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Séance du 18 novembre 2003

Accouchement sous X : les nouvelles dispositions législatives

MOTS-CLÉS : adoption.. confidentialité. enfant abandonné. grossesse haut risque. grossesse non désirée. parturition
Secret motherhood : the new French law
KEY-WORDS : adoption.. confidentiality. parturition. pregnancy, high-risk.child, abandoned. pregnancy, unwanted

Roger Henrion*

Résumé

Le 10 janvier 2002, les députés ont définitivement adopté, à l’unanimité, la loi relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’Etat, publiée au journal officiel du 23 janvier 2002. Son décret d’application signé le 3 mai 2002 concerne le Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP). Cette loi, cherche à concilier l’intérêt des adultes à la recherche de leur origine, celui des femmes enceintes qui souhaitent taire leur maternité, et celui des enfants, qui ont le droit de naître vivant dans les meilleures conditions et d’avoir, si possible, une enfance heureuse. En un mot, le législateur s’est efforcé de trouver un équilibre entre des souffrances extrêmes. La loi nouvelle ne contraint pas la mère de naissance à communiquer son identité, même de manière confidentielle. La femme qui demande, lors de son accouchement, la préservation du secret de son admission et de son identité est invitée à laisser, si elle l’accepte, des renseignements sur sa santé et celle du père, les origines de l’enfant et les circonstances de la naissance ainsi que, sous pli fermé, son identité. Ce pli sera conservé par le service de l’Aide sociale à l’enfance du département (ASE) et ne sera ouvert que par un membre du CNAOP si cet organisme est saisi d’une demande d’accès à la connaissance de ses origines par l’enfant devenu adulte ou, si il est mineur, par son ou ses représentants légaux ou par lui-même avec l’accord de ceux-ci. Dans ce cas, la mère sera recherchée et contactée par le CNAOP qui lui demandera de confirmer ou non son désir de secret. D’autre part, la mère de naissance est informée qu’à tout moment, elle peut lever le secret de son identité qu’elle ait accouché sous X ou confié son identité sous pli fermé, mais qu’elle n’aura pas la possibilité légale de rechercher son enfant. Les effets bénéfiques ou non des nouvelles dispositions législatives ne pourront être jugées que dans quelques années. L’une des clés du problème est dans une meilleure prise en charge de ces femmes dans les services de gynécologie-obstétrique.

Summary

The French parliament adopted in January 2002 a law on access to the origins of persons who where adopted at birth. The National Council for access to personal origins (CNAOP) was created in order to apply this new law. The law’s purpose was to attempt to conciliate the interests of adults who wish to know their origins, those of pregnant women who want to keep their motherhood secret, and those of children who have the right to live in the best conditions, and obtain the best possible chance of having a happy childhood. In short, the legislator attempted to find a balance between situations of extreme suffering. The new law does not impose on the natural mother to communicate her identity, even confidentially. A woman who requests, at the time of delivery, that her admission and her identity be kept secret, is encouraged to leave, on a voluntary basis, information on her health and that of the father, the origins of the child and the circumstances of birth, as well as her identity, in a sealed envelope. In this sealed envelope, she can specify her name, her date and place of birth. On the cover of the envelope are written the first names that she may have chosen for the child, as well as its sex, date, hour and place of birth. This envelope is stored and can be unsealed only by a member of the CNAOP if this organism is solicited by the child when reaching adulthood, or if the child is minor, by his legal representatives or by himself with these representatives’ approval. In this case, CNAOP can search for the mother and contact her. She may maintain or waive the secret of her motherhood. Furthermore, the natural mother can at any time waive the secret of her identity, in the event that the child solicits the CNAOP, but she does not have the right to search for the child. It will take several years to determine whether the effects of these new dispositions are beneficial or not. One of the keys to this problem is improved management of these women in the departments of obstetrics and gynecology.

INTRODUCTION

La 10 janvier 2002, les députés ont définitivement adopté, en 2ème lecture et à l’unanimité, une loi relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’État publiée au journal officiel du 23 janvier 2002 [1]. Son décret d’application signé le 3 mai 2002 a mis en place un Conseil National pour l’Accès aux Origines Personnelles (CNAOP) [2]. Cette loi vise à aménager l’accouchement avec demande de secret de l’identité de la mère, à l’informer de ses droits et à l’accompagner. Certes, elle préserve la possibilité de garder le secret le plus absolu mais la lettre et l’esprit de son texte est de faciliter l’accès aux origines, tout en garantissant le respect de l’intimité de la vie privée.

