Rapport
Séance du 8 janvier 2008

08-01 Cancers du sein, incidence et prévention

MOTS-CLÉS : antioestrogènes. facteurs de risque.. hormones. prédispositions génétiques à une maladie. traitement hormonal substitutif. tumeurs du sein
How to reduce the incidence of breast cancer
KEY-WORDS : breast neoplasms. estrogen antagonists. genetic predisposition to disease. hormone replacement therapy. hormones. risk factors.

Henri Rochefort, Jacques Rouëssé

Résumé

Dans tous les pays à revenus élevés, l’augmentation de l’incidence du cancer du sein depuis ces trente dernières années atteignant, en France, plus de 41 000 cas annuels fait que ce cancer, le premier cancer féminin en terme de fréquence et de mortalité est devenu un problème de Santé Publique. Même si la mortalité commence à baisser depuis 2000 du fait des progrès des traitements et du dépistage, le cancer du sein avec environ 11 000 décès par an reste la première cause de mortalité par cancer chez la femme La prévention pose de nombreux problèmes l’étiologie de ce cancer étant multifactorielle, elle repose sur la définition des indicateurs individuels de risque. Mis à part les rares cas (6 à 10 % des cas) liés à des prédispositions génétiques et ce qui concernent les lésions « pré invasives » biopsiées, l’appréciation du risque est insuffisante. Cependant on peut dès maintenant proposer quelques attitudes de prévention qui associées devraient faire baisser cette incidence. Les données épidémiologiques montrent que des règles de bonne hygiène de vie (en évitant le sédentarisme, l’obésité, l’abus d’alcool, le tabagisme et la prise non contrôlée d’hormones) devraient avoir une action bénéfique. Une modification de la vie génitale privilégiant une première grossesse précoce, un allaitement au sein et des prescriptions plus modérées des traitements hormonaux des symptômes de la ménopause pourraient aussi diminuer l’incidence ce qui est fortement suggéré par la baisse récente de celle-ci aux USA. En ce qui * Membre de l’Académie nationale de médecine ** Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine *** Ont participé à ce groupe de travail : Mmes R.M. Ancelle-Park, C. Hill, H. Sancho-Garnier, D. Stoppa-Lyonnet et A. Tardivon. MM., D. Birnbaum, Ph. Bouchard, J. Estève, Ph. Jeanteur, Y. Le Bouc, H. Léridon, T. Maudelonde, G. Schaison, et M. Tubiana qui est à l’origine de ce groupe de travail. concerne les formes majoritaires qui expriment les récