Communication scientifique
Séance du 24 juin 2003

Actualité d’Helicobacter pylori

MOTS-CLÉS : helicobacter pylori. ulcere gastroduodenal.
Actuality of Helicobacter pylori
KEY-WORDS : helicobacter pylori. peptic ulcer.

Catherine Buffet*

Résumé

L’Helicobacter pylori (Hp) est une des infections bactériennes les plus fréquentes dans le monde. Le caractère pathogène de Hp est dû à sa capacité de survivre dans le liquide gastrique, milieu acide, et à coloniser les cryptes de la muqueuse gastrique. Hp doit être éradiqué en cas d’ulcère gastroduodénal. L’éradication modifie l’histoire naturelle de la maladie et réduit de manière évidente le risque de récidive. Une trithérapie pendant 7 jours comprenant un inhibiteur de la pompe à protons à double dose associé à l’amoxicilline (2g/j) et la clarythromycine (0,5 g 2 fois par jour) est utilisée. La persistance de l’infection peut conduire à une atrophie de la muqueuse gastrique, une métaplasie intestinale, une dysplasie et éventuellement à un cancer. Cependant, l’éradication systématique dans le but de diminuer l’incidence de l’adénocarcinome gastrique n’est pas recommandée. L’acquisition d’un tissu lymphoïde associé aux muqueuses (malt) est liée à la gastrite induite par l’infection à Hp ; elle constitue le premier stade du lymphome de type malt. L’éradication d’ helicobacter pylori est indiquée chez les patients ayant ce lymphome de faible grade de malignité.

Summary

Helicobacter pylori (Hp) infection is one of the most common chronic bacterial infections worlwide. The pathogenic properties of Hp are due to its ability to survive in the gastric juice, to escape the gastric acidity and to colonise the crypts of the gastric mucosa. Eradication of Hp is needed for patients with a gastroduodenal ulcer associated with Hp gastritis. Eradication modifies the natural history of the disease and greatly reduces the risk of recidive and the consequences of the discovery of Hp have been spectacular, in particular in duodenal ulcer disease. A tritherapy regimen given for 7 days combining a double-dosed proton pump inhibitor, amoxicillin (2g/d) and clarithromycin (0,5 g bid) is used. Persistant infection may lead to a progression toward atrophy, intestinal metaplasia, dysplasia and eventually cancer. However, systematic eradication in order to reduce the incidence of gastric adenocarcinoma is not recommended. Acquisition of mucosa-associated lymphoid tissue (malt) lymphoma is related to gastritis induced by Hp infection and is commonly postulated as the initial stage in the development of malt lymphoma. Eradication is also indicated for patients with lymphoma with a low degree of malignancy.

1983 a été une année importante pour la compréhension et le traitement d’affections atteignant la partie haute du tube digestif et en particulier l’ulcère gastroduodénal (UGD). Jusqu’à cette date, l’estomac était considéré comme un milieu peu propice à la croissance bactérienne du fait de son pH très acide. Par ailleurs, l’ulcère gastroduodénal était une maladie très fréquente caractérisée par des poussées et des rémissions. Après obtention de la cicatrisation, la récidive dans l’année qui suivait, survenait dans 80 % des cas et même plus chez les tabagiques. En 1983, Marshall et Warren [1] découvrent une bactérie, l’ Helicobacter pylori (Hp), bactérie hélicoïdale à Gram négatif. Les tentatives de culture sont, au début, infructueuses car les cultures négatives après 3 jours sont jetées. A l’occasion d’un week-end prolongé, la pousse de la bactérie appelée, à l’époque campylobacter, est constatée. L’hypothèse d’une infection chronique de l’estomac au cours des gastrites est cependant ancienne. A la fin du XIXe siècle, des bactéries spiralées avaient été observées dans l’estomac de chiens et de chats et aussi chez l’homme au début du XXe siècle.

L’examen rétrospectif de biopsies antrales de l’homme montre que cette bactérie existait depuis de nombreuses années, mais que sa présence était passée inaperçue.

