Communication scientifique
Séance du 7 novembre 2006

Adolescences physiologiques, adolescences pathologiques

MOTS-CLÉS : adolescent. dépression. psychologie de l’adolescent. schizophrenie. suicide. trouble bipolaire. troubles de l’alimentation. troubles lies a une substance.. troubles phobiques
Physiological adolescence, pathological adolescence
KEY-WORDS : adolescent. adolescent psychology. bipolar disorder. depression. eating disorders. phobic disorders. schizophrenia. substance-related disorders. suicide

Jean-Pierre Olié, David Gourion, Olivier Canceil, Henri Lôo

Résumé

Mal-être, incertitudes face aux conditions de vie à l’âge adulte, nostalgie de l’enfance fondent la crise de l’adolescence. Attitudes de révolte, conflits avec l’environnement, échecs d’orientation scolaire ou sociale, mise en danger de soi ne sont pas synonymes de menaces d’évolution psychopathologique. Il appartient au médecin de savoir discerner les indices préoccupants tels que dysmorphobie, angoisse existentielle ou sentiment de vide, rupture de la trajectoire scolaire ou sociale. Trop souvent l’identification d’un trouble psychiatrique n’est faite que tardivement, après plusieurs années d’évolution.Le suicide est la deuxième cause de mortalité à l’adolescence. Tout geste suicidaire impose une évaluation au cours de quelques jours d’hospitalisation en milieu psychiatrique. Les antidépresseurs peuvent être nécessaires et utiles chez l’adolescent déprimé : c’est bien la dépression et non les antidé- presseurs qui pose une grave question de santé publique.Les troubles des conduites alimentaires sont surtout fréquents chez la jeune fille. Il importe d’identifier les comorbidités psychiatriques : schizophrénies, dépression, trouble obsessionnel compulsif, et de prendre au sérieux le risque vital.Les usages et abus de toxiques sont fréquents à l’adolescence : près de la moitié des jeunes adolescents en France ont consommé une fois au moins du cannabis. Là encore il importe d’identifier les comorbidités psychiatriques.La phobie est un trouble anxieux trop méconnu. Elle peut s’organiser en trouble chronique générateur de souffrance et de handicap.Enfin deux grandes pathologies psychiatriques débutent à l’adolescence : schizophrénies et troubles bipolaires. Il faut évoquer ces diagnostics aussi précocement que possible pour mettre en œuvre des stratégies thérapeutiques adaptées. Il convient de dénoncer l’usage trop fréquent du diagnostic d’état limite, écran à un diagnostic plus précis et entrave à des thérapeutiques dont l’efficacité sera amoindrie par le retard à les mettre en œuvre.

Summary

The uncertainties of looming adulthood, nostalgia for childhood, and a general malaise explain the crisis of adolescence. Rebellion, conflict, occasional failure at school or in society, and at-risk behaviors are not always signs of future psychiatric illness. In contrast, the physician must be in a position to identify tell-tale signs such as dysmorphophobia, existential anxiety, a feeling of emptiness, and school or social breakdown. Most psychiatric disorders that begin in adolescence are only diagnosed several years after onset. Yet early diagnosis is of utmost importance, as treatment becomes less effective and the long-term prognosis worsens with time. Suicide is the second cause of death during adolescence. All signs of suicidal behavior require hospitalization and evaluation in a psychiatric unit. Antidepressants may be necessary in adolescence. The recent controversy concerning a possible increase in the suicidal risk during antidepressant treatment should not mask the fact that the real public health issue is depression, and not antidepressants. Eating disorders are especially frequent among adolescent girls ; it is important to identify psychiatric comorbidities such as schizophrenia, depression and obsessive-compulsive disorders, and to assess the vital risk. Illicit drug and alcohol consumption are frequent during adolescence ; for example, close to half of all French adolescents have tried cannabis at least once. Once again, it is important to detect psychiatric comorbidities in substance-abusing adolescents. Phobia is an underdiagnosed anxiety disorder among adolescents ; it may become chronic if proper treatment is not implemented, leading to suffering and disability. Finally, two major psychiatric disorders — schizophrenia and bipolar disorder — generally begin in adolescence. Treatment efficacy and the long-term prognosis both depend on early diagnosis. Treatment must be tailored to the individual patient. ‘‘ Borderline ’’ states are overdiagnosed, hindering more precise diagnosis and delaying appropriate treatment.

