Communication scientifique
Session of 29 juin 2010

Arythmies ventriculaires, mort subite et insuffisance cardiaque

MOTS-CLÉS : défaillance cardiaque. mort subite cardiaque. troubles du rythme cardiaque
Ventricular arrhythmias, sudden death and heart failure
KEY-WORDS : arrythmias, cardiac. heart failure

Jean-Paul Bounhoure, Michel Galinier, Serge Boveda, Jean-Paul Aibenque

Résumé

Malgré les progrès thérapeutiques actuels la mortalité est élevée dans l’insuffisance cardiaque atteignant pour les formes les plus graves, 20 % par an. Plus de 60 % des décès dans les dysfonctions ventriculaires gauches sont subits dus à une tachycardie ou fibrillation ventriculaire, 15 à 20 % à une bradyarythmie, 18 % environ à une défaillance irréversible de la pompe ventriculaire. Une dysfonction ventriculaire gauche sévère, avec une fraction d’éjection égale ou inférieure à 35 % comporte de nombreuses modifications structurales et fonctionnelles, substrats arythmogenes qui sont des facteurs de réntrées, d’automatismes anormaux. L’activation neuro hormonale délétère facilite les arythmies et prédispose à la mort subite. Les défibrillateurs automatiques (DAI) implantés en prévention secondaire ou primaire ont fait la preuve de leur efficacité réduisant la mortalité subite de plus de 50 %. Il est important d’évaluer chez un patient présentant une altération majeure de la fonction ventriculaire le risque arythmique et de sélectionner les patients qui tireront le plus grand bénéfice de ces dispositifs. Cette étude fondée sur notre expérience et l’analyse de la littérature fait le point sur la recherche de marqueurs de risque basée sur l’étude du système nerveux autonome (variabilité sinusale, sensibilité du baroréflexe) la dynamique de la repolarisation, la dispersion ventriculaire (alternance de T et dispersion de l’espace QT, turbulence de la fréquence cardiaque, les potentiels tardifs ventriculaires) de la stimulation ventriculaire programmée. La combinaison de ces marqueurs et des données étiologiques et cliniques peut permettre de définir les indications électives d’implantation de DAI et de stimulateurs qui associés au traitement médical optimal, ont réduit la mortalité globale et subite dans des études multicentriques randomisées.

Summary

Despite therapeutic advances, the mortality rate associated with congestive heart failure remains as high as 20 % per year. Among patients with severe left ventricular dysfunction, more than 60 % of deaths result from ventricular tachycardia or fibrillation, 20 % from bradyarrhythmias (including advanced atrio-ventricular block or asystole), and 20 % from terminal ventricular pump failure. Ventricular arrhythmias and sudden death result from an interaction between a trigger and a substrate with neurohumoral factors (enhanced activity of the adrenergic and renin-angiotensin systems, electrolyte disturbances, etc.). Left ventricular structural lesions result in complex electrophysiological changes, but those mainly responsible for arrhythmias are conduction slowing, changes in the refractory period, inhomogeneous activation and repolarization, and abnormal automaticity. It is important but difficult to identify those patients most at risk. According to current guidelines, most patients with left ventricular dysfunction (left ventricular ejection fraction below 35 %) and symptomatic heart failure may qualify for prophylactic implantation of cardioverter defibrillators (ICD), which have been shown to reduce the risk of sudden cardiac death by 26 % in randomized trials. The challenge is now to better identify and select patients who will benefit from implanted devices and resynchronization therapy. We review the literature and report our personal experience of the prognostic value of various Holter—ECG parameters providing information on the autonomic nervous system (sinus variability, baroreflex sensitivity), repolarization dynamics (QT dispersion, T alternance, ventricular late potentials) and the results of programmed ventricular stimulation. Combining electrocardiographic stratification with etiologic and clinical information may help to select the best candidates for defibrillator implantation and resynchronization. These devices, combined with optimal pharmacologic treatment, have been shown to reduce overall mortality and sudden death in recent multicenter randomized controlled trials.

