Rapport
Séance du 17 mai 2011

11-05 Propositions pour une réforme de l’Assurance maladie

MOTS-CLÉS : assurance maladie. organisations et économie des soins de santé. sécurité sociale.
French national health insurance. Recommandations
KEY-WORDS : insurance, health.

Gérard Milhaud, Michel Huguier, Claude Rossignol, Jean-Paul Tillement, Pierre Ambroise-Thomas **, Michel Lagrave ***, Renaud Denoix de Saint-Marc (au nom de la Commission VIII — Assurance maladie)

Résumé

Ces propositions découlent de l’état des lieux, présenté à l’Académie nationale de médecine en juin 2010. Leur objectif est d’améliorer l’efficience de l’assurance maladie en France tout en maintenant ses grands principes de solidarité, d’humanisme, de liberté et de responsabilité. Pour la prise en charge des affections de longue durée (près de neuf millions de personnes et de 60 % des dépenses de remboursement) : — des définitions plus précises doivent être données ; — les durées d’admission doivent être mieux adaptées aux données actuelles de la médecine ; — il convient que les protocoles médicaux de surveillance et de traitement soient plus précis. Dans les établissements hospitaliers il faut — diminuer les effectifs de personnel administratif et redéployer dans les services de soins le personnel soignant, affecté actuellement sur des postes administratifs ; — recentrer l’activité des médecins sur les soins en les soulageant des tâches administratives qui les accablent ; — contrôler le bien-fondé des prescriptions médicales et la pertinence des actes. Le service médical des caisses : mériterait d’être réorganisé dans un service unique pour tous les régimes, indépendant des services administratifs ; — son statut (recrutement, formation, promotions) doit être modifié ; — le recrutement d’hospitalo-universitaires consultants et de praticiens hospitaliers retraités volontaires, permettrait de mieux assumer une fonction de conseil en matière d’hospitalisation ; — par ailleurs, une augmentation des effectifs du service médical est indispensable. En matière de médicaments, les mesures doivent prendre en compte, à côté de l’aspect purement médical, la recherche, l’économie et l’industrie ; — les médicaments dont l’utilité n’est plus justifiée aujourd’hui ne doivent pas être remboursés ; — en revanche, le déremboursement total des médicaments à faible service médical rendu, risque d’aboutir à une substitution par de nouveaux médicaments plus coûteux ; les conséquences médicales des décisions concernant le prix de remboursement des médicaments devraient être mieux prises en compte ; — par dessus tout, il est indispensable, de parvenir à un bon usage des médicaments ; pour les médecins par la formation initiale en pharmacologie et en thérapeutique, puis par la formation continue ; pour le public par une éducation à la santé correcte et objective. D’autres propositions générales sont : — d’inciter à des comportements responsables par le retour à un

