Rapport
Séance du 28 octobre 2014

À propos du projet de loi relatif à la santé

Michel HUGUIER *

Ce projet de loi affiche des objectifs très généraux, comme rassembler tous les acteurs concernés dans une stratégie commune, renforcer la prévention et l’efficacité des politiques publiques,   garantir la pérennité du système de santé. De tels objectifs ne peuvent qu’être approuvés par tous. L’Académie après une lecture attentive de l’ensemble du projet exprime cependant des réserves sur plusieurs des dispositions envisagées.

Une loi dont l’ambition est la  « refondation » de la politique de santé a des conséquences directes sur son financement qui est assuré pour les trois quarts par les caisses d’Assurance maladie. Elle doit s’inscrire dans l’objectif affiché par le gouvernement, de 50 milliards d’économie de dépenses publiques d’ici 2017 [1].

Les remarques de l’Académie reposent sur l’expérience de ses membres et, pour nombre d’entre eux, sur les responsabilités administratives qu’ils ont exercées. Elles font appel à des données scientifiques et médicales aisément consultables. Notre objectif a été ici d’examiner le projet de loi article par article, sans laisser de côté les conséquences financières des mesures préconisées.

Article 2 sur la promotion de la santé en milieu scolaire

L’Académie a publié un rapport sur la prévention en santé chez les adolescents [1]. Elle regrette que le projet de loi n’ait pas pris des dispositions plus concrètes sur la prévention et le développement d’une information dès la préadolescence (6-12 ans) concernant l’alcoolisme, l’obésité, les drogues, le tabagisme. Elle recommandait dans ce rapport des actions faisant appel aux groupes de jeunes eux-mêmes (éducation par les pairs). Elle insistait également sur la nécessité d’encourager la pratique du sport et, tout au moins, de maintenir une activité physique suffisante.

Article 4 sur la consommation d’alcool.

L’Académie partage les inquiétudes liées au développement de la consommation d’alcool par les adolescents. L’alcool est aujourd’hui la première cause de mortalité chez les jeunes et devient une porte ouverte à l’usage d’autres drogues. De 2008 à 2011, la consommation régulière d’alcool chez les adolescents a progressé, aussi bien chez les garçons que chez les filles, en particulier sous forme d’intoxication alcoolique aiguë destinée à provoquer l’état d’ivresse [2]. Cette pratique est observée à un âge de plus en plus précoce. Outre de dramatiques accidents mortels, la neuro-imagerie a montré que l’alcoolisme chez les jeunes entraînait des modifications structurelles dans plusieurs zones cérébrales, source d’un déficit des fonctions cognitives.

La rédaction de l’article condamnant le fait de provoquer directement l’état d’ivresse chez un mineur ou de le pousser à  consommer de façon  habituelle de l’alcool laisse supposer que la provocation indirecte n’est pas répréhensible. Plus de détails devraient être donnés sur les critères qui permettront la mise en cause des responsables.

L’Académie regrette que le projet de loi prenne peu en compte la lutte contre la consommation de cannabis. Elle rappelle qu’elle entraîne une diminution notable du quotient intellectuel, et peut laisser des lésions cérébrales irréversibles lorsqu’elle débute à l’adolescence.

Le rapport coût-efficacité bénéfique de l’éducation et de la prévention a été prouvé si elle s’inscrit dans la durée [2]. La sensibilisation en milieu scolaire doit se situer préférentiellement en classes de 5ème et de 4ème. La prévention ne peut porter ses fruits que si elle est coordonnée avec des messages émis auprès des parents et relayés par les milieux éducatifs [2].

L’Académie aurait vivement souhaité que, selon ses recommandations, les mesures de lutte contre le tabagisme soient étendues à l’alcoolisme : interdiction  des supports visibles par  tous ; limitation des messages publicitaires à la seule description du produit [3].

 

Article 5 sur l’information nutritionnelle du consommateur.

