique et économique qui façonne les personnes et dont les modifications sont nécessaires aux changements individuels. Ainsi, les actions de pré- vention en matière de santé sont efficaces pour autant qu’elles renforcent la capacité à exercer un contrôle sur les déterminants de santé individuels et collectifs. Pour être plus efficaces, les programmes doivent donc inclure des stratégies multiples dont l’objectif est à la fois de changer le contexte sociétal et de changer les valeurs de vie des individus.

Summary

Primary prevention of the most frequent and most lethal health disorders (cancer, cardiovascular disease, accidents) focuses mainly on changing at-risk behaviors, but this cannot be achieved simply by distributing information. Factors that subtend changes in individual behavior must also be taken into account, along with people’s cultural, social, physical and economic environment. Thus, health prevention campaigns will be more effective if they reinforce the capacity to control determinants of individual and public health. Such campaigns must therefore include multiple strategies aimed at changing both the social context and people’s lifestyle values.

INTRODUCTION

La prévention primaire n’est possible que si les causes des problèmes de santé — ou tout au moins les facteurs de risque — sont connus. L’identification de ces facteurs pour de nombreuses maladies ou atteintes à la santé ouvre, à l’heure actuelle, d’immenses perspectives pour la prévention et ce d’autant plus que certaines causes sont communes à diverses maladies. Ainsi, les actions visant à réduire tabagisme, alcoolisme, surpoids, sédentarité peuvent permettre de diminuer la fréquence des cancers, des maladies cardiovasculaires, du diabète, des accidents de la route, causes majeures de mortalité dans les pays industrialisés ; la vaccination anti-hépatite B permet, dans les pays d’endémies, de se protéger non seulement contre l’hépatite mais aussi contre le cancer primitif du foie.

Les connaissances sur les causes ou facteurs de risque des atteintes à la santé des populations ne représentent donc pas à l’heure actuelle un obstacle à la prévention, mais la connaissance ne suffit pas : il faut pouvoir supprimer ou réduire l’exposition des sujets à ces risques. Ces facteurs peuvent être exogènes, de type environnemental (radon, pollution), comportemental (tabac, alcool) ou mixte (ultraviolet, surpoids, etc). Ces expositions externes interagissent avec des facteurs endogènes (âge, métabolisme, polymorphisme génétique, etc.) dont certains peuvent être prépondérants (mutation génique).

En terme de prévention, la part attribuable à un facteur n’est évidemment pas la part évitable qui, elle, dépend de la possibilité de soustraire les personnes à l’exposition incriminée ou de supprimer l’effet de ces expositions (par la vaccination par exemple).

L’efficacité de la prévention dépend donc de la possibilité de contrôler les expositions à risque pour la santé, qu’elles soient environnementales ou comportementales. Le contrôle des expositions peut être de type collectif ou individuel.

• Le contrôle collectif peut se faire par des lois et des règlements et paraît, à priori, un moyen particulièrement efficace car il peut englober l’ensemble de la population exposée et n’a pas recours, en principe, à la bonne volonté individuelle ;

encore faut-il que ces lois et ces règlements soient votés d’une part, et appliqués d’autre part. Les difficultés d’obtenir une législation concernant des expositions reposent sur les conséquences politico-économiques qu’elle entraîne et sur la contrainte sur les libertés individuelles qu’elle représente.

• Le contrôle individuel concerne la modification de comportements qui sont le plus souvent acquis depuis plusieurs générations et qui représentent, à l’heure actuelle, parmi les causes des maladies les plus fréquentes, la part la plus importante. L’action sur les comportements individuels doit aller bien au-delà de la simple information sur des règles hygiéniques. Les nouveaux défis engendrés par la sédentarité, par une consommation trop élevée de graisse et de sucre sont similaires à ceux soulevés par l’épidémie de tabagisme ou par les problèmes liés à
l’alcoolisme. Ces comportements sont souvent encouragés par l’environnement socio-économique : intérêts économiques puissants, publicités à la télévision, gondoles de produits alimentaires dans les supermarchés, ascenseurs, escaliers roulants, voitures… Tous ces facteurs environnementaux contribuent à un style de vie à risque pour la santé. Les messages de prévention sont noyés dans un océan d’informations dont la plupart joue contre la santé. Aussi, seule l’organisation de programmes globaux, comme le montre la lutte contre le tabagisme, permet de changer le contexte « sociétal » qui influence les comportements individuels.

