Résumé
La confrontation du nombre des enfants en danger dans notre pays (entre 250 000 et 300 000) et du nombre d’enfants adoptés chaque année (de l’ordre de 700 à 800 dont moins de 200 enfants en danger), en constante diminution depuis vingt ans, nous interroge sur les causes de cette situation paradoxale et si possible sur les remèdes à y apporter qui puissent améliorer les chances d’avenir de ces enfants. Un organigramme montrant les différentes étapes de l’itinéraire d’un enfant en danger met en lumière les imperfections du dispositif administratif et judiciaire actuel : complexité, éclatement des compétences judiciaires, dilution des responsabilités, auxquelles s’ajoutent un certain cloisonnement des filières et une hétérogénéité d’un Département à l’autre. La lenteur du processus qui s’étale en moyenne sur cinq à six ans amenuise les chances de l’enfant d’accéder au statut de Pupille de l’Etat qui le rendrait adoptable et lui donnerait une famille qui l’attend. Deux situations particulières, la maltraitance et le désintérêt parental, ont spécialement retenu notre attention, fondée sur l’observation de cas suivis sur le terrain, sur la consultation de nombreux professionnels de la protection de l’enfance et sur l’étude de dessins de la famille d’enfants de six ans recueillis en milieu scolaire. Ce rapport met en lumière la souffrance des enfants maltraités, la perversité des auteurs de sévices, la solitude des enfants délaissés, les difficultés et les insuffisances de l’engagement médical et pose le problème de l’interprétation et de l’évaluation par les éducateurs et les juges de l’intérêt supérieur de l’enfant. Les principales recommandations formulées par l’Académie nationale de médecine portent sur la nécessaire simplification des structures administratives et judiciaires consacrées à la protection de l’enfant, sur l’harmonisation de leur fonctionnement confié à des responsables conscients des réalités de terrain, sur l’importance en cas de maltraitance ou de désintérêt parental, de mesures plus efficaces, sur la création d’une filière de familles d’accueil bénévoles choisies parmi les candidats agréés et sur la défense de l’accouchement sous X qui protège l’enfant et sa mère.
Summary
Between 250 000 and 300 000 French children are in danger, yet the annual rate of adoption is low and declining: only 700 to 800 children are adopted each year, including fewer than 200 children in danger. Administrative and legal procedures are excessively complicated and often vary from one region to another. Responsibilities are dispersed and diluted, and there is insufficient cooperation between the different stakeholders. Adoption procedures are so slow (5-6 years on average) that adoptable children are denied access to ‘‘ Pupil of the Nation ’’ status that would favor their adoption by willing families. We have examined two particular situations (parental violence and abandonment), illustrated with numerous case studies and with pictures of family life drawn by 6-year-old children at school. The results emphasize the distress of children who are victims of violence, as well as the perversity of perpetrators, the loneliness of abandoned children, and the failure of medical interventions. Welfare personnel and judges often appear to ignore the overriding interests of the child. The National Academy of Medicine makes several recommendations, including the urgent need to simplify and synergize administrative and legal structures responsible for child protection, the need for decisionmakers to have solid experience of real-life situations, and the importance of taking effective measures to protect children subjected to unacceptable treatment. The Academy advocates the creation, in addition to remunerated adoption, of an adoption system for willing families, independently of remuneration. Finally, the Academy supports anonymous birthgiving, which protects both the mother and the child.
UN CONSTAT
Le nombre d’enfants adoptés dans notre pays (adoption nationale) a diminué de moitié au cours des vingt dernières années [1-3], • 1 749 en 1985 • 726 en 2008 (fig. 1) Fig. 1 Dans le même temps l’adoption internationale a quadruplé, passant de 960 en 1980 à 4 136 en 2005 [1**] alors qu’elle pose des problèmes supplémentaires liés aux particularités ethniques, culturelles, religieuses, juridiques des diffé- rents pays. Il faut d’ailleurs signaler que les législations de ces pays se font plus contraignantes et l’adoption internationale tend, elle aussi, à diminuer (3 160 adoptions en 2007) [1**].
L’ADOPTION NATIONALE : qui sont ces enfants adoptés ?