En dépit des progrès thérapeutiques survenus au cours des vingt dernières années, la mortalité demeure élevée dans l’insuffisance cardiaque (IC) pouvant dépasser pour les formes les plus avancées 20 % par an. Cette pathologie prédispose aux arythmies ventriculaires, leur fréquence, leur complexité et leur gravité augmentant avec la détérioration de la fonction cardiaque. Plus de 50 % des décès survenus au cours d’une dysfonction ventriculaire sont subits, liés soit à une tachyarythmie ventriculaire soudaine soit à une bradyarythmie, soit à une dissociation électromécanique [1, 2]. L’IC multiplie par cinq le risque de mort subite par rapport à la population générale justifiant la détection des patients les plus menacés. Les essais de prévention primaire ou secondaire de la mort subite ont démontré l’efficacité des défibrillateurs automatiques (DAI) chez les patients sous traitement médical optimal [3-5]. Leurs indications en prévention primaire et secondaire sont bien codifiées par les recommandations des experts des sociétés savantes [4-7]. Les essais contrôlés, randomisés mettent en évidence une réduction de la mortalité, toutes causes confondues de 26 % et de la mortalité subite de 56 %. Mais vu la prévalence croissante de l’IC, en raison du coût, des problèmes liés au fonctionnement du dispositif, il demeure essentiel d’évaluer le risque arythmique au cours de l’IC ischémique ou secondaire à une cardiomyopathie primitive. Malgré la très haute efficacité des défibrillateurs de divers types, le bénéfice n’est pas constant. Dans MADIT II seulement 35 % des patients avec DAI reçurent un choc approprié ou une stimulation anti tachycardique, au cours des trois ans du suivi et le défibrillateur peut aggraver l’IC [8, 9].

L’implantation d’un DAI couplé à un pacemaker pour une resynchronisation ventriculaire dans une très large population d’insuffisants cardiaques est limitée par le prix de ces dispositifs et la difficulté à identifier les patients qui seront les plus améliorés. Ayant étudié les arythmies ventriculaires dans 310 cas d’IC il nous a paru intéressant de faire part de nos constatations, de rappeler les données de la littérature en analysant les différentes techniques permettant de rechercher des marqueurs de risque arythmique.

Rappel sur la physiopathologie des arythmies ventriculaires

Leur physiopathologie complexe, ne peut qu’être sommairement rappelée : théoriquement trois mécanismes interactifs sont impliqués, un substrat arythmogène, un facteur déclenchant « gachette », l’activation du système nerveux autonome. La survenue de réentrées, d’activités déclenchées, de foyers automatiques est facilitée par des anomalies structurales, fonctionnelles au niveau du cœur défaillant.

Le substrat arythmogène

Toutes les modifications de structure, hypertrophie, fibrose, séquelles de nécrose, zones ischémiées, constituent dans le myocarde un substrat arythmogène, altérant la genèse de l’influx, désharmonisant l’activation et la repolarisation, favorisant les micro et macro réentrées. L’augmentation des conditions de charge du ventricule augmente la tension pariétale, favorise le remodelage ventriculaire, allonge le potentiel d’action et la conduction [2]. La dilatation des cavités cardiaques, l’hypertrophie altèrent la cohésion des cellules myocardiques, les voies de conduction induisant des blocs de branche, de zones de conduction lente, la formation de circuits favorables aux phénomènes de réentrée et à leur perpétuation. On constate la raccourcissement des périodes réfractaires, la réduction du seuil fibrillatoire. L’instabilité électrique résulte de la genèse d’activités déclenchées « gachettes », causées par des post dépolarisations précoces ou tardives, liées aux altérations des courants ioniques transmembranaires, aux effets de la surcharge calcique, de l’hypokaliémie, des catécholamines. Les altérations des mouvements calciques, des canaux potassiques IKto, IK1 des échanges Na/Ca favorisent l’apparition de post potentiels [10] L’ischémie du myocarde hypertrophié augmente le risque arythmique.

Les troubles de l’automatisme sont complexes. Des structures à potentialité automatique s’extériorisent par augmentation de la pente de dépolarisation diastolique ou modification du potentiel seuil, dans de nombreuses circonstances pathologiques, ischémie, étirement myocytaire exagéré, œdème cellulaire, stimulation adré- nergique excessive.