Le qualificatif global signifie que les programmes recouvrent diverses activités et approches stratégiques. Il repose sur une vaste coalition et sur une approche intersectorielle faisant appel à des acteurs dans et en dehors du secteur de la santé.

Ces programmes doivent être fondés sur des ressources financières et humaines suffisantes, sur une infrastructure adéquate et se poursuivre sur une longue période de temps. Ainsi, la modification des comportements va de pair avec un changement socioculturel général et avec la création d’un milieu sanitaire et éducatif adapté aux différents groupes sociaux.

La réflexion dans ce domaine est encore peu développée en France. Les déterminants de la santé (plusieurs facteurs de risque pour une même pathologie), les conséquences sur la santé (diverses pathologies liées au même facteur), les comportements des individus et des populations (selon l’âge, la culture, le niveau socioéconomique, la géographie, etc) sont autant de variable à gérer et à intégrer aux multiples modalités d’actions (information, communication, éducation, formation, législations, manifestations, etc). Seules des actions communautaires peuvent faire évoluer les normes sociales, modification indispensable à l’évolution des individus eux-mêmes.

STRATÉGIES D’INTERVENTION

En terme d’intervention, on peut dégager quatre grands axes d’orientation repré- sentant les quatre piliers de la prévention : la globalité de l’appréhension du domaine, la multidisciplinarité et l’intégration des actions, la cohérence des messages et des interventions, l’ évaluation des processus et des impacts.

L’approche globale consiste à mettre en perspective les déterminants de la santé, les caractéristiques des populations ciblées et les différentes possibilités d’actions qui se complètent :

• Un premier mode d’action dans l’approche globale a pour cible l’individu et consiste à influencer son comportement par le biais de ses connaissances. Cela inclut les campagnes d’information, les initiatives d’éducation, les brochures, les lignes téléphoniques, les émissions de télévision, les sites internet, etc ;

• Un deuxième mode d’action concerne l’environnement, les comportements étant aussi influencés par les changements contextuels. Les changements environne-
mentaux peuvent être le fait de loi, de réglementation, de mesures économiques, de publicité, de promotion, etc. Les campagnes médiatiques peuvent mener à une coopération entre les leaders de la société civile, du monde du travail, des institutions religieuses, ces partenariats multiples ayant pour but un changement des conditions environnementales afin de favoriser des changements comportementaux.

La coordination de ces deux modes d’action aboutit à un impact plus grand que la somme des effets d’actions éparses et non concordantes.

• Comment faire acquérir des comportements plus sains ?

— De nombreuses théories ont été élaborées pour identifier les facteurs expliquant les comportements positifs ou négatifs liés à la santé. Elles proviennent des sciences biomédicales et sociales mais aussi des sciences psychologiques.

Aucune n’explique à elle seule tous les comportements humains. Trois facteurs principaux influencent les attitudes et les comportements. Il s’agit des facteurs cognitif, affectif et estime de soi [1].

— Le facteur cognitif a été longtemps le seul caractérisé pour influencer directement les comportements en santé. Cette théorie s’appuyait sur l’hypothèse qu’un manque de connaissances est à l’origine des mauvais comportements.

L’information et la connaissance sont nécessaires et indispensables. Chaque personne doit selon Piaget reconstruire mentalement le monde, pour en faire son monde [2]. Il acquiert la connaissance en retravaillant les informations qui l’atteignent en provenance du monde extérieur.