Revenons aux chiffres de l’année 2008, bien documentée : sur les 726 enfants adoptés en France cette année là, la grande majorité (très exactement 594) était des enfants orphelins, des enfants abandonnés ou des enfants nés dans le secret et ce chiffre est relativement stable d’année en année, les autres, soit 132, étaient des enfants dits « en danger », ayant fait l’objet d’une mesure de protection administrative ou judicaire.
Quelles sont les causes de cette diminution régulière de l’adoption dans notre pays ?
Y aurait-il moins d’enfants en danger en raison du succès de la politique de prévention ?
Il n’en est rien : 250 000 à 300 000 enfants font actuellement l’objet d’une mesure officielle de protection, plus précisément 265 061 soit 1,86 % des mineurs en 2007 (enfants placés en institution, en famille d’accueil ou maintenus dans leur famille avec aide éducative) [4]. On ne peut manquer de mettre en regard ce chiffre de 250 000 enfants en danger avec celui des enfants en danger adoptés chaque année : 132 en 2008, nous l’avons vu.
Certes, tous « les enfants en danger » ne doivent pas être adoptés, Jean-Marie Colombani [1], qui a consacré un important rapport à cette question en 2008, estime que 9 à 13 % de ces enfants auraient pu prétendre à l’adoption.
Y aurait-il pénurie de familles candidates à l’adoption ?
Là encore la réponse est négative : 20 000 à 30 000 familles agréées attendent depuis plusieurs années qu’on leur confie un enfant.
La véritable cause est ailleurs : l’adoption en France est difficile.
Le législateur en est conscient comme en témoigne la multiplicité des lois qui ont été votées à un rythme accéléré au cours de ces dernières années : lois de 1996, 1998, 2002, 2005, 2007. De nouvelles lois sont en chantier.
L’adoption dans notre pays est bien un problème d’actualité.
Pour tenter de cerner ces difficultés nous avons élaboré un organigramme (fig. 2) qui permet de suivre l’itinéraire d’un enfant en danger :
Quatre ministères sont impliqués dans la prise en charge de ces enfants (Ministères des Solidarités et de la Cohésion sociale, de la Justice et des Libertés, de l’Économie, des Finances et de l’Industrie), le Ministère des Affaires étrangères et européennes, lui, s’occupe, par l’intermédiaire de l’Agence Française de l’Adoption (AFA), de l’adoption internationale.
La loi de 1958 a introduit une double protection de l’enfant, — administrative confiée au Conseil Général de chaque département, — et judiciaire (civile ou pénale).
Tout commence avec les « informations préoccupantes », provenant de sources multiples.
Rappelons qu’un numéro de téléphone national, le 119, est accessible à tous (Service National d’Appels Téléphoniques pour Enfants en Danger, SNATED).
Ces informations convergent vers le Conseil Général et aboutissent à la « Cellule Départementale des Enfants en danger », émanation du Service de l’Aide sociale à l’enfance (ASE).
Une enquête menée à ce niveau aboutit :
— soit au classement du dossier sans suite, — soit au placement de l’enfant en institution ou en famille d’accueil, — soit au maintien de l’enfant dans sa famille avec Aide Educative en Milieu Ouvert (AEMO).
Dans les cas graves, un signalement est adressé au Procureur de la République : on entre ainsi dans la filière judiciaire. L’enfant est mis à l’abri en foyer ou en milieu hospitalier. Le
Juge des enfants , saisi, décide à son tour, après enquête de ses services, le placement de l’enfant ou le retour en famille sous AEMO judiciaire si nécessaire.
Les enfants sont suivis par une Commission de l’ASE . Un éducateur référent renseigne annuellement cette commission sur la situation.
Après quelques années, si le retour en famille n’est pas décidé en raison de la persistance de difficultés ou d’inaptitude parentales, le Président du Conseil Général peut alors demander, suivant les cas, au Juge des Affaires Familiales ou au Juge des Tutelles la mise de l’enfant sous Tutelle de l’État .
Dans les cas les plus graves, le Président du Conseil Général peut demander au Président du Tribunal de Grande Instance de prononcer la déclaration judiciaire d’abandon .
