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Session of 27 mars 2012

A propos de la prise en charge des personnes électrohypersensibles

André AURENGO *

L’auteur déclare être ancien membre bénévole du conseil scientifique de Bouygues Télécom, ancien administrateur d’EDF, président du Conseil médical d’EDF.

Conformément aux engagements pris après la table ronde « radiofréquences, santé, environnement », l’Assistance Publique – Hôpitaux  de Paris vient de lancer la première étude clinique française visant à évaluer l’efficacité d’une prise en charge médicale individualisée des personnes électrohypersensibles[1].

Présentée le 14 février 2012 au cours d’un séminaire public du Diplôme interuniversitaire de santé environnementale[2], cette étude interventionnelle multicentrique, sur 44 mois, financée sur fonds publics dans le cadre d’un programme hospitalier national de recherche clinique (PHRC 2010), est pilotée par le Service de pathologie professionnelle du groupe hospitalier Cochin-Broca-Hôtel Dieu (Pr Dominique CHOUDAT) et organisée par l’AP-HP en collaboration avec l’INERIS[3] et l’ANSES[4].

Dans un protocole de type « avant-après » où chaque sujet est son propre témoin, elle étudiera la sensibilité des patients vis-à-vis de leur exposition aux champs électromagnétiques ainsi que leur état de santé et leur qualité de vie. Les patients seront reçus dans un des 24 centres de consultation de pathologie professionnelle et de l’environnement volontaires dans toute la France, selon un protocole harmonisé au plan national, afin de recueillir les symptômes, de caractériser et mesurer les expositions aux radiofréquences pendant une semaine et d’évaluer le retentissement des souffrances, notamment en matière psychologique et sociale.

Aucune thérapeutique standardisée n’ayant été validée, la prise en charge médicale sera symptomatique et individualisée. Dans une attitude d’écoute, et après avoir écarté une étiologie organique, le médecin cherchera, avec le patient, des solutions aux problèmes de santé rencontrés. Comme pour tout trouble chronique invalidant, une prise en charge psychothérapeutique sera proposée. Le suivi des symptômes est prévu pendant au moins 14 mois. La participation à cette recherche est entièrement libre, volontaire et gratuite.

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Avant même sa présentation, cette étude a fait l’objet d’attaques publiques de la part d’associations qui militent pour faire reconnaître un effet direct des radiofréquences sur l’organisme et expliquer ainsi la fréquence  accrue de l’électrohypersensibilité, qui toucherait 1 à 2% de personnes en France.

Ces attaques posent deux graves questions, scientifique et médicale, et s’inscrivent dans une dénégation parfois violente de l’expertise scientifique.

D’un point de vue scientifique, le seul effet biophysique des ondes de radiofréquence émises par les antennes-relais est un échauffement[5] d’une puissance de quelques millièmes de watt à comparer aux 70 watts environ pour notre métabolisme au repos. Aucun système sensoriel humain permettant de percevoir de tels champs dans cette gamme de fréquence et de puissance n’a été identifié.

Plus de 40 études en double aveugle ont montré que les personnes qui se disent électrohypersensibles ne ressentent pas plus de troubles en présence qu’en l’absence de radiofréquences[6]. Ce constat a été établi par plusieurs expertises collectives internationale (OMS[7]), européenne (SCENIHR[8]) ou nationale (Afsset[9]). Le rapport 2009 de l’Afsset conclut : « aucune étude ne montre que l’électrohypersensibilité est due aux ondes électromagnétiques. Les études suggèrent un effet nocebo (inverse de l’effet placebo : troubles relatés résultant d’un mécanisme psychologique) et des facteurs neuro-psychiques individuels » (page 308).

Un argument souvent avancé est qu’en Suède cette pathologie est « reconnue » comme un handicap. Une prise en charge est effectivement proposée dans les cas les plus extrêmes, sans pour autant que soit reconnu un lien de causalité avec l’exposition aux champs électromagnétiques. Au contraire, dans une déclaration commune des autorités sanitaires danoises, finlandaises, norvégiennes et islandaises, en 2009[10], les autorités suédoises reprennent les conclusions de l’OMS, selon lesquelles il n’y a pas de fondement scientifique permettant de relier les symptômes de l’électrohypersensibilité à un champ électromagnétique.

Nous disposons donc d’un ensemble de données et de conclusions d’expertises collectives solides, permettant de rattacher l’électrohypersensibilité à une origine psychologique.

D’un point de vue médical, l’angoisse ou la somatisation en présence d’émetteurs de champs électromagnétiques peuvent être telles qu’elles se traduisent par des troubles bien réels, susceptibles de conduire certains à quitter leur emploi et à changer leur mode de vie jusqu’à se réfugier dans des grottes. Une prise en charge adaptée est donc nécessaire.

Dans un Communiqué du 3 mars 2009[11] l’Académie nationale de médecine soulignait déjà « L’angoisse ou la phobie en présence d’émetteurs de champs électromagnétiques peuvent être réelles et justifier une prise en charge adaptée. Mais l’Académie déplore que ces troubles, pouvant entraîner de graves handicaps sociaux, soient utilisés à des fins contestables au détriment des intéressés. ».

D’un point de vue social et humain, au-delà du déni, attitude courante dans ce type de situation, le refus de chercher une solution médicale à leurs souffrances suggère, de la part des personnes électrohypersensibles, une dépendance qui peut inquiéter sur le degré de croyance auquel elles sont sujettes. En effet, ce sont souvent des personnes fragiles, fréquemment soignées antérieurement pour des troubles psychiques, voire psychiatriques, qui, dans un phénomène s’apparentant à celui des phobies, semblent conditionnées par le rejet des ondes dont elles font la cause unique de leur maladie. Plus on les pousse à militer pour la suppression des émissions électromagnétiques en demandant des « zones blanches », plus on les  éloigne des circuits thérapeutiques dont elles pourraient bénéficier. Les ancrer dans cette conviction ne peut que les isoler davantage et aggraver leur handicap social. Les persuader sans la moindre preuve qu’elles risquent  de  développer à terme des cancers, des tumeurs cérébrales, ou de développer une maladie d’Alzheimer, ne peut que décupler leur angoisse et aggraver leur maladie.



[2]     Universités Paris 5, 6 et 7. http://www.sante-environnement.info/

[3]     Institut National de l’Environnement industriel et des RISques

[4]     Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail

[5]     Anne Perrin, Martine Souques. Champs électromagnétiques, environnement et santé. Springer Verlag France 2010.

[6]     http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed?term=rubin%20GJ%202010%20hypersensitivity

[7]     http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs296/en/index.html

[10] http://www.stuk.fi/sateilytietoa/sateilyn_terveysvaikutukset/matkapuhelin_terveysvaikutus/en_GB/matkapuhelimet/_files/82468807990968503/default/Nordic_Statement-EMF161109.pdf

[11]    http://www.academie-medecine.fr/detailPublication.cfm?idRub=27&idLigne=1542