ADOLESCENCES NORMALES ET PARANORMALES

Il est admis que l’adolescence est une étape de sollicitation des capacités d’adaptation face aux transformations somatiques, psychologiques et/ou sociales. Certaines plaintes ou manifestations doivent attirer l’attention de l’entourage et du médecin :

préoccupations dysmorphophobiques ou trop irrationnelles ; angoisses existentielles avec interrogations permanentes sur le sens de la vie ; incertitude quant à l’identité voire attirance ésotérique envahissante ; incapacité ou refus d’adhérer à quelque activité scolaire ou sociale avec rupture par rapport au niveau de fonctionnement antérieur.

Dysmorphophobie ou psychose de la laideur (portant volontiers sur le poids, la taille, les organes génitaux ou l’aspect du visage), rationalisme morbide (la raison tourne à vide, repliée sur elle-même au lieu de s’appliquer aux situations concrètes), apragmatisme et retrait sont des indices d’un risque psychopathologique dont la reconnaissance doit être la plus précoce possible pour la mise en place des modalités
d’aide adaptées. Le concept de « crise d’adolescence » ne doit pas faire ignorer l’apparition d’une psychopathologie débutante de l’adolescent : malheureusement, les délais entre les prémices de troubles mentaux débutant à l’adolescence, le dépistage, le diagnostic et le premier traitement sont souvent de l’ordre de plusieurs années.

La complexité du diagnostic tient à ce que certaines difficultés passagères sont fréquentes au cours d’une « crise d’adolescence », sans véritable signification psychopathologique. Il peut s’agir d’un mal-être face aux incertitudes concernant l’avenir, ou encore d’une pénible nostalgie de la période de l’enfance.

Ce peut être aussi l’émergence d’attitudes de provocation ou de révolte, causes ou conséquences d’une situation conflictuelle plus ou moins ouverte avec l’environnement, notamment les parents, ou bien encore une succession d’échecs des différentes tentatives d’insertion sociale avec incapacité à choisir et à s’engager dans une orientation universitaire ou professionnelle susceptible de correspondre aux aptitudes et aspirations personnelles.

Il ne faut pas méconnaitre l’importance, chez certains adolescents, du désarroi face aux transformations physiques et biologiques rapides : modifications de la morphologie du corps et du visage, du poids, apparition du désir sexuel, sont susceptibles de bouleverser l’estime de soi et les relations aux autres.

Ces paramètres psychobiologiques, les soubresauts des interactions avec l’environnement familial et l’influence des pairs, peuvent aboutir à l’émergence de comportements à risque. Abus d’alcool, consommation de toxiques, conduites provocatrices jusqu’à devenir délictueuses, mises en danger de soi ou d’autrui dans une confrontation aux limites du possible, quêtes de sensations ou d’expériences nouvelles, besoin de s’affirmer face à soi-même ou aux autres, risquent de modifier la trajectoire de développement d’une personnalité achevant sa gestation et son aboutissement à l’âge adulte.*

Conflit relationnel ou générationnel ne signifie pas négativisme psychotique ; échec scolaire n’est pas synonyme de décrochage définitif ; conduites à risques ou ordaliques (sous le jugement de Dieu) ne sont pas toujours équivalents suicidaires.

Le « modelling » des conduites sous l’influence des pairs, cheminement à valeur initiatique permettant l’intégration au groupe, est un puissant déterminant de bien des comportements de l’adolescent. Le long parcours jusqu’au baccalauréat n’est pas, loin de là, la seule épreuve initiatique de l’adolescent… Dans certains groupes, la consommation de cannabis et d’alcool, précoce ou massive, s’avère comme un inévitable indicateur d’identité, d’appartenance au groupe.

L’adolescent doit franchir ces vagues pour se constituer adulte en devenant capable de définir et d’assumer sa trajectoire et sa maturation individuelle et sociale.