Cette nouvelle loi est la résultante d’une série de rapports aboutissant à des conclusions assez proches. Le premier, celui du Conseil d’Etat de mai 1990 s’intitule « Statut et protection de l’enfant » [3]. Le dernier, celui de Madame Véronique Neiertz en 2001 s’intitule « Le projet de loi relatif à l’accès aux origines personnelles » [4]. L’Académie nationale de médecine s’est prononcée, quant à elle, en avril 2000, sur l’accouchement dit sous X » [5]. Tous les auteurs ont cherché à concilier le conflit d’intérêt entre les femmes qui souhaitent taire leur maternité, les enfants qui ont le droit de naître dans les meilleures conditions et d’avoir une enfance heureuse, et les adultes à la recherche de leur origine dont l’ignorance constitue pour nombre d’entre eux une terrible souffrance psychique.

LES FEMMES RECOURANT A L’ACCOUCHEMENT SECRET

On aurait pu croire que le développement des méthodes permettant aux femmes de maîtriser leur fécondité rendrait caduque la disposition permettant l’accouchement dans le secret. Il n’en est rien. Il reste un nombre, certes de plus en plus réduit mais persistant, de grossesses suivies d’accouchements non souhaités et d’accouchements dits sous X. On n’en connaît pas le nombre exact. La seule donnée dont on dispose est celle du nombre d’enfants admis comme pupilles de l’État dont une partie sont des enfants « nés sous X ». Ce nombre qui était de 10 000 environ dans les années 50 était de 674 en 2001.

Une question se pose donc : qui sont ces femmes recourant encore actuellement à l’accouchement sous X ? Plusieurs études épidémiologiques et sociologiques en ont précisé le profil. L’une des plus importantes, faite à la demande du Ministère de l’Emploi et de la Solidarité, en octobre 1999, a porté sur 2000 femmes [6].

Le premier profil est celui de très jeunes femmes n’ayant aucune autonomie. Il convient de rappeler à ce propos que, jusqu’en 2001, l’interruption volontaire de grossesse pour les mineures nécessitait le consentement des parents, consentement qui n’est plus désormais nécessaire. Deux tiers des femmes qui accouchent dans le secret ont moins de 25 ans, une sur deux a moins de 23 ans. Non seulement ces mères sont en moyenne beaucoup plus jeunes que les autres accouchées mais il semble qu’elles soient aujourd’hui un peu plus jeunes que par le passé et ceci à l’inverse de l’évolution observée dans la population générale.

Le deuxième profil est celui de jeunes femmes appartenant à une famille musulmane et vivant encore chez leurs parents. Elles sont originaires du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne, où la grossesse hors mariage est perçue comme un déshonneur. Leur proportion parmi celles qui accouchent dans le secret, est en augmentation. Elle varie de 30 à 50 % selon les régions et dépasse 50 % dans certains hôpitaux de la région parisienne. Les conséquences pour ces jeunes femmes, si elles gardent leur enfant et dévoilent leur grossesse, peuvent être dramatiques. Non seulement elles risquent d’être rejetées par leur famille mais elles peuvent être l’objet de représailles physiques très graves, voire menacées de mort.

Un troisième profil , qui recoupe parfois les deux autres, est celui de femmes non ou mal insérées professionnellement, en proie à de très grandes difficultés matérielles, parfois sans abri. Les plus jeunes d’entre elles sont des mères célibataires en cours de scolarité ou d’études, à la recherche d’un premier emploi ou sans profession. Elles sont le plus souvent primipares mais ont parfois déjà un ou deux jeunes enfants à charge. Les plus âgées sont des femmes séparées, divorcées ou abandonnées, parfois marquées par un long passé de violences conjugales. Elles ont habituellement plusieurs enfants à charge. Une minorité non négligeable est issue d’un milieu aisé.

Ce n’est pas la misère qui les conduit à abandonner leur enfant mais la pression familiale, le désir de poursuivre leurs études ou de trouver un emploi.

Un dernier groupe dont l’importance est difficile à déterminer, de l’ordre de 20 % des cas, est constitué de femmes ayant subi viol ou inceste dont on comprend aisément le sentiment de rejet.