Summary

These recommandations follow from the current situation analysis presented in front of the French academy of medecine en June 2010. Their purpose is to increase the efficience of the national health insurance system, keeping in mind its notions of solidarity, humanism and freedom. For long-term diseases, totally covered by public health insurance — clearer disease definitions must be done — attibution coverage length must be better appropriate to medical knowledge — follow-up protocols have to be more accurate. In public hospitals — administrative staff must dicrease — pratitionner activities have to become refocussed on patient’s medical care 3) better control of rightfulness of medical prescriptions and acts is fundamental. Physicians appointed by public health insurance — have to be group together into one medical service — their statut has to be modified — recruiting of just retired universitary or general hospitals physisians should lead to a better control of prescriptions in hospitals — otherwise, increasing the number of medical service physicians is necessary. Decisions for drugs must be take into account not only medical aspects but also research, economic, and industrial angels — drugs whose utility is not justified to day must not be covered by public insurance — on the other hand to no cover drugs with a low medical usefulness may result in substitution with better covered and more expansive other drugs — Overall to achieve a correct drug usage is essential, for medical students thanks to a better formation about pharmacology and therapeutic, for physician to a day release, and to the general public to accurate and objective informations. Other general recommandations are – to recreate a proportion of medical expenses payable by the patient to encourage citizens to get reponsible medical behavior, — a better control of human and material means allocated for care — for public health strenthening of fight against tobacco, drugs and obesity, — At least, it appears that the health minister should benefit of technic and human competences and prestige of other most important ministery departments. Independant administrative agencies must come back in the sphere of minister activity. Parmi les pays européens, la France est celui qui consacre le plus fort pourcentage de sa richesse nationale aux dépenses de soins 1. Malgré cela, l’état de santé de la population n’y est pas notablement meilleur que dans plusieurs autres pays, ce qui suggère que notre dispositif de soins pourrait gagner en efficience. L’augmentation des recettes de l’assurance maladie ou la diminution de la prise en charge de certaines prestations n’ont pas suffi à réduire les déficits . Ils deviennent abyssaux : 76 milliards de déficit cumulé en 2006 ; depuis, les déficits annuels sont passés d’un peu plus de 4 milliards d’euros en 2007 et 2008 à plus de 10 milliards en 2009 et 2010. Les propositions suivantes qui découlent de l’état des lieux présenté en juin 2010 [1], visent à optimiser les dépenses en réduisant la surconsommation, les gaspillages, c’est-à-dire à améliorer l’efficience de l’assurance maladie. Dans cette démarche, l’Académie est déterminée à maintenir les grands principes de liberté, de responsabilité et de solidarité de l’assurance maladie, en préservant le caractère humain de la médecine française que notre Compagnie a toujours défendu. Quatre dossiers ont retenu l’attention, de façon prioritaire : les affections de longue durée, l’hospitalisation, le médicament et le service médical. Trois autres sont évoqués.

LES AFFECTIONS DE LONGUE DURÉE (ALD)

À l’origine, quatre maladies de longue durée, particulièrement graves, bénéficiaient d’une prise en charge à 100 % par l’assurance maladie. Aujourd’hui, on en dénombre 30 (en Annexe), auxquelles s’ajoutent des affections hors liste :

maladies graves, prolongées et coûteuses et polypathologies invalidantes de façon durable. Au total, 8,6 millions de personnes sont concernées, soit 15 % de la population. En 2009, 1,25 million de nouveaux malades ont été pris en charge au titre des ALD. Le coût annuel pour l’assurance maladie est de 78 milliards, soit 59 % des dépenses de remboursement. Il était de 44 % en 2002.

De façon générale, les dispositions réglementaires en vigueur sont assez satisfaisantes dans leurs principes. En revanche, leurs applications laissent à désirer, ce qui amène à faire les propositions suivantes :

PROPOSITIONS

Mieux définir les ALD

Pour appliquer correctement la réglementation, il est indispensable qu’elle s’appuie sur des critères d’admission en ALD encore plus précis. Cette 1 En 2008, 8,7 % du produit intérieur brut, pour 7,7 % en Allemagne ou en Grande-Bretagne, 6,5 % en Italie et 6 % en Espagne.

responsabilité incombe à la Haute autorité de santé (HAS). Or, dans son rapport de septembre 2009, la Cour des comptes écrivait : « Certains critères de définition des ALD manquent de précision » en citant comme exemples l’asthme, l’insuffisance cardiaque ou l’hypertension artérielle 2. Cette situation laisse une certaine souplesse dans la décision, mais présente des inconvé- nients majeurs pour le service médical, engendrant, comme cela a été constaté, des disparités importantes dans les décisions d’une région à l’autre pour une même ALD.

Attribuer des durées d’admission en ALD mieux adaptées aux données actuelles de la médecine

Les délais d’octroi de la prise en charge au titre des ALD doivent être limités à une durée raisonnable en tenant compte des données actuelles du pronostic des maladies avec une attention toute particulière pour certaines affections malignes, sachant que l’on guérit aujourd’hui près d’un cancer sur deux. La période d’obtention doit s’inscrire dans un temps permettant à la thérapeutique d’agir, d’en juger l’efficacité et d’étudier dans les meilleures conditions son éventuel renouvellement.