Les connaissances doivent être progressives. Il ne viendrait à l’idée d’aucune faculté de médecine d’apprendre à ses futurs médecins l’activité de telles ou telles thérapeutiques ou le descriptif de l’ensemble des pathologies avant d’avoir développé la physiologie et l’anatomie du corps. Dès lors, pourquoi voudrait-on apprendre aux enfants le rôle athéromateux du tabac alors qu’ils ne connaissent pas encore le système vasculaire ? Pourquoi devraient-ils comprendre l’impact d’une alimentation déséquilibrée alors qu’ils ne savent rien de la digestion ? L’éducation pour la santé peut commencer par apporter aux enfants ou aux adultes les connaissances de base sur leur corps et son fonctionnement et ce, de manière adaptée à leurs connaissances antérieures, à leurs croyances et à leur culture.

— Le facteur affectif concerne le plaisir, le désir et la motivation. Il s’agit alors d’intégrer les apprentissages cognitifs à la sphère affective représentée par les valeurs, les opinions et les attitudes. Très liés aux représentations que l’enfant puis l’adolescent et l’adulte aura de sa santé, plaisirs, désirs et motivations devraient être intégrés dans tous les programmes d’éducation pour la santé.

Grâce à l’émotion, l’enfant, mais aussi l’adulte, est conduit à explorer plusieurs aspects du monde qui l’entoure, son univers intérieur, celui de ses sentiments, de ses habiletés et de ses connaissances sur le corps et la santé comme sur le reste de son environnement [3]. Ce type de pédagogie l’invite à se
définir par rapport à son milieu et à s’y adapter. Il favorise l’acquisition d’attitudes favorables à la santé et en cela, se trouve très lié avec les représentations que l’individu aura de sa santé.

— Cependant, un individu peut posséder les savoirs et les savoir-faire, il peut même être motivé pour accomplir tel ou tel acte mais ne jamais arriver à le réaliser. Pourquoi ? Parce qu’il existe un autre facteur peut-être plus important encore que les facteurs cognitif et affectif : l’estime de soi et le sentiment de compétence personnelle. Il s’agit ici de l’autoestimation par l’individu de ce qu’il sait, de ce qu’il aime, de ce qu’il est capable ou incapable de faire [4].

Divers auteurs l’ont étudié dans l’adhérence à l’activité physique, dans les protocoles de sevrages au tabac, dans la prise de contraceptifs chez les adolescentes ou dans le suivi d’un régime alimentaire [5, 6]. Ces auteurs ont montré qu’un niveau élevé d’estime de soi était lié à une plus grande autonomie, une plus grande capacité à faire la part des choses et notamment à peser le pour ou le contre de telle ou telle proposition en matière de santé.

La multidisciplinarité permet l’approche de la prévention par des acteurs différents appartenant à des champs complémentaires : santé, éducation, économie, culture, sport… et de démultiplier les impacts. On peut ainsi agir à tous les niveaux des croyances et des environnements en prenant en compte les freins et en utilisant les leviers identifiés. Des actions intégrées dans les divers secteurs de la société favorisent la compréhension des messages, leur cohérence, l’acquisition de savoirs et, in fine, leur appropriation (savoir-être).

La cohérence des messages, des actions, des acteurs, des outils… oblige à régler les controverses, évite les ambiguïtés et les informations erronées, relativise les scoops.

Elle permet aussi de clarifier le rôle de chacun des acteurs dans l’ensemble des territoires de vie, facilite la lisibilité et la compréhension et simplifie l’appropriation.

Organiser la prévention de façon cohérente est une priorité pour tous les pays ! Pour ce but, la communication est une action majeure. Le rôle de la communication est d’apporter une connaissance validée, compréhensible, appropriable par le public visé. Elle doit être convaincante pour amener chacun à l’action.

C’est un domaine complexe, en effet, les communicants ne sont pas ceux qui possèdent le savoir scientifique et les scientifiques ne sont pas forcément de bons communicants. C’est un vrai carrefour de compétences qui est nécessaire puisque l’information doit être validée (scientifiques) et percutante (communicants). L’atout d’une structure de prévention est d’avoir une équipe pluridisciplinaire, permettant d’associer connaissances scientifiques, pédagogie et sciences de la communication.

C’est cette mise en commun des savoirs et des savoir-faire qui permet le succès de la prévention [7].