Clairement, la maladie ulcéreuse est actuellement considérée comme une maladie infectieuse, bien que, pendant de nombreuses années, se soient opposés les pro et les anti-Hp. L’éradication de l’hélicobacter a complètement modifié l’histoire de la maladie ulcéreuse, qui ne récidive pratiquement plus. Le génome d’Hp est caracté- ristique d’une population et d’une région géographique. Son étude dépasse largement le champ de la gastroentérologie. Les anthropologues, par l’étude de son polymorphisme génétique, s’intéressent à Hp pour suivre l’histoire des migrations humaines.

PHYSIOPATHOLOGIE

Hp infecte uniquement la muqueuse gastrique. On ne trouve pas d’Hp dans le duodénum sauf en cas de métaplasie gastrique duodénale. Hp entraîne une gastrite aiguë, puis chronique.

Les conséquences de l’infection par Hp sont variables selon le siège de la gastrite.

Lorsque la gastrite est limitée à l’antre, la région fundique acido-sécrétrice étant respectée, la sécrétion acide est normale voire augmentée. Cet état d’hypersécrétion
gastrique s’accompagne d’une hypergastrinémie et d’une inhibition de l’expression de la somatostatine.

Cette situation prédispose au risque d’ulcère duodénal. Il n’ y a pas de progression vers l’atrophie ni la métaplasie intestinale ; les malades atteints d’ulcère duodénal sont donc à faible risque de développer un cancer gastrique.

Lorsque la gastrite est diffuse (pangastrite) ou prédomine sur le fundus, il y a le plus souvent une hypochlorhydrie. La progression vers l’atrophie gastrique et la métaplasie intestinale est associée à un risque de cancer gastrique.

Les sujets qui contractent Hp dans leur petite enfance ont plus de chance de développer une gastrite atrophique avec diminution de la sécrétion acide, qui les protège de l’ulcère, mais ils sont à risque de développer un cancer gastrique.

L’acquisition de l’ infection à Hp à un âge plus avancé affecterait moins la masse cellulaire pariétale, avec un débit acide maintenu élevé.

Ces sujets sont à risque de développer un ulcère duodénal.

Comment la bactérie peut-elle survivre et se développer dans l’estomac ? Elle survit grâce à une paroi résistante et elle produit une uréase qui joue un rôle primordial transformant l’urée du milieu en carbonate d’ammoniac, créant ainsi un climat alcalin et neutralisant. De plus la bactérie, grâce à des flagelles possède une mobilité qui lui permet de se déplacer dans le mucus de l’estomac, de le pénétrer et de se multiplier au contact des cellules épithéliales gastriques sous la couche de mucus.

De nombreuses questions demeurent et en particulier la raison pour laquelle cette bactérie très répandue est pathogène chez un petit nombre de patients seulement.

Des facteurs de virulence de la bactérie, en particulier génétiques, sont identifiés. La présence du gène Cag-A ( cytotoxin associated gene ) est un facteur de virulence. En effet, les malades infectés par les souches Cag-A positives ont, par rapport aux malades porteurs de souches Cag-A négatives, une inflammation gastrique plus importante, une plus grande activité, un degré d’atrophie et de métaplasie intestinale plus marqué [2].

TESTS UTILISÉS POUR LE DIAGNOSTIC D’INFECTION D’H

Ces tests sont nombreux, certains nécessitant une endoscopie avec biopsies, tels l’examen anatomopathologique des biopsies antrales, le test à l’uréase, la culture de Hp ou les techniques d’amplification génique (PCR). Il existe des méthodes peu ou pas invasives, que sont la sérologie et le test respiratoire à l’urée marquée au 13C [3, 4].

L’examen anatomopathologique est simple et sensible. Sa sensibilité et sa spécificité sont de l’ordre de 97 %. Sa sensibilité est diminuée par un traitement antibiotique récent ou anti-sécrétoire. Les biopsies (2 au minimum) doivent être effectuées dans l’antre. Cet examen a l’avantage de permettre de documenter les lésions associées et leur type.

Le test à l’uréase est simple et surtout rapide. Il consiste à déposer un prélèvement gastrique dans un milieu riche en urée. La présence de l’uréase de la bactérie entraîne une libération d’ammoniac, donc une élévation du pH, qui peut être mise en évidence par le virage coloré d’un indicateur de pH. Ce test a une sensibilité de 79 à 100 % et une spécificité de 92 à 100 % selon les études. Des résultats faussement négatifs peuvent être observés chez les patients qui ont une hémorragie ulcéreuse ou qui prennent des antibiotiques ou des anti-ulcéreux.

Le diagnostic bactériologique par mise en culture des biopsies antrales est théoriquement la méthode de référence permettant la réalisation d’un antibiogramme mais elle est difficile à utiliser en pratique courante, les résultats étant très dépendants des conditions de transport de l’échantillon et des conditions de pousse fournies par le laboratoire. Sa sensibilité et spécificité sont proches de 100 %.

La PCR est une technique sensible et spécifique. Son intérêt est l’identification des gènes caractéristiques d’une espèce particulière ou d’une souche. Elle a une sensibilité de 97 % et une spécificité de 100 %. La disponibilité de ce test est encore limitée.

La réponse humorale à l’infection par Hp est caractérisée par la production d’anticorps spécifiques, qui peuvent être détectés dans le sang. Le suivi après traitement peut être un moyen indirect d’évaluer son efficacité, puisque l’éradication de Hp s’accompagne d’une diminution du taux des immunoglobulines circulantes. Cependant, une diminution significative des immunoglobulines n’est habituellement observée que 6 mois après la fin du traitement. Sa sensibilité est de 85 à 95 % et sa spécificité de 80 à 95 %.

Les tests respiratoires sont des tests dont la sensibilité et la spécificité sont supérieures à 90 %.

Ils ont l’avantage d’être des tests globaux et non invasifs. Ils peuvent être utilisés pour le diagnostic de l’infection à HP avant traitement et pour la surveillance après éradication. Dans ce cas, le test doit être fait après un intervalle minimal de 4 semaines pour éviter les résultats faussement négatifs. Ces tests sont utilisés, en particulier, chez les enfants.

Se développent également pour les études épidémiologiques réalisées sur une large échelle la mise au point de tests diagnostiques de mise en évidence d’IgG anti-Hp dans la salive par méthode immuno-enzymatique.

EPIDÉMIOLOGIE ET TRANSMISSION : [5]

Environ la moitié de la population mondiale est infectée par Hp. Dans les pays en voie de développement l’infection est très fréquente, débutant dans l’enfance. Dans ces pays l’infection survient dans la petite enfance, à partir de 20 ans la majorité (80 %) des adultes sont infectés et cette infection dure toute la vie. Dans les pays développés, l’infection est moins fréquente et sa prévalence augmente avec l’âge. En Europe, la prévalence varie de moins de 30 % de la population infectée à plus de
70 %. Un niveau socioéconomique bas, le manque d’hygiène, la promiscuité sont des facteurs de risque établis. Il s’agit d’une infection à transmission vraisemblablement inter humaine directe.

QUELLES AFFECTIONS SONT CERTAINEMENT LIÉES A L’HP ?

La responsabilité de Hp est actuellement admise dans l’ulcère chronique du duodé- num et de l’estomac, dans le cancer gastrique et dans le lymphome gastrique primitif de l’estomac dérivé du ( mucosal associated lymphoid tissue ).

L’ulcère duodénal [6] est associé à HP dans plus de 90 % des cas. Cette association se révèle constante dans toutes les études épidémiologiques à travers le monde. Une fois Hp éradiqué le taux de récidive de la maladie ulcéreuse dans l’année qui suit n’est que de 5 %.

Lorsqu’un ulcère duodénal est découvert par endoscopie, deux attitudes se défendent : soit rechercher systématiquement Hp, la sensibilité des techniques de recherche étant de 90 à 95 % soit traiter sur une base probabiliste, en sachant que l’on traite à tort 5 à 10 % des malades. Cependant, cette façon de traiter sur une base probabiliste n’est pas recommandée par la conférence de consensus française [7] Le traitement est assez bien standardisé. Il consiste en un inhibiteur de la pompe à protons à double dose (c’est-à-dire 20 mg 2 fois par jour d’oméprazole ou 30 mg × 2 de lanzoprazole ou 40 mg × 2 de pantoprazole, etc) associé à une double antibiothérapie pendant une semaine suivie d’un traitement par inhibiteur de la pompe à protons à simple dose pendant 3 semaines. Certaines études suggèrent que la deuxième phase du traitement par anti-sécrétoire ne serait pas nécessaire chez les malades ne souffrant pas à l’issue de la première phase et en l’absence de complications ulcéreuses. La conférence de consensus a d’ailleurs recommandé, en cas d’ulcère duodénal non compliqué de traiter par trithérapie pendant 7 jours. Le traitement complémentaire par 3 semaines d’anti-sécrétoires ne doit pas être systé- matique. Les deux antibiotiques les plus utilisés en France sont l’amoxicilline et la clarithromycine. Ce schéma aboutit dans les études à un taux d’éradication de 80 à 90 %. En fait, en pratique quotidienne, le taux d’éradication est plus proche de 60 à 75 %. Les échecs de l’éradication sont dus aux résistances aux antibiotiques ou à la non observance du traitement. Le médecin doit, lors de la prescription, informer le malade du bénéfice en terme de diminution du risque de récidives en cas de traitement bien suivi et des effets secondaires des antibiotiques. Une méta-analyse a montré qu’un traitement de 14 jours donnait un meilleur résultat qu’un traitement de 7 jours. La durée optimale du traitement d’éradication avec une double antibiothérapie est probablement de 10 à 14 jours, mais en Europe, une durée de 7 jours est encore recommandée. Dans la population ‘‘ tout venant ’’, il n’est pas conseillé de vérifier que l’éradication de HP a bien été obtenue par le traitement.

Mais chez les malades ayant eu plusieurs poussées d’ulcère malgré un traitement bien conduit, chez ceux qui ont un ulcère compliqué ou en cas de terrain à risque,
nécessitant par exemple un traitement par les anti-inflammatoires non stéroïdiens pour une affection chronique associée, il est conseillé de vérifier que l’éradication a été efficace. Le contrôle peut être fait par un test respiratoire 4 à 6 semaines après la fin du traitement. Le bismuth colloïdal est un traitement efficace pour l’éradication d’HP et peu onéreux. Il a une place importante dans le traitement de certains pays, mais il n’est pas disponible en France sous forme de spécialité.

Dans le cas de l’ulcère gastrique , la prévalence de Hp est très inférieure à celle constatée lors de l’ulcère duodénal elle a été estimée à 70 %. Le schéma thérapeutique est le même que pour l’ulcère duodénal, à ceci près que la durée du traitement est plus longue, 6 à 8 semaines pour obtenir la cicatrisation de l’ulcère, et que le contrôle endoscopique de la guérison de l’ulcère est impératif.

Dans la population adulte des pays industrialisés, le risque de réinfection est faible, probablement inférieur à 1 % par personne et par an. Ce n’ est probablement pas le cas dans les pays moins développés et par exemple en Inde, le taux de réinfection par Hp après éradication peut atteindre 50 % à 3 ans.

Le cancer gastrique , lorsqu’ il est localisé au niveau de l’antre, à la partie distale de l’estomac, est associé à Hp. C’ est la seule bactérie reconnue comme carcinogène et classée comme telle par l’Organisation Mondiale de la Santé. Les adénocarcinomes sont associés à Hp dans plus de 50 % des cas, mais cette fréquence est probablement sous-estimée, la bactérie n’ étant pas toujours retrouvée au niveau de la tumeur et pouvant aussi disparaître en cas d’atrophie sévère avec métaplasie intestinale. En effet, au moment du diagnostic de cancer, l’infection a souvent disparu ainsi que la trace immunologique détectée par les sérologies standard. Une cascade d’évènements histologiques se produit conduisant de la muqueuse gastrique normale à la gastrite superficielle puis chronique, à l’atrophie, la métaplasie intestinale, la dysplasie puis le cancer. La relative rareté de l’adénocarcinome de l’estomac par rapport à la prévalence importante de l’infection chez les adultes en France (25 %) montre que Hp n’est bien sûr qu’un des facteurs de la carcinogenèse. Cependant, on peut pratiquement affirmer que s’il n’ y a pas d’Hp, il n’ y a pas de cancer (tout au moins pas d’adénocarcinome antral). Ainsi, [8] dans une étude prospective portant sur 1 526 sujets japonais, le cancer apparaît chez 2,9 % des 1 246 contaminés par Hp pendant un suivi de 7,8 ans, alors qu’aucun cas de cancer n’est détecté chez les 280 sujets non infectés. Les données épidémiologiques suggèrent un effet protecteur de l’acide ascorbique à l’égard du cancer gastrique. L’infection à Hp s’accompagne de concentrations faibles d’acide ascorbique dans le liquide gastrique. Par ailleurs, en cas de gastrite diffuse, l’infection à Hp s’accompagne, comme on l’a vu précédemment, d’une hypochlorhydrie. Cette diminution de la sécrétion acide favorise la colonisation gastrique par les entérobactéries avec production de nitrosamines carcinogènes.

De plus, lors de l’inflammation provoquée par Hp, il y a production de cytokines pro-inflammatoires parmi lesquelles, l’interleukine 8, qui entraînent une accumulation de polynucléaires neutrophiles activés, produisant des radicaux libres oxygénés,
facteurs associés à un risque d’augmentation de cancer gastrique. Cet adénocarcinome à localisation distale a une incidence en diminution dans la population occidentale. Parmi les facteurs de cette diminution, on retient la modification des habitudes alimentaires, la congélation des aliments, la diminution de la consommation de sel, l’enrichissement en vitamine C et aussi la diminution de l’incidence d’Hp.

La grande différence entre les prévalences de l’infection à Hp et de l’adénocarcinome de l’antre rend illusoire les tentatives de prévention du cancer par éradication systématique de la bactérie chez tous les sujets infectés.

Le troisième type de maladie clairement lié à Hp est le lymphome gastrique de type MALT .

Dans le tube digestif, les lymphomes se développent à partir du MALT (mucosaassociated lymphoid tissu) que celui-ci soit normalement présent par exemple dans l’intestin grêle ou acquis à la suite d’une infection à Hp comme dans l’estomac. Les follicules lymphoïdes bombent dans la lumière digestive déterminant une zone spéciale dite du ‘‘ dôme ’’ interposée entre le follicule et l’épithélium. Ce sont les lymphocytes B de cette zone qui peuvent proliférer et donner naissance au lymphome MALT. Selon la nouvelle classification internationale, on les appelle lymphomes de la zone marginale (ou dôme). Ce sont des lymphomes de faible degré de malignité qui peuvent se transformer en lymphomes de haut grade de malignité. Hp a un rôle essentiel dans le développement de ces lymphomes.

Sa recherche est positive dans plus de 85 % des cas de lymphomes du MALT. Hp est à l’origine d’une gastrite chronique active au cours de laquelle vont apparaître des follicules lymphoïdes à centre clair, absents de l’estomac normal et dont la présence témoigne de l’infection à Hp. La séquence Hp puis MALT puis lymphome est bien établie. Les symptômes révélateurs sont généralement peu spécifiques. L’endoscopie haute montre une ou plusieurs ulcérations ou un épaississement des plis ou des érosions. Le caractère volumineux de la lésion gastrique doit faire craindre la transformation en lymphome de haute malignité. Les biopsies nombreuses, profondes et avec un recueil en congélation permettent le plus souvent le typage du lymphome. Comme pour tout lymphome il importe de faire un bilan d’extension à distance et loco-régional. Dans la majorité des cas, les lymphomes gastriques, sont, lors de leur découverte, localisés. C’est en particulier le cas des lymphomes de la zone marginale du MALT, de faible grade de malignité, qui sont localisés dans plus de 90 % des cas. Ces lymphomes peuvent régresser après éradication de Hp et leur traitement est actuellement bien codifié. Le traitement consiste en une trithérapie pendant 7 jours par un inhibiteur de la pompe à protons à double dose associé à une antibiothérapie par amoxicilline et clarithromycine. Quarante-cinq jours après, une fibroscopie de contrôle avec biopsies est effectuée dont le but est double : vérifier que Hp a bien été éradiqué, et vérifier l’absence de progression tumorale. Lorsque ces deux conditions sont réunies une surveillance endoscopique tous les 4 mois est réalisée jusqu’à la rémission histologique qui peut être longue à obtenir. Si après 18 mois le lymphome est toujours présent, d’autres traitements doivent être discutés, loco-régional par chirurgie ou radiothérapique ou une chimiothérapie. La résis-
tance du lymphome à l’éradication est associée à des anomalies génétiques observées au niveau de la tumeur telles une translocation t(11 ; 18)(q21 ; 21) et est associée à une progression vers un haut grade de malignité. Il faut cependant souligner que le recul du traitement par la seule antibiothérapie des malades atteints de lymphome est encore limité.

Y A-T-IL D’AUTRES MALADIES DU TUBE DIGESTIF HAUT ASSOCIÉS Á L’HP ?

La réponse est beaucoup moins claire que pour les affections précédemment citées.

Logiquement, la question a été posée de savoir si la dyspepsie non ulcéreuse pouvait être liée à Hp et surtout si l’éradication de la bactérie pouvait améliorer les symptômes des patients. On appelle dyspepsie non ulcéreuse la survenue épisodique ou permanente de symptômes localisés à la partie haute de l’abdomen dont l’origine présumée est l’estomac ou le duodénum, en l’absence de lésion organique reconnue.

La prévalence de l’infection à Hp chez les sujets souffrant de dyspepsie non ulcéreuse, bien que très variable selon les études, est supérieure à celle observée chez les sujets asymptomatiques. Cependant, l’éradication bactérienne n’améliore pas, le plus souvent, ces malades et elle n’est pas recommandée dans cette population.

Il existe une polémique qui n’est pas close sur le rôle d’Hp dans le reflux gastrooesophagien et une de ses complications : l’adénocarcinome sur endobrachyoesophage. Le reflux gastrooesophagien est très fréquent, le plus souvent bénin, pouvant cependant se compliquer d’oesophagite, d’endobrachyoesophage, c’est-à-dire du remplacement de la muqueuse de type malpighien du bas œsophage par une muqueuse de type intestinal. Sur ce type de muqueuse peut se greffer un adénocarcinome. Il faut noter que tandis que l’incidence de l’adénocarcinome de l’antre diminue, celle de l’adénocarcinome sur endobrachyoesophage augmente. L’Hp aurait-il un rôle dans cette pathologie ? Une tendance se dégage en faveur d’une association négative entre ces affections et Hp, autrement dit Hp pourrait protéger du reflux gastrooesophagien et de ses conséquences. Cependant, le reflux gastrooesophagien lié à la maladie ulcéreuse semble amélioré par l’éradication d’Hp suggé- rant un rôle promoteur de Hp dans le reflux. Le débat sur l’influence néfaste ou bénéfique de Hp sur le reflux gastrooesophagien n’est pas clos. Dans l’état actuel des connaissances, il n’ est pas justifié de prendre en compte l’infection par Hp dans la prise en charge des malades souffrant de reflux gastrooesophagien.

L’infection par Hp concernant la santé publique, la question se pose de savoir s’il ne faut pas traiter systématiquement toute la population afin de supprimer les maladies en rapport avec cette bactérie. Il a été répondu à cette question par la négative. En effet, pour beaucoup de pays cette approche est trop onéreuse, par ailleurs le risque est d’augmenter la résistance aux antibiotiques. Enfin si le risque de réinfection après éradication est faible dans les pays développés, il est très important dans d’autres pays comme on l’a vu précédemment et peut atteindre 73 % après un
intervalle de 8 mois au Pérou. Logiquement donc les recherches se sont orientées vers la mise au point de vaccins [9].

BIBLIOGRAPHIE [1] MARSHALL B.J., WARREN J.R — Unidentified curved bacilli in the stomach of patients with gastritis and peptic ulceration. Lancet, 1984, i , 1311-5.

[2] LAMARQUE D. — Les facteurs de virulence de Helicobacter pylori, quelle importance ?

Gas- troenterol Clin Biol, 2001, 25 , 1079-81.

[3] MEGRAUD F. — Stratégie d’utilisation des tests diagnostiques dans l’infection à Helicobacter pylori. Helicobacter pylori. Mégraud F, Lamouliatte H. Vol 1 : épidémiologie, pathogénie, diagnostic. P. 367-81. Collection Bio Elsevier 1996.

[4] SUERBAUM S., MICHETTI P. — Helicobacter pylori infection.

N Engl J Med, 2002, 347 , 1175-84 [5] POUNDER R.E., NG D. — The prevalence of Helicobacter pylori infection in different countries.

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[6] HAN F.K.L., LEUNG W.K — Peptic-ulcer disease.

Lancet , 2002, 360 , 933-940.

[7] Conférence de consensus Helicobacter pylori révision 1999. Conclusions et recommandations révisées du groupe de travail. Gastroentérol Clin Biol , 1999, 23 , C95-C104 [8] UEMURA N., OKAMOTO S., YAMAMOTO S. et al . — Helicobacter pylori infection and the development of gastric cancer.

N Engl J Med , 2001, 345 , 784-9.

[9] CORTHESY-THEULAZ I., MICHETTI P. — Vaccination contre l’Helicobacter pylori : acquis et perpectives. Gastroentérol Clin Biol, 2000, 24 , 1186-90.

DISCUSSION

M. Emile ARON

Depuis la découverte, en 1983, de l’Helicobacter pylori et de son rôle pathologique, l’étiopathogénie des ulcères gastroduodénaux a été anéantie. Ainsi, cette atteinte peptique classique est devenue une maladie infectieuse. Comment se fait-il qu’avant 1983, la présence de la bactérie n’ait pas été signalée dans les innombrables biopsies de gastrites, d’ulcères, de gastrectomies, alors qu’elle est, à l’heure actuelle, identifiée dans 100 % des gastrites ? Le syndrome ulcéreux est ou était caractéristique : douleurs rythmées pendant une crise qui se termine spontanément et une périodicité se comptant en mois ou en années : est-ce qu’une telle symptomatologie peut être conditionnée par la bactérie ? Est-ce que l’Hp aurait un rôle de « co-facteur » pour expliquer les ulcères post-émotionnels, ainsi que dans la genèse des ulcères médicamenteux ? Enfin, le dépistage de l’Hp est un important problème de santé publique, principalement, pour lutter contre le cancer gastrique. Que pensez-vous du test respiratoire qui évite la biopsie ?

La bactérie avait été mise en évidence avant 1983, mais sa présence était passée inaperçue ou, plus exactement, personne ne pouvait croire que cette bactérie ait un rôle dans la physiopathologie des maladies gastroduodénales. Avant l’éradication de la bactérie par
les antibiotiques, l’ulcère gastroduodénal était une maladie chronique faite de poussées, entrecoupées de rémission. Lorsque l’Hp est éradiqué, la maladie ulcéreuse ne récidive plus. Chez les patients sous anti-inflammatoires non stéroïdiens, le risque d’ulcère duodénal, surtout, apparaît plus élevé chez les patients infectés par l’Hp et l’éradication de la bactérie est bénéfique. L’aspirine favorise le saignement d’ulcères gastroduodénaux pré-existants en rapport avec l’Hp. L’éradication de l’Hp est donc recommandée. Quant aux ulcères « post-émotionnels », cette physiopathologie est « battue en brèche », le profil psychologique des malades ulcéreux n’est pas significativement différent de la population témoin. Le test respiratoire est, très sensible, très spécifique et totalement non invasif. La procédure est un peu compliquée pour un test de dépistage de masse, puisque les patients doivent, avec l’ordonnance délivrée par leur médecin, acheter le kit en pharmacie, puis se rendre dans un laboratoire d’analyse médicale pour la réalisation du test, les prélèvements devant ensuite être acheminés vers un laboratoire centralisé.

M. Charles LAVERDANT

A-t-on réévalué, depuis la dernière conférence de consensus en 1999, la prévalence de l’infection à l’Hp en France ? Les atteintes familiales sont-elles expliquées par la seule transmission inter-humaine ?

Avec l’augmentation du niveau de vie et de l’hygiène, la prévalence de l’infection à l’Hp diminue. En France, moins de 30 % de la population est infectée et seulement 10 à 20 % des adultes jeunes. Oui, les atteintes familiales sont expliquées par une transmission inter-humaine oro-orale, les parents et les enfants les plus âgés contaminant les plus jeunes.

M. Claude Henri CHOUARD

A-t-on étudié systématiquement le contage familial par la salive ? Quelle était l’action des sels de Bismuth ?

On s’infecte d’homme à homme. Les animaux (porcs, moutons…) peuvent aussi être infectés, mais chaque espèce est infectée par son propre Hp. La transmission interhumaine se fait par voie orale et effectivement la salive est une source potentielle de contamination. Des tests diagnostiques salivaires sont à l’étude. Intéressante est la constatation que les médecins qui pratiquent des endoscopies gastriques ont plus d’Hp que les témoins. Les sels de Bismuth sont très efficaces sur l’Hp et sont prescrits dans d’autres pays que la France. Ils ont une action anti-bactérienne, agissant sur l’Hp comme un antibiotique.

M. Daniel COUTURIER

Vous avez indiqué que bien que l’Helicobacter pylori soit un des éléments étiologiques de la cancérogenèse gastrique, on ne recommandait l’indication systématique que chez les sujets ayant un risque particulier de cancer gastrique. Ne pensez-vous pas que cette recommandation soit trop réservée ?

Il est vrai qu’en l’absence d’Hp, il n’y a pas d’adénocarcinome antral. Parmi les malades infectés par l’Hp, 1 % présenteront un cancer gastrique. La question d’éradication de
l’Hp, dans la population générale, soulève le problème du dépistage de l’Hp, puis de son éradication. Les inconvénients de l’éradication systématique sont de plusieurs ordres :

risque de réinfection, très faible il est vrai dans les pays développés, risque d’augmenter les résistances aux antibiotiques, qui sont déjà très importantes pour certains d’entre eux (40 % de résistances au métronidazole), risque d’induire des « dommages collatéraux », de type reflux gastrooesophagien, puis adénocarcinome du cardia, enfin un problème de coût et de choix : ne faut-il pas plutôt dépister le cancer du côlon, qui atteint 5 % de la population ? En tous les cas, la question mérite d’être débattue.

M. Claude DREUX

Vous avez indiqué que la surveillance d’une éradication de l’Hp n’était pas nécessaire, après traitement efficace, sauf dans certains cas, par exemple lors du traitement par les AINS.

Mais ceux-ci ne sont-ils pas formellement déconseillés après l’ulcère ?

Le contrôle de l’éradication doit être effectué en cas de persistance des symptômes, déjà d’une tentative antérieure d’éradication, d’une complication de l’ulcère et de facteurs de risque du fait d’une maladie concomitante, par exemple, prise d’anti-inflammatoires au long cours ou d’anti-coagulants. Après une première poussée d’ulcère duodénal chez un sujet qui va bien et sans facteur de risque, beaucoup ne contrôlent pas l’éradication, mais cette attitude est contestée par certains.

M. Jacques EUZEBY

Un facteur génétique intervient-il chez l’homme en ce qui concerne la cancérisation de la gastrite à l’Hp ?

Il existe effectivement des facteurs liés à la bactérie et à l’hôte qui favorisent la cancérisation. Ainsi, certains génotypes de la bactérie, tels l’antigène Cag A, vac A…, seraient plus fréquemment associés au cancer. Certains génotypes de cytokinines proinflammatoires sont associés à un risque accru de cancer antral.

M. Louis HOLLENDER

Ne craignez-vous pas que traiter un ulcère gastrique en agissant sur « Helicobacter pylori », puisse faire courir le risque de retarder l’exérèse d’un ulcéro-cancer ? Quelles restent, à l’heure actuelle, les indications opératoires, en présence d’un ulcère duodénal ?

Lorsque le siège de l’ulcère est gastrique, il faut traiter par la trithérapie et, 45 jours plus tard, vérifier que l’ulcère a bien cicatrisé et effectivement biopsier la zone cicatricielle pour ne pas passer à côté d’un cancer. Les indications du traitement chirurgical de l’ulcère duodénal ont diminué de manière drastique. Les indications chirurgicales persistent pour les ulcères compliqués, par exemple hémorragiques, en cas d’échec du traitement médical.

* Hôpital Bicêtre — Service des Maladies du Foie et de l’Appareil Digestif — 78 rue du Général Leclerc — 94270 Le Kremlin Bicêtre. Tirés-à-part : Catherine BUFFET à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 28 octobre 2002, accepté le 31 mars 2003.

Bull. Acad. Natle Méd., 2003, 187, n° 6, 1095-1106, séance du 24 juin 2003