Notons aussi qu’en cas de sévices avérés la juridiction pénale peut prononcer le retrait immédiat partiel ou total des droits parentaux . Le Procureur et le Juge des Enfants peuvent demander ce retrait en dehors de toute condamnation pénale (article 378 du Code Civil).
Dans les deux cas l’enfant peut acquérir le statut de Pupille de l’État qui le rend adoptable.
Il est alors confié au Service de l’Adoption qui le proposera aux parents adoptifs agréés.
Ce rapide survol fait apparaître à l’évidence les faiblesses du dispositif :
— sa complexité, — la dilution des décisions dans de nombreuses commissions, cellules, navettes, — l’éclatement de la compétence judiciaire, comme dit Jean-Marie Colombani [1***], entre le Procureur, le Juge des Enfants, le Juge des Tutelles, le Tribunal de Grande Instance, éventuellement le Tribunal correctionnel, la Cour d’Assises, sans parler de l’Appel et du Pourvoi en cassation.
— le cloisonnement étanche des filières et des services : les responsables départementaux déplorent souvent un manque de retour de l’information de la part des Juges, — l’hétérogénéité du système suivant les régions : il y a presque autant de modèles que de Départements, la territorialisation récente accentuant encore le phénomène de dispersion. La tâche des organismes comme l’ONED ou l’ODAS chargés d’élaborer des statistiques nationales ne s’en trouve pas facilitée.
— Enfin, conséquence gravissime pour l’enfant, la lenteur du processus. Ce n’est en moyenne qu’après cinq ou six ans de suivi que l’enfant en souffrance peut accéder au statut de Pupille de l’Etat. Il entre alors, en raison de son âge, dans la catégorie des « enfants à particularité » qui ont peu de chances d’être adoptés.
En pratique les situations sont diverses.
Nous voudrions nous arrêter à deux situations particulières , la maltraitance avérée et le désintérêt parental, d’abord en raison de leur caractère d’urgence et de gravité et aussi parce qu’elles mettent en évidence une autre cause — probablement la plus importante, les défauts de leur prise en charge.
La maltraitance
Épiphénomène anecdotique, dira-t-on. Il n’en est rien. Officiellement 19 000 à 20 000 [5] enfants sont signalés en moyenne chaque année en France, chiffre probablement au dessous du chiffre réel car beaucoup d’enfants sont maltraités dans la clandestinité sans témoin et sans défense.
Il s’agit de sévices de tous ordres, physiques, psychologiques, sexuels surtout depuis quelques années.
Le diagnostic n’est pas facile tant sont grandes la capacité de dissimulation et la perversité des parents maltraitants qui présentent des troubles profonds de la personnalité sous une apparence de normalité.
Le médecin s’abrite trop souvent derrière l’article 4 du Code de Déontologie Médicale qui impose le respect du secret professionnel, malgré les dérogations possibles : en effet, selon les dispositions de l’art. 226-14-1° du Code Pénal, il n’y a pas de violation du secret lorsqu’un médecin informe les autorités de privations ou de sévices commis sur un mineur. Mais il s’agit d’une autorisation et non d’une obligation.
Il convient néanmoins de rappeler que les dispositions de l’art. 223-6 réprimant la non-assistance à personne en péril sont applicables.
Enfin l’art. 4127-44 al. 2 du Code de Santé Publique est plus incitatif puisqu’il indique que le médecin « doit » alerter les autorités. Mais l’adjonction « sauf circonstances particulières qu’il apprécie en conscience » remet tout en question.
En pratique, 3 % seulement des signalements émanent des médecins.
Souvent ce sont les enseignants qui alertent le médecin scolaire (devenu trop rare). Le signalement fait, le processus d’enquête est alors enclenché.
Le jeune enfant ne parle pas : le dessin est sa parole jusqu’à l’âge de sept ans [6, 7]. Voici comment des enfants de six ans ont répondu à l’école à la demande de la maîtresse : « Dessine ta famille » .
FIG. 1. — Ce dessin fleuri dit le bonheur de l’enfant dans sa famille.
FIG. 2. — Joyeuse présentation du petit frère qui marche à quatre pattes.
FIG. 3. — Le père — alcoolique violent — frappe par son regard redoutable, sa bouche ensanglantée, la difformité de son physique.
