Communication scientifique
Séance du 30 octobre 2007

Alphonse Laveran, élève de l’École impériale du service de santé militaire de Strasbourg

Louis F. Hollender*

Alphonse Laveran, élève de l’École Impériale du Service de Santé Militaire de Strasbourg

Louis F. HOLLENDER*

Le 29 octobre 1863, le jeune Alphonse Laveran est reçu sur concours à l’École Impériale du Service de Santé Militaire, près la Faculté de Médecine de Strasbourg, classé quatrième sur les cent candidats admis, avec la note no 1, ce qui correspond à l’appréciation « extrêmement satisfait ». Dès la proclamation des résultats, il écrit à ses parents : « Je suis reçu avec le no 1. J’espère que j’arriverai à Paris lundi matin, si toutefois Rouis veut me donner ma permission ». J.L. Rouis, qui était à l’époque médecin principal sous-directeur de l’École, lui donne son accord et l’intendant militaire lui remet « la somme de 23 francs et 57 centimes pour indemnité de route et transport de Strasbourg à Paris ».

Après cet aller-retour, Laveran revêt l’uniforme des carabins rouges, conscient dès le départ qu’il n’aura pas la tâche facile, car il porte un nom qui engage et responsabilise. En effet, son père, Louis-Théodore Laveran est Directeur du Val-de-Grâce, titulaire de la Chaire des Maladies et Épidémies des Armées, créée spécialement pour lui. Et par sa mère, il est le petit-neveu des Généraux Charles et Henri Lallemand, lesquels s’étaient illustrés sous Napoléon 1er entre autres à la bataille de Waterloo, le premier dans la cavalerie, le second dans l’artillerie. Alphonse Laveran va donc suivre un enseignement théorique à la Faculté de Médecine, et une formation pratique à l’hôpital militaire et aux Hospices Civils.

Parcourons pour commencer, le registre de la Faculté afin d’y retrouver le jeune Laveran. Nous en retiendrons les deux pages relatant la « situation militaire et morale de M. Laveran », « excellent étudiant sans échec qui n’a que les notes « bien satisfait, très satisfait, extrêmement satisfait, très distingué ».

À la fin de la première année, le 6 août 1864, Amédée Cailliot, Professeur de chimie médicale écrit au père d’Alphonse : « Recevez mes félicitations, M.

votre fils vient de passer avec une grande distinction son premier examen du doctorat. Il a obtenu le no 1. C’est un charmant jeune homme, studieux, attentif,
désireux de s’instruire et, qualités plus précieuses encore, il paraît si bon, si doux, si affectueux. J’en suis certain, il sera toujours pour ses parents, une cause de satisfaction ».

Et le lendemain 7 août 1864, le doyen Charles-Henri Ehrmann en personne enverra la missive suivante : « Je veux être le premier à vous annoncer que votre fils a couronné l’œuvre de ses épreuves en emportant à son examen d’aujourd’hui la note « très distingué ». Il ira se reposer dans le sein de sa famille, de son travail et de son application, pour revenir cueillir de nouveaux lauriers à la prochaine rentrée de l’Académie ».

À la Faculté, Alphonse Laveran a plusieurs Maîtres de grande valeur :

— Charles-Henri Ehrmann, chirurgien, précurseur de l’asepsie chirurgicale et de la chirurgie du larynx, et aussi titulaire de la Chaire d’anatomie pathologique.

— Charles-Basile Morel, pionnier de l’histologie, qui initiera Laveran à la pratique du microscope et à l’examen attentif des lésions anatomopathologiques.

— Émile Küss, physiologiste, dermatologue, mais aussi homme politique, haut en couleur, illustre ancêtre de notre ancien Président.