Une différence doit être faite entre communication et information, qui sont souvent utilisées à tort comme synonymes. Toute communication contient inévitablement de l’information, mais pas uniquement. Elle utilise une série de « codes » de références qui permettent à l’émetteur et au récepteur d’entrer en communication.

FIG. 1. — Schéma de la communication.

C’est l’émetteur qui initie la communication en voulant partager un message avec le récepteur. Pour cela, l’émetteur doit élaborer son message en fonction du récepteur.

Le message construit est inévitablement imprégné des acquis (éducation, appartenance culturelle, valeurs sociales) de l’émetteur qui doit pourtant prendre en compte ceux du récepteur. Ainsi, il faut créer un cadre de référence (répertoire commun) pour permettre codage et décodage du message (figure 1).

Une communication réussie suppose que l’émetteur codifie son message en fonction de ce qu’il anticipe être les acquis du récepteur. Afin que le récepteur puisse comprendre le message, il faut qu’il le décode. Ainsi, le récepteur disposera des éléments lui permettant de comprendre le message.

Le feedback incite éventuellement à répéter la transmission, peut-être en utilisant un autre moyen de communication. Il peut aussi amener l’émetteur à reformuler son message, à utiliser un autre code, etc…

Le message se construit sur trois niveaux de communication :

• Premier niveau : ‘‘ intellectuel ’’, rationnel, objectif, logique, concret

Ce niveau prend en compte les raisonnements de la personne. Si l’information ne lui convient pas, il peut être en position de dissonance.

• Deuxième niveau : affectif, passionnel, subjectif, abstrait, imprécis

Ce niveau découle d’un constat, d’une relation fortement chargée affectivement entre les relais et la cible. Il repose sur la crédibilité d’un personnage familier et/ ou médiatique qui se fait le porte-parole et la caution d’un contenu. Par exemple, l’impact du message d’une idole sera beaucoup plus fort : c’est pourquoi il est recherché par les publicistes…

• Troisième niveau : instinctif, primaire, irrationnel, impulsif Ce niveau concerne le comportement de la personne face au message. Il s’agit de réactions comportementales effectives et non de réactions mentales.

Selon la formule d’Harold Lasswelle (1948) : « On peut décrire convenablement une action de communication en répondant aux questions suivantes : « Qui dit quoi, par quel canal, à qui, avec quel effet ? » ».

En fait, la personne réceptrice va mettre en place divers moyens pour résoudre son problème :

— Elle évite l’information qui peut la perturber (réaction d’évitement), — Elle réduit la portée de l’information dissonante en interprétant l’information pour la rendre moins dérangeante, ou en la rationalisant faussement, c’est-à-dire en avançant une explication logique qui justifie son comportement (réaction de justification), — Elle remet en cause la crédibilité de la source d’information, — Si rien n’y fait, la personne peut alors changer son comportement et modifier son attitude.

Pour être efficace, une stratégie de communication doit donc être diversifiée, permanente, reposant sur des objectifs définis, durable, réaliste, adaptable, flexible, cohé- rente et acceptée.

L’évaluation, elle, doit être prévue dès l’élaboration de tout projet, car elle permet de vérifier si les objectifs de l’action correspondent aux besoins mesurés ou ressentis, si les processus élaborés permettront d’atteindre les objectifs, puis si ces objectifs ont été atteints et si les résultats peuvent être extrapolés à d’autres cibles. Seule une balance coûts/bénéfices positive devrait permettre de généraliser des actions.

L’interprétation des résultats obtenus et leur diffusion aux différents acteurs devraient permettre de ne pas réinventer la roue de multiples fois et d’améliorer progressivement, comme dans le domaine thérapeutique, l’efficacité de la prévention. Choisir des interventions qui ont bien fonctionné dans un pays ou dans un contexte spécifique n’est pas une garantie de succès si l’on en change, c’est pourquoi les interventions doivent être adaptées localement et doivent être systématiquement réévaluées de manière à s’assurer qu’elles fonctionnent et que les buts de ces interventions sont atteints.

