Communication scientifique
Session of 22 janvier 2008

Apports de Comète à la génétique du phéochromocytome

MOTS-CLÉS : génétique. paragangliome. phéochromocytome
Achievements of the Comete program in the genetics of pheochromocytoma
KEY-WORDS : genetics. paraganglioma. pheochromocytoma

Anne-Paule Gimenez-Roqueplo, Nelly Burnichon, Laurence Amar*, Judith Favier***, Xavier Jeunemaitre*, Pierre-François Plouin**

Résumé

Les travaux de recherche clinique et fondamentale menés sur la collection ‘‘ Phéochromocytome ’’ du réseau COMETE ont provoqué un bouleversement des connaissances sur le phéochromocytome (PH). Auparavant il était couramment admis que seuls 10 % des PH étaient génétiquement déterminés et que le caractère malin d’un PH ne pouvait être affirmé qu’à l’apparition de la première métastase. Les études de génétique humaine menées sur l’ADN des patients inclus dans le réseau COMETE ont contribué à démontrer qu’il s’agit en fait de 25 à 30 % des PH qui sont secondaires à une mutation constitutionnelle sur l’un des cinq gènes de susceptibilité (SDHB, SDHD, VHL, RET, NF1). La qualité remarquable des données de suivi postopératoire contenues dans la base informatique du réseau COMETE a permis de démontrer que l’identification d’une mutation du gène SDHB est un facteur de risque de malignité et de mauvais pronostic. Les travaux de recherche fondamentale menés sur les phéochromocytomes et paragangliomes fonctionnels collectées au sein de la tumorothèque de COMETE ont prouvé que les gènes SDHs sont de nouveaux gènes suppresseurs de tumeurs et que leur inactivation induit une stimulation anormale de l’angiogenèse. Ainsi les travaux menés depuis 2001 sur le PH au sein du réseau COMETE ont été à l’origine de nouvelles recommandations pour le conseil génétique et la pratique du test génétique du PH et ont conduit à une modification de la prise en charge des patients atteints. Ils ont de plus contribué à l’élucidation de nouveaux mécanismes moléculaires en cause dans la tumorigenèse du PH. * Département de Génétique, Hôpital Européen Georges Pompidou, 20-40, rue Leblanc, 75908 Paris cedex 15 ** Département d’Hypertension artérielle, Hôpital Européen Georges Pompidou *** Inserm, U772, Collège de France, Paris. Tirés à part : Docteur Anne-Paule GIMENEZ-ROQUEPLO, même adresse Article reçu le 10 juillet 2007, accepté le 15 octobre 2007

Summary

Clinical and fundamental research based on the pheochromocytoma cohort of the COMETE network has drastically improved our knowledge of pheochromocytoma (PH). Previously, it was widely thought that only 10 % of PH patients had familial forms and that the malignant phenotype of PH could not be diagnosed before the first metastasis had already occurred. Genetic studies of the COMETE DNA collection contributed to showing that 25 % to 30 % of patients in fact have hereditary PH, due to a germline mutation of the SDHB, SDHD, VHL, RET or NF1 genes. The high-quality post-surgical clinical data collected by the COMETE network also show that SDHB germline mutations are a major risk factor for malignancy and poor outcome. Fundamental research work on the COMETE tumour collection shows that SDH genes are new tumour suppressor genes and that succinate dehydrogenase inactivation induces abnormal stimulation of the hypoxiaangiogenesis pathway. Since 2001, work by the COMETE network has led to new recommendations for genetic counselling and genetic testing in pheochromocytoma, and also for patient management. Finally, it has identified new molecular mechanisms involved in PH-related tumorigenesis.

