Résumé
L’Académie nationale de médecine souhaite appeler la société à porter une attention toute particulière à la situation des personnes handicapées du fait d’un handicap congénital physique, organique, conséquence d’une anomalie du développement. Pour la plupart, causes et mécanismes demeurent incertains (facteurs génétiques et épigénétiques, embryopathies, fœtopathies…). Le handicap physique malformatif revêt des formes très diverses, très personnelles à chaque personne handicapée. Ce fait explique en partie la dispersion de la perception qu’a d’eux la société. Elle conduit souvent à leur méconnaissance. Par ailleurs l’intelligence normale de ces handicapés physiques peut donner à penser que leur handicap est moins lourd, tant pour eux-mêmes que pour leur entourage. La diversité des handicaps d’origine congénitale physiques organiques et la « rareté » de chacun d’entre eux, ne confère aux petites associations à la création desquelles ils ont pu donner lieu, qu’une très faible représentativité auprès des décideurs en matière de santé publique. De ce fait ces handicaps sont certainement ceux auxquels la société s’est le moins intéressée. Cependant nombre de ces anomalies du développement sont en fait incurables, au sens propre du terme, c’est-à-dire irréparables ad integrum. Ces personnes en supportent avec courage, leur vie durant, les séquelles et souvent aussi les soins qu’ils imposent. L’absence de données épidémiologiques a longtemps conduit à méconnaître la diversité des situations vécues notamment par les personnes adultes et plus encore les personnes vieillissantes. Heureusement désormais expressément identifiés et répertoriés dans la base de données ORPHANET et dans le cadre du plan Handicaps rares et maladies rares, ces anomalies du développement bénéficient depuis peu de la mise en place du réseau des Centres de référence labellisés régionaux et des Centres de compétence, de proximité qui leur sont associés. L’Académie Nationale Médecine formule ici quelques recommandations concernant les modalités nouvelles de cette prise en charge médicale qui ne suffit pas à répondre à l’attente des personnes handicapées physiques congénitales. Elles ne demandent qu’à être insérées dans la société comme tout autre personne, pour peu que la société les y accepte et consente à faciliter non pas leur assistance mais leur intégration.
Summary
The National Academy of Medicine calls attention to the situation of persons with disabilities due to congenital physical, organic or developmental disorders. The underlying causes and mechanisms of these disabilities are rarely known (genetic and epigenetic factors, embryopathies, fetopathies, etc.). There is a vast range of disabilities due to congenital malformations, and this partly explains why they tend to be overlooked by society. In addition, the normal intelligence of many such individuals may signal that their disability is less burdensome than it really is, both for themselves and for their family and friends. The rarity of individual forms of congenital physical disability means that the different patient associations have very little say in official decision-making processes. As a result, these are the disabilities with which society is least concerned. Yet many developmental abnormalities are incurable, irreparable ad integrum. Throughout their lives, these individuals courageously manage their handicap and the treatment it often entails. A lack of epidemiological data has masked the diversity of individual situations, especially among adults and the elderly. Fortunately, developmental abnormalities are now specifically identified and listed in the ORPHANET database and are covered by the Rare Disabilities and Rare Diseases plan. Recently, a network of regional reference centers was created, backed up by more local expert centers. The Academy of Medicine makes a number of recommendations on this new approach, while pointing out that it is not in itself sufficient to meet the expectations of people with congenital physical disabilities, who wish to be integrated into society like anyone else. Society must accept to facilitate their integration, not simply their assistance.
INTRODUCTION
Sans méconnaître les difficiles problèmes de grande actualité que sont les handicaps sociaux et les handicaps acquis conséquences de plus en plus nombreuses des accidents du trafic, la Commission Handicap de l’Académie nationale de médecine (Commission XIII), a souhaité engager une réflexion approfondie sur les handicaps congénitaux.
Deux rapports leur ont été consacrés :
— Le premier porte sur les handicaps sensoriels de l’enfant.
— Le second porte sur les handicaps congénitaux de l’intelligence.
Avant de conclure sa réflexion, l’Académie Nationale Médecine souhaite appeler la société à porter également une attention toute particulière à la situation des personnes handicapées du fait d’un handicap congénital physique, organique , conséquence d’une anomalie du développement.
• Certains ont pour origine un syndrome malformatif d’origine génétique, d’autres sont la conséquence d’une anomalie localisée du développement au stade embryonnaire initial (embryopathie). D’autres encore de ces malformations dites « congénitales » résultent en fait des séquelles d’une (pathologie survenue au cours de la vie fœtale (fœtopathie).
• Bien qu’incurables au sens propre du terme, mais nullement incompatibles avec la vie, Leur devenir, l’intensité du handicap qu’elles vont induire, la qualité de vie de la personne, seront fonction de leur prise en charge initiale si elle nécessite un geste chirurgical, toujours de la qualité de leur réhabilitation à visée « fonctionnelle » dont va dépendre leur autonomie et leur insertion dans la société.
• La nature du handicap physique organique, son ressenti et ses conséquences sociales revêtent des formes très diverses, très personnelles. Ce fait explique en partie la dispersion de la perception qu’a d’eux la société. Elle conduit souvent à leur méconnaissance.
— Le handicap morphologique visible est source majeure de différence, et souvent de limitation de la fonction.
En dépit de prodigieuse capacité d’adaptation fonctionnelle et du courage dont témoignent ces personnes handicapées « physiques ». pour compenser leur incapacité, le regard des autres à leur endroit est souvent douloureusement ressenti.
— Le handicap inapparent ou caché qui résulte de certaines de ces malformations congénitales : handicaps intimes des anomalies génitales et sexuelles, handicaps honteux des incontinences sphinctérienne malformatives.