Les protocoles médicaux de surveillance et de traitement

Il est indispensable que ces protocoles soient très précis. Cette responsabilité incombe à l’HAS. Or, les recommandations proposées par les différentes commissions de la HAS n’ont pas fait l’objet de propositions précises, fondées sur les données acquises de la science. Elles ne reposent sur aucune publication scientifique référencée. Pour ces raisons, aussi bien dans la redéfinition de nombreuses ALD que dans l’élaboration de protocoles de soins, il serait souhaitable que l’HAS collabore avec des sociétés savantes dont les propositions devraient recueillir l’aval de l’Académie nationale de médecine.

Seuls des protocoles suffisamment précis permettront le contrôle fondamental des ordonnanciers bizones, distinguant les prescriptions liées à l’exonération du ticket modérateur, des autres.

Document pour le malade

Tout malade bénéficiant des dispositions d’une ALD devrait présenter lors des consultations médicales, autres que celles de son médecin traitant, un document indiquant les motifs de l’attribution de l’exonération dont il bénéficie pour assurer le respect des protocoles de surveillance et de traitement s’y référant.

2 Dix affections sont de longue durée si elles sont « graves », une si elle est « sévère », une autre de « longue durée », trois si elles sont « évolutives ».

 

L’hospitalisation

L’hospitalisation publique et privée constitue environ 50 % des dépenses de l’assurance maladie. L’évolution de la gestion et des coûts explique que, dans l’ensemble des hôpitaux publics, les effectifs du personnel administratif aient considérablement augmenté, 15 % de 2001 à 2006 3. Les hôpitaux ne sont pas mieux gérés pour autant. Chaque année, beaucoup d’entre eux doivent faire l’objet de rallonges budgétaires en dehors de tout engagement contractuel de retour à l’équilibre, ce qui constitue autant d’entorses à une gestion budgétaire saine et efficace.

Le transfert de tâches de catégories professionnelles vers d’autres tâches qui ne relèvent pas de leur formation est délétère. Un exemple significatif est celui du personnel soignant de l’Assistance publique-hôpitaux de Paris dont, en 2001, 18 % était affecté sur des postes administratifs alors qu’il fait défaut dans des services de soins. On peut encore s’interroger pour savoir s’il est judicieux que plus de quatre mille médecins, chefs de pôle, consacrent en moyenne 70 % de leur temps à des tâches administratives au détriment du temps passé auprès des patients à l’heure où l’on évoque une pénurie de médecins hospitaliers.

Des examens biologiques et surtout radiologiques sont parfois prescrits en complément les uns des autres, de façon redondante, sans interrogation sur leur utilité décisionnelle et dépassent le strict nécessaire. Ces pratiques sont souvent aggravées par une invocation abusive du principe de précaution.

La tarification à l’activité (T2A), dont l’incontestable logique était de mettre en relation activité et financement des établissements, a de très importantes contreparties. L’une d’entre elles est d’être inflationniste allant à l’encontre de l’intérêt de l’assurance maladie. Son coût de fonctionnement n’a jamais été estimé. Mais surtout, elle ne permet aucun jugement sur l’utilité et la qualité des activités.

De très importants gisements d’économie existent ainsi dans les établissements hospitaliers.

 

PROPOSITIONS — diminuer notablement les effectifs de personnel administratif à la faveur des départs en retraite prévus 4 et redéployer dans les services de soins le personnel soignant, affecté actuellement à des postes administratifs. Il convient de suivre la proposition exprimée dans un rapport : « moins de 3 Rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale, 2008.