 

L’obésité devient un sujet majeur de santé publique [4]. En France, en 2009, 6,5 millions d’adultes (âgés de plus de 18 ans) étaient obèses, soit 15% de la population ; 4% d’entre eux avaient une obésité massive [5]. En 2005-2006, chez les enfants de 5-6 ans, un surpoids était observé chez 11% à 14% d’entre eux, dont 3% d’obèses [6]. L’obésité augmente le risque de diabète de type 2 (multiplié par 10), d’hypertension artérielle et d’infarctus du myocarde (multiplié par 5), de dyslipidémie (multiplié par 4), auxquels s’ajoutent les artériopathies des membres inférieurs, les apnées du sommeil, les gonarthroses etc. Pour l’assurance maladie, le surcoût de l’obésité a été estimé entre 2,1 milliards et 6,2 milliards d’euros, selon que l’on incluait ou non le montant des indemnités journalières [7]. Il représentait 7% des dépenses de l’ONDAM en 2008 [8]. 

Devant ces données, les dispositions de l’article 5 du projet de loi paraissent bien modestes et risquent d’être peu efficaces. 

L’éducation alimentaire doit être assurée dans le cadre  plus général de l’apprentissage des mesures propres à maintenir un bon état de santé. En outre, des mesures règlementaires  devraient freiner la consommation des nutriments qui favorisent l’obésité, notamment les boissons avec sucre ajouté. L’Académie préconise l’interdiction de toute publicité sur ces boissons et sur certains aliments vendus comme énergétiques [9]. Cette mesure avait été déjà proposée en 2004 par l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa).

D’autres dispositions réglementaires, surtout destinées aux enfants, devraient prolonger ces dispositions. On peut  citer à titre d’exemple la suppression de la collation du matin en maternelle [10] et l’amélioration de l’équilibre alimentaire dans les cantines scolaires[2]. En outre, il conviendrait : 1°) de passer d’une seule visite médicale dans les écoles, à trois (grande section de maternelle, fin du primaire et fin du collège). Cela implique de mobiliser les médecins scolaires et d’augmenter leur nombre (un pour 5 000 élèves)[3] ; 2°) de mobiliser également  les professeurs d’éducation physique, les mieux placés pour repérer et aider les enfants qui ont une activité physique insuffisante.

Enfin, si les expériences des réseaux formels de prévention de prise en charge de l’obésité pédiatrique sont positives, il conviendrait que la loi permette d’assurer leur diffusion au-delà des cinq secteurs géographiques où elles existent. De même, il conviendrait de généraliser une éducation nutritionnelle scolaire, des enfants et de leurs familles, dispensée par des volontaires (médecins scolaires, directeurs, responsables de cantines) dont l’efficacité a été prouvée par l’expérience menée dans deux communes du Pas-de-Calais[4]

Il convient de ne pas oublier que l’obésité n’est pas le seul risque découlant d’une mauvaise nutrition à envisager. Il s’y ajoute les carences, en particulier celles en calcium et vitamine D, facteur d’ostéoporose chez le sujet âgé.

 

Articles 8 et 9 sur la réduction des risques des drogues et la création de centres d’accueil et d’accompagnement.

 

Les addictions aux substances psycho-actives créent un état de maladie qu’il convient de traiter et non d’entretenir. L’Académie, après plusieurs réunions et auditions d’experts et après analyse des expériences à l’étranger s’est clairement prononcée contre la création de centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques [11]. Ceci pour trois raisons principales :

1°) Il existe déjà en France, des structures de prévention, d’accompagnement et de soins aux toxicomanes qui ont fait preuve de leur efficacité dans la réduction des risques comme l’indique l’exposé des motifs du projet de loi : par exemple, la proportion d’usagers de la drogue contaminés par le VIH est passé de 30% dans les années 1990 à 1% actuellement.

2°) Les expériences étrangères ont aussi apporté la preuve d’effets délétères de tels « centres d’accueil » [12][5]. En Allemagne, leur ouverture a été suivie d’une augmentation de 15% du nombre de toxicomanes.

3°) La méconnaissance de la nature des substances injectées ne permet guère de proposer des actions de substitutions, voire de sevrage. L’injection possible de nouvelles substances de toxicité redoutable, comme le cannabis synthétique posera des problèmes de responsabilité des pouvoirs publics et des professionnels en cas de complications médicales, voire d’actes délictueux commis sous l’emprise de la drogue.        