Au-delà des multiples interventions à visées réparatrices ou de substitution fonctionnelle, ces personnes handicapées supportent avec courage, leur vie durant, les séquelles et les soins qu’imposent leur malformation, incurable au sens propre du terme, c’est-à-dire irréparables ad integrum. Selon le degré de la différence et de l’incapacité fonctionnelle et de leur conjonction s’exprimera une inadaptation à l’activité sociale, obstacle à l’intégration dans la vie sociale .
Il faut reconnaître qu’on ne disposait jusqu’alors que de peu de données sur l’épidémiologie de ces diverses malformations à l’origine de ces handicaps. La plupart sont désormais répertoriés dans la base de données Orphanet et inscrits dans les missions spécifiques des
Centres de référence labellisés régionaux . Théoriquement ils devraient bénéficier de l’aide de proximité des
Centres de compétence qui leurs sont associés.
L’Académie nationale de médecine tient cependant à formuler quelques observations • Ces handicaps congénitaux, de quelque terme qu’on les qualifie (rares ou orphelins ou autre) sont certainement ceux auxquels la société s’intéresse le moins. Ils ne sont pratiquement jamais pris en compte, dans la réflexion sur le handicap.
• L’intelligence normale des personnes handicapées physiques peut donner à penser que leur handicap est moins lourd, tant pour eux-mêmes que pour leur entourage • Ils n’en sont pas moins, pour ceux qui les vivent, sources de différences lourdes à supporter sur le plan psychologique, lourdes de souffrances répétées, d’exigences de soins continus, de difficultés quotidiennes dans la vie sociale inadaptée, voire de rejet du monde du travail.
• Ils n’appellent pas une prise en charge en institution et ne demandent qu’à être insérés dans la société comme tout autre personne, pour peu que la société les y accepte et consente à faciliter non pas leur assistance mais leur intégration. Leur attente ne se résume pas à « l’allocation aux adultes handicapés ».
• Au-delà des difficultés dans la vie quotidienne que leur impose leur handicap, l’étonnement — quand ce n’est pas le reproche latent — de leur existence est source d’une grande souffrance morale pour nombre d’entre ces personnes handicapées : « Nous ne devrions pas exister ! » • Le mythe de l’enfant parfait, le droit à un enfant bien portant exprimé sans réserve dans une attitude de consumérisme aujourd’hui banalisé sont profondément ressentis par les adultes handicapés congénitaux physiques non cérébraux.
Ces considérations générales conduisent l’Académie nationale de médecine à formuler quelques Recommandations • Concernant l’échographie pour diagnostic prénatal
Au cours de l’échographie des 12, 22 et 32 semaines de grossesse, l’identification d’une malformation si localisée et minime qu’elle soit conduit souvent au choix d’une IMG. Sans méconnaître le rôle difficile de chacun de ceux qui au sein des CMDPN (Centre multidisciplinaire de diagnostic prénatal) interviennent dans un processus de diagnostic pré natal , il conviendrait qu’ils veillent non seulement à n’être que des facilitateurs de la décision des parents, mais aussi à accepter d’être les préparateurs à l’ accueil de la différence .
• Concernant les Centres de référence
Le risque de l’adossement des centres de référence sur les anomalies du développement à des services de génétique est qu’il s’inscrive uniquement dans l’objectif d’identifier l’anomalie génétique qui pourrait être en cause. Non pas tant (ou pas encore) avec une ambition à visée thérapeutique, mais surtout afin de permettre un diagnostic prénatal ou pré implantatoire (DPI) dans le but admis d’éviter la naissance d’un enfant atteint de la même anomalie. Il faudrait, comme cela existe parfois dans certains de ces centres de références que leur but soit aussi et surtout la prise en charge thérapeutique pratique de ces anomalies et de leur conséquences fonctionnelles et psychologiques, tant sur le plan médical que social.
• Concernant les Centres de compétence
En plus grande proximité avec les parents d’un enfant handicapé, ils devraient bien répondre à leur attente : prise en charge programmée dans les cas où la malformation identifiée par un DNP a été délibérément acceptée, mais surtout aussi être un moyen de prise en charge pratique autant médicale que sociale.
En revanche, du fait de leur rattachement aux unités pédiatriques , les centres de compétence ne répondent que difficilement à l’attente des personnes handicapées a dultes qui, par ailleurs se trouvent également en difficulté dans les unités « adultes » auxquelles elles doivent avoir recours, notamment dans les malformations complexes, multi organes. Les services spécialisés (orthopédie, urologie, chirurgie plastique etc.) sont peu familiarisés avec les pathologies rares, et « infantiles ».
À leur excellente initiative, certains centres de compétence s’efforcent de mettre en place pour eux, une structure d’accueil, d’écoute, de conseil et de soins, dans un concept de continuité enfant-adulte , mais aussi de la multidisciplinarité souvent indispensable.
On ne peut que déplorer la méconnaissance de cette nécessité par les administrations (Refus de tarification de consultations multidisciplinaire, difficultés matérielles de coordination des activités médicales, non-remboursement des transports etc.). Dès lors les handicapés demeurent contraints à de véritables parcours du combattant pour recevoir soins et conseils dont le besoin ressenti s’accroît avec le vieillissement.
Une prise de conscience des administrations s’impose à leur sujet.
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Il est dans la mission de l’Académie nationale de médecine de rappeler qu’un devoir de respect, d’acceptation, d’intégration, d’humanisme s’impose à l’égard de ces personnes handicapées que nous côtoyons sans leur prêter attention, parce qu’elles ne font pas parler d’elles !
L’Académie, saisie dans sa séance du 8 novembre 2011, a adopté le texte de ce rapport par 62 voix pour, 1 voix contre et 9 abstentions.
Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, no 7, 1711-1715, séance du 25 octobre 2011