4 Plus de 180 000 entre 2007 et 2013.

circulaires, mais des circulaires applicables et appliquée » [2] dont les conséquences sur les coûts devraient être prises en compte, — recentrer l’activité des médecins sur les soins en les soulageant des tâches et des réunions administratives qui les accablent. Les pôles, qui distraient plusieurs milliers de praticiens hospitaliers chefs de pôle, des activités de soins, ne doivent être maintenus que là où leurs avantages médicoéconomiques peuvent être objectivement établis, — favoriser la mise en place de contrôles du bien-fondé scientifique des prescriptions médicales et de la pertinence des actes ; ces contrôles s’imposent à l’hôpital, comme ailleurs, — établir un mode de financement des établissements en retenant le système dont le coût de gestion est le plus faible. On peut s’interroger sur l’intérêt qu’il pourrait y avoir à revenir au prix de journée.

RÉORGANISATION DU SERVICE MÉDICAL DES CAISSES D’ASSURANCE MALADIE.

Dès avril 2004 l’Académie nationale de médecine avait souligné l’importance fondamentale du service médical des caisses dans le contrôle des prestations, en particulier dans le cadre des ALD, de l’hospitalisation, des arrêts de travail et de l’invalidité. La dispersion actuelle, sans liens étroits, entre les trois principaux régimes de protection sociale, nuit à son efficacité pour répondre à ces tâches essentielles auxquelles s’ajoutent la prévention, les relations avec les professions de santé et les assurés. Pour que le service médical réponde aux réels besoins de l’assurance maladie, les réformes suivantes s’imposent :

PROPOSITIONS

Quatre propositions principales :

— la création d’un service unique pour tous les régimes, indépendant des services administratifs, — l’institution d’un concours unique de recrutement, s’ouvrant davantage aux spécialités, en tenant compte de l’expérience acquise par l’exercice anté- rieur 5, — le recrutement d’hospitalo-universitaires consultants et de praticiens hospitaliers retraités volontaires, assumant une fonction de conseil dans les décisions du service médical en matière d’hospitalisation, 5 Avec des épreuves techniques, de sécurité sociale, de santé publique et d’économie médicale. Le Jury du concours serait présidé par un hospitalo-universitaire et composé de personnalités médicales et administratives qualifiées.

— l’augmentation nécessaire des effectifs du service médical. Ainsi, dans le régime des salariés, il existe pour environ 2 500 praticiens conseils, 171 000 agents administratifs, soit 1 pour 85 6.

Il convient d’ajouter, afin d’assurer une cohérence de l’ensemble :

— l’adoption d’un statut ou d’une convention collective applicable à tous les praticiens conseil : médecins, pharmaciens, chirurgiens-dentistes avec des adaptations pour chaque catégorie, — la mise en place d’une formation administrative et médicale continue adaptée, avec l’aide, par exemple, du Centre Nationale d’Études Supérieures de Sécurité Sociale ou de l’École des Hautes Études de Santé Publique…, — la création de commissions indépendantes chargées d’établir les listes d’aptitude aux fonctions de responsabilité : médecin régional, praticien chef de service. Le ministre chargé de la sécurité sociale nommerait le médecin national et les médecins adjoints nationaux à partir d’une liste de plusieurs noms établie par une commission composée de personnalités médicales et administratives incontestables.

Le système préconisé assurerait une meilleure efficacité et permettrait une mobilité indispensable durant la carrière. Il est évident, que l’activité de ce corps unique devrait s’inscrire dans la politique générale arrêtée par l’assurance maladie avec tous les devoirs techniques et éthiques qu’elle impose.

LE MÉDICAMENT

Le médicament représente 16 % des remboursements de l’assurance maladie.

La France est le pays où l’utilisation de médicaments par habitant est la plus élevée au monde avec les États-Unis 7. Les excès de consommation médicamenteuse et des utilisations inadaptées non seulement pèsent sur l’assurance maladie, mais entraînent aussi des effets délétères. Les mesures qui s’imposent doivent prendre en compte un domaine extrêmement complexe qui, à côté de l’aspect purement médical, touche aussi la recherche, l’économie et l’industrie, ces quatre composantes étant d’ailleurs largement interdépendantes.