DIFFICULTES ET NECESSITE DU DIAGNOSTIC

Les aspects psychopathologiques sont réputés peu faciles à repérer à l’adolescence.

Les indices sémiologiques sont volontiers masqués, fluctuants ou facilement confondus avec les aspects développementaux. La difficulté diagnostique à cet âge peut expliquer la réticence de certains soignants à se prononcer pour ne pas « stigmatiser » l’adolescent… Le diagnostic nécessite bien entendu une approche intégrant les aspects développementaux propres à l’adolescence. Cependant, selon la littérature psychiatrique internationale, les critères nosographiques de dépression à l’adolescence (CIM, DSM) s’avèrent relativement identiques à ceux qui sont utilisés chez l’adulte [8]. L’application de ces critères doit, plus encore que chez l’adulte, se faire en tenant compte des facteurs individuels, diachroniques et synchroniques. Aux cliniciens, aux familles de ne pas ignorer l’apparition de symptômes inquiétants.

Le risque suicidaire

Chez les 15-24 ans, le décès par suicide constitue désormais la deuxième cause de mortalité, après les accidents de la route. L’incidence du suicide est plus élevée chez les garçons alors que les tentatives de suicide sont plus fréquentes chez les filles. La fréquence des récidives est de 30 à 50 % au cours de la première année, avec une gravité et une létalité qui augmentent au fur et à mesure de la répétition des récidives.

Devant tout geste suicidaire de l’adolescent, il est désormais recommandé de déclencher une hospitalisation — même brève — en milieu spécialisé [1], afin de mieux évaluer gravité et pronostic : antécédents familiaux ou personnels de suicide, pensées suicidaires récurrentes, préparation du geste ou caractère très impulsif de celui-ci, modalité violente de la tentative, degré d’intentionnalité suicidaire, qualité de l’environnement socio-familial (famille peu soutenante…), présence de symptô- mes anxieux, dépressifs ou psychotiques sous-jacents, prise concomitante de toxiques sont autant de paramètres péjoratifs.

Les filles font plus volontiers des tentatives de suicide, notamment par ingestion médicamenteuse volontaire, tandis que le taux de suicides réussis est plus élevé chez les garçons qui utilisent des moyens plus violents tels que, arme à feux, phlébotomie, défenestration.

Dans les trois mois précédant le geste suicidaire, 70 % des sujets avaient consulté un médecin généraliste pour des plaintes somatiques.

Il s’avère que les parents étaient très rarement au courant de l’existence d’idées suicidaires [4]. Le risque de récidive suicidaire après une première tentative est majeur pendant les trois premier mois.

L’utilisation des antidépresseurs, notamment ISRS, chez l’adolescent a suscité une controverse fortement médiatisée du fait de la publication en 2004 d’études rappor-
tant une majoration significative du risque suicidaire sous antidépresseur chez l’adolescent déprimé. Ces résultats ne remettent pas en cause le recours au traitement médicamenteux de la dépression chez l’adolescent, dès lors que le diagnostic et les modalités de suivi ont été bien définis. Une étude montre que l’augmentation du risque suicidaire chez le jeune adulte sous traitement antidépresseur se situe au cours des dix premiers jours du traitement [5] : ceci indique l’importance d’une évaluation du risque suicidaire avant la mise sous antidépresseur et la nécessité d’un suivi psychologique rapproché durant les premières semaines de traitement.

Il ne faut pas se tromper de cible : c’est bien la dépression, et non les antidépresseurs, qui pose un grave problème de santé publique, le risque suicidaire au cours d’un état dépressif pouvant être proportionnel à la durée de cet état [7].

Les troubles des conduites alimentaires

La prévalence ponctuelle de l’anorexie chez les sujets de sexe féminin de 16 à 25 ans oscille, selon les études, entre 0,1 % et 0,5 % [9]. La prévalence de la boulimie est en population générale de 0,2 %, probablement sous-évaluée. Chez les adolescents, population ‘‘ à risque ’’, 0,7 % présentent un syndrome boulimique, et 4 % rapportent des accès boulimiques ; neuf anorexiques ou boulimiques sur dix sont de sexe féminin [9]. Avant la pathologie du comportement alimentaire, on retrouve souvent une restriction alimentaire volontaire justifiée par un surpoids.