— Charles Schützenberger, clinicien et apôtre de la pédagogie médicale Le 29 novembre 1867, Alphonse Laveran soutient sa thèse sous la présidence de Émile Küss avec Charles Morel, Henri Beaunis (1830-1921) Professeur d’anatomie descriptive et d’embryologie, Victor Stoeber comme membres du Jury. Le sujet en est : « Recherches expérimentales sur la régénération des nerfs ». Une première partie est rédigée dans un esprit critique extraordinaire pour un jeune doctorant qui pose au départ trois exigences fondamentales :

celle d’une observation histologique rigoureuse, d’une référence fonctionnelle des modifications structurales de la fibre nerveuse, la dernière étant celle d’une critique tout aussi stricte des données de la morphologie. Alphonse Laveran y réfute à la fois les théories de « l’autogénie des nerfs » de Vulpian, et la conception de Waller qui niait toute possibilité de régénération du segment distal sectionné. En fait, Laveran montre de façon péremptoire que la régéné- ration des nerfs est possible, mais dans des conditions expérimentales, pathologiques et/ou réparatrices bien précises. Et, il fallait de l’audace pour briser, à son âge, d’anciens tabous. Dans la deuxième partie expérimentale, Laveran démontre de façon incontestable, qu’à une section du nerf sciatique chez le lapin, ou du nerf médian chez le pigeon, fait suite, en des conditions minutieusement définies, une régénération des fibres nerveuses séparées de leur centre trophique, objectivée par l’examen histologique et prouvée par la récupération fonctionnelle.

Ce qui frappe quand on parcourt ce travail, c’est la clarté et la rigueur de la pensée, jointes à un indiscutable talent d’écriture. Et, Laveran s’y révèle déjà un chercheur rigoureux et un précurseur.

Un an plus tard, le 5 décembre 1868, le Recteur de l’Académie de Strasbourg enverra à Alphonse Laveran la lettre suivante : La commission chargée de signaler à son Excellence le Ministre de l’Instruction Publique, parmi les thèses soutenues devant la Faculté de Médecine de Strasbourg pendant l’année scolaire 1867-1868, celles qui sont les plus remarquables et qui offrent un mérite absolu réel, a jugé digne d’une mention honorable votre thèse intitulée « Recherches expérimentales sur la régénération des nerfs ». Cette thèse est un travail scientifique fait avec beaucoup de précision, réunissant les preuves qui établissent les régénérations des nerfs et ajoutant quelques faits de détail à une importante question de physiologie.

Venons-en à présent au côté hospitalier. Le jeune Alphonse est admis le 15 décembre 1865, au concours d’Externat et, le 13 décembre 1866, au concours d’Internat des Hôpitaux de Strasbourg ; trois places d’internes étant réservés aux candidats militaires, il est reçu troisième. Etudiant austère, Laveran se pliera de bonne grâce au règlement de l’Internat, alors très sévère et particulièrement strict. Il passera successivement dans les Services des Professeurs Charles Schützenberger en Clinique et Pathologie internes, Gabriel Tourdes, Clinique des Maladies des enfants et Institut de Médecine légale, Mathieu Hirtz en Clinique Médicale et chez François Herrgott agrégé d’obstétrique.

À l’École de Santé militaire, Laveran est sous les ordres du directeur de l’Ecole qui n’est autre que Charles Sédillot, le brillant chirurgien d’une très grande habileté et innovateur dans de nombreux domaines. Sédillot préférant de loin le bloc opératoire et ses malades à la paperasserie administrative, laissera le sous-directeur Jean-Louis Rouis diriger l’École. Or, Rouis, homme fort rigide, est la « tête de turc » de ses élèves, lesquels se font grand plaisir de le railler.

Si Laveran ne se départira pas de solidarité avec ses camarades, il s’abstiendra cependant d’être parmi les meneurs. Ces derniers ont dû y aller plutôt fort, si l’on en croît la correspondance retrouvée et qui fait état de deux lettres de Jean-Louis Rouis au père d’Alphonse Laveran : — la première date du 13 juillet 1864 — « N’en veuillez pas à M. votre fils si son chiffre de classement a baissé ;

il n’y a pas de sa faute ; c’est une affaire de classement périodique et dès lors variable dans quelques limites. M. votre fils est un modèle à tous égards.