PROPOSITIONS

Elles se réfèrent aux aspects essentiellement médicaux de la question.

6 Le calcul montre encore que chaque médecin conseil devrait s’occuper, en moyenne d’au moins 2 000 bénéficiaires de l’ALD. En 2007, ils ont dû rendre plus de 2,3 millions d’avis.

7 Autre donnée, les dépenses par habitant en 2009 des huit principales classes de médicaments pour des pays européens étaient de 114 euros en France, de 71 aux Pays-Bas, et de 59 en Grande-Bretagne, alors que le coût unitaire des médicaments français est le plus bas d’Europe.

— Les médicaments dont l’utilité n’est plus justifiée aujourd’hui ne doivent pas être remboursés.

— Le cas des médicaments à faible service médical rendu, souvent qualifiés de « médicaments de confort » est bien plus délicat. En effet, la thérapeutique ne se limite pas aux indications d’importance vitale liées à des pathologies majeures. Doivent aussi être prises en charge des affections de moindre gravité, mais invalidantes, sources d’absentéisme ou d’handicaps pour la vie quotidienne. On rejoint dans ce domaine le véritable rôle social de certains médicaments dont le coût doit évidemment être modéré, pour lesquels on peut accepter une action modeste, tout en exigeant une parfaite tolérance. Leur déremboursement total risque d’aboutir à une substitution par de nouveaux médicaments, créant une escalade thérapeutique, non justifiée et plus coûteuse.

— De façon générale, les conséquences médicales des décisions concernant le prix de remboursement des médicaments devraient être mieux prises en compte, ce qui implique une plus grande médicalisation du Comité économique des produits de santé (CEPS) qu’il faut donc renforcer sur le plan médical 8.

— Il est indispensable, médicalement et économiquement, de réduire la consommation de médicaments. Pour les médecins, la formation initiale en pharmacologie et en thérapeutique, principale finalité de la médecine, est très insuffisante. Il en est de même de la formation initiale de base à l’esprit critique scientifique, indéniable lacune de la formation médicale française 9.

Ensuite, la formation continue universitaire est indispensable pour que les médecins actualisent leurs connaissances en fonction des progrès scientifiques.

— Pour le public, une information correcte et objective serait bénéfique à tous points de vue. Les campagnes de l’assurance-maladie sur l’usage de certains médicaments comme les antibiotiques en sont un bon exemple.

Elles ont réduit la consommation d’antibiotiques de 23 % sur cinq ans. De plus, au-delà de l’impact financier, ce meilleur usage des antibiotiques a eu des conséquences médicales positives : ainsi, le taux de résistance du pneumocoque à la pénicilline a baissé de 47 % en 2001 à 36 % en 2006.

8 Réciproquement, l’évaluation économique des dossiers devrait être envisagée de façon plus large, en tenant compte des conséquences non seulement sur le budget de l’assurancemaladie, mais également sur l’industrie française du médicament et sur nos exportations.

Pour cela, il faudrait que les ministères de l’Industrie et du Commerce extérieur soient représentés dans les commissions et participent activement aux prises de décisions. Il est par ailleurs indispensable que les industriels du médicament puissent disposer de possibilités nouvelles, plus accessibles et plus rapides, de recours contre les décisions ou les recommandations des Commissions et du Comité économique des produits de santé.

9 Un peu améliorée par l’introduction, qui fut difficile, d’une épreuve de lecture critique d’articles à l’examen classant national de fin de deuxième cycle des études médicales.

 

Cet exemple prouve, contrairement à des idées répandues, qu’il y a souvent convergence entre les intérêts médicaux et les intérêts économiques.