 

Altérations fonctionnelles

La stimulation sympathique et l’activation du système rénine angiotensine prédisposent aux arythmies. L’augmentation des catécholamines plasmatiques accroît l’automatisme, accélère la fréquence cardiaque, favorise les réentrées, l’apparition de post potentiels et de rythmes ectopiques. L’angiotensine 2 diminue la kaliémie et la magnésémie, potentialise les effets des catécholamines, accroît l’hypertrophie et la fibrose myocardique. L’activation des deux systèmes favorise la vasoconstriction systémique, élevant les conditions de charge, cause d’instabilité électrique amplifiée par les effets délétères des diurétiques, des digitaliques, des inhibiteurs des phosphodiestérases ou de la dobutamine.

Prévalence des arythmies ventriculaires

Les troubles du rythme ventriculaires de divers types sont pratiquement constants chez les patients avec une dysfonction systolique quelle qu’en soit la cause. Leur fréquence et leur complexité augmentent avec la déterioration de la fonction ventriculaire. Dans notre expérience, les enregistrements ambulatoires par système Holter de 24 ou 48 heures pour un groupe de 310 patients en IC classe II à IV, avec en moyenne une FE à 38 % fi 5,4 %, un âge moyen de 68 ans fi 4,6, montrent dans 76,6 % des cas des extrasystoles ventriculaires polymorphes, des doublets ou triplets. Après un infarctus, plus de 10 extrasystoles ventriculaires polymorphes par heure sont un facteur prédictif de mortalité totale. Chez les patients ayant une IC d’origine ischémique, les extrasystoles ventriculaires polymorphes sont reconnues comme un facteur prédictif de décès et de risque de mort subite, constatation controversée pour les cardiomyopathies dilatées. Les courts accès de tachycardie ventriculaire (TV) non soutenue (moins de 30 secondes) sont très fréquents au cours de l’IC, peuvent être symptomatiques entraînant des palpitations, des lipothymies ou être seulement détectés au cours d’enregistrements ambulatoires. Dans notre expérience ces accès brefs ont été constatés dans 54 % des cas, corrélés à la mortalité globale (RR 3,5 IC : 2, 2-6, 4, p = 0,021). Leur détection dans les trois ou douze mois qui suivent un infarctus est associée à un taux élevé de décès d’origine cardiaque mais n’est pas un marqueur spécifique d’un risque de mort subite. Leur valeur prédictive fut évaluée dans deux essais de prévention primaire de la mort subite, [5-9] Combinés à une altération majeure de la FE et à l’inductibilité d’une TV, ces accès identifient les patients qui bénéficient d’un DAI. Au cours d’une cardiomyopathie dilatée primitive avec une FE < 40 % leur présence (dans 28 % des cas) est bien corrélée à la mortalité totale mais non à la mortalité subite.

La prévalence des TV soutenues augmente avec l’aggravation de l’IC, 3,6 % chez les patients en classe II, 16,8 % chez les patients en classe III et IV dans notre étude Des pourcentages supérieurs sont rapportés dans la littérature [1, 2-9]. La tolérance hémodynamique est liée au degré de la dysfonction ventriculaire, à leur durée. Leur expression clinique est variable, soit œdème pulmonaire, soit angor, soit lipothymies ou syncopes, soit collapsus. Chez l’insuffisant cardiaque elles sont symptomatiques et peuvent rapidement dégénérer en une fibrillation ventriculaire et un arrêt circulatoire. Au cours de l’IC avec une fraction d’éjection <40 %, les accès de TV mal tolérés sont des marqueurs prédictifs d’un risque élevé de mort subite et une indication validée d’un DAI quand les chances de survie sont estimées supérieures à six mois [4-6].

Mort subite et insuffisance cardiaque

La mort subite cardiaque est définie comme un décès survenant dans un délai d’une heure après le début des symptômes chez un patient ayant une IC stable et chez lequel aucune autre cause d’arrêt circulatoire ne peut être cliniquement identifiée.