INTRODUCTION

Paragangliomes et phéochromocytomes au e

XX siècle

Avant 2000, les paragangliomes (PGL) étaient connus pour être des tumeurs très vascularisées, le plus souvent bénignes, localisées préférentiellement dans la tête et le cou parfois associées à d’autres tumeurs dérivées du neuroectoderme comme le phéochromocytome (PH). Les PGL de la tête et du cou (dévelopées dans le glomus carotidien, le glomus vagal, le glomus jugulaire et le glomus tympanique) étaient pris en charge par les chirurgiens oto-rhino-laryngologistes et/ou vasculaires. Ils étaient communément appelés ‘‘ chémodectomes ’’ en référence à la fonction ché- moréceptrice assurée par le glomus carotidien. Les PH étaient habituellement pris en charge en milieu endocrinologique et répondaient à la classique règle dite ‘‘ des 10 % ’’ : — 10 % de formes malignes que l’on ne pouvaient diagnostiquer qu’à l’apparition de la première métastase ; — 10 % de formes extra-surrénales thoracoabdomino-pelviennes couramment appelées PH ectopiques ; — 10 % de formes familiales où le PH faisait partie du tableau clinique de trois pathologies syndromiques génétiquement déterminées, la néoplasie endocrinienne multiple de type 2, la maladie de von Hippel Lindau et la neurofibromatose de type 1.

L’association de PGL et de PH dans un seul syndrome était expliquée par leur origine embryologique commune. En effet, les paraganglions, comme la couche médullée des surrénales, sont issus de la migration des cellules de la crête neurale à la cinquième semaine du développement embryonnaire. Les paraganglions sont intiment associés au système parasympathique dans la tête et le cou et au système sympathique dans la région thoraco-abdomino-pelvienne. Ils sont répartis tout le long de l’aorte de la base du crâne au plancher pelvien. Les sites préférentiels
d’émergence des PGL sont le glomus carotidien dans le cou et l’organe de Zuckerkandl dans l’abdomen [1]. Plusieurs grandes familles, notamment hollandaises, comprenant plusieurs sujets porteurs de PGL et/ou de PH avaient été rapportées dans la littérature suggérant qu’il existait au moins une forme génétiquement déterminée de la maladie qui fut dénommée Paragangliome Héréditaire (MIM 168000). L’observation des arbres généalogiques de ces familles avait permis de démontrer que le mode de transmission de la maladie était autosomique dominant soumis à empreinte génomique maternelle [2]. Le premier locus ( PGL1 ) associé au paragangliome héréditaire avait été localisé sur le bras long du chromosome 11 (11q23) par une étude de liaison génétique menée sur ces familles et il avait été montré qu’un ancêtre commun responsable d’un effet fondateur unissait certaines familles hollandaises [3].

Le syndrome phéochromocytome/paragangliome héréditaire

En 2000, grâce à une collaboration permettant de confronter les résultats des analyses génétiques effectuées sur les familles hollandaises et américaines, B. Baysal et al. publiaient dans la revue Science le gène responsable de la maladie. Il s’agit du gène

SDHD qui code pour la sous-unité D du complexe II mitochondrial ou succinate déshydrogénase [4]. Cette enzyme est située dans la membrane interne de la mitochondrie, exactement au carrefour entre le cycle de Krebs et la chaîne respiratoire mitochondriale. Elle comprend quatre sous-unités toutes codées par le génome nucléaire. Grâce à des études génétiques dites ‘‘ de gènes-candidats ’’, des mutations ont ensuite été très rapidement identifiées sur les gènes codants pour les sous-unités B et C de la succinate déshydrogénase chez des sujets porteurs d’une forme familiale de PGL et/ou de PH, mais aussi chez des sujets ayant une tumeur de présentation apparemment sporadique [5, 6]. Alors que le paragangliome héréditaire lié à SDHD se transmet selon le mode autosomique dominant soumis à empreinte génomique maternelle (seuls les sujets ayant reçu la mutation de leur père sont à risque de développer la maladie), les formes liées à SDHB et SDHC ont un mode de transmission autosomique dominant classique (tout sujet ayant reçu la mutation familiale dans son génome est à risque de développer la maladie quel que soit le sexe du parent qui lui a transmis la mutation). L’identification des gènes SDHs a conduit à l’unification des localisations cervicales et thoraco-abdominopelviennes en une même entité nosologique ( le Syndrome ParagangliomePhéochromocytome Héréditaire ) et à l’abandon depuis 2002 de la terminologie ‘‘ PH ectopique ’’ désormais remplacée par ‘‘ PGL fonctionnel ’’ qui correspond à un PGL sécrétant des catécholamines, le terme phéochromocytome restant exclusivement réservé aux localisations surrénales [7]. Ces découvertes ont rapidement soulevé une interrogation de la communauté scientifique sur la contribution des gènes SDHs dans la génétique du PH et du PGL fonctionnel et ont été le point de départ de plusieurs études menées par notre équipe en collaboration avec la branche ‘‘ Phéochromocytome ’’ du réseau COMETE.