Il existe de nombreuses méthodes d’évaluation, mais toutes doivent permettre de s’assurer que les objectifs visés (et donc définis a priori) ont été atteints dans les meilleures conditions de qualité et de coûts c’est aussi l’outil permanent permettant la bonne réalisation des programmes. C’est grâce à l’évaluation que les communautés (de même que les organismes de financement) et les professionnels de santé doivent être assurés que l’argent public est bien dépensé pour des interventions qui permettent d’atteindre les objectifs désirés et que ces objectifs s’accompagnent d’une amélioration de la santé.

L’évaluation est un élément majeur de la décision en santé et, si elle ne doit en aucun cas être un frein à l’innovation, elle en est le meilleur garde-fou. Malheureusement peu d’actions en prévention ont à ce jour été évaluées et, de ce fait, de nombreuses interventions inefficaces sont répétées en permanence.

Evaluer, c’est finalement se poser cinq questions : pourquoi évaluer ? que doit-on évaluer ? avec quelles méthodes évaluer ? qui veut évaluer ? qui évalue ? [8] • En ce qui concerne la méthode, deux situations sont à distinguer :

La situation expérimentale où l’efficacité de l’action projetée doit être démontrée (une nouvelle méthode de sevrage tabagique par exemple) ou comparée à une autre (impact de divers programmes d’éducation). Dans ce cas, la méthode doit apporter « la preuve » que telle action a apporté tel résultat, et que ce résultat n’a pas été obtenu par hasard et est, de ce fait, reproductible.

La situation « de routine » où le programme entrepris doit suivre le plus possible les référentiels précédemment établis et garantir l’optimisation des bénéfices au moindre coût.

• En ce qui concerne les acteurs :

L’évaluation intéresse certes les chercheurs pour qui la recherche de connaissances validées est le métier, mais aussi toutes les parties engagées ont intérêt, pour des raisons diverses, à évaluer les actions et souhaitent le faire.

Ce qui intéresse principalement les institutionnels, c’est de savoir en quoi les prises en charge qu’ils financent apportent une plus-value à la santé des personnes.

Pour les usagers, l’évaluation est un moment qui leur permet de faire entendre leur insatisfaction. Ils demandent à être de plus en plus présents et écoutés. Ils s’informent de plus en plus par eux-mêmes, hélas sur des sources de qualité variée.

Enfin, les hommes politiques s’intéressent également à l’évaluation pour la raison qu’ils représentent leurs électeurs et qu’ils tiennent donc à ce que ceux-ci soient bien soignés et satisfaits des systèmes en place.

Mais l’évaluateur ne peut être le décideur. L’évaluation ne peut être conçue comme un contrôle a posteriori pour lequel il suffirait alors d’appliquer une grille d’analyse déterminant si le dispositif est conforme ou non. Au contraire, le processus d’évaluation doit être vu comme un accompagnement dans lequel l’évaluateur est assez proche d’un travail de formation-action, en ce sens qu’il construit l’évaluation avec les acteurs eux-mêmes.

LES DIVERSES ACTIONS DE PRÉVENTION A FÉDÉRER

L’information

En matière de lutte contre le tabac, les actions d’information du public sur les risques sanitaires liés à cette consommation, si elles restent isolées, ont peu de chances d’amener des changements dans les comportements. De même, les informations sur les effets de la consommation d’alcool ont un impact limité sur les croyances et les attitudes face aux coutumes. Pour les interventions concernant la prévention de l’obésité, les résultats montrent au mieux un effet modeste.

Par conséquent, il n’est pas recommandé d’engager de coûteuses campagnes d’information du public en dehors, peut être, des actions globales concernant l’ensemble des problèmes de santé liés à tel ou tel facteur de manière à propager des informations de base auprès du public.

Les actions médicales

Il a été démontré qu’une brève intervention par des professionnels de santé en faveur de l’arrêt du tabac a un effet significatif et s’avère efficace en matière de coût. Ces brèves interventions permettent également de réduire la consommation d’alcool.

Les preuves sont moins évidentes lorsqu’il s’agit de promouvoir une meilleure alimentation, une réduction de poids ou une augmentation de l’activité physique.