Bayes de Luna et col ont publié 157 cas de décès survenus au cours d’enregistrements électriques ambulatoires : on constate dans 83 % des cas des TV ou FV et dans 17 % des bradyarythmies [11]. Les troubles du rythme ventriculaires initiateurs sont majoritairement des TV soutenues (62,4 %) puis des torsades de pointe (12,7 %) et enfin des fibrillations ventriculaires inaugurales (8,3 %).La mortalité totale augmente avec la classe fonctionnelle NYHA mais le pourcentage relatif de morts subites est plus élevé dans les formes débutantes ou modérées d’insuffisance cardiaque. Pour les classes fonctionnelles I et II où la mortalité totale est basse, la mort subite rend compte de 50 à 60 % des décès, alors que dans la classe IV, la mort résulte d’une défaillance ventriculaire irréversible, le pourcentage de morts subites ne dépassant pas 20 % . Dans notre expérience nous avons déploré au cours d’un suivi de 26 mois en moyenne, 62 décès (30 %) dont 21 subits. Un cause arythmique par fibrillation ventriculaire ne peut être affirmée que dans huit cas, survenant cinq fois chez des patients en classe NYHA II avec une fraction d’éjection en moyenne de 38 % fi 3,5 %. L’altération sévère de la fonction ventriculaire est un facteur prédictif validé de mortalité cardiaque mais ne permet pas de déceler, à elle seule, les patients menacés de morts subites arythmiques. Dans l’étude de Maastricht, 56,5 % des victimes d’une mort subite cardiaque ont un FE>30 %, 20 % ayant une FE>50 % [12]. La mortalité subite au cours des cardiomyopathies dilatées varie de 10 à 30 % [13].

Évaluation du risque

L’évaluation du risque arythmique repose sur l’appréciation de nombreux facteurs, les dysrythmies ventriculaires étant plus étroitement liées à la mortalité totale qu’au risque de mort subite.

— La diminution de la FE est un élément majeur pour suspecter ce risque et justifier l’implantation d’un DAI. Cette indication a été renforcée par les résultats des grands essais randomisés contrôlés dont les critères d’inclusion étaient des FE au dessous de 40 ou 35 %. MADIT I, première étude démontrant le bénéfice du DAI en prévention primaire, fut effectuée chez des patients ayant après un infarctus, une FE< 35 %, à la fois une TV non soutenue et une TV induite par stimulation. Elle permit de constater que le DAI par rapport au traitement antiarythmique, diminuait la mortalité totale de 54 % (p = 0,009) [5]. Dans l’essai SCD-HEFT la diminution de la mortalité subite avec un DAI est significative (p = 0,007) chez des patients avec une FE> 35 % au cours d’un suivi de 5 ans [14]. Le degré d’altération de la FE et la présence de symptômes d’IC sont les éléments clés à prendre en compte dans l’indication d’un DAI [4-5]. Dans l’essai MADIT II, les seuls critères de sélection requis étaient un infarctus datant de plus d’un mois et une FE< 30 % sans signes d’IC. Le pourcentage décès fut de 14,2 % dans le groupe avec DAI vs 19,9 % dans le groupe traité de manière conventionnelle (H R 0,69 IC, 0,51-0,93 p = 0 ,0016.). Le bénéfice fut inférieur à celui des études où les indications de DAI étaient fondées sur l’association de plusieurs critères de sélection [6]. La réduction isolée de la FE semble un critère peu spécifique, 50 % des patients ne tireraient aucun bénéfice du dispositif avec un risque augmenté d’IC : il faut implanter beaucoup de patients pour prévenir le risque de morts subites [9]. De multiples facteurs, (l’ischémie, la stimulation sympathique, l’âge etc.) interagissent avec la FE et influencent le pronostic pour des degrés similaires de dysfonction ventriculaire. La recherche d’autres marqueurs de risque est nécessaire pour tenter de mieux identifier les patients les plus menacés.

— L’origine ischémique de l’IC, un infarctus datant de plus de deux mois, la présence de troubles fonctionnels, lipothymies ou syncopes incitent à l’implantation. Une fibrillation auriculaire est un signe défavorable, aggrave les symptô- mes et le pronostic. Sa fréquence croit avec l’aggravation de l’IC, atteint dans notre étude 16 % pour les patients en classe NYHA III, et 45 % pour les patients en classe IV.

— Un bloc de branche gauche augmente le risque de mort par trouble du rythme de près de 50 % et un élargissement de QRS > à 12O ms dans l’IC est associé à une mortalité élevée.

— L’enregistrement électrique prolongé par la méthode Holter permet d’enregistrer divers paramètres permettant de stratifier le risque :

• une fréquence cardiaque basale élevée est un signe défavorable en relation avec la mortalité globale mais sa valeur à l’égard de la mort subite n’est pas validée.