FIG. 4. — Cette stéréotypie sombre signe l’état de souffrance de l’enfant. En tête un têtard vert :
le père alcoolique qui tient la famille en son pouvoir.
FIG. 5. — Dérapage psychique de l’enfant dans un milieu familial de cauchemar, noir, où erre un clochard rouge qui hante l’enfant.
FIG. 6. — Enfant victime de sévices : souffrance et terreur, personnages dysmorphiques rouges et noirs — sang et deuil —, bouche en gillage de la mère, l’auteur des sévices — gestes d’appel de l’enfant.
FIG. 7. — L’enfant victime de sévices maintenu dans sa famille sous AEMO dessine son incarcération dans sa chambre pendant ses 15 jours de vacances. Le thème suggéré était au retour en classe « l’occupation de vos vacances ».
FIG. 8. — L’enfant placé attend sa mère tout au long du dimanche — sa famille ? Elle n’en a pas, elle est seule, petite figure noire les bras ouverts près de la maison bleue mais vide.
FIG. 9. — Dérapage psychique d’un enfant placé — oublié — « Il ne croit plus à rien » dit l’enseignante. Il devient agressif.
Que deviennent les enfants victimes de sevices ?
L’abandon ou le retrait des droits parentaux est très rarement prononcé, même en cas de condamnation pénale des parents. Généralement un placement provisoire est suivi d’un retour et du maintien dans la famille d’origine sous AEMO judiciaire. L’enfant sert de matériel de travaux pratiques et de test à la rééducation des parents dans un univers oppressant où les sévices changent de forme.
C’est le lieu de signaler un constat récent : les enfants qui assistent à des violences intrafamiliales, conjugales en particulier, présentent à l’IRM d’importantes lésions cérébrales sous la forme de zones de perte de substance de la taille d’une pièce de monnaie, lésions réversibles si l’enfant est soustrait [8].
Que ne peut-on craindre pour les enfants qui sont la cible de sévices, ces enfants dits « bêtes, méchants et difficiles ».
Les chiffres sont éloquents : rappelons que 20 000 enfants sont signalés victimes de maltraitance chaque année. En 2008, sur cent trente-deux enfants en danger confiés à l’adoption, six seulement l’ont été après retrait total de l’autorité parentale [3].
Pourquoi cette réticence des juges à prononcer le retrait des droits parentaux ?
Tout le monde est d’accord pour décider en fonction de « l’intérêt supérieur de l’enfant ».
Le problème réside dans l’interprétation et l’évaluation de ce principe : la plupart des juges appliquent, au nom du sacro-saint lien biologique, les directives de l’art. 375-2 du Code Civil : « chaque fois qu’il est possible, le mineur doit être maintenu dans son milieu actuel », directive confirmée par la loi du 5 mars 2007 ;
d’autres pensent que certaines situations commandent que ce lien soit sacrifié.
Il est frappant de constater que l’intérêt de l’enfant « est apprécié de manière très différente d’une juridiction à l’autre » (MC. Le Boursicot).
Existe-t-il des critères objectifs permettant de surmonter ces difficultés ? La Déclaration des droits de l’enfant adoptée à l’unanimité en 1959 par l’Assemblée Générale des Nations Unies et reprise par diverses instances dont en France le Conseil d’État en 1997 apporte une importante contribution à ce problème : l’intérêt supérieur de l’enfant consiste à lui permettre « de se développer de façon saine et normale sur le plan physique, intellectuel, moral, spirituel et social dans des conditions de liberté et de dignité (principe 2) ».
Tout dépend, en dernière analyse, des particularités de la situation et des convictions des décideurs. Apparemment le maintien est presque toujours considéré comme possible. Le suivi de l’enfant sur le terrain en montre les conséquences parfois vitales.
Mais on peut aussi estimer que « l’intérêt supérieur de l’enfant » commande de remplacer le plus rapidement possible une famille pathologique et dangereuse, véritable « école de la violence » [10] par une famille responsable et géné- reuse. C’est le but de l’adoption.
Une formation et une expérience de terrain au contact de la réalité des faits permettraient peut-être d’espérer une convergence de vues des évaluateurs.