Sans doute s’agit-il là de mesures de longue haleine, qui, dans de nombreux cas, ne produiront pas d’effets rapidement perceptibles. C’est pourtant dans cette information et dans cette responsabilisation du public que résident quelques unes des meilleures chances de rationaliser les dépenses de médicament.

AUTRES PROPOSITIONS — L’impression de gratuité presque totale des soins, sous le double effet de leur prise en charge par la solidarité nationale et du tiers payant, n’incite pas à des comportements responsables. Seul un ticket modérateur d’ordre public y parviendrait, c’est-à-dire qui ne soit pris en charge ni par les mutuelles, ni par les assurances. Pour avoir une efficacité réelle, il convient de le généraliser. La responsabilité s’impose à tous. Mais, pour ne pas entraver l’accès aux soins pour les plus démunis, ce qui ne serait pas tolérable dans une société comme la nôtre, il devrait être modulé.

— Le contrôle des moyens humains et matériels affectés à l’offre de soins devrait être beaucoup plus rigoureux, sans nuire pour autant à l’état de santé de la population 10.

Concernant les médecins, a contrario, l’augmentation du numerus clausus ne résoudra pas le problème de la désertification médicale de certaines zones rurales ou périurbaines, compte tenu de la liberté d’installation. Par ailleurs, il conviendrait d’atteindre une proportion nécessaire et minimale de 60 % de médecins généralistes, ce qui est possible lors de la fixation nationale des postes d’interne en médecine générale et en spécialités à l’issue de l’examen classant national en fin de deuxième cycle des études médicales.

— Le contrôle plus restrictif des équipements lourds, publics et privés, notamment en imagerie médicale, s’impose. Dans le même ordre d’idées, la reconversion de services hospitaliers peu actifs, notamment d’obstétrique et de chirurgie doit être poursuivie 11.

— En santé publique , la lutte contre le tabagisme, l’alcoolisme et plus généralement contre toutes les drogues doit être renforcée 12.

Combattre l’obésité, question majeure de santé publique, à la fois médicale et économique, est fondamental. Le surcoût de l’obésité pour l’assurance maladie 10 Ainsi, une étude de la Caisse nationale d’assurance maladie a montré que cet état de santé n’était pas meilleur là où les densités médicales étaient les plus fortes, alors que les dépenses de soins y sont plus élevées.

11 C’est un exemple où l’intérêt économique se conjugue avec celui de la qualité des soins.

12 Notamment en raison de l’augmentation de l’incidence des cancers du poumon chez les femmes ou encore de la proportion d’un peu plus de 20 % de femmes enceintes qui fument.

a été estimé entre deux et six milliards 13. Le financement de la prévention est un investissement utile à la fois sur le plan sanitaire et économique.

Les dérives médicales de la Couverture médicale universelle (CMU) doivent être maîtrisées.

CONCLUSION GÉNÉRALE

Réduire l’hyperconsommation générale de soins, lutter contre les gaspillages, est une première étape indispensable au maintien de notre système d’assurance maladie auquel les Français sont, à juste raison, attachés. La rigueur qui s’impose n’est pas incompatible avec la qualité des soins et, redisons-le avec les grands principes d’humanisme, de solidarité, de responsabilité et de liberté.

Elle ne peut être comprise et obtenue que par une action simultanée et déterminée des acteurs : les assurés, ceux qui les soignent et l’institution qui gère la solidarité nationale.

Ultérieurement, dans la mesure où le coût des soins et des biens médicaux croît plus vite 14 que la richesse nationale sur laquelle repose les ressources, il sera nécessaire d’augmenter les prélèvements obligatoires. Mais cela ne sera compris et accepté que si l’hyperconsommation et les gaspillages sont d’abord maîtrisés.

ANNEXE. LISTE DES AFFECTIONS DE LONGUE DUREE (ALD) 15

Les chiffres entre parenthèses indiquent le nombre de bénéficiaires pour chaque affection en 2009.