• La détection de TV soutenues au cours d’une IC ischémique est une indication à la mise en place d’un défibrillateur. Des TV non soutenues justifient la pratique d’un bilan complet, d’une exploration électrophysiologique avec stimulation programmée et d’un traitement par béta bloquants ou amiodarone [4, 5-7]. Leur association à l’inductibilité d’une TV est une indication à l’implantation d’un DAI.

• La variabilité sinusale est un élément fiable pour étudier la régulation du système nerveux autonome et le risque de décès subit par arythmie. Elle mesure les variations cycliques de l’espace R-R. Ce paramètre est réduit avec la stimulation sympathique au cours de l’IC et bien corrélé à son évolution, au taux de Brain Natriuretic Peptide et la classe fonctionnelle NYHA. La réduction de la variabilité sinusale est associée à une augmentation du risque de mort subite chez les patients en attente de transplantation. Dans notre étude chez 190 patients en IC classe II-III, en rythme sinusal, avec une FE en moyenne à 28 %, 75 % d’entre eux ayant un origine ischémique, une déviation standard des espaces RR< 60 ms est un signe prédictif de mortalité globale et subite [15]. L’association d’une réduction de la variabilité sinusale et de la sensibilité du baro reflexe témoigne d’une augmentation significative du risque relatif de décès arythmique au cours des IC ischémiques. (RR = 2,5, IC 95 % 1,5-4,2) — La dispersion de l’espace QT, est un reflet indirect de l’inhomogénéité de la repolarisation ventriculaire. Elle est augmentée dans notre étude, supérieure en moyenne à 85 ms, alors qu’elle est inférieure à 50 ms chez les sujets normaux [16].

Dans notre expérience une dispersion de l’intervalle QT > à 80 ms n’est un facteur indépendant de risque de mort subite que chez les patients atteints de cardiomyopathie dilatée primitive. La turbulence de la fréquence cardiaque (fluctuations du cycle cardiaque après les extrasystoles ventriculaire), que nous n’avons pas étudiée, pourrait permettre de détecter les patients à risque au cours d’un dysfonction ventriculaire post infarctus. Son absence serait un puissant marqueur de risque de mortalité globale.

— L’alternance de l’onde T, reflet de la dispersion de la repolarisation ventriculaire, est considérée comme le meilleur marqueur du risque d’arythmie ventriculaire maligne et de mort subite. Sa mesure est facilitée par les techniques informatisées d’analyse du tracé et en utilisant des techniques de traitement du signal. Une méta-analyse incluant 2 608 patients en IC d’origine ischémique ou non, constate une valeur prédictive positive de ce marqueur de 19,3 % et une valeur prédictive négative de 97,2 % [17]. La valeur prédictive du test augmente chez les patients ayant une IC. L’étude MADIT II montre qu’après deux ans de suivi chez des patients avec IC ischémique, la positivité du test était associée à un taux de mortalité de 17, 8 % comparé à 3,8 % parmi ceux n’ayant pas des critères d’alternance de T [9]. Ce signe parait avoir un pouvoir discriminant pour détecter le risque arythmique.

— L’enregistrement à haute amplification détecte des potentiels électriques microvoltés naissant des régions cicatricielles myocardiques et des régions de conduction lente. Ces anomalies sont mise en évidence chez 22 % des insuffisants cardiaques, quelle que soit l’étiologie dans notre étude. Leur absence a une bonne valeur prédictive négative à l’égard de la survenue d’arythmies ventriculaires [18]. Par contre, ce test n’a pas de valeur prédictive dans le CABG trial, proposant un DAI ou un autre traitement, au moment de la chirurgie coronaire.

Il parait avoir une faible sensibilité et spécificité [19].

— L’exploration électrophysiologique et la stimulation ventriculaire programmée sont recommandées pour l’évaluation des patients avec FE< 40 %, des antécé- dents d’infarctus et des TV non soutenues au Holter. Un insuffisant cardiaque ayant une TV inductible doit être considéré comme un patient à haut risque. La valeur prédictive de l’induction d’une TV ou d’une FV fut évaluée dans MADIT et MUSTT. Dans ces essais un test positif identifiait un groupe de patients bénéficiant de l’implantation d’un DAI avec une réduction du risque relatif de décès de 56 % et du risque de mort subite de 76 %. L’induction d’une TV permet la détection des sujets menacés de mort subite relevant d’un défibrillateur [20-21]. Mais un test négatif n’exclut pas le risque de mort subite arythmique, sa valeur prédictive négative étant seulement de 88 %. Quand le test est négatif, le risque absolu de mort subite est évalué à 12 % à deux ans, 24 % à cinq ans [21].

