Publié le 8 novembre 2017

A l’initiative de son vice-président, Monsieur Jean-Pierre Door, la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a sollicité l’avis de l’Académie nationale de médecine sur la crise provoquée par la nouvelle présentation du Lévothyrox.

Le 25 octobre 2017, Claude Jaffiol, Xavier Bertagna et Jean-Louis Wemeau ont attiré l’attention des membres de la commission sur les données suivantes :

– La substitution par l’hormone thyroïdienne assure un développement statural, intellectuel et un confort de vie pratiquement normaux des sujets déficients.

  • Elle est finement adaptable sur le taux de la TSH qu’il est souhaitable dans la majorité des circonstances d’amener dans les limites des valeurs usuelles (0,3-4 mU/L).
  • Cependant la TSH ne constitue pas un paramètre fixe, immuable au fil des heures de la journée ou des mois, pas plus chez les patients substitués que chez les sujets normaux.
  • La longue durée de vie de l’hormone thyroïdienne (la demie-vie plasmatique de la T4 dans le sang est de sept jours) explique la tolérance aux oublis ou aux interruptions temporaires (de quelques jours) du traitement, même si sa prise quotidienne toujours dans les mêmes conditions est évidemment recommandée.
  • C’est au-delà d’un taux de TSH > 10 mU/L ou < à 0,1 mU/L que les patients perçoivent avec certitude les méfaits cliniques d’une carence ou d’un excès hormonal. A l’intérieur de cette fourchette, qui déborde les valeurs dites « normales », des études randomisées en double aveugle contre placebo ne montrent en général aucun bénéfice à traiter.
  • Les besoins en hormone thyroïdienne sont fixes d’un jour à l’autre chez un même patient, proches de 1,65 µg/kg/j chez l’adulte, 2,5 µg/kg/j chez l’enfant, 1,3 µg/kg/j chez le sujet âgé.
  • La constatation d’une valeur modérément accrue ou diminuée de la TSH ne doit pas conduire à une modification immédiate de l’apport hormonal, mais à une interrogation sur les facteurs qui ont contribué à cette variation : oublis, modification de l’horaire des prises par rapport au repas, interférence avec des prises médicamenteuses (sels de fer, de calcium, de magnésium, pansements digestifs, inhibiteurs de la pompe à protons, inducteurs enzymatiques)….
  •  Pour que soit réduites les difficultés d’interprétation des modifications du taux de la TSH, il apparaît pour l’instant raisonnable de recommander que le sujet soit en permanence traité par la même forme de commercialisation ou de générique de lévothyroxine, … et les dosages de TSH effectués par le même laboratoire ? Une question qui deviendra plus compliquée avec l’ « élargissement » de l’offre thérapeutique.

 

– Le changement de formulation du Lévothyrox® n’a pas été sollicité par les  prescripteurs

  • De longue date le Lévothyrox avait toujours été considéré comme « la plus idéale et la plus simple des thérapeutiques hormonales substitutives».
  • Demandée par l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et acceptée pour la France par le laboratoire Merck, la suppression du lactose et son remplacement par le mannitol et le citrate contribuent à une stabilité plus grande encore de la médication (avec une variation du contenu du principe actif de + 5 % versus + 10 % précédemment, entre le moment de la commercialisation et la date de péremption).

 

– Le faux problème des excipients

  • Il n’y a pas à craindre la suppression du lactose qui contribuait à la moins bonne stabilité et n’était pas souhaité chez les très rares sujets authentiquement intolérants au lactose ou atteints de galactosémie congénitale.
  • De même l’adjonction de mannitol (un édulcorant présent par exemple dans les chewing-gums sans sucre) et l’acide citrique (un conservateur utilisé dans les confitures industrielles) n’est pas à redouter. Le même excipent est utilisé pour des médicaments aussi courants que des comprimes d’Aspro® ou de Doliprane® 500 mg ou le citrate de bétaïne.
  • Les tests conventionnellement utilisés chez les sujets sains ont établi une bioéquivalence analogue de la nouvelle formulation.
  •  La nouvelle présentation du Lévothyrox® apporte des doses strictement identiques du produit actif, et son nouvel excipent constitue un progrès en termes de pharmacocinétique. Elle doit être maintenue.

– Un défaut d’information ?

  • Une information sur la modification du nouvel excipent a été en principe diffusée auprès de tous les prescripteurs par l’ANSM, souvent relayée au sein des hôpitaux par la pharmacie centrale.
  •  La meilleure stabilité de la médication rendant compte en théorie d’un possible renforcement de son activité, médecins et pharmaciens ont reçu recommandation de réévaluer le taux de la TSH chez les sujets à risque : enfants, femmes enceintes, sujets suivis pour cancer thyroïdien. Le laboratoire Merck a simplement modifié la coloration des boîtes de médicament.
  • Dans les circonstances présentes, un document annexé par le laboratoire aurait pu expliciter la signification de la modification de la coloration des boîtes. La recommandation de réévaluer la TSH chez certains patients, a légitimement suscité  l’interrogation de tous les sujets soumis au traitement.

 

–  S’il n’apparaît plus possible désormais de taire un changement aussi minime que l’amélioration de l’excipient d’un médicament, on peut regretter qu’une note explicative n’ait pas été associée concomitamment à la délivrance de chaque boîte de la nouvelle formule du Lévothyrox®.

– Des effets dits « indésirables » ?…en tous cas inattendus !

  • Inattendus…par le nombre : plus de 15 000 rapportés dans les centres de pharmacovigilance, plus de 180 000 appels au numéro vert de l’ANSM.
  • Inattendus aussi …par leur nature :

– Les signes rapportés sont banals, peu spécifiques, peu évocateurs d’un déséquilibre de la fonction thyroïdienne : la symptomatologie liée aux dysthyroïdies est de nature différente, plurielle, d’installation lente et prolongée.

– Beaucoup de patients rapportent des symptômes concomitants qui évoqueraient en même temps l’hyperthyroïdie (palpitations) et l’hypothyroïdie (chute de cheveux).

– Lors des consultations, les signes ne sont pas étayés dans l’immense majorité des cas par des modifications significatives du taux de la TSH.

– Très souvent existe un état antérieur qui fournit une explication possible aux troubles rapportés.

– Des signes ont été décrits chez des patients qui -enquête faite- continuaient à bénéficier de l’ancienne formule. Ils ont été rapportés aussi au Maroc où la nouvelle présentation n’a pas été introduite.