Communication scientifique
Séance du 24 mai 2011

À propos du diagnostic pré-implantatoire, un retour sur le statut de l’embryon

Georges David *

 

À propos du diagnostic pré-implantatoire, un retour sur le statut de l’embryon

Georges DAVID *

En conclusion de cette importante séance consacrée au Diagnostic génétique pré- implantatoire (DPI), le Président m’a donné une double mission, d’une part, commenter l’exposé que vient de développer le Professeur Mauron sur les aspects éthiques du DPI, d’autre part, d’une manière plus générale, rappeler la position de l’Académie nationale de médecine sur le statut de l’embryon préimplantatoire.

Commentaires portant sur l’exposé du Professeur Mauron

En préambule il convient de souligner que notre collègue est particulièrement bien placé pour porter un regard sur les aspects éthiques du DPI. Ceci pour une double raison : d’une part du fait de sa fonction de Professeur de Bioéthique au Centre médical de l’Université de Genève et d’autre part du fait de sa double nationalité, suisse et française, sachant la divergence législative sur ce problème entre nos deux nations (la Suisse interdit toute forme de DPI alors que la France l’autorise dans certaines limites), il peut aborder le sujet avec une grande liberté.

Son exposé examine successivement trois arguments allant à l’encontre de la pratique du DPI : ceux relevant du statut de l’embryon, ceux arguant d’un eugénisme, enfin ceux évoquant une instrumentalisation de l’enfant à venir.

N’ayant pas de divergences majeures à propos des deux derniers je m’arrêterai principalement à la discussion concernant le statut de l’embryon. Deux arguments sont avancés pour récuser le statut de personne à l’embryon préimplantatoire.

Le premier est la possibilité, jusqu’au dixième jour du développement, d’une division spontanée conduisant à un dédoublement de la structure initiale pour donner deux embryons. Il est évident que l’on ne peut être assuré jusqu’à cette limite que l’embryon a une spécificité individuelle, caractéristique fondamentale pour mériter le qualificatif de personne.

Le deuxième argument vise à contester le statut de personne en tant que « propriété monadique intrinsèque », c’est-à-dire se suffisant à elle-même, qui est revendiqué par les opposants à toute manipulation sur l’embryon. Cet argument est rejeté par l’auteur en s’appuyant sur la dépendance absolue de cet être à l’égard de ceux qui l’ont conçu. C’est le projet parental qui est le seul garant de son avenir. Que ce lien soit rompu par abandon du projet parental et le destin de cet embryon bascule. A défaut de pouvoir s’inscrire dans un projet parental « relais », par une acceptation des parents concepteurs d’un don à un autre couple, l’embryon est obligatoirement voué à la destruction de par la loi.

A ces deux arguments, suffisants certes en eux-mêmes, pour mettre en défaut l’attribution d’un statut de personne humaine dès ce stade, on peut toutefois regretter que n’aie pas été évoquée de plus une autre condition, tout aussi absolue que le projet parental pour garantir l’avenir de cette « personne humaine potentielle » selon la formulation prudente du Comité Consultatif National d’Ethique dés 1983.

C’est la potentialité de se développer, au plan biologique en tant qu’être humain.

C’est une condition qui n’est pas souvent soulevée, alors qu’elle est fondamentale.

Depuis longtemps l’Académie nationale de médecine a souligné la grande ambiguïté du statut biologique de l’embryon. C’est l’occasion, une nouvelle fois, de revenir sur son argumentation.

Rappel de la position de l’Académie nationale de médecine concernant le statut biologique et médical de l’embryon humain

Une constance : l’affirmation de la nécessité de la recherche sur l’embryon

Dès 1996, l’Académie s’était inquiétée de la rédaction ambiguë de l’article 2141-8 de la Loi de Bioéthique de 1994 qui d’une part interdisait « toute expérimentation sur l’embryon », et d’autre part, « autorisait à titre exceptionnel des études sur l’embryon, à la condition qu’elles aient une finalité médicale et ne portent pas atteinte à l’embryon ». C’était l’occasion pour elle de souligner la nécessité de la recherche sur cette période si périlleuse du début de la vie (

Bull. Acad. Natle. Méd .,1996, 180, 2, 397).

En 1998 en prévision de la révision de la loi de 1994, l’Académie avait souligné la nécessité de reconnaître que « pour l’embryon comme pour tout autre âge de la vie, la recherche est un devoir médica l ». Elle demandait plus spécifiquement, dans le cadre « d’un statut médical de l’embryon, que soient définis l’état de mort de l’embryon et celui de non viabilité, légitimant ainsi son utilisation à des fins de recherche ou l’arrêt de sa conservation. » (Bull. Acad. Natle Méd. , 1998, 6, 1273).