En pratique chez un insuffisant cardiaque avec une FE inférieure à 40 % il est recommandé de combiner les résultats des différents tests prédictifs pour définir les indications les plus pertinentes de l’implantation d’un DAI. Un taux de BNP élevé, non modifié par le traitement médical, pourrait prédire un risque élevé de mort subite. Des techniques complémentaires, faisant appel aux techniques d’imagerie IRM, écho doppler tissulaire, apporteront des informations sur l’état myocardique, la présence de zones potentiellement arythmogènes, sur le risque ischémique et le pronostic. La génétique pourra dans l’avenir permettre de détecter les patients à haut risque.

Prévention des arythmies et de la mort subite

Plusieurs classes thérapeutiques ont montré leur efficacité dans l’IC sans avoir un effet bénéfique significatif sur le risque de décès subit. Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion réduisent la mortalité totale et le nombre de rechutes chez les patients en dysfonction systolique et leur prescription est recommandée. Ils diminuent la mortalité par dysfonction ventriculaire progressive sans réduction des arythmies et des morts subites. L’éplérénone antagoniste des récepteurs de l’aldostérone, dans un essai contrôlé après infarctus, diminue la mortalité de 15 % par rapport au placebo, le pourcentage de morts subites de 21 % et de 33 % quand la FE est < à 30 % [22].

Les bêtabloquants exercent une action anti ischémique et anti arythmique remarquable, avec une réduction significative de 40 à 53 % des morts subites. Ils représentent un progrès majeur dans le traitement de l’IC et la prévention des arythmies ventriculaires.

Plusieurs grandes études randomisées ont évalué l’amiodarone en prévention primaire de la mort subite, montrant une réduction de 28 % de la mortalité globale par rapport au placebo chez des patients en IC classe III-IV, sans effet significatif sur le nombre des décès subits [23-24]]. Dans les recommandations de l’AHA / ESC, l’amiodarone, le Sotalol, sont reconnus comme un traitement possible et raisonnable pour les patients qui ont des arythmies ventriculaires bien tolérées au plan hémodynamique ou qui refusent un défibrillateur [4].

 

L’implantation de divers types de défibrillateurs, de plus en plus performants et sophistiqués, améliore la survie chez les patients ayant présenté des arythmies ventriculaires potentiellement mortelles, par rapport au traitement antiarythmique, au cours des dysfonctions ventriculaires sévères après infarctus du myocarde, après des suivis de deux à cinq ans. En prévention primaire l’implantation d’un DAI est recommandée chez des insuffisants cardiaques à haut risque d’arythmies ventriculaires quand le FE est < 35 % ou après un infarctus du myocarde avec FE égale ou inférieure à 30 % [4].

Pour les patients présentant une IC systolique et des troubles conductifs, la stimulation ventriculaire droite classique aggravant l’asynchronisme ventriculaire, une stimulation biventriculaire peut resynchroniser le cœur défaillant, entraîner une amélioration symptomatique, hémodynamique et réduire la mortalité. Cette stimulation multisite est le plus souvent associée à l’implantation d’un défibrillateur.

L’étude COMPANION montre une réduction de la mortalité globale de 24 % (p = 0,026) par rapport au traitement médical optimal, le bénéfice augmentant à 36 % avec la combinaison défibrillateur /stimulation multisite [25]. L’emploi simultané de ces dispositifs est très efficace et ne cesse de s’étendre pour des dysfonctions ventriculaires systoliques répondant mal au traitement médical optimal. C’est un indéniable progrès dans le traitement de l’IC. L’important, vu le prix de ces appareillages, le nombre croissant d’indications est de bien détecter les sujets susceptibles d’en retirer un bénéfice. Leur efficacité et une qualité de vie satisfaisante chez des sujets âgés en IC sévère parait démontrée dans une étude récente incluant plus de 4600 patients âgés de 75 ans en moyenne [26].