Le désintérêt parental
Il concerne des enfants placés en institution ou en famille d’accueil. « Sont considérés comme manifestement désintéressés de leur enfant », dit la loi de 1976, « les parents qui n’ont pas entretenu avec lui les relations nécessaires au maintien des liens affectifs ». Le désintérêt parental est plus fréquent qu’on ne pense et d’une grande importance car il est, de l’avis des pédo-psychiatres entre autres, une forme de maltraitance psychologique. Là encore, le dessin de l’enfant est éloquent.
L’art. 350 du Code Civil précise que « l’enfant, recueilli par un particulier, un établissement ou un service de l’Aide Sociale à l’Enfance, dont les parents se sont manifestement désintéressés pendant l’année qui précède l’introduction de la demande en déclaration d’abandon est déclaré abandonné » par le Tribunal de Grande Instance.
Il a donc vocation à être admis en qualité de Pupille de l’État et par conséquent à être adopté. Il va de soi que cet article ne s’applique qu’aux cas de désintérêt « volontaire » c’est-à-dire conscient et délibéré et non aux cas de force majeure (incapacité, incarcération…).
Or le nombre de Pupilles de l’État admis après déclaration judiciaire d’abandon a baissé de 70 % de 1989 à 2008 [11]. La simple délégation de l’autorité parentale qui aboutit à la mise de l’enfant sous tutelle de l’État, statut peu protecteur, est le plus souvent préférée à la déclaration judiciaire d’abandon.
Le constat de désintérêt est perçu par les responsables juridiques et sociaux comme un échec de leur mission. On invoque là encore les droits fondamentaux reconnus à l’enfant et à ses parents par la Déclaration Internationale des Droits de l’Enfant et la Convention Européenne des Droits de l’Homme, à savoir le droit pour un enfant d’être élevé par ses parents et le droit au respect de la famille.
Un autre élément récemment introduit joue en défaveur de la déclaration judiciaire d’abandon pour désintérêt. Ce sont les « visites obligatoires médiatisées » décidées par le magistrat concernant l’enfant placé : les parents rencontrent obligatoirement à plusieurs reprises l’enfant en présence de Tiers, généralement un éducateur, ce qui, de toute évidence, ne permet plus d’affirmer le désintérêt parental. A noter encore un constat régulier des familles d’accueil à la suite de ces confrontations : l’enfant peut mettre plusieurs jours à se remettre de ces épreuves périodiques.
Et les années passent…
Quel est l’avenir de ces enfants délaissés et placés ?
Le placement prolongé comporte des risques :
— l’inégalité de la qualité des familles d’accueil, — la multiplicité des changements, — la rigidité administrative des institutions, sont autant de facteurs de déstabilisation de l’enfant en souffrance.
De plus la tutelle cesse à la majorité, l’adolescent se retrouve alors sans famille.
30 % des SDF sont d’anciens enfants placés.
L’adoption ne constitue-t-elle pas une solution autrement constructive ?
On objecte qu’un enfant délaissé reste habituellement attaché à ses parents.
Ce serait une forme clinique du syndrome de Stockholm. En pareil cas « l’adoption simple » réalisée avec l’accord des parents biologiques aurait l’avantage de maintenir des liens avec eux. Encore faudrait-il pour la stabilité de cette nouvelle situation que cette adoption simple soit irrévocable.
Un autre problème, celui de l ’accouchement sous-X .
Il est actuellement menacé de suppression. Or c’est un secours pour les femmes en difficulté qui ne peuvent assumer la charge qu’amènerait la présence de cet enfant, cela pour des motifs divers, mais qui refusent avortement et infanticide.
On lui oppose l’épreuve que peut constituer pour l’enfant l’ignorance de ses origines. Faut-il rappeler qu’une chance lui a été donnée, que sans cette possibilité de l’accouchement sous-X il n’existerait pas. Des possibilités d’accès aux origines ont été introduites récemment.
Ces quelques réflexions alimentent les recommandations que l’Académie nationale de médecine est amenée à formuler.
RECOMMANDATIONS
L’adoption nationale ne doit plus être exceptionnelle.
— Il faut simplifier les structures administratives et judiciaires de prise en charge des enfants en danger, harmoniser leur fonctionnement et accélérer les procédures.