Des interventions dans ces domaines tendent à être plus efficaces lorsqu’elles s’adressent à des groupes à risque. Les programmes de lutte contre la surcharge pondérale ont un maximum d’efficacité s’ils sont dirigés par un personnel qualifié et s’ils se déroulent au sein d’un groupe utilisant des techniques visant à modifier les comportements alimentaires et la sédentarité.

Un aspect important de cette collaboration consiste à permettre aux professionnels de santé d’instaurer un dialogue avec leurs patients sur une base de connaissance et de décision partagées, en s’assurant que les patients comprennent pleinement les bénéfices et les risques d’une intervention donnée.

Le lieu de travail

La législation sur le tabagisme en milieu de travail réduit le risque de tabagisme passif et le risque d’incendie ; elle fournit aussi un soutien aux très nombreux fumeurs qui désirent s’arrêter. Les stratégies concernant la consommation d’alcool qui reposent sur l’implication des travailleurs et qui, de ce fait, réduisent le taux de licenciement, permettent aux entreprises d’obtenir des résultats significatifs. Elles conduisent aussi à une réduction des coûts de santé, des incapacités de travail liées à la maladie et à une réduction substantielle des accidents, que ce soit sur le lieu de travail ou à l’extérieur.

Les programmes nutritionnels appliqués sur le lieu de travail aboutissent à une amélioration modeste du comportement alimentaire. Des programmes plus larges comprenant des autoévaluations et des conseils comportementaux ont plus de succès que de simples programmes d’information. Cependant, tout changement touchant des habitudes alimentaires plus saines ne semble avoir des effets durables qu’avec le maintien de l’intervention.

C’est dire qu’une politique de santé permanente sur le lieu de travail est fortement souhaitable.

L’éducation pour la santé à l’école

Les interventions en milieu scolaire devraient faire partie de programmes plus larges impliquant les parents et les collectivités dans leur ensemble ; elles ne devraient pas reposer uniquement sur une approche cognitive mais devraient avoir pour but de changer également l’environnement. Il faudrait traiter les questions de santé au sein du concept plus large de promotion de la santé par les écoles ; ainsi les membres de la communauté scolaire doivent travailler ensemble pour offrir aux élèves des expériences et des structures intégrées pour à la fois promouvoir et protéger leur santé. Un enseignement de type formel ou informel, un environnement scolaire sûr et sain, des services de santé appropriés et l’implication de la famille et de la collectivité sont les éléments importants d’un projet de promotion de la santé à l’école.

Les approches en collectivité

Les approches basées sur la collectivité semblent avoir une certaine efficacité en matière de réduction de la consommation d’alcool. Pour le tabac, il a été démontré que des interventions ne sont efficaces que si elles sont de grandes envergures, suffisamment financées et qu’elles comprennent des facettes multiples.

On doit encore une fois souligner l’importance de programmes globaux, qui associent à des initiatives locales les efforts pour changer un contexte plus large (lois et réglementations, retombées économiques, campagnes nationales d’information, etc) à des initiatives locales.

Les lois et les réglementations

En matière de lutte contre le tabac, il a été démontré que le prix, l’interdiction de publicité, la réglementation sur l’air sans fumée, la réglementation sur l’emballage et le contenu des produits, ainsi que les procès intentés ont tous des effets mesurables sur la consommation. Pour l’alcool, il a été démontré que les prix, les restrictions de vente basées sur l’âge, la réduction des points de vente et des heures de vente, les restrictions sur la publicité et les étiquettes contribuent à faire décroître la consommation. Les lois et réglementations ont également largement contribué à réduire les
risques liés aux expositions professionnelles et à l’environnement. Les expériences sont nettement moins nombreuses dans les domaines de la nutrition et de l’activité physique, bien qu’il y ait quelques exemples comme l’amélioration des repas scolaires et la construction de pistes cyclables.