CONCLUSION

Les arythmies ventriculaires sont une menace constante dans toute IC et leur risque doit être systématiquement évalué. Après s’être assuré du suivi du traitement pharmacologique, la recherche de facteurs prédictifs fiables permet de poser les indications de défibrillateurs avec dans de nombreux cas une resynchronisation associée. Le respect des recommandations des sociétés savantes doit être la base des indications de mise en place des dispositifs les plus efficaces [5-7]. En quelques années on est passé de l’ère de la prévention secondaire à celle de la prévention primaire, ce qui entraîne une augmentation impressionnante du nombre de patients susceptibles de bénéficier ou non de ces appareils. Devant le nombre croissant d’IC il est indispensable de tenter de bien sélectionner les malades susceptibles de profiter des nouvelles technologies efficaces et onéreuses.

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Circ. Heart Fail., 2010 , 3, 7-13.

 

DISCUSSION

M. Yves GROSGOGEAT

Au cours de l’insuffisance cardiaque peut-on observer des substrats analogues à ceux trouvés dans la dysplasie arythmogénique du ventricule droit, ou des facteurs favorisant tels que l’aspect électrique du syndrome de la repolarisation précoce ?

Dans le groupe des arythmies ventriculaires associées à une insuffisance cardiaque dues à des cardiomyopathies dilatées primitives nous n’avons constaté aucune observation pouvant évoquer une dysplasie arythmogène du ventricule droit. Nous n’avons mis en évidence aucun des critères électriques requis sur les électrocardiogrammes en rythme sinusal, aucune dilatation ou autre anomalie classique du ventricule droit soit à l’échographie soit à l’angiographie. Mais bien sur cette étiologie est à retenir et doit être recherchée. Dans d’autres études des observations de ce type ont été incluses, les formes atypiques de dysplasies peuvent prendre l’aspect d’une insuffisance cardiaque. Les fibrillations ventriculaires « idiopathiques » liées à une repolarisation précoce ou à un syndrome de Brugada sont des étiologies à retenir mais nous n’avons pas dans notre série d’observations de ce type. Jean-Michel Haissaguerre qui a récemment publié sur un lot important de repolarisations précoces pourra vous répondre.

M. André VACHERON

Je crois que la prévalence de l’insuffisance cardiaque en France est de l’ordre de cinq cent mille patients. Pouvez-vous nous confirmer ce chiffre, nous indiquer le coût du défibrillateur automatique implantable et nous expliquer pourquoi les arythmies ventriculaires mortelles sont plus fréquentes dans les stades initiaux de l’insuffisance cardiaque ?

La prévalence de l’insuffisance cardiaque est globalement estimée à cinq ou six cent mille patients, en France, 1 % de la population entre 50 et 69 ans, 7 à 8 % au delà de 75 ans. Elle ne cesse d’augmenter, avec le vieillissement de la population, la détection de formes frustes, la généralisation de l’échocardiographie, les dosages de facteurs natriurétiques qui permettent sa détection précoce. Le prix des défibrillateurs a baissé mais il varie avec les divers types de plus en plus sophistiqués de défibrillateurs : détection de plus en plus précise, stimulation simple ou double chambre, défibrillation et possibilité de resynchronisation. Les prix vont de dix à seize mille euros. La mort subite est fréquente dans les formes initiales de l’insuffisance cardiaque et il existe une relation inverse entre le pourcentage de décès par mort subite et la classe fonctionnelle NYHA. Pour les classes débutantes, I et II, la mortalité totale est basse et la mort subite rend compte de 50 à 60 % des décès. On évoque l’intensité de la stimulation sympathique et neuro hormonale, la réduction du tonus vagal qui faciliteraient les arythmies ventriculaires.

M. Pierre GODEAU

En cas de mort subite par fibrillation ventriculaire authentifiée et ressuscitation réussie, n’est-ce pas une indication certaine de l’implantation d’un défibrillateur automatique même en présence d’insuffisance cardiaque et avec une fraction d’éjections conservées ?

Oui, c’est une recommandation de classe I niveau A, une mort cardiaque réanimée est une indication à l’implantation d’un DAI.

 

<p>* Membre de l’Académie nationale de médecine, e-mail : jean-paul.bounhoure@wanadoo.fr ** Cardiologue, CHU Rangueil — Toulouse *** Clinique Pasteur — Toulouse Tirés à part : Professeur Jean-Paul Bounhoure, même adresse Article reçu le 2 mars 2010, accepté le 10 mai 2010</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2010, 194, no 6, 997-1008, séance du 29 juin 2010