Dans l’ensemble , il s’agit toujours de femmes dans une extrême détresse morale, face à une grossesse non souhaitée [7]. L’abandon de l’enfant est une solution de panique, de désespoir. Certaines femmes, dans une situation inextricable, estiment donner ainsi de meilleures chances à l’enfant en permettant son adoption. On a même pu parler d’acte d’amour [8-9]. D’autres, au contraire, violentées, enceintes par inadvertance ou n’ayant que mépris pour leur partenaire expriment un farouche déni de grossesse. Par un phénomène mal expliqué, elles arrivent alors à tromper leur entourage le plus proche. Même les médecins, pour peu qu’ils ne soient pas très avertis, peuvent se tromper sur l’existence ou l’âge de la grossesse. L’abdomen grossit anormalement peu jusqu’au voisinage du terme et les femmes disent ne pas avoir perçu les mouvements du fœtus. Pour la femme qui est contrainte à l’abandon, la possibilité du secret lui permet de cacher cet acte aux yeux de la société et de son entourage. Elle préserve sa liberté de décision et le choix de son avenir. Elle évite le recours à un abandon sauvage voire à un infanticide.

LA NOUVELLE LOI FRANCAISE

Elle a deux volets, l’un prospectif, l’autre rétrospectif [1]. Elle est mise en œuvre par le Conseil National pour l’Accès aux Origines Personnelles (CNAOP) [2].

Le volet prospectif

Il est cohérent. La loi ne contraint pas la mère de naissance à communiquer son identité, même de manière confidentielle. Un article pivot (article L. 222-6 du Code de l’aide sociale et de la famille : CASF) fait référence expressément à l’acceptation de la femme, ce qui, ajouté à l’interdiction d’exiger d’elle une pièce d’identité ou de faire une enquête, permet de la rassurer sur le respect de sa liberté. Mais il énonce aussi que la femme doit être informée des conséquences juridiques de sa demande de secret, et de l’importance pour toute personne de connaître ses origines et son histoire.

La femme est invitée, au moment de son accouchement, à laisser des renseignements sur sa santé et celle du père, les origines de l’enfant, les circonstances de sa naissance ainsi que dans une enveloppe cachetée : son nom, ses prénoms, la date et le lieu de sa naissance. A l’extérieur de l’enveloppe figureront les prénoms qu’éventuellement elle aura choisis pour l’enfant ainsi que le sexe, la date, l’heure et le lieu de la naissance de ce dernier. Ce pli sera conservé fermé par le service de l’Aide sociale à l’enfance du département (ASE) et sera ouvert uniquement par un membre du CNAOP si celui-ci est saisi d’une demande d’accès à la connaissance de ses origines par l’enfant devenu adulte ou, si il est mineur, par son ou ses représentants légaux ou par lui-même avec l’accord de ceux-ci. Dans ce cas, la mère sera contactée par le CNAOP qui lui demandera de confirmer ou non son désir de secret.

D’autre part, la mère de naissance est informée qu’à tout moment, elle peut lever le secret de son identité qu’elle ait accouché sous X ou confié son identité sous pli fermé. Elle peut également remettre ce pli ultérieurement ou compléter les renseignements donnés lors de la naissance. En revanche, elle n’aura pas la possibilité légale de rechercher l’enfant qu’elle a abandonné. L’initiative ne peut venir que de l’enfant.

La loi confie aux correspondants départementaux du CNAOP la charge d’assurer la mise en œuvre de l’accompagnement psychologique et social de la femme, de lui délivrer les informations nécessaires, de recueillir les renseignements non identifiants et éventuellement le pli fermé. Une difficulté pratique est d’accomplir ces tâches dans le temps très bref qui est actuellement celui de l’hospitalisation de la mère en maternité. La loi énonce donc que ces formalités, à défaut de la présence d’un correspondant départemental, pourront être accomplies sous la responsabilité du directeur de l’établissement de santé.

Enfin, la nouvelle loi prévoit que la prise en charge des frais d’hébergement et d’accouchement n’est plus subordonnée à la seule demande de secret mais qu’elle s’applique dès lors que l’enfant est confié en vue d’une adoption.