— En cas de sévices avérés , un retrait des droits parentaux qui permet l’adoption doit être, même sans condamnation pénale, prononcé sans délai, l’intérêt supérieur de l’enfant justifiant en pareil cas le sacrifice du lien biologique avec les parents maltraitants. Il serait important pour les juges, responsables de la gestion de situations nombreuses et complexes, d’avoir une formation et une expérience de terrain.
Le diagnostic de maltraitance étant souvent difficile, la liaison avec le service social de secteur et les services hospitaliers est recommandée.
Le signalement par le médecin de sévices avérés à l’enfant, laissé actuellement à son appréciation, devrait être obligatoire. L’article 4 du Code de Déontologie Médicale, l’article 4127-44 du Code de Santé Publique et l’article 226-14-1° du Code Pénal devraient être modifiés dans ce sens.
— Le désintérêt parental de l’enfant placé en institution ou en famille d’accueil doit être rapidement évalué par les éducateurs.
Six mois d’observation attentive et approfondie devraient suffire. Une déclaration judiciaire d’abandon permettrait alors l’accès au statut de Pupille de l’Etat et une adoption rapide et précoce.
— La création d’une filière de familles d’accueil bénévoles , choisies parmi les familles candidates à l’adoption agréées, pourrait être instaurée parallèlement à celle des familles d’accueil rémunérées. Cette disposition permettrait aux candidats de montrer la priorité qu’ils accordent au bonheur de l’enfant et donnerait à l’adoption son véritable sens : donner une famille à l’enfant et non l’inverse.
— L’ adoption simple , qui transfère aux parents adoptifs l’autorité parentale tout en maintenant les liens avec la famille biologique, rend sans objet le problème si délicat de la recherche des origines. Elle devrait, comme l’adoption plénière, être irrévocable.
— « L’ accouchement sous X », actuellement menacé de suppression, doit être maintenu. Il permet en effet à la femme qui en a le courage d’assumer sa grossesse et protège la vie de l’enfant conçu.
— Le Conseil Supérieur de l’Adoption (CSA), organisme consultatif, devrait jouer un rôle de pilotage et un rôle fédérateur des actions départementales dans l’organisation générale de l’adoption en France.
— La création dans chaque Département d’un « Observatoire de l’Adop- tion » fournirait chaque année au CSA les données numériques harmonisées permettant l’élaboration de statistiques nationales fiables.
BIBLIOGRAPHIE [1] COLOMBANI J.M. — Rapport sur l’adoption. La Documentation française, Paris 2008, *Annexe V, Fiche 2, p. 150.** ibid, Fiche 4, p. 198.***ibid, Fiche 2, p. 161.
[2] Observatoire National de l’Enfance en Danger (ONED) — Rapport 2010, Situation des Pupilles de l’État au 31 décembre 2008, p. 6.
[3] ONED, Ibid. , Tableau 3, p. 33.
[4] ONED — Ve Rapport annuel. Avril 2010, Connaissance chiffrée de l’Enfance en danger, Chap. 2, p. 73.
[5] Observatoire National de l’Action Sociale Décentralisée (ODAS). Lettre de novembre 2007, p. 2.
[6] WIDLOCHER D. — L’interprétation des dessins d’enfants. Ed. P. Mardaga, Bruxelles 1981, 266 p.
[7] MANTZ — LE CORROLLER J. — Quand l’enfant de six ans dessine sa famille. Ed. P. Mardaga, Sprimont 2003, 132 p.
[8] FREMIOT L. — Communication à l’Académie Nationale de Médecine , le 23 novembre 2010.
[9] LAVALLEE C. — L’enfant, ses familles et les institutions de l’adoption, Ed. Wilson et Lafleur Ltée, Montréal 2005, 541 p.
[10] PIET E. — Communication à l’Académie Nationale de Médecine, le 23 novembre 2010.
[11] ONED — Rapport 2010, Situation des Pupilles de l’Etat au 31 décembre 2008, p. 10.
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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 22 février 2011, a adopté le texte de ce rapport par 66 voix pour, 1 voix contre et 4 abstentions.
Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, no 2, 431-446, séance du 22 février 2011