Accident vasculaire cérébral invalidant (209 294).

Insuffisances médullaires et autres cytopénies chroniques (9 311).

Artériopathies chroniques avec manifestations ischémiques (349 184).

Bilharziose compliquée (145).

Insuffisance cardiaque grave, troubles du rythme graves, cardiopathies valvulaires graves, cardiopathies congénitales graves (486 206).

Maladies chroniques actives du foie et cirrhoses (145 508).

13 Le pourcentage d’obèses est passé en France de 8,5 % à 14,5 % entre 1997 et 2009 et la prévalence du surpoids atteint 32 %. La nécessité d’un traitement pour hypertension, dyslipidémie ou diabète était douze fois plus élevée chez l’obèse que chez les témoins non obèses [Emery C et al. Evaluation du coût associé à l’obésité en France. Presse Med, 2007, 36, 832-40].

14 Surtout du fait de deux tendances lourdes que sont le vieillissement de la population et le progrès médical.

15 Art. D. 322-1 du code de la sécurité sociale, modifié par le décret no 2004-1049 du 4 octobre 2004, publié au Journal officiel du 5 octobre 2004.

 

Déficit immunitaire primitif grave nécessitant un traitement prolongé, infection par le virus de l’immuno-déficience humaine (VIH) (83 281).

Diabète de type 1 et diabète de type 2 (1 402 573).

Formes graves des affections neurologiques et musculaires (dont myopathie), épilepsie grave (171 999).

Hémoglobinopathies, hémolyses, chroniques constitutionnelles et acquises sévères (10 137).

Hémophilies et affections constitutionnelles de l’hémostase graves (18 646).

Hypertension artérielle sévère (909 619).

Maladie coronaire (746 141).

Insuffisance respiratoire chronique grave (277 620).

Maladie d’Alzheimer et autres démences (198 319).

Maladie de Parkinson (74 063).

Maladies métaboliques héréditaires nécessitant un traitement prolongé spécialisé (32 787).

Mucoviscidose (4 811).

Néphropathie chronique grave et syndrome néphrotique primitif (74 990).

Paraplégie (31 898).

Périartérite noueuse, lupus érythémateux aigu disséminé, sclérodermie géné- ralisée évolutive.

Polyarthrite rhumatoïde évolutive grave (43 036).

Affections psychiatriques de longue durée (889 796).

Rectocolite hémorragique et maladie de Crohn évolutives (92 984).

Sclérose en plaques (54 245).

Scoliose structurale évolutive (dont l’angle est égal ou supérieur à 25 degrés) jusqu’à maturation rachidienne (16 642).

Spondylarthrite ankylosante grave (53 245).

Suites de transplantation d’organe (5 050).

Tuberculose active, lèpre (10 642).

Tumeur maligne, affection maligne du tissu lymphatique ou hématopoïétique (1 500 517).

BIBLIOGRAPHIE [1] HUGUIER M., LAGRAVE M., MARCELLI A., ROSSIGNOL C., TILLEMENT J.P. — Assurance maladie. Un état des lieux. Bull. Acad. Natle Med ., 2010, 194 , 1095-103.

[2] COUANAU R. — Rapport sur la mission d’information sur l’organisation interne de l’hôpital.

Le désenchantement hospitalier. Assemblée nationale, 19 mars 2003.

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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 17 mai 2011, a adopté le texte de ce rapport par 61 voix pour, 12 voix contre et 10 abstentions.

 

<p>* Constitué de : Gérard Milhaud (Président), Michel Huguier, Claude Rossignol (Secrétaires), Renaud Denoix de Saint-Marc, Claude-Pierre Giudicelli, Michel Lagrave, JeanRoger Le Gall, Jean-Paul Tillement ** Membre de l’Académie nationale de médecine *** Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, nos 4 et 5, 1121-1132, séance du 17 mai 2011