En 2002, dans un communiqué concernant le projet de loi relatif à la bioéthique, l’Académie résumait en une formule forte sa position « La recherche sur l’embryon :

une possibilité ? Non, un devoir » A nouveau elle réclamait « l’établissement d’un statut médical de l’embryon humain in vitro qui repose sur deux caractéristiques : — il est issu de la fusion de deux gamètes, l’ovocyte et le spermatozoïde ; — il s’inscrit dans un projet parental. En cas d’abandon du projet parental il perd ce statut. De patient qu’il était, imposant au médecin une obligation de soins, il devient un organisme voué à terme à une destruction imposée par la loi ; …Ce statut de patient donne l’obligation de lui assurer les meilleurs soins possibles. Ce qui implique une recherche spécifique, puisque cet âge de la vie présente des particularités biologiques, physiologiques et pathologiques parfaitement spécifiques. »

Plus récemment l’Académie a encore été plus explicite à propos du projet de loi de Bioéthique en préparation ( Bull. Acad. Natle Méd ., 2011, 195 , 3, 733-740). En effet elle demandait que soient distinguées « les recherches sans bénéfice pour l’embryon comme les recherches qui utilisent les cellules souches embryonnaires et les recherches bénéficiant à la connaissance et à la prise en charge de la période embryonnaire. Ces dernières pourraient être réparties en deux catégorie, les recherches avec bénéfice direct pour l’embryon…pouvant être suivies d’un transfert de l’embryon dans l’utérus et les recherches sans bénéfice direct pour l’embryon dont l’objet serait uniquement d’amé- liorer les connaissances sur les états et les fonctions embryonnaires normales et pathologiques. Ces dernières ne pourraient conduire au transfert de l’embryon dans l’utérus…L’Académie nationale de médecine regrette que l’embryon et ses cellules continuent à n’être essentiellement considérées que comme un matériau pour des recherches répondant à d’autres finalités que celles liées à son intérêt propre ».

 

Un débat faussé par une occultation des particularités biologiques de l’embryon humain

Les multiples controverses éthiques qu’a suscité l’embryon lors de la première loi de Bioéthique et qui se réactivent à chaque révision législative ont démontré que de tous les sujets abordés, c’est sans nul doute celui de l’embryon qui suscite les plus tenaces affrontements. Les oppositions sont d’autant plus radicales qu’elles restent à un niveau théorique, curieusement détaché des réalités biologiques si diverses que recouvre le vocable « embryon ».

Forts de son appartenance à l’espèce humaine et de son destin à donner un être humain, les uns exigent un respect absolu excluant toute intervention médicale accusée d’atteinte à son intégrité. Alors que les autres s’appuyant sur le fait que dans certaines circonstances l’encadrement législatif peut justifier une interruption de sa vie trouvent dans cette circonstance la justification d’une utilisation matérialiste, sous la forme de cellules souches riches de potentialités au bénéfice des autres périodes de la vie.

La fièvre du débat et surtout ses arrière-plans doctrinaires font étonnamment négliger aux uns et aux autres la réalité fondamentale de l’embryon humain : une fragilité constitutionnelle génomique d’une intensité exceptionnelle qui à la limite peut le priver de toute chance de développement en un individu humain. C’est l’occasion, ici, de rappeler des notions acquises depuis des décennies, mais curieusement exclues des débats pour qui le terme d’embryon sous-entend une aptitude absolue à donner un être humain. Une vue bien éloignée de la réalité !

 

Une spécificité humaine : la fréquence et la gravité des anomalies chromosomiques embryonnaires

C’est seulement dans la seconde moitié du siècle dernier que des études, principalement américaines, ont commencé à s’intéresser à la période initiale de la grossesse.

On ne connaissait, à cette époque, que la relative fréquence des fausses couches spontanées, environ 15 %, se produisant à partir du deuxième mois de la gestation.

Qu’en était-il de la période antérieure, celle des toutes premières semaines ? Quelques équipes obstétricales en liaison avec des démographes imaginèrent des protocoles permettant un suivi extrêmement précis de cette période. A partir de l’ensemble des données un démographe Français Henri Leridon devait établir une table complète de la mortalité prénatale (figure 1) qui faisait apparaître que sur cent fécondations le nombre d’enfants vivant à la naissance dépassait de peu le chiffre de trente. Mais plus importante encore était la démonstration que la plupart des arrêts de vie se produisaient dans les deux premières semaines après la fécondation, d’où leur méconnaissance habituelle.

Fig. 1.