Ces centres impliqueront des dépenses immobilières et d’équipement ainsi que les rémunérations des équipes pluridisciplinaires qui sont prévues [12]. Une estimation a montré que le coût de fonctionnement d’une salle d’accueil serait de 1,25 million € par an et qu’il conviendrait d’en créer 200 pour couvrir de façon homogène le territoire, ce qui représenterait un coût annuel de 250 millions € [13].  

  

Article 12.  Cet article institue la création d’un service public  territorial de santé, outil central de l’organisation des soins à l’échelle des territoires. Ce service reposera sur un engagement collectif matérialisé par un contrat concernant en premier chef les acteurs des soins de premier recours, « notamment les médecins généralistes et spécialistes de ville ».

Il est raisonnable de penser que de tels contrats entraîneront pour les médecins généralistes des contraintes supplémentaires et un surcroît de tâches administratives qui les accablent déjà. Pour cette raison, il faut craindre que cette mesure, logique dans son principe, contribue malheureusement à détourner les plus jeunes du choix de l’exercice de la médecine générale.

 

Article 18. Il organise le tiers payant généralisé pour 2017.

 

Au moins deux expériences ont prouvé que la diminution du reste à charge pour les patients augmentait la consommation médicale et son coût [14]. En 1960, un décret avait augmenté le taux de remboursement des consultations médicales. Dans les trois années qui avaient précédé le décret, elles avaient augmenté de 4% ; dans les trois années qui ont suivi, de 37%. Autre expérience : une mutuelle a comparé deux sous-groupes d’âge et sexe similaires, l’un remboursé à 70%, l’autre à 100%. Le nombre d’actes médicaux a été supérieur dans ce dernier  de 17% [16]. L’Académie nationale de médecine avait, au contraire, défendu l’idée d’un ticket modérateur d’ordre public qui ne serait pris en charge ni par les mutuelles, ni par les assurances et serait généralisé pour responsabiliser chaque prestataire et lui faire prendre conscience du coût des soins qui lui sont prodigués [15,16]. Bien entendu, afin de ne pas entraver l’accès aux soins pour les plus démunis, ce qui ne serait pas tolérable dans une société comme la nôtre, le tiers payant devrait être modulé en fonction des ressources et maintenu en totalité chez les personnes vivant sous le seuil de pauvreté.  [17], [18].

 

Article 25. Le dossier médical partagé (DMP), établi par un professionnel ou un établissement de santé avec le consentement exprès du patient, est « recentré prioritairement sur les maladies chroniques ». Il précise le rôle particulier du médecin traitant et notamment sa capacité à accéder à l’intégralité du DMP de son patient.

Le DMP a pour objectif de favoriser la prévention, la coordination, la qualité et la continuité des soins, ce qui ne peut être qu’approuvé. Néanmoins, en plus des réserves déjà exprimées par des services centraux [18], l’Académie de médecine formule les observations suivantes : 

1°). S’il est admis, au nom légitime de la propriété individuelle de données concernant son propre état de santé, sa vie privée et son intimité, que des données puissent être inaccessibles à tout ou partie des professionnels de santé, cette absence d’exhaustivité du contenu du DMP ira à l’encontre de son objectif et pourrait même entraîner un risque pour le patient. A l’inverse, l’exhaustivité aboutira à un empilement fastidieux de résultats d’analyses biologiques, de comptes-rendus d’examens radiologiques, de consultations, d’hospitalisations et, bientôt, de données génomiques… Des synthèses risquent d’être lacunaires et, de ce fait, dangereuses, elles aussi.

2°). Il convient de s’interroger pour savoir s’il est souhaitable que le patient ait accès sans réserve à son propre dossier, la connaissance de certaines données pouvant lui être très préjudiciable.

3°). Enfin, le DMP pose des problèmes techniques informatiques pour concilier sa confidentialité et sa généralisation[6].