Le volet rétrospectif

Il est plus délicat à appliquer. En effet, la loi nouvelle est une loi dite de procédure qui appréhende toutes les situations existantes et le CNAOP est saisi de demandes d’accès aux origines par des personnes nées il y a 30, 40, 50 ans ou plus. Or le droit a été modifié à plusieurs reprises au cours du siècle dernier, la dernière réforme datant de juillet 1996. Jusqu’à présent, une personne à la recherche de ses origines pouvait adresser sa demande au service de l’aide sociale à l’enfance de son département de naissance ou à l’organisme d’adoption privé auquel elle avait été confiée.

Dans l’hypothèse d’un refus de communication de documents fondé sur le respect de l’intimité de la vie privée, elle pouvait saisir la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA). En cas de litige, le demandeur pouvait en dernier ressort saisir la juridiction administrative qui seule, par une décision s’imposant aux services départementaux et aux organismes d’adoption, pouvait déterminer les modalités de la communication des documents. Désormais la communication au demandeur « d’éléments permettant d’identifier sa mère biologique est subordonnée dans tous les cas à l’intervention du CNAOP auquel il revient de s’assurer que celle-ci ne s’oppose pas à la divulgation de ces documents ».

L’article 147-7 de la loi précise par ailleurs que l’accès d’une personne à ses origines est sans effet sur l’état civil et la filiation. Il ne fait naître ni droit ni obligation au profit ou à la charge de qui que se soit.

LE CONSEIL NATIONAL POUR L’ACCÈS AUX ORIGINES PERSONNELLES (CNAOP)

Sa constitution

Le Conseil est chargé d’appliquer la loi. Il est composé de 17 membres désignés par un arrêté du 22 août 2002 [2]. Certains sont institutionnels : deux magistrats, l’un judiciaire, l’autre administratif, six directeurs d’administration centrale (deux du ministère des affaires sociales et un pour chacun des ministères suivants, justice, affaires étrangères, intérieur et outre-mer), ainsi qu’un représentant des conseils généraux. D’autres sont des représentants d’associations, trois pour la défense des droits des femmes, un pour les associations de familles adoptives, un pour les pupilles de l’État, un pour la défense du droit à la connaissance de ses origines.

Enfin, deux sont des personnalités qualifiées désignées en raison de leur expérience et compétence médicale, paramédicale ou sociale. Le conseil est assisté d’un secré- tariat général dirigé par un magistrat. Il a été mis en place le 12 septembre 2002 par le Ministre de la Santé, de la Famille et des Personnes handicapées et le Ministre délégué à la famille.

La compétence du CNAOP est nationale et articulée avec celle des départements, puisque les présidents des conseils généraux ont pour responsabilité de conserver d’une part, les plis fermés contenant l’identité de la mère et les levées de secret qui seront transmis au CNAOP sur sa demande et d’autre part, les demandes d’accès aux origines et les déclarations de levée du secret transmises par le CNAOP. Deux personnes au moins, habituellement membres de l’Aide Sociale à l’Enfance ou de la Protection maternelle et infantile (PMI), doivent être désignées dans chaque département par le président du Conseil général pour assurer les relations avec le CNAOP et mettre en œuvre le recueil éventuel de l’identité de la mère de naissance dans la confidentialité, ainsi que son accompagnement psychologique et social.

Son rôle

Le CNAOP est réellement au cœur du dispositif de la loi :

— il reçoit la demande écrite des personnes qui recherchent leur origine, accompagnée des justificatifs de l’identité et de la qualité de leur auteur. Cette demande peut également être adressée au président du Conseil général ;

— il dispose d’un mois pour transmettre copie des demandes qu’il reçoit au président du Conseil général. Dans le cas où le président du Conseil général a été directement saisi, il dispose d’un mois pour transmettre au CNAOP celles qui méritent instruction en l’absence de levée de secret présente dans le dossier ;

— il reçoit les déclarations expresses de levée du secret du père ou de la mère de naissance ou des ascendants, descendants ou collatéraux privilégiés du père ou de la mère de naissance. Ceux-ci sont avisés que la déclaration d’identité ne sera communiquée à la personne concernée que si celle-ci fait elle-même une demande d’accès à ses origines ;

— il recherche la mère de naissance, possédant pour cela des prérogatives propres pour se faire communiquer les actes de naissance d’origine par le procureur de la République ainsi que des renseignements afin de déterminer l’adresse des parents de naissance par les administrations ou services de l’état et des collectivités publiques et les organismes sociaux ;

— il doit s’assurer du consentement express de la mère de naissance à la levée du secret ou de sa volonté de le préserver ;

— en cas d’acceptation, il procède à la communication de l’identité de la mère de naissance et l’identité des ascendants, descendants et collatéraux de la mère et l’un de ses membres servira de médiateur ;

— en l’absence d’accord de la mère de naissance, il ne transmet que des renseignements ne portant pas atteinte à son identité.

Une autre mission du CNAOP est de veiller à l’harmonisation des pratiques très diverses en vigueur dans les Conseils généraux, les services sociaux départementaux et les établissements de santé publics ou privés.

Une dernière mission est d’établir des statistiques relatives au nombre d’accouchements avec demande de secret, avec dépôt d’un pli fermé ou non, pour éviter les extrapolations abusives et mesurer l’impact de la réforme. Il serait intéressant de pouvoir recenser également le nombre des abandons (ce qui est difficile) et celui des infanticides (ce qui est actuellement impossible car mêlé aux homicides de mineurs âgés de 15 ans ou moins).

Ses difficultés

Le travail du CNAOP est délicat. Recevoir les demandes toujours pressantes des adultes cherchant leurs mères d’origine, rechercher celles-ci, savoir les contacter sans provoquer de drames, recueillir leur consentement ou leur refus, le transmettre à ceux qui sont en attente depuis souvent de très nombreuses années, accompagner les retrouvailles, n’est jamais simple. Ainsi, le CNAOP est accusé par les uns d’être une officine favorable aux organismes d’adoption, par les autres d’être à la solde de ceux qui recherchent leur origine.

Il peut décevoir les adultes en quête de leur origine. Par exemple, il ne peut pas communiquer l’identité de la mère si le dossier est vide, s’il est impossible de la retrouver ou s’il ne peut pas la joindre pour s’assurer de sa volonté. Il ne peut également que refuser de communiquer l’identité de la mère si elle ne consent pas à lever le secret, ce qui sera toujours très mal ressenti par l’adulte. D’autre part, la découverte d’une mère peut ne pas correspondre à l’image idéalisée que l’enfant a pu s’en faire. C’est pourquoi la demande devra toujours être mûrie et l’adulte contacté à deux ou trois reprises pour savoir la vraie nature de ce qu’il recherche et s’assurer de son désir d’aller jusqu’au terme de sa démarche.

Il peut aussi profondément perturber les mères de naissance. On imagine l’angoisse que peuvent ressentir ces femmes qui ayant accouché il y a bien des années, voient surgir ce retour brutal de leur passé. On conçoit les catastrophes familiales que cela peut déclencher : divorce, séparation, suicide. Le problème est humain autant que juridique. En tout état de cause, les décisions du CNAOP pourront être déférées au juge administratif, seul compétent pour trancher les litiges éventuels.

Le travail du CNAOP a éveillé la crainte des familles adoptives qui redoutent qu’il ne répande la perturbation dans des foyers équilibrés et jusque là heureux. On peut craindre que la nouvelle législation n’encourage les familles à se tourner vers l’adoption internationale avec les risques que cela comporte.

L’AVAL DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME

La grande chambre de la Cour européenne des Droits de l’Homme a donné acte à la France de sa tentative de conciliation entre les intérêts des femmes, des enfants et des adultes à la recherche de leur origine, lors d’une audience publique le 9 octobre 2002, à la suite d’une plainte introduite contre la France par une jeune femme abandonnée, Madame Pascale Odièvre [10-11]. Elle a jugé que « la législation française tente d’atteindre un équilibre et une proportionnalité suffisants entre ces intérêts ». Il est à noter que l’avocat de l’Etat français a largement repris, dans sa plaidoirie, bon nombre d’arguments figurant dans le rapport de l’Académie nationale de médecine [5].

LES PREMIERS RÉSULTATS

Ils ont été exposés le 10 septembre 2003, lors d’une conférence de presse tenue conjointement par le Ministre de la Santé, de la Famille et des Personnes handicapées et le Ministre délégué à la Famille [12].

Depuis l’installation du CNAOP, le 12 septembre 2002, par le Ministre de la Santé, de la Famille et des Personnes handicapées et le Ministre délégué à la Famille, et ce jusqu’au 14 août 2003, le nombre de demandes d’accès aux origines parvenu au secrétariat général a été de 609. Le nombre de demandes mensuelles, proche de 100 en octobre 2002, premier mois d’enregistrement, semble se stabiliser aux environ de 40 depuis mai 2003. 81 % des personnes recherchant leur origine sont âgées de plus de 29 ans : 37 % ont plus de 50 ans et 44 % ont de 30 à 49 ans. Il n’y en a que 3 % âgés de moins de 18 ans. Par ailleurs, 63 % des demandes proviennent de femmes.

Près de 80 dossiers ont été traités à cette date. Dans près de la moitié des cas l’identité de la mère de naissance a été retrouvée. Avec l’accord des personnes concernées, les chargés de mission du secrétariat général du CNAOP ont alors pris contact avec ces mères par téléphone, avec toute la discrétion désirable, pour leur demander leur avis.

Environ un tiers d’entre elles refuse d’emblée de lever le secret. D’autres, sans mentionner leur identité, acceptent de confier par lettre les circonstances de la conception de l’enfant, de sa naissance et la raison de l’abandon. D’autres acceptent de donner leur identité. Les chargés de mission du CNAOP favorisent alors la rencontre entre les mères et leurs enfants et accompagnent leur mise en relation.

Par ailleurs, le nombre de levées spontanées de secret a été de 48.

CONCLUSION

Les effets bénéfiques ou non des nouvelles dispositions législatives ne pourront être réellement jugés que dans quelques années. On peut craindre, si les femmes pensent que leur vie privée est menacée, que les enveloppes cachetées ne soient vides de tout renseignement ou ne contiennent que de faux renseignements. On peut redouter également que le nombre des accouchements sous X ou pire des abandons « sauvages » ou des infanticides n’augmente à nouveau.

En fait, l’une des clés du problème est dans une meilleure prise en charge de ces femmes dans les services de maternité publics ou privées. Il est indispensable de leur donner tous les éléments leur permettant de prendre leur décision en toute connaissance de cause, sans qu’aucune pression ne s’exerce sur elles. Malheureusement, les séjours en maternité étant de plus en plus courts, il est difficile d’agir efficacement auprès de ces femmes souvent très jeunes, en extrême détresse. L’information qui leur est donnée est parfois indigente. L’accueil qui leur est réservé est encore trop souvent indifférent, réprobateur ou méprisant, ce qui les laisse dans un profond désarroi.

BIBLIOGRAPHIE [1] Loi no 2002-93 du 22 janvier 2002 relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’État.

[2] Décret no 2002-781 du 3 mai 2002 relatif au Conseil national pour l’accès aux origines personnelles et à l’accompagnement et l’information des femmes.

[3] BOUCHET P. — Statut et protection de l’enfant. La Documentation française . Paris. 1991.

[4] NEIERTZ V. — Rapport sur le projet de loi (no 2870) relatif à l’accès aux origines personnelles.

Les documents législatifs de l’Assemblée nationale 2001, no 3086 , 1-76.

[5] HENRION R. — À propos de l’accouchement sous X.

Bull. Acad. Natle Med. 2000, 184 , 815-821.

[6] KACHOUKH F. — Accouchement « sous X » et secret de ses origines : comprendre et accompagner les situations en présence. Groupe de travail sur l’accouchement « sous X ». Rapport au Ministre de l’Emploi et de la Solidarité , Service des Droits des Femmes. Octobre 1999.

[7] MARINOPOULOS S. — De l’une à l’autre. De la grossesse à l’adoption.

Hommes et perspectives ,

Martin media. Revigny. 1997.

[8] GUILLIN J. — De l’oubli à la mémoire. Xavier Lejeune. Lyon. 2003.

[9] BONNET C. — Geste d’amour. L’accouchement sous X. Odile Jacob. Paris. 2001.

[10] LE BOURSICOT M.-C. — La CEDH valide le dispositif français relatif à l’accouchement sous X et à la connaissance de ses origines. Revue Juridique. Personnes et Famille . 2003, 4 , 19-20.

[11] Cour européenne des Droits de l’Homme. Greffe de la Cour européenne des Droits de l’Homme.

F. 67075 — Strasbourg Cedex.

[12] Conférence de Presse le 10 septembre 2003, Ministère de la Santé, de la Famille et des Personnes Handicapées.

 

Bull. Acad. Natle Méd., 2003, 187, no 8, 1587-1596, séance du 18 novembre 2003