DÉFINIR LES PRIORITÉS

Une stratégie intéressante pour rendre les interventions plus efficaces à moindre coût consiste à ne pas cibler des populations entières mais à agir sur des populations à haut risque. Ce ciblage réduit le nombre de personnes à contacter. Les actions et le discours peuvent alors être adaptés au groupe ciblé. Par exemple :

• Protéger les travailleurs exposés à des carcinogènes spécifiques, • Augmenter le taux de participation de groupes socialement et économiquement défavorisés à des programmes existants comme les programmes de dépistage des cancers du col de l’utérus, • Promouvoir la détection précoce des cancers cutanés chez les personnes présentant des types de peau à haut risque…

Une autre stratégie intéressante est de limiter un programme à une zone géographique ; cela peut se faire sous forme de projet pilote. En cas de succès, l’intervention peut être par la suite généralisée.

CONCLUSION

Ainsi pour gagner le combat de la prévention, les programmes doivent devenir puissants et performants en terme de coût-efficacité. Les décideurs appartenant au domaine de la politique, de l’économie et de la société dans son ensemble doivent travailler en collaboration pour pouvoir promouvoir un environnement et un style de vie favorable à la santé. C’est aussi du pouvoir de conviction des divers acteurs de santé dont dépend l’efficacité de la prévention. La formation de tous les acteurs de terrain y compris des médecins aux méthodes d’action comportementale sont des priorités incontournables de la santé actuelle et future. Enfin, dans ce domaine de la prévention, nous devons aussi développer d’autres savoir-faire et promouvoir des recherches sur les différentes composantes des actions préventives.

Les stratégies à utiliser, quel que soit le type d’intervention (éducation, information, réglementation…) doivent être améliorées, adaptées, et évoluées en permanence pour s’accorder aux sociétés et à leur changement.

La mise en place de programmes globaux de prévention représente un grand défi, il est nécessaire d’appliquer le meilleur savoir-faire et la mise en commun de toutes les ressources disponibles en la matière doit s’instaurer [9].

BIBLIOGRAPHIE [1] STOEBNER-DELBARRE A. — Connaissances, attitudes et comportements en santé : comment les acquérir ? In Au-delà de l’information, la prévention . Sancho-Garnier H et l’Équipe du Département de Prévention Épidaure. Springer (eds) Collection Dépistage et cancer, 2007, 35-8.

[2] PIAGET J. — La représentation du monde chez l’enfant . 2003, PUF.

[3] MORISSETTE D, GINGRAS M. — Enseigner des attitudes ? Planifier, intervenir, évaluer. De Boeck Université, 1994.

[4] BANDURA A. — Self efficacy mechanism in agency. Am. Psychol ., 1977, 37 122-47.

[5] SCHWARZER R., FUCHS R. — Self-efficacy and health behaviours. In : Conner M, Norman P (eds) Predicting health behaviour. Open University Press, Buckingham, Philadephia, 1996, 162-96.

[6] DI CLEMENTE CC. — Self-efficacy and the addictive behaviours. J. Social Clin. Psychol. , 1986, 4, 302-15.

[7] MOUSSAOUI-BOURNANE F., CLAVEL S. — La communication : un des piliers de la prevention. In :

Au-delà de l’information, la prévention. Sancho-Garnier H et l’Équipe du Département de

Prévention Épidaure. Springer (eds) Collection Dépistage et cancer, 2007, 19-35.

[8] SANCHO-GARNIER H. — Évaluation : La prévention fondée sur les preuves. In : Au-delà de l’information, la prévention. Sancho-Garnier H et l’Équipe du Département de Prévention Épidaure. Springer (eds) Collection Dépistage et cancer, 2007, 95-104.

[9] SANCHO-GARNIER H. — l’Équipe du département de prévention Épidaure. Au-delà de l’information, la prévention. Springer (eds) Collection Dépistage et Cancer, 2007.

DISCUSSION

M. Jacques ROUËSSE

Quel est le budget que consacrent les tutelles à la prévention ?

De l’ordre de 1 % pour la prévention primaire et de 2 % pour le dépistage sur l’ensemble du budget santé (extrapolation à partir des données « cancers »).


* Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine Tirés-à-part : Professeur Hélène SANCHO-GARNIER, Epidaure, département prévention, CRLC 34928 Montpellier cedex 5

Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, nos 4-5, 857-868, séance du 15 mai 2007