Rappelons que le dossier médical personnel, étudié depuis dix ans, a déjà coûté au moins 210 millions € de 2004 à 2011 et un demi-milliard € en incluant les dossiers hospitaliers informatisés[7]. Le parcours de soins et le rôle du médecin traitant en limitent encore l’intérêt  [14]. Plutôt que de poursuivre cette expérience, on peut s’interroger sur l’intérêt qu’il y aurait à en faire l’économie. En effet rien ne prouve, s’il se met en place un jour, que le DMP changera réellement les comportements médicaux et apportera beaucoup plus que le dossier que tout médecin a déjà obligation de tenir pour chaque patient qui vient le consulter.

 

L’article 27 vise à conduire les établissements de santé d’un même territoire à se coordonner en groupements hospitaliers de territoire, notamment pour unifier leurs systèmes d’information, de gestion, d’achats, etc.

En fait, ces missions étaient déjà celles des Communautés hospitalières de territoire et l’on ne peut guère en attendre de nouvelles économies notables, même dans la mutualisation des moyens.  

L’article 28 institue l’obligation d’un développement professionnel continu.

Le financement public durable de ce principe, en diminution, reste sa pierre d’achoppement [19]. Il est, de fait, renvoyé à un décret en Conseil d’Etat. 

 

Article 29. Cet article a pour but de sensibiliser les étudiants paramédicaux à la prise en charge des patients dans le secteur ambulatoire. Des stages devraient leur permettre d’effectuer des soins facturés dans des structures d’exercice coordonnées ou en cabinet libéral sous la supervision du maître de stage.

L’Académie approuve cet objectif. Cependant, comme pour ce qui concerne la formation pédiatrique des généralistes, on peut s’interroger sur les capacités d’accueil offertes aux stagiaires et sur la responsabilité du maître de stage en cas d’accident ou d’incident.

 

Article 30. Cet article définit la notion de pratique avancée d’une profession de santé paramédicale et crée le métier d’infirmier clinicien ainsi que le recommande le plan cancer. Il est précisé que ces infirmiers seront susceptibles de formuler un diagnostic, de réaliser une analyse clinique, d’établir une prescription et d’accomplir une activité de prévention ou d’orientation. La nature des missions en pratique avancée doit être déterminée par décret en Conseil d’Etat après avis de l’Académie nationale de médecine. 

L’Académie de médecine émet trois réserves sur cet article :

1°) Tout d’abord un problème de compétence. Il est en effet paradoxal de vouloir faire intervenir ces infirmiers cliniciens chez des malades « requérant des soins complexes », notamment dans le dépistage des multiples complications possibles au cours d’une chimiothérapie ou d’une radiothérapie ou encore de complications potentielles dans une multitude de maladies chroniques, même si les infirmiers cliniciens exercent au sein d’une équipe de soins. 

2°) En cas d’incident ou d’accident, les recours risquent de se multiplier. 

3°) La création d’une nouvelle catégorie professionnelle « d’infirmiers cliniciens » suscitera certainement une augmentation des dépenses pour l’assurance maladie dont il est d’autant moins possible d’estimer le montant que le service rendu n’est pas très clair. De plus, cette création déclenchera certainement des demandes similaires par d’autres catégories de paramédicaux. 

 

Article 34 visant à endiguer les dérives de l’intérim médical.

L’expérience montre que les services hospitaliers pour lesquels les établissements n’arrivent pas à recruter de praticiens titulaires ont, en général une activité très réduite ou qui n’est pas satisfaisante quelle qu’en soit la raison. Ces établissements recrutent alors des médecins venant de pays de l’Union européenne ou hors Union, ce qui pose le double problème de leur compétence et du coût de ces recrutements. L’Académie nationale de médecine approuve les objectifs de transparence et de rigueur dans ces recrutements  de praticiens temporaires [1]. 

Néanmoins si le projet de loi donne des indications concernant les rémunérations, il n’y a pas de dispositions claires pour s’assurer des compétences de ces médecins intérimaires et partant la sécurité des patients.

Aussi l’Académie recommande-t-elle 1°) des inspections diligentées par les Agences régionales de santé afin de comprendre les raisons qui motivent ces recrutements et de conduire à une restructuration de l’offre de soins hospitaliers territoriaux, 2°) de s’assurer des aptitudes professionnelles des praticiens temporaires afin d’assurer la sécurité des soins, 3°) Ces recrutements doivent rester l’exception car ils aboutissent tôt ou tard à des titularisations qui transgressent le numerus clausus entraînant une injustice pour les étudiants « reçus collés » à la fin de la première année d’études médicales. 