LES RECOMMENDATIONS DU RÉSEAU COMETE SUR LA GÉNÉTIQUE DU PHÉOCHROMOCYTOME

Trente pour cent des PH et/ou PGL thoraco-abdomino-pelviens fonctionnels sont héréditaires

Avant 2000, la possible présence d’un PH et /ou d’un PGL fonctionnel était connue dans trois maladies familiales syndromiques. La néoplasie endocrinienne multiple de type II (NEM 2), secondaire à des mutations constitutionnelles activatrices du proto-oncogene RET , qui associe carcinome médullaire de la thyroide, hyperparathyroidie primitive et PH. En général, le diagnostic de NEM 2 est fait précocement dans l’enfance ou l’adolescence à l’occasion de la découverte d’un carcinome médullaire de la thyroïde ou d’un diagnostic familial présymptomatique chez l’enfant d’un sujet connu pour être atteint de la maladie. La maladie de von Hippel-Lindau (vHL) qui est due à des mutations perte de fonction sur le gène suppresseur de tumeurs VHL. Deux types de maladie de von Hippel-Lindau sont décrits, un vHL type 1 sans PH, comprenant cancers du rein et hémangioblastomes du système nerveux central, et un vHL type 2 où PH/PGL s’ajoutent aux manifestations précédentes. La neurofibromatose de type 1 (NF1), où le PH n’est jamais au premier plan (moins de 1 % des sujets atteints de NF1 développent un PH), induite par des mutations du gène NF1 . Le diagnostic de NF1 est essentiellement clinique basé sur la présence de critères phénotypiques majeurs comme les taches café-aulait, les neurofibromes, les nodules de Lisch, etc…. Le test génétique n’était pas recommandé dans le bilan d’un patient porteur d’un PH sauf dans les cas où les explorations paracliniques mettaient en évidence d’autres lésions typiques d’une pathologie syndromique ou si le patient avait des antécédents familiaux évocateurs [8].

Après l’identification de mutations des gènes SDHs ( SDHD , SDHB , SDHC ) chez les patients atteints de paragangliome héréditaire, ces recommandations ont été modifiées. Il est désormais préconisé une consultation de génétique et la pratique d’un test génétique ciblé chez tous les patients atteints. En effet en 2002, un premier article publié dans le New England Journal of Medicine révéla que 24 % d’une population de deux cent soixante et onze patients opérés d’un PH ou d’un PGL fonctionnel ‘‘ non-syndromique ’’ présentaient des mutations sur les gènes RET ,