L’examen des produits d’avortements spontanés allait bénéficier dans les années 60 et 70 du progrès des techniques d’analyse cytogénétique démontrant que dans la majorité des cas la cause de la mort était une anomalie chromosomique majeure (voir pour l’ensemble de l’historique l’excellent ouvrage de A. Boué : la Médecine du fœtus, éditions Odile Jacob, Paris, 1995 ). A partir des années 80 la mise au point et la large diffusion de la Fécondation in vitro allait permettre de compléter ces données pour la période préimplantatoire en prouvant la fréquence et la gravité des anomalies chromosomiques, soit de nombre soit de structure des chromosomes. On découvrait même que certains œufs ne présentaient aucune structure embryonnaire, c’est le cas des môles hydatiformes en rapport avec des triploïdies : on peut vraiment parler dans ce cas de « faux embryons ». D’une manière générale les aneuploïdies les plus graves sont le fait des arrêts les plus précoces. Ce qui explique que l’on n’observe à la naissance aucune monosomie et des triploïdies uniquement sur trois paires chromosomiques qui peuvent échapper à cette sélection naturelle.

Si l’on peut rencontrer tous les types d’anomalies de nombre des chromosomes avant la naissance et si peu à la naissance (environ une pour cent naissances) c’est que tout au long de la gestation, mais principalement dans les deux premières semaines se produit une véritable sélection naturelle éliminant les porteurs d’anomalies incompatibles avec un développement normal Une convergence possible des positions concernant la recherche sur l’embryon

Il est curieux de constater que les débats éthiques négligent le plus souvent la réalité biologique si médiocre de l’embryon, en ne parlant que d’un embryon idéalisé, assuré d’un devenir humain, ce qui est loin, nous venons de le voir, d’être la norme.

Dès lors que le débat revient sur terre, en prenant en compte la triste réalité, les oppositions s’ouvrent à certains assouplissements. On en trouve le meilleur exemple dans la position de l’Église catholique dont le dogme fondamental exprimé dans l’encyclique Donum Vitae est le respect absolu de l’embryon, proscrivant toute atteinte à son intégrité. Or une analyse plus approfondie de cette encyclique telle qu’on peut la trouver sur le site de la Conférence des évêques de (France www.église et société/bioéthique/instruction-donum-vitae.htlm) est riche de nuances importantes dans un chapitre intitulé : « Les interventions thérapeutiques sur l’embryon humain sont-elles licites ? ». À cette question essentielle un premier paragraphe donne une réponse sans ambigüité : «

Comme pour toute intervention médicale sur des patients, on doit considérer comme licites les interventions sur l’embryon humain, à condition qu’elles respectent la vie et l’intégrité de l’embryon et qu’elles ne comportent pas pour lui de risques disproportionnés, mais qu’elles visent à sa guérison, à l’amélioration de ses conditions de santé, ou à sa survie individuelle. »

Un autre paragraphe est encore plus explicite. Il comporte la citation d’une déclaration de Jean-Paul II à la 35e Assemblée générale de l’Association Médicale Mondiale du 29 octobre 1983 : « Une intervention strictement thérapeutique qui se fixe comme objectif la guérison de diverses maladies, comme celles dues à des déficiences chromosomiques, sera, en principe, considérée comme souhaitable, pourvu qu’elle tende à la vraie promotion du bien-être personnel de l’homme, sans porter atteinte à son intégrité ou détériorer ses conditions de vie. Une telle intervention se situe en effet dans la logique de la tradition morale chrétienne »

Ces deux documents apportent un éclairage nouveau au débat. Ils sont là pour démontrer que la position constante de l’ANM ne peut être mise en opposition avec les positions de l’Église catholique.

CONCLUSION

C’est l’ambiguïté de la loi qui explique en grande partie les apparentes divergences actuelles. En effet, dans le cadre d’une dérogation, elle autorise des recherches sur l’embryon mais sans introduire une distinction capitale concernant leur finalité. En effet le terme de « recherche sur l’embryon » recouvre deux éventualités fondamentalement différentes : d’une part des recherches sur des cellules ou des lignées cellulaires embryonnaires dans une finalité d’utilisation pour des pathologies de l’adulte, d’autre part des études sur des embryons ou des cellules embryonnaires destinées à comprendre et à corriger des anomalies propres à l’embryon. On comprend les réserves que suscitent les premières, alors que les secondes s’imposent.

C’est ce qu’a toujours défendu l’Académie nationale de médecine. Position qui est loin d’être incompatible avec celle de l’Église catholique.

 

<p>* Membre de l’Académie nationale de médecine, e-mail : g.david2@wanadoo.fr</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, nos 4 et 5, 1037-1042, séance du 24 mai 2011