 

L’article 38 évoque brièvement le rôle des Agences Régionales de Santé dans la recherche en santé.

 

L’Académie insiste sur le caractère impératif de la recherche en santé publique et l’importance d’associer les établissements de soins aux universités et aux instituts de recherche dans la mise en place de projets portant sur l’épidémiologie et la santé publique. Les recherches en économie de la santé doivent être également développées.

 

 

L’article 41 prévoit des contrats types nationaux visant à favoriser l’installation des professionnels de santé ou de centres de santé dans certaines zones.

Il est stipulé que le financement en sera assuré par l’assurance maladie et pris en compte dans l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM). Ce type de contrat existait pour les praticiens territoriaux de médecine générale. La Cour des comptes, en 2012, avait estimé que le résultat était modeste pour un coût de 24 millions € [21].  

 

L’article 42 crée un Institut national dédié à l’ensemble des missions de santé publique en remplacement (ou par fusion) de trois organismes existants : l’Institut de veille sanitaire (InVES), l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) et l’Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS)

Ces trois établissements totalisent actuellement environ 660 équivalents temps plein et un budget de l’ordre de 820 millions. Ces fusions vont dans le sens du rapport de 2012 de l’Inspection générale des finances [22]. Elles sont susceptibles de permettre un gain d’efficacité, mais les économies ne pourront porter que sur des réductions de personnel et de budget, ce qui sera difficile.  

 

L’article 47 porte sur un système national de données médico-administratives.

Ce système a pour objectif  de permettre de croiser des fichiers pour fournir des données épidémiologiques tout en respectant le principe de confidentialité. L’Académie en approuve pleinement le principe et l’a recommandé à plusieurs reprises, notamment dans un rapport destiné à l’Office Parlementaires d’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques (23, 24). L’utilité en est incontestable. Cette mesure  aura un coût pour la Caisse nationale d’assurance maladie qui en assurera la gestion.

L’article 48 crée une instance nationale consultative des personnels médicaux et pharmaceutiques des établissements de santé.

Les élections spécifiques qui sont prévues, les réunions multiples auront, elles aussi, un coût ne fut-ce que celui du temps que ces personnels ne consacreront pas aux soins.

 

L’article 49 fixe des tailles minimale et maximale de l’ensemble des services qui autorisent la création de pôles dans les établissements hospitaliers.

 

Cela va dans le sens de la proposition de la Commission « Assurance maladie » de l’Académie qui suggérait de « recentrer l’activité des médecins sur les soins en les soulageant des tâches et des réunions administratives qui les accablent. Les pôles, qui distraient plusieurs milliers de praticiens hospitaliers chefs de pôle des activités de soins, ne doivent être maintenus que là où leurs avantages médico-économiques peuvent être objectivement établis » [25]. Il aurait été souhaitable d’aller plus loin dans ce sens.

 

En conclusion

Il est raisonnable d’estimer que le projet de loi sur la santé, s’il était adopté en l’état,  générera  à court terme plus de dépenses que de bénéfices. A cet égard, il va dans un sens contraire à l’objectif gouvernemental de 50 milliards d’économies des dépenses publiques d’ici 2017. Il est possible, mais non prouvé, qu’à plus long terme des améliorations de l’état de santé de la population compensent ce coût initial.

 L’Académie de médecine rappelle les propositions formulées par sa commission Assurance maladie [17]. Ces propositions découlent de l’état des lieux, présenté à l’Académie en juin 2010 [23]. Leur objectif est d’améliorer l’efficience de l’assurance maladie en France tout en maintenant ses grands principes de solidarité, d’humanisme, de liberté et de responsabilité [14].

Pour la prise en charge des affections de longue durée (près de 9 millions de personnes et 60% des dépenses de remboursement),  1) des définitions encore plus précises doivent être formulées ; 2) les durées de prise en charge doivent être mieux adaptées aux données actuelles de la médecine ; 3) il convient que les protocoles médicaux de surveillance et de traitement soient beaucoup plus précis.

