RAPPORT
Au nom de la Commission XIV (Enseignement et problèmes hospitalo universitaires)
Analyse de l’enquête sur les Chefs de service des Hôpitaux Généraux.
Propositions de l’Académie nationale de médecine
Louis F. HOLLENDER En 2000, l’Académie nationale de médecine avait réalisé une enquête sur la désaffection pour les carrières hospitalo-universitaires et formulé une série de propositions afin d’y remédier (Rapport adopté lors de la séance du 14 novembre 2000 1). Se préoccupant du malaise qui règne dans les hôpitaux généraux, l’Académie nationale de médecine a décidé de compléter ce travail par une seconde enquête portant sur ces hôpitaux. Un questionnaire, adressé à plus de 1 300 chefs de service, a recueilli 956 réponses ! Les informations ainsi obtenues ont fait l’objet d’une étude statistique approfondie par Madame le Professeur Jacqueline Igersheim et son équipe de l’UFR des Sciences Sociales de l’Université Marc Bloch de Strasbourg.
Les conclusions de cette étude dénoncent dans les hôpitaux généraux un très grand mal-être : 56 % des chefs de service jugent leur situation défavorable, 87 % pensent, que leurs conditions d’exercice se sont nettement détériorées, ce qui est beaucoup plus grave. Ces résultats globaux demandent certes à être quelque peu modulés, puisque 44 % des médecins interrogés sont satisfaits de leur situation, sans qu’il y ait de relation avec l’âge, la discipline ou le sexe. Mais il est difficile de dissocier dans les réponses à ce questionnaire — adressé aux seuls chefs de service — ce qui est spécifique de la responsabilité de chef de service de ce qui relève de la fonction de praticien hospitalier.
Les interventions de l’administration sont souvent malvenues et jugées difficilement tolérables, dans leurs modalités actuelles, par 37 % des chefs de service. 68 % d’entre eux incriminent l’ « hégémonie administrative » (p. 28) comme facteur majeur de la dégradation de leurs conditions d’exercice.
1. Bull. Acad. Natle Méd., 2000, 184 , no 8, 1749-1753.
L’insuffisance globale du nombre de médecins et le nombre important de postes vacants sont régulièrement soulignés. C’est ainsi que 32 % des services ont au moins un poste vacant, 41 % font appel à des médecins étrangers à diplôme non européen, tandis que 56 % des services ne peuvent fonctionner qu’avec des vacataires. Une situation qui ne fera que s’aggraver dans les années à venir, malgré l’assouplissement du numerus clausus , qui ne sera pas corrigé avant 10 ans !
La pénurie croissante en infirmières qui va de pair avec le nombre insuffisant de collaborateurs médecins, est tout aussi péniblement ressentie.
La réduction du temps de travail, le passage aux 35 heures et l’application des directives européennes créent une difficulté majeure pour 68 % des médecins consultés. Imposées et inadaptées aux hôpitaux, ces réformes sont souvent un détonateur supplémentaire au mécontentement des chefs de service.
Ce mécontentement apparaît lié non pas à un seul, mais à tout un ensemble de facteurs. Il en résulte du découragement et même de la colère, de voir l’hôpital abandonner sa fonction de service public assurant l’égalité et l’excellence des soins, alors que cet idéal avait été, pour un certain nombre de chefs de service, un déterminant important de leur engagement dans le plein temps hospitalier.
L’Académie nationale de médecine n’a certes pas pour vocation d’élaborer une réforme d’ensemble des hôpitaux généraux. Toute modification devra cependant tenir compte des 10 propositions suivantes, dont certaines rappellent les conclusions du rapport du 14 novembre 2000 :
1. Les décisions hospitalières d’ordre médical ne peuvent être prises que sur proposition des médecins et en accord avec eux. Ils en seront les exécutants et sans leur entière adhésion rien de ce qui touche aux soins ne pourra être amélioré. Les médecins doivent être plus étroitement associés aux prises de décisions, même en matière financière. Aussi, compte tenu de leurs responsabilités, l’Académie souhaite la création d’une direction médicale à côté de la direction administrative comme cela est le cas dans la majorité des pays européens. Elle insiste en même temps sur la nécessité de revoir la composition de la Commission médicale d’établissement et de renforcer les prérogatives de son Président. La régionalisation des décisions permettra de mieux prendre en compte les besoins réels, même si les objectifs de la santé publique doivent être définis sur le plan national.
2. Il faut alléger la lourdeur des tâches administratives improductives imposées aux chefs de service et diminuer la pression de l’administration.