VHL, SDHD et SDHB . Cependant la description d’antécédents familiaux et/ou d’autres lésions découvertes a postériori après les résultats du test génétique suggé- rait que la présentation de la maladie n’était pas réellement ‘‘ non-syndromique ’’ au sein de cette population [9]. Parallèlement, nous avons d’abord mené une étude rétrospective monocentrique chez quatre vingt-quatre patients opérés d’un PH ou d’un PGL fonctionnel d’apparence sporadique collectés par le réseau COMETE et suivis par Pierre-François Plouin à l’hôpital Broussais ou à l’hôpital Européen Georges Pompidou. Tous les patients ayant une maladie syndromique ou une
histoire familiale ont été soigneusement exclus de l’étude. Sur cette population, nous avons identifié une mutation chez 12 % des patients, portant essentiellement sur les gènes SDHB et VHL [10]. Ensuite, nous avons réalisé une étude multicentrique française comprenant trois cent-quatorze sujets opérés en France d’un PH ou d’un PGL fonctionnel. Au sein de cette grande population, cinquante-six patients avaient une maladie syndromique ou une histoire familiale, cinquante-huit un PGL fonctionnel, quarante et un, un PH bilatéral et cinquante-deux une forme maligne de la maladie. Nous avons identifié une mutation constitutionnelle délétère chez quatre vingt-six de ces sujets soit 27,4 % de la cohorte. Cependant l’analyse de la distribution des mutations selon la présentation montra clairement que la maladie n’était familiale que chez 11,6 % des deux cent cinquante-huit patients ayant un PH ou un PGL fonctionnel de présentation apparemment sporadique confirmant, sur une étude multicentrique plus large, nos premiers résultats obtenus grâce la fiabilité des données cliniques associées à la population COMETE [11]. Ainsi, par ces travaux nous avons pu établir que 25 à 30 % des PH sont génétiquement déterminés et que la moitié des PH familiaux peuvent être suspectés par le clinicien sur des critères cliniques et/ou par une enquête familiale.

L’identification d’une mutation constitutionnelle sur le gène SDHB est un facteur de risque de malignité et de mauvais pronostic

Il n’existe pas pour le moment de critères anatomopathologiques de malignité pour le PH et/ou le PGL fonctionnel. Le diagnostic de malignité ne peut être porté que tardivement à l’apparition de la première métastase. Ce risque de malignité, estimé en moyenne à 10 %, qui peut être précoce ou tardif est la principale justification d’un suivi au long cours de tous les patients opérés un jour d’un PH. La population COMETE est remarquable par la qualité de ces données de suivi et par le suivi au long cours des patients inclus. Ainsi, la moyenne de suivi de la cohorte de quatre vingt-quatre patients issus de COMETE que nous avons étudiée était de 8,5 ans.

Grâce à cette importante durée de suivi, nous avons été la première équipe à observer que la présence d’une mutation délétère sur le gène SDHB était associée à un phénotype malin de la maladie. Parmi ces quatre vingt-quatre patients, huit avaient une mutation de SDHB et sept une forme maligne de la maladie [10]. Dans notre seconde série de trois cent quatorze patients, cinquante-deux (15 %) sujets avaient une forme maligne de la maladie définie par la présence d’une métastase à distance d’un site paraganglionnaire (os, foie, ganglions lymphatiques, poumons).

Une mutation fut identifiée chez dix-huit de ces sujets dont quinze (84 %) sur le gène SDHB . Les patients porteurs d’une mutation sur SDHB avaient une présentation sporadique dans 85 % des cas, une tumeur de plus grande taille que les sujets sans mutation ou avec une mutation ne touchant pas SDHB , et une maladie le plus souvent maligne (71,4 %) [11]. Ces résultats nous ont permis de démontrer que la présence d’une mutation sur le gène SDHB est un facteur de risque de malignité pour le PH et/ou le PGL fonctionnel. Cette association reliant mutation

SDHB et malignité a depuis été confirmée par d’autres équipes [12].

Plus récemment, nous avons mené une étude rétrospective rassemblant cinquantequatre patients suivis pour un PH et/ou un PGL fonctionnel malin à l’hôpital européen Georges Pompidou, à l’hôpital Broussais, à l’hôpital Cochin et à l’institut Gustave Roussy. Parmi les facteurs de risque qui avaient été associés dans la littérature à un mauvais pronostic (taille de la tumeur, âge du diagnostic, localisation extra-surrénale, forme familiale, …) seule l’identification d’une mutation sur le gène SDHB a été retenue en analyse multivariée comme étant un facteur de risque de mauvais pronostic. La probabilité de survie à cinq ans des sujets porteurs d’une mutation SDHB est de 0,36 alors qu’elle est de 0,67 pour les sujets sans mutation

SDHB . De plus la survie moyenne est de quarante-deux mois après l’apparition de la première métastase pour les sujets porteurs d’une mutation

SDHB versus deux cent quarante-quatre mois pour les sujets sans mutation

SDHB . Ces résultats établissent de façon définitive que

SDHB est un facteur de risque de malignité mais aussi un facteur de mauvais pronostic [13].