Dans les établissements hospitaliers (45% des dépenses du régime général) il faut : 1) diminuer les effectifs de personnel administratif et redéployer dans les services de soins le personnel soignant, affecté actuellement à des postes administratifs ; 2) recentrer l’activité des médecins sur les soins en les soulageant des tâches administratives qui les accablent ; 3) contrôler le bien-fondé des prescriptions médicales et la pertinence des actes.

Le service médical des caisses d’assurance maladie mériterait d’être réorganisé dans un service unique pour tous les régimes, indépendant des services administratifs. Son statut (recrutement, formation, promotions) doit être modifié. Le recrutement d’hospitalo-universitaires consultants et de praticiens hospitaliers retraités volontaires permettrait de mieux assumer une fonction de conseil et de contrôle en matière d’hospitalisation. Enfin, une augmentation des effectifs du service médical est indispensable.

En matière de médicaments, les mesures doivent prendre en compte, à côté de l’aspect purement médical, ceux de la recherche, de l’économie et de l’industrie : 1) Les médicaments dont l’utilité n’est plus justifiée ne doivent pas être remboursés ; 2) en revanche, le dé-remboursement total des médicaments à faible service médical rendu, risque d’aboutir à une substitution par de nouveaux médicaments plus coûteux ; 3) les conséquences médicales des décisions concernant le prix de remboursement des médicaments devraient être mieux prises en compte ; 4) par-dessus tout, il est indispensable, de parvenir à un bon usage des médicaments : pour les médecins par la formation initiale en pharmacologie et en thérapeutique, puis par la formation continue, pour le public par une éducation à la santé correcte et objective.

D’autres propositions générales sont : 1) d’inciter à des comportements responsables par le retour à un ticket modérateur d’ordre public qui devrait être modulé. 2) de mettre en place  un contrôle des moyens humains et matériels affectés à l’offre de soins beaucoup plus rigoureux ; 3) en santé publique, de renforcer  la prévention de  l’obésité en luttant contre la sédentarité et une alimentation inappropriée, de renforcer également la lutte contre  le tabagisme, l’alcoolisme et plus généralement  toutes les drogues, ce qui va dans le sens du projet de loi actuel. Il faut, cependant, le faire de façon beaucoup plus vigoureuse et en privilégiant concrètement l’éducation en milieu scolaire.

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L’Académie, saisie dans sa séance du 28 octobre 2014, a adopté ce texte avec 47 voix pour, 8 voix contre et 8 abstentions.

                                                                                                            

 

 

REFERENCES

 

[1] Dreux C. La prévention en santé chez les adolescents. Bull Acad Natle Med Juin 2014 ; sous presse.

[2] Nordmann R. Evolution des conduites d’alcoolisation des jeunes : motifs d’inquiétude et propositions d’action. Bull Acad Natle Med 2007 ;191 :1175-84.

[3] Dubois G, Nordmann R. Publicité pour l’alcool : pour un retour à la loi Evin. Bull Acad Natle Med 2012 ;196 :743-5. 

[4] Boyer V. Faire de l’obésité une grande cause nationale. Rapport parlementaire. Septembre 2008. 244 pages.

[5] Charles AM, Basdevant A. Prévalence de l’obésité de l’adulte en France. Enquête Obépi-Roche. 2009.

[6] InVS, CNAM. Enquête nationale nutrition santé. Premiers résultats chez l’enfant en France métropolitaine. Décembre 2007. 74 pages.

[7] Emery C, Dinet J, Lafuma A, Sernet C, Khoshood B, Fagnani. Evaluation du coût lié à l’obésité en France. Presse Med 2007 ;36 :822-40.

[8] Basdevant A, Ciangura C. L’obésité, une maladie en soi. Bull Acad Natle Med 2010;194:13-20. 

[9] Jaffiol C. A propos du rôle des boissons sucrées comme cause de l’obésité. Communiqué. Acad Natle Med. Octobre 2011.

[10] De Danne A. Prévention et prise en charge de l’obésité. Rapport au Président de la République. Décembre 2009. 35 pages.