Ainsi sera évitée une perte de temps préjudiciable aux soins aux malades, qui doivent demeurer l’objectif prioritaire du corps médical. Cette mesure libérera le temps nécessaire à la participation des médecins à un travail plus
efficace, concernant la gestion de leur service et l’orientation de l’hôpital.
Une formation à la gestion, souhaitée par 66 % des praticiens, doit être encouragée.
3. L’autorité du Chef de Service sur son personnel médical et paramédical ainsi que sur le choix de ses collaborateurs doit être rétablie et affirmée. La nouvelle appellation « direction de soins » qui remplace celle de « direction des soins infirmiers » n’est pas acceptable, car les décisions thérapeutiques appartiennent aux médecins.
4. Il est important d’associer les services et les fédérations de services des hôpitaux généraux, qui ont fait la preuve de leur dynamisme, aux structures universitaires pour l’enseignement et la recherche, en fonction du volontariat des intéressés, de leurs compétences et de leurs qualifications.
La constitution dans chaque discipline de réseaux optionnels avec le CHU le plus proche, s’inscrirait très judicieusement dans une telle perspective, ainsi que la possibilité d’obtenir une reconnaissance universitaire de durée limitée pour les PH.
5. Il est nécessaire de mieux organiser pour les médecins des hôpitaux généraux la possibilité régulière de se perfectionner (congrès, réunions scientifiques ou d’information) et de faciliter la prise en charge financière de leurs déplacements.
6. Un temps suffisant doit être réservé à la formation interne. Chaque service ou au moins chaque hôpital, devrait disposer d’un local de réunion, d’une bibliothèque et de moyens informatiques, permettant la mise à jour des connaissances. L’hôpital général doit constituer un véritable centre de formation, un modèle du système de soins, un lieu de réunions privilégié de perfectionnement, pour les médecins libéraux.
7. La complémentarité entre les hôpitaux généraux et les établissements privés , particulièrement en chirurgie, devrait être approfondie et encouragée.
8. Si les médecins des hôpitaux généraux doivent être d’une haute compé- tence et responsables, en retour, leur travail doit être reconnu et honoré, pour les charges assurées.
Le corps médical subit une profonde mutation . Elle est due à l’apparition d’une génération dont les aspirations et les priorités sont différentes de celles des générations précédentes, ainsi qu’à l’augmentation du nombre de femmes qui choisissent de préférence les spécialités moins contraignantes.
S’y ajoutent la réduction du temps de travail à 35 heures et la réglementation européenne imposant une récupération après les gardes. Il s’avère de ce fait indispensable d’accroître le personnel hospitalier médical et paramédical et de développer à nouveau le temps partiel. Mais ce renforcement ne
sera efficace et constructif, que si les nouveaux médecins trouvent un outil de travail motivant et des relations harmonieuses avec les autres catégories professionnelles.
9. Les directives relatives à la médecine émanant du Comité Permanent des
Médecins Européens de Bruxelles (particulièrement dans le domaine des gardes et du repos compensateur) devraient faire l’objet d’une révision par les autorités gouvernementales nationales et d’une éventuelle consultation auprès des instances les plus représentatives, qui sont seules à même d’apprécier l’implication de ces mesures sur le fonctionnement des hôpitaux, tout en tenant compte des objectifs et des habitudes nationaux.
10. L’Académie rappelle la nécessité d’informer la population sur la santé. Les autorités de tutelle doivent donner l’ information indispensable à nos concitoyens , sur leur santé, son prix, ce qu’il faut faire pour la conserver.
De vastes campagnes d’information doivent être réalisées par les pouvoirs publics et porter sur le coût de la santé, la prévention, le bon usage des médicaments, et la définition de ce que doit prendre en charge la solidarité nationale. Il convient aussi de relever le fait que si tout individu a droit à des soins médicaux de qualité, cette dernière suppose des investissements qui ne peuvent être réalisés dans des petits hôpitaux ruraux, ce qui rend un regroupement des moyens indispensable.
Ayant mis en évidence par deux enquêtes successives, dont les résultats sont concordants, les problèmes majeurs que rencontre l’hospitalisation en France, l’Académie nationale de médecine, conformément à sa mission, tient ainsi à contribuer à l’avenir de notre système de santé.
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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 28 janvier 2003, a adopté ce rapport à l’unanimité.
Bull. Acad. Natle Méd., 2003, 187, n° 1, 179-182, séance du 28 janvier 2003