Cette restriction alimentaire est sous-tendue par la volonté d’accomplir l’effort nécessaire pour obtenir un poids inférieur au poids spontané. Elle implique le désaveu de son propre schéma corporel par soumission à un idéal de minceur, avec limitation des apports alimentaires.

L’anorexie mentale est caractérisée, outre la restriction, par une perte significative de poids et d’appétit, un déni de l’amaigrissement et une hyperactivité intellectuelle et physique. Des accès d’hyperphagie secondaires à des restrictions trop intenses ne doivent pas être confondus avec les accès boulimiques entrecoupés de jeûnes compensatoires : les troubles de l’image de soi caractérisent les troubles des conduites alimentaires, de même que les troubles somatiques tels que fatigue, problèmes dentaires, perte des cheveux.

La mortalité dans la population des adolescents souffrant de troubles du comportement alimentaire est proportionnelle à la durée de l’anorexie, globalement comprise entre 10-15 % durant les cinq premières années [6]. Les situations de comorbidité sont fréquentes : schizophrénie (près de 10 % des cas), dépression (40 %), troubles obsessionnel-compulsifs (10 %) et troubles de la personnalité (plus particulièrement personnalités évitantes et limites).

Les jeunes femmes atteintes d’un syndrome boulimique isolé sont souvent de poids normal. Leur degré de psychopathologie est variable, la composante dépressive présente à des degrés divers. Des tentatives de suicide, des conduites de vol, la prise
d’alcool et de médicaments peuvent être associées chez les plus impulsives de ces patientes, qui ont souvent un accès tardif aux soins.

Les consommations de toxiques

Les consommations et abus de toxiques ne doivent pas être confondus avec les toxicomanies. L’Enquête ESPAD 2003 [2], réalisée dans trente-cinq pays, sur les habitudes de consommation d’alcool et de drogues des jeunes adolescents européens, a porté sur plus de 100 000 élèves. En France, cette enquête réalisée en collaboration avec la MILDT, sous la responsabilité de l’équipe Inserm de Marie Choquet, et de l’OFDT, révèle que :

— 50 à 80 % des élèves déclarent avoir fumé des cigarettes au moins une fois au cours de leur vie ; les garçons apparaissent généralement consommer davantage que les filles, ce sex ratio ayant tendance à s’inverser puisque les filles consomment de plus en plus.

— 90 % des élèves de 16 ans ont consommé de l’alcool au moins une fois dans leur vie, une majorité d’entre eux ayant déjà été ivres au moins une fois. Une expérience d’absorption d’au moins cinq verres de suite (« binge drinking ») concerne en France 5 à 10 % des jeunes.

— 40 % des jeunes de 16 ans avaient déjà consommé du cannabis au moins une fois, et 20 % au cours des trente derniers jours.

— 10 % avaient expérimenté l’abus de tranquillisants/sédatifs.

— l’augmentation de la consommation d’ecstasy est une autre donnée préoccupante de cette enquête.

Les principales comorbidités de ces abus de substances sont les troubles de la personnalité de type psychopathique (40 %), les troubles anxieux et la dépression (10-15 %).

La consommation de cannabis est particulièrement élevée chez les adolescents ou adultes jeunes présentant une pathologie psychiatrique débutante. Ainsi, nous avons retrouvé chez cent cinquante-six sujets âgés de 18 à 30 ans hospitalisés pour la première fois en service de psychiatrie, que 32 % (n = 50) d’entre eux répondaient aux critères de dépendance ou d’usage nocif pour la santé pour le cannabis, 5 % (n = 8) pour l’alcool et 5 % (n = 7) pour plusieurs substances toxiques.

Plus préoccupante encore est la consommation de cannabis chez les sujets présentant une symptomatologie ‘‘ à risque ’’ d’entrée dans une psychose (il s’agit de sujets présentant des symptômes psychotiques positifs atténués, ou intermittents, ou des antécédents familiaux de psychose au premier degré et une rupture marquée dans leur fonctionnement). Parmi les consultants de notre centre d’évaluation pour jeunes adultes, 84 % des sujets présentant une telle symptomatologie d’un premier échantillon de cinquante-six sujets avaient déjà consommé du cannabis, et 54 % en consommaient de façon régulière. Des sujets d’âge comparable présentant des
symptômes psychiatriques non atypiques avaient une consommation similaire (étude préliminaire, données non publiées).

Les manifestations pathologiques d’anxiété

La phobie sociale est trop méconnue en particulier chez l’adolescent. On appelle phobie sociale l’existence d’une anxiété accompagnée de manifestations neurovégé- tatives en situation de performance ou d’exposition sociale, entraînant des évitements progressivement systématisés de ces situations, avec des conséquences plus ou moins graves sur les capacités d’insertion sociale, professionnelle et affective, et un niveau de souffrance élevé. On est loin de ce que l’on appelle communément le trac ou la timidité.

Ce trouble anxieux touche environ 5 % des adolescents et s’accompagne souvent d’une comorbidité abus/dépendance à l’alcool (40 %), dépression majeure (30 %) et d’un risque élevé de déscolarisation.

En l’absence de prise en charge psychothérapique comportementalo-cognitive, l’évolution est chronique avec apparition d’autres troubles anxieux et d’éléments dépressifs ; une amélioration spontanée ne peut être espérée qu’à partir de la quarantaine.

Les autres troubles anxieux de l’adolescent (trouble panique, trouble anxieux géné- ralisé, TOC…) sont vraisemblablement sous-estimés.

Schizophrénies et troubles bipolaires

C’est à l’adolescence (et l’âge adulte jeune) que débutent les deux grandes pathologies mentales : troubles schizophréniques d’une part, maladie bipolaire d’autre part.

Chacune d’entre elles concerne 1 % de la population.

Toute manifestation psychopathologique de l’adolescent, comportementale, anxieuse ou dépressive doit faire évoquer ces deux hypothèses. Certains auteurs soutiennent aujourd’hui la pertinence de mise en œuvre d’un traitement en cas de doute, tant les enjeux pronostiques sont cruciaux à cette période de la vie personnelle et sociale.

Plusieurs études longitudinales montrent la pertinence d’évaluer certains endophé- notypes, indices précoces d’un risque, et témoins de la composante développementale de ces troubles [3]. Des déficits neuro-cognitifs (en particulier de la coordination motrice, l’énurésie, des troubles du langage précoce) pourraient être les témoins d’une vulnérabilité présente bien avant l’entrée dans la maladie.

Certaines équipes ont d’ores et déjà évalué et préconisé le recours à une médication antipsychotique pendant un à deux ans parallèlement à une psychothérapie chez les sujets à haut risque d’émergence d’un trouble schizophrénique (notamment dans la fratrie de patients schizophrènes).

La mise en œuvre d’un traitement thymorégulateur dès lors qu’un diagnostic de bipolarité est suspecté, peut s’avérer d’autant plus justifiée que l’aboutissement de la formation universitaire ou professionnelle nécessite une stabilité thymique sans laquelle l’avenir peut être définitivement compromis. On sait en outre que le risque suicidaire chez les sujets bipolaires est élevé.

Dans notre consultation pour adolescents et de jeunes adultes présentant une symptomatologie psychiatrique débutante ou ‘‘ à risque ’’ d’entrée dans une psychose, nous avons relevé lors de leur première consultation, que des antidépresseurs ont déjà été prescrits dans un tiers des cas pour prendre en charge des symptômes dépressifs ou anxieux non spécifiques à ce stade de l’évolution et que des antipsychotiques atypiques ont été essayés dans un cas sur cinq et alors même qu’un diagnostic précis n’a pas encore été établi (résultats préliminaires sur un échantillon de cent sujets, données non publiées). Cela témoigne d’une attitude plutôt ouverte et pragmatique de nos correspondants, qui s’ajustent à l’évolution des tableaux cliniques présentés par les patients.

Le diagnostic d’état limite

C’est à l’adolescence que se scellent les traits de personnalité. Chez le garçon, il semble exister un continuum développemental entre trouble oppositionnel avec provocation/hyperactivité de l’enfance, trouble des conduites à l’adolescence et personnalité antisociale à l’âge adulte, tandis que chez la fille, le risque est plutôt celui de l’apparition d’une personnalité impulsive, histrionique ou borderline à l’âge adulte.

Le diagnostic d’état-limite est fréquemment évoqué à l’adolescence : manière de laisser ouverte les hypothèses pronostiques ! Ce type de personnalité pathologique se définit par une instabilité, notamment dans les domaines de l’humeur, des relations et de l’image de soi. Cette entité nosographique hétérogène et discutée ne doit pas servir d’écran à l’établissement d’un diagnostic plus précis, et surtout entraver la mise en œuvre de stratégies thérapeutiques appropriées.

BIBLIOGRAPHIE [1] ANAES (2000) — La crise suicidaire : reconnaître et prendre en charge In La crise suicidaire. (

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Mazet, G. Darcourt,, John Libbey Eurotext, Edit.), 2002 .

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[9] SILBER T.J. — Anorexia nervosa among children and adolescents.

Adv Pediatr., 2005 , 52, 49-76.

DISCUSSION

Mme Marie-Odile RÉTHORÉ

Pouvez-vous souligner la fréquence et la gravité des troubles psychiatriques chez les adolescents handicapés mentaux qui ont subi le ‘‘ forcing ’’ d’intégration scolaire ?

J’ai connu les deux premiers cas de suicide chez des trisomiques 21 ces deux dernières années.

En effet il est nécessaire d’attirer l’attention sur le cas particulier des adolescents subissant une situation de handicap mental avant d’entrer dans l’adolescence. Ceci peut effectivement générer de douloureuses difficultés d’adaptation voire des comportements dramatiques.

M. Jean COSTENTIN

Les diagnostics s’affinent, les seuils diagnostiques s’abaissent. Avec ces deux variables, peut-on penser que la jeunesse 2006 va moins bien que celle de la génération précédente ?

Il n’est pas facile de répondre à cette question que nous nous posons tous. Les indicateurs épidémiologiques des grands troubles mentaux tels que les schizophrénies ou les troubles bipolaires n’indiquent pas d’augmentation évidente du taux d’incidence. On sait par contre l’émergence récente de troubles des conduites (en particulier troubles des conduites alimentaires), des conduites à risque (usage de toxiques, conduite suicidaire). Il est bien vrai que les seuils diagnostiques s’abaissent : il faut souhaiter que ceci conduise à de meilleures réponses aux manifestations psychopathologiques des adolescents.

M. François-Bernard MICHEL

Comment la situation que vous venez de décrire pourrait être améliorée, plus précisément comment rapprocher les adolescents en difficulté des spécialistes ? Par la voie de la médecine
scolaire (mal en point), celle des familles, celle des enseignants ? Encore faudrait-il les initier à un minimum d’information ‘‘ séméïologique ’’ !

Votre question interroge la capacité de nos concitoyens à mieux comprendre les maladies psychiques qui ne touchent pas simplement tel ou tel organe mais nos façons de penser, vouloir, agir ou réagir. Nous sommes en effet confrontés à la nécessité de faire progresser le niveau d’éducation sanitaire notamment de certains acteurs sociaux tels que les enseignants. A mon sens, de réels progrès deviendront plus accessibles lorsque notre discipline aura su développer des indices paracliniques susceptibles de valider ou d’invalider un diagnostic de trouble mental.

* Hôpital Sainte-Anne, Service Hospitalo-Universitaire de Santé Mentale et de Thérapeutique ; — Université Paris 5, Inserm U 11557, 1 rue Cabanis — 75014 Paris Tirés à part : Professeur Jean-Pierre OLIE, même adresse Article reçu le 10 janvier 2006, accepté le 30 octobre 2006

Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, no 8, 1643-1652, séance du 7 novembre 2006