[11] Allilaire JF, Costentin J, Goullé JP, Hamon M, Laqueille, Lejoyeux M et al. Salles de consommation contrôlée de drogues (salles d’injection) Bull Acad Natle Med 2013 ;197 :503-5.

[12] Costentin J. La situation actuelle du cannabis en France. Bull Acad Natle Med 2014, sous presse. 

[13] Costentin J. Et l’on reparle des salles de shoot. La lettre du CNPERT. 2014 ; septembre : 1-3.

[14] Vésale A. Sauver l’Assurance maladie. L’harmattan 2013.

[15]. Huguier M. Les dépenses de santé. Bull Acad Natle Med 2012;196:1443-9.

[16] Milhaud G. L’assurance maladie est-elle réformable ? In Israël L. Santé médecine, société. Académie des Sciences morales et politiques. Presses universitaires de France 2010.

[17] Milhaud G, Huguier M, Rossigol C Tillement JP, Ambroise-Thomas P, Lagrave M, Denoix de Saint Marc R. Propositions pour une réforme de l’Assurance maladie. Bull Acad Natle Med 2011 ;195 :1121-32.

[18] Observatoire des inégalités. Les seuils de pauvreté en France. In www.inegalites.fr.

[19] Inspection générale des Finances, Inspection générale des Affaires sociales, Conseil général des technologies de l’information. Rapport sur le dossier médical personnalisé 2007.

[20] Le quotidien du médecin. Financement du DPC. 20 octobre 2014.

[21] Loisance D, Ambroise-Thomas P. Les médecins étrangers hors Union Européenne exerçant dans les hôpitaux publics français. Bull Acad Natle méd 2006 ;190 :1087-8.

[22] Rapport de la Cour des comptes. Juin 2014.

[23] Wahl T. Inspection générale des finances. L’Etat et ses Agences. Rapport n° 2011-H-044.01, mars 2012.

[24] Flahault A, Spira A. Situation et perspectives de développement de l’épidémiologie. Rapport du 4 novembre 2011 [En ligne]. Disponible sur http://www.academie-medecine.fr/publication100100238/

[25] Ardaillou R, Henrion R. Sur l’utilisation en épidémiologie des données recueillies en population générale. Bull Acad Natle Med. 2006 ; 90 : 519-521.

[26] Huguier M, Lagrave M, Marcelli A, Rossignol C, Tillement JP. Assurance maladie. Un état des lieux. Bull Acad Natle Med 2010;194:1095-103.



[1] Rappelons qu’en 2010, le déficit cumulé du régime général était de 80 milliards € et que, depuis, les déficits annuels ont été de 9,6 milliards € (2011), 5,9 milliards € (2012) et de  6,8 milliards € (2013).

[2] Il est à craindre que l’arrêté de septembre 2011, beaucoup trop précis, ne soit pour cette raison, guère plus suivi d’effet que la circulaire de 2001. L’attribution de subventions aux cantines scolaires sur des chartes alimentaires d’achat, notamment de crudités, de fruits frais ou de légumes cuits, financées par des taxes sur les sodas, serait judicieuse

[3] Les gains seraient supérieurs aux coûts. 

[4] Cette expérience, a limité dans les deux communes de Fleurbaix et Laventie (Pas de Calais) l’augmentation de l’obésité de 1% chez les garçons et 4% chez les filles par rapport à des taux d’augmentation de 95% et 195% dans les communes voisines similaires.

[5] En Australie, l’association « Drug free » a montré que le risque d’overdose était 36 fois plus élevé chez les toxicomanes fréquentant les salles d’injection que chez les autres, la présence d’une équipe médicale incitant le toxicomane à recourir à de plus fortes doses.

[6]  En avril 2007, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, après un contrôle in situ auprès des principaux acteurs des expérimentations sur le DMP, avait conclu que la protection de la confidentialité était insuffisante à l’ouverture du dossier, lors de son fonctionnement (identification, authentification) au niveau des accès pour les établissements de soins, pour le cryptage des bases de données.

[7] Estimation de la Cour des comptes.

Bull. Acad. Natle Méd., 2014, 198, n° 7, 1387-1397, séance du 28 octobre 2014