Le réseau COMETE a donc contribué à l’identification du premier facteur de risque de malignité pour le PH. Cette avancée permet désormais de reconnaître précocement les patients à risque de développer des métastases qui devront être surveillés de façon rapprochée et à qui de nouveaux protocoles thérapeutiques, alternatifs à la seule chirurgie des métastases, devront être proposés.

Corrélations génotypes phénotypes

Ces études génétiques menées au sein du réseau COMETE ont permis de mettre en évidence des corrélations génotypes-phénotypes, utiles pour cibler les indications du test génétique. Les patients atteints de PH/PGL fonctionel porteurs d’une mutation germinale sur l’un des cinq gènes de prédisposition sont en moyenne plus jeunes que les sujets sans mutation et ont le plus souvent une tumeur bilatérale, multiple et/ou extrasurrénale. Les sujets avec une mutation de RET ont souvent un PH (tumeur surrénale) bilatéral et une histoire de carcinome médullaire de la thyroïde. Les patients porteurs d’une mutation sur le gène VHL ont volontiers une histoire de

PH/PGL fonctionnel débutant dans l’enfance et d’autres lésions associées. Cependant, dans la maladie de von Hippel Lindau de type 2C, les patients ne développent que des PH/PGL qui ont le plus souvent une présentation sporadique. Les patients porteurs d’une mutation sur SDHD ou SDHB ont souvent des PGL extrasurrénaux, les localisations surrénales de la maladie sont plus rares. Chez les patients porteurs d’une mutation SDHD , l’interrogatoire retrouve fréquemment une histoire familiale de PGL de la tête et du cou dans la branche paternelle alors que pour les patients porteurs d’une mutation du gène SDHB , la présentation est sporadique et la maladie souvent maligne. Ces données issues des études génétiques menées sur la population française ont été confirmées au niveau européen par le réseau ENS@T, extension européenne de COMETE, qui a repris les données cliniques et génétiques d’une population de six cent quarante-deux patients opérés d’un PH en Europe [14].

Le conseil génétique du phéochromocytome

La recherche en génétique menée au sein du réseau COMETE a transformé la prise en charge des patients atteints de PH/PGL. On sait désormais que plus d’un patient sur quatre a une forme génétiquement déterminée de la maladie et que 12 % des patients ayant une maladie apparemment sporadique sont en réalité porteurs d’une mutation affectant les gènes SDHB , VHL ou SDHD . De plus l’identification d’une mutation germinale a des répercussions sur le suivi du patient porteur (recherche d’autres lésions associées entrant sous le même cadre nosologique), sur son pronostic (cas des mutations SDHB ) et pour ses apparentés du premier degré qui se verront offrir la possibilité de bénéficier d’un dépistage précoce génétique, de la mutation familiale, et clinique, des tumeurs asymptomatiques de petite taille.

COMETE a proposé des recommandations pour le conseil génétique des sujets atteints de PH/PGL fonctionnel qui, conformément à la législation régissant l’analyse des caractéristiques génétiques d’une personne en France, doit se dérouler lors d’une consultation dédiée permettant d’informer le patient sur la génétique de la maladie et les conséquences d’un test positif pour lui et sa famille, d’aborder les conséquences psychologiques du test et de recueillir le consentement éclairé du patient avant la réalisation du prélèvement sanguin. Le test génétique sera prescrit de façon ciblée et ordonnée, gène par gène, après une analyse attentive des éléments cliniques du dossier du patient et après le recueil de son histoire familiale à l’aide du dessin de l’arbre généalogique [15]. Ces recommandations françaises établies à l’aide des données issues des études génétiques menées sur la cohorte COMETE ont ensuite été adoptées en Europe et aux Etats-Unis d’Amérique [14, 16].