Lorsque la fameuse chanson et la caricature qui l’accompagnait, ont paru, M.

Sédillot était à Paris ; j’ai donc eu carte blanche, et j’ai envoyé à la prison de la citadelle quatre meneurs ou chanteurs pris en flagrant délit. Depuis lors, tout est rentré dans l’ordre ; je n’ai eu à regretter qu’une espièglerie qui a consisté à me signaler à un journal comme ayant deviné un rébus ou une charade.

Toutes ces affaires sont dues aux élèves amenés par le dernier concours. Mon impassibilité inquiète beaucoup ces élèves ; d’ailleurs le moment de ces
infractions est déjà éloigné et je crois qu’il vaut mieux faire semblant de les oublier. Je dois ajouter que mon autorité n’a jamais été méconnue dans l’École, même dans les démonstrations les plus violentes et les plus générales. Les élèves ne pourront cependant jamais dire que j’ai eu recours à des moyens extrêmes pour les réduire ; il m’a suffi de paraître pour que l’ordre se rétablît, tant à ce qu’ensuite des mesures disciplinaires modérées ou de simples admonitions eussent lieu. Toutefois, en cas de nouveaux excès de leur part, il se pourrait fort que je fisse le (..) de ma dignité personnelle, et qu’une enquête supérieure fût provoquée par moi, ainsi que vous avez bien voulu m’en donner le conseil ».

La seconde lettre, toujours de J.-L. Rouis, est datée du 19 juillet 1867 : « Dans quelques jours, M. votre fils touchera au terme de sa scolarité. Je suis heureux de pouvoir vous apprendre que depuis Pâques nous n’avons eu aucune observation à lui adresser au point de vue de la discipline. Je me plais également à espérer que le prochain classement le conduira à figurer en première ligne. Mais pour cela il est indispensable que les examens lui valent le plus grand nombre de points possible. En effet, les répétitions ne permettront guère de le classer au dessus du no 3. Il faut donc qu’il déploie un effort suprême et vos bonnes exhortations l’aideront puissamment à y parvenir. Nous n’avons rien de très nouveau à l’École. J’ai lieu de croire que tout s’y terminera paisiblement cette année ».

En 1867, le docteur Alphonse Laveran sort de l’École de Santé Militaire de Strasbourg avec le no 2 pour entrer à l’École d’application du Val-de-Grâce à Paris où il est reçu premier. Le 2 décembre 1867, Sédillot écrira à son père :

« Voici votre fils docteur avec la note « extrêmement satisfait » et nous vous le rendons au terme de ses études, digne du nom qui vous fait partout accueillir favorablement et qu’il a très honorablement porté. Je suis très heureux de ses résultats et partage la satisfaction si légitime qu’ils doivent vous causer ».

Alphonse Laveran se plaisait à dire : c’est à Strasbourg, grâce à l’École Militaire et à la Faculté civile que j’ai appris la rigueur. Et, d’après les documents consultés, Alphonse Laveran a laissé de son passage à l’École de Santé Militaire de Strasbourg, le souvenir d’une remarquable disponibilité intellectuelle, et d’une éducation faite de tact et de courtoisie.

La Faculté de Médecine de Strasbourg a perpétué le souvenir de son ancien étudiant par la création du prix de thèse Laveran, par une plaque commémorative de l’œuvre de Laveran apposée sur le bâtiment de l’ancienne École impériale du Service de Santé Militaire de Strasbourg, dévoilée en mai 1980 par le Professeur Garnham la plus haute autorité mondiale en ce temps en malariologie, par le tableau de la salle des Commissions et par le nom du Laboratoire de la Clinique Médicale A. Mais c’est surtout dans le cœur de nous tous, qu’ il continue à vivre car il est pour notre Faculté à la fois une gloire et un exemple.

* Membre de l’Académie nationale de médecine.

Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, no 7, 1305-1308, séance du 30 octobre 2007