Communication scientifique
Séance du 15 mai 2012

Actualisation des indications chirurgicales des tumeurs stromales gastrointestinales

MOTS-CLÉS : procédures de chirugie digestive.tumeurs stromales gastro-intestinales. sarcomes
New surgical approaches to localized and advanced gastrointestinal stromal tumors (GIST)
KEY-WORDS : digestive system surgical procedures.. sarcoma

Sylvie Bonvalot et Charles Honoré

Résumé

La prise en charge des tumeurs stromales gastro-intestinales (GISTs) a été complètement modifiée par l’introduction de l’Imatinib qui a transformé l’évolution des formes métastatiques. Les indications et les règles chirurgicales des formes primitives localisées ne sont que peu modifiées, récemment nuancées en fonction de la topographie tumorale. Dans ces présentations localisées, trois études randomisées ont été effectuées évaluant le bénéfice potentiel d’un traitement adjuvant par Imatinib. Deux ont été publiées avec des résultats positifs en faveur du traitement adjuvant des hauts risques : l’étude ACOSOG Z9001, qui montre un bénéfice sur la survie sans progression avec un an d’Imatinib adjuvant, et plus récemment l’étude germano-scandinave (AIO-SSG) qui montre à la fois un bénéfice sur la survie sans progression et sur la survie globale pour les patients qui on reçu trois ans d’Imatinib en adjuvant. À l’opposé de ces formes primitives localisées, les formes cliniques situées aux extrêmes évolutifs de cette pathologie posent des problèmes thérapeutiques nouveaux et croissants sur le plan des indications chirurgicales. D’une part les toutes petites lésions de découverte fortuite, et d’autre part les métastases hépatiques ou péritonéales traitées par les anti-tyrosines kinases de toutes générations.

Summary

Complete resection without tumor rupture remains the mainstay of treatment for patients with localized, resectable GIST. The surgical indications should take into account the size and location of the tumor, both of which influence the risk of recurrence. More micro-GISTs are being discovered with more frequent investigations, raising the question of a wait-andsee policy for some patients. Imatinib is the standard treatment for patients with locally advanced inoperable and metastatic tumors. Secondary excision of residual disease has been linked to a better prognosis in patients who respond to imatinib, but it is unclear whether this is due to the surgery itself or to a selection bias. The EORTC trial, designed to resolve this issue, was closed because of low accrual.

CHIRURGIE DES GISTS PRIMITIVES LOCALISÉES

La biopsie n’est utile que lorsque l’exérèse d’une petite tumeur n’est pas envisagée (par exemple, en raison de l’âge ou de l’état physiologique) et dans le cas d’une tumeur localement évoluée ou d’emblée métastatique afin de définir un traitement néo-adjuvant [4]. Celle-ci peut être effectuée dans le cadre d’une écho endoscopie ou par voie percutanée. Les avantages et les risques potentiels de la biopsie doivent être pesés lors d’une réunion multidisciplinaire.

La chirurgie des GISTS primitives reste une résection macroscopiquement complète, sans effraction tumorale [4, 5]. Dans la classification récente de Joensuu, les patients qui ont eu une rupture tumorale sont malheureusement de même pronostic que les patients métastatiques [6]. La chirurgie coelioscopique ne doit être proposée que pour les tumeurs intra murales, lorsque la séreuse est indemne et que la résection peut être effectuée avec des marges saines sans risque d’effraction par un opérateur entraîné [7]. Le curage lymphatique n’est pas réalisé de manière systématique [4] car les GISTs sont peu lymphophiles : le taux d’envahissement ganglionnaire est habituellement inférieur à 10 % et le risque de récidive ganglionnaire inférieur à 5 %.

Les berges d’exérèse doivent être indemnes d’infiltration tumorale [8], mais il n’existe pas de consensus sur la distance de sécurité nécessaire entre le bord de la tumeur et la tranche de section chirurgicale. Dans une étude rétrospective, la médiane de survie sans récidive locale était de l’ordre de cinq ans chez les patients ayant bénéficié d’une résection segmentaire, versus un an chez ceux qui avaient eu une simple énucléation [8]. Ceci est certainement à pondérer en fonction de la taille et de la topographie de la tumeur qui conditionnent toutes deux le risque d’agressivité de la tumeur. En effet, la classification du risque de malignité des GISTs établie initialement par Fletcher [9)] qui était utilisée dans l’inclusion des patients dans les essais d’adjuvant, ne tient compte que de la taille tumorale et du nombre de mitoses.

Or les études de Mittienen [10] soulignent l’importance de la localisation, en opposant les GISTs gastriques (de meilleur pronostique) et les GISTs non gastriques (intestin grêle et rectum). Les indications du choix de la technique devront donc intégrer la taille tumorale mais également la topographie. Les GISTs du rectum sont essentiellement de haut risque [11] et les techniques d’exérèse locales exposent clairement à un risque de récidive accru par rapport aux résections antérieures du rectum [12]. A l’opposé, pour les lésions gastriques, une résection atypique (‘‘ wedge resection ’’) peut être effectuée (par exemple dans le cas d’une lésion sous cardiale) ou une résection segmentaire (par exemple pour une lésion antrale). Comme les « petites » lésions gastriques et œsophagiennes ont une très bonne survie globale, on peut discuter des méthodes d’exérèse moins invasives. Il faut néanmoins avoir informé le patient des avantages et des inconvénients potentiels d’une résection localisée, et assurer un suivi régulier [13].

Avec le développement des techniques d’imagerie et d’écho-endoscopie, de plus en plus de « petites » GISTs sont découvertes fortuitement. On bute sur la définition de « petit » en fonction des localisations, et il n’y a pas de consensus sur la conduite à tenir ni de niveau de preuve dépassant l’accord « d’experts »…. Une étude réalisée sur cent pièces de gastrectomie effectuées pour des adénocarcinomes gastriques montre qu’il existe 50 GISTs microscopiques sur 35/100 estomacs, tous positifs pour KIT et/ou CD34 et desmine négatifs [14]. Ceci suggère que seuls certains grossissent et deviennent malins. Une autre étude réalisée sur des autopsies systématiques pratiquées chez des patients âgés de plus de cinquante ans, a retrouvé sur 35 % des pièces gastriques des micro-GISTs dont 8 % présentaient des mutations de l’exon 11 [15]. Avec le développement des techniques de diagnostic, ces petites lésions vont être détectées de plus en plus fréquemment, ce qui soulève la question de leur méthode d’exérèse voire de leur surveillance pour certains, en particulier sur les localisations de bon pronostic.

Lorsque la lésion est résécable, un traitement néo-adjuvant par Imatinib n’est pas indiqué [4], par contre, l’Imatinib peut être indiqué après concertation pluridisciplinaire quand on estime qu’il peut modifier le geste opératoire en simplifiant la chirurgie ou en permettant une résection moins mutilante (préservation sphincté- rienne pour le rectum par exemple). Ceci nécessite un suivi attentif afin de dépister précocement les 10 % de GIST d’emblée résistants à l’Imatinib.

CHIRURGIES DES GISTS MÉTASTATIQUES POST IMATINIB

Plusieurs études rétrospectives ont évalué la survie sans progression des patients ayant bénéficié d’une chirurgie secondaire après un traitement par Imatinib [16-19].

Les médianes de survie sans progression à dater de l’institution de l’Imatinib ou à dater de la chirurgie, oscillent entre quinze et trente mois. Or la médiane de survie sans progression des patients porteurs d’un GIST en récidive et/ou métastatique et traités par Imatinib est de l’ordre de vingt-quatre mois [20]. Ceci suggère que l’acte chirurgical sur les reliquats métastatiques macroscopiques ne modifie pas clairement la survie sans progression, ceci d’autant que l’Imatinib doit être poursuivi en post opératoire [21]. Le bénéfice de la chirurgie ne concerne peut être que certains sous groupes à définir. C’est la raison pour laquelle l’EORTC a débuté une étude randomisée sur la population des patients métastatiques traités par Imatinib. Seuls les patients répondeurs ou en maladie stable étaient inclus, car il a été montré que la chirurgie était peu utile en cas de progression diffuse de la maladie [19]. Le bras contrôle de l’étude était la poursuite de l’Imatinib, le bras en investigation était une chirurgie maximale associée à la poursuite de l’Imatinib. Malheureusement, cette étude a été stoppée en 2011 en raison du faible nombre d’inclusions, en raison principalement de sa faible acceptabilité par les patients et du fait que de nombreux TKI de deuxième génération devenaient disponibles.

Récemment, l’étude de phase 2 du RTOG 0132 [22], a évalué l’impact de l’Imatinib administré en néo adjuvant pendant deux mois à la dose de 600 mg puis en adjuvant pendant deux ans. Si la qualité de la chirurgie a impacté la survie des patients présentant des tumeurs primitives, la qualité de la chirurgie n’a pas impacté la survie des patients métastatiques, en particulier qu’ils soient ou non opérés. Bien sûr, les groupes sont de petite taille, mais ces résultats montrent encore que le bénéfice de la chirurgie des patients métastatiques sous Imatinib n’est pas démontré.

CONCLUSION

Le traitement chirurgical d’une tumeur stromale gastro-intestinale localisée doit être macroscopiquement complet, sans effraction tumorale et avec des marges saines tout en privilégiant une exérèse fonctionnelle. Avec le développement des méthodes investigationnelles et la connaissance de cette pathologie, de plus en plus de micro GISTs sont découvertes faisant discuter des prises en charge moins agressives, en particulier sur les topographies de meilleur pronostic. Le bénéfice potentiel de la chirurgie des GISTs métastatiques traitées par Imatinib n’est pas démontré et les indications opératoires doivent être discutées au cas par cas en réunion multidisciplinaire.

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DISCUSSION

M. Jacques ROUËSSÉ

La prise en charge initiale des GISTs dans des centres non référents pose-t-elle les mêmes questions que celles des sarcomes des organes pleins ?

Dans la majorité des cas, la chirurgie des GISTs fait appel à des techniques d’exérèse qui sont bien maîtrisées par les chirurgiens viscéraux, car il s’agit de résections partielles ou complètes d’organes selon les mêmes modalités que les carcinomes. Il est néanmoins nécessaire de bien connaître les indications, de façon à proposer une extension adaptée du geste chirurgical. En revanche, la chirurgie des GISTs localement évoluées nécessite plus d’habitude en raison du risque de rupture per opératoire, a fortiori après un traitement néo-adjuvant qui réduit mais fragilise la tumeur. Une rupture tumorale expose au même pronostic que la présence des métastases. La réalisation technique de cette chirurgie est donc globalement plus simple que celle des sarcomes rétro-péritonéaux (espaces pleins) qui associe des résections multi organes pour des questions de marges et nécessite une grande habitude afin d’éviter toute effraction tumorale et/ou reliquat tumoral, malheureusement très fréquemment observés.

 

<p>* Chirurgie, Institut Gustave Roussy, 39, rue Camille Desmoulins — 94805 Villejuif ; e-mail : bonvalot@igr.fr Tirés à part : Professeur Sylvie Bonvalot, meme adresse Article reçu le 18 avril 2012, accepté le 14 mai 2012</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2012, 196, nos 4-5, 855-860, séance du 15 mai 2012