CONTRIBUTION

DE

COMETE

AUX

ÉTUDES

FONDAMENTALES

MENÉES SUR LES PHÉOCHROMOCYTOMES SDH DÉTERMINÉS

Les gènes SDHs sont de nouveaux gènes suppresseurs de tumeurs

La principale force de COMETE est d’avoir su établir et maintenir depuis de nombreuses années une collection de tumeurs, congelées au temps opératoire, associée à des annotations biocliniques de grande qualité qui nous ont permis de mener des études de génétique fondamentale. Le premier sujet chez qui une mutation du gène SDHD a été identifiée en France était un sujet appartenant à une famille de paragangliome héréditaire dont le père et le frère présentaient des PGL de la tête et du cou. Lui-même avait été opéré d’un PGL carotidien puis d’un PGL fonctionnel médiastinal péricardique. Le PGL médiastinal avait été collecté par le réseau COMETE. Sur l’ADN extrait de cette pièce tumorale, nous avons pu démontrer que les gènes SDHs se comportaient comme des gènes suppresseurs de tumeurs en constatant que la mutation de

SDHD hétérozygote au niveau de l’ADN constitutionnel apparaissait comme homozygote au niveau de l’ADN tumoral
suggérant une perte de l’allèle normal dans la tumeur. Cette perte d’hétérozygotie a ensuite été confirmée par le génotypage des marqueurs microsatellites de la région 11q qui a révélé une délétion du bras long du chromosome 11 normal d’origine maternel dans la tumeur [17]. De même, sur un PH collecté par COMETE, d’une patiente porteuse d’une mutation constitutionnelle du gène SDHB nous avons retrouvé une perte d’hétérozygotie (délétion du bras court du chromosome 1) au niveau tumoral [18]. Ces résultats nous ont permis d’établir que les gènes SDHs étaient de nouveaux gènes suppresseurs de tumeurs.

Élucidation du lien moléculaire reliant mutations des gènes SDHs, angiogenèse et tumorigenèse

L’hypervascularisation anarchique caractéristique du paragangliome est bien connue des chirurgiens spécialisés qui, depuis longtemps, encadrent toute exérèse chirurgicale de PGL de précautions pré et per-opératoire (artériographie, embolisation, présence d’un chirurgien vasculaire, etc.) pour limiter le risque de complications vasculaires hémorragiques. Ces observations macroscopiques suggèrent l’existence d’une intense stimulation de l’angiogenèse dans ces tumeurs. Bien que le lien moléculaire reliant mitochondrie et angiogenèse n’était pas clair au moment de la découverte des premières mutations SDHs en 2000, nous avons pu confirmer dès 2001 ces observations au niveau moléculaire. En effet, nous avons observé sur des PH/PGL SDHB – et SDHD -déterminés collectés par le réseau COMETE, par immunohistochimie et PCR quantitative, une surexpression des facteurs de réponse à l’hypoxie (EPAS, HIF, VEGF, VEGF-R) sur les PH SDH -déterminés comparés au PH

RET ou NF1 -déterminés [17, 18].

La succinate déshydrogénase est une enzyme enchâssée dans la membrane interne de la mitochondrie par ses deux sous unités d’ancrage SDHC et SDHD. Dans la membrane mitochondriale, elle forme le complexe II mitochondrial, où elle participe au transfert d’électrons le long de la chaîne respiratoire mitochondriale et à la production d’ATP par la cellule. Dans la matrice mitochondriale au sein du cycle de Krebs, elle réalise l’oxydation du succinate en fumarate par l’intermédiaire de ses deux sous-unités catalytiques SDHA et SDHB. En collaborant avec Pierre Rustin et Jean-Jacques Brière (Equipe Mitochondrie , INSERM U676), nous avons eu l’opportunité de pouvoir mesurer l’activité enzymatique de la succinate déshydrogénase sur les tumeurs congelées collectées par le réseau COMETE. Nous avons démontré que l’inactivation d’un gène SDH entraîne une abolition complète et sélective de l’activité de l’enzyme. De plus nous avons observé une accumulation de succinate dans les PH SDH -dépendants qui n’est pas présente dans les autres

PH/PGL génétiquement déterminés. Cette accumulation de succinate entraîne un déséquilibre de la balance succinate/oxaloglutarate qui sont tous deux des intermé- diaires du cycle de Krebs mais aussi des cofacteurs des prolyhydroxylases. Les prolylhydroxylases réalisent l’hydroxylation de deux résidus proline du facteur de transcription HIF (hypoxia inducible factor) qui est nécessaire à sa dégradation par

Avant 2000 :

Phéochromocytome : tumeurs sécrétant des catécholamines, localisées préfé- rentiellement dans la médullosurrénale, et répondant classiquement à la règle des 10 % :

— 10 % de formes extrasurrénales appelées phéochromocytomes « ectopiques », — 10 % de formes malignes, — 10 % de formes familiales Paragangliome ou chémodectome : tumeurs très vascularisées de la tête et du cou Entre 2000 et 2007 1. Changement de la Nomenclature :

Le terme phéochromocytome est réservé aux localisations surrénales.

Les localisations extrasurrénales sont désormais dénommées des paragangliomes fonctionnels 2. Le conseil génétique a été intégré dans la prise en charge de tous les patients car :

— 30 % des phéochromocytomes et/ou des paragangliomes fonctionnels (et non pas 10 %) sont génétiquement déterminés, — l’identification d’une mutation du gène SDHB est un facteur de risque de malignité et de mauvais pronostic, — le diagnostic du caractère familial de la maladie modifie la surveillance du patient atteint et offre l’opportunité d’un dépistage précoce des tumeurs chez ses apparentés du premier degré.

3. Mise en évidence du rôle du métabolisme mitochondrial dans l’angiogenèse des PH/PGL

FIG. 1. — Les avancées récentes de la génétique du phéochromocytome la voie du protéasome. En absence d’hydroxylation HIF ne peut pas être dégradé. Il est stabilisé et va pouvoir activer, de façon constitutive et en conditions normoxiques, ces principaux gènes cibles comme le VEGF [19]. C’est ce mécanisme qui explique l’hypervascularisation caractéristique des PH/PGL et qui participe très vraisemblablement à la tumorigenèse [20].

CONCLUSION

Le réseau COMETE a largement contribué ces dernières années aux importants progrès réalisés dans le domaine de la génétique du PH (Figure 1). L’avancée
clinique majeure a été de démontrer que le test génétique du PH/PGL fonctionnel devait être proposé systématiquement à tout patient atteint. En effet, l’identification d’une mutation permet désormais d’orienter le suivi des patients, d’identifier les patients à haut risque de récidive et de localisations secondaires et de dépister précocement ces lésions chez les sujets à risque. Il est probable que cette possibilité de prise en charge précoce, ouverte par l’avènement du test génétique, puisse désormais permettre de réduire la morbidité des formes génétiquement déterminées et la mortalité des formes liées au gène SDHB . Sur le plan fondamental, COMETE a permis d’aider les chercheurs à démontrer in vivo les liens reliant inactivation de la succinate déshydrogénase et angiogenèse et de progresser vers la compréhension du rôle du dysfonctionnement du cycle de Krebs dans le cancer. Ces découvertes devraient ouvrir, dans un futur proche, la possibilité de proposer des thérapeutiques innovantes, alternatives à la seule chirurgie, aux patients atteints.

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DISCUSSION

M. Jacques-Daniel SRAER

Les anomalies entraînant une néoangiogénèse sont-elles spécifiques des tumeurs de type phéochromocytome ou les voit-on dans d’autres tumeurs coliques, rénales ou autres qui sont aussi le siège d’une néovascularisation importante ?

L’importante stimulation de l’angiogenèse observée dans les phéochromocytomes d’origine génétique est spécifique des phéochromocytomes SDH ou VHL dépendants. Elle est maintenant bien expliquée au niveau moléculaire par la stabilisation anormale du facteur de réponse à l’hypoxie HIF. En effet, sécrété de manière constitutive, il ne peut pas être normalement dégradé en présence d’une accumulation de succinate dans les formes SDHs ou lorsque la protéine VHL est non-fonctionnelle. Bien évidemment d’autres types de cancers peuvent être le siège d’une néovascularisation importante comme les cancers du rein qui répondent bien aux molécules antiangiogéniques. Ainsi, nous pensons que les molécules anti-angiogéniques pourraient être un espoir thérapeutique pour les patients atteints de ces formes particulières de phéochromocytomes.

M. Alain LARCAN

La découverte surprenante de ces anomalies de la succinate déshydrogénase dans les para-gangliomes remet-elle en cause la distinction habituelle entre phéochromocytomes
ectopiques et para-gangliomes métamériques sécrétants ou non ? Cliniquement, avez-vous connaissance dans votre série de cas de myocardites adrénergiques et surtout de collapsus, souvent en rapport avec une nécrose hémorragique de la tumeur ? Enfin, j’attire l’attention sur l’intérêt exceptionnel pour l’histoire des sciences, de la médecine et de l’endocrinologie, de la publication de Neumann et coll. de Fribourg qui ont pu retrouver à la troisième et à la quatrième génération des descendants de Minna Roll (de Winterweier, près de Lahr) qui était l’observation princeps de phéochromocytome, publiée par Félix Fränkel en 1888 comme étant un angiosarcome bilatéral surrénalien. Or il s’agissait d’une tumeur chromaffine, d’un phéochromocytome héréditaire et même d’une forme NEM2 comportant dans la descendance également des cancers médullaires de la thyroïde. L’anonymat aurait rendu impossible cette étude…

La découverte des mutations des gènes

SDHs dans les phéochromocytomes a entraîné un changement important de la nomenclature. Ainsi, désormais le terme de phéochromocytome désigne uniquement les tumeurs sécrétant des catécholamines développée aux dépens de la médullosurrénale. Le terme ancien de phéochromocytome ectopique, désignant une tumeur sécrétant des catécholamines développée en dehors de la médullosurrénale, doit être remplacé par le terme de paragangliome fonctionnel. Effectivement le diagnostic de phéochromocytome peut être posé dans des circonstances exceptionnelles de choc cardiogénique secondaire à une brutale dysfonction ventriculaire gauche induite par une très importante décharge catécholaminergique. Ce syndrome, dénommé par les auteurs japonais ‘‘ cardiomyopathie de Takotsubo ‘‘ a été le mode de découverte de la maladie chez quelques patients de la cohorte COMETE mais il ne semble pas spécifique d’une forme génétique particulière de la maladie. Enfin, l’élucidation récente du caractère héréditaire de la célèbre observation de Felix Fränkel, reconnue comme étant le premier cas de phéochromocytome décrit dans la litérature, nous permet d’illustrer les progrès récents de la génétique du phéochromocytome et d’insister sur l’importance de proposer un test génétique à tout patient opéré d’un phéochromocytome. Comme pour la famille de Minna Roll atteinte d’une néoplasie endocrinienne de type IIA, la mise en évidence d’une mutation délétère sur un gène de susceptibilité sera un élément extrêmement important pour la prise en charge et la surveillance du patient et de sa famille.

M. Pierre GODEAU

Le Pet Scan au 18 fluorodeoxyglucose est-il un marqueur d’angiogénèse ou seulement d’activité métabolique ?

Le 18F-deoxyglucose (FDG) reste à l’heure actuelle le seul traceur utilisable en France, en routine, en tomographie par émetteurs de positons (TEP). Cependant, il permet simplement de visualiser la consommation en glucose de la cellule, il n’est donc pas spécifique et des fixations peuvent être observées en cas de processus inflammatoires. Il a surement un intérêt pronostique dans les phéochromocytomes SDHB dépendant où, d’après les travaux récents du NIH, il semble détecter précocement les métastases. Pour le diagnostic de phéochromocytome ou de paragangliome, le 18F-DOPA et/ou le 18F-dopamine semblent plus intéressants. Ces radio-ligands ciblent la biosynthèse et la recapture des catécholamines et semblent plus spécifiques des tumeurs médullosurrénales.

Bull. Acad. Natle Méd., 2008, 192, no 1, 105-116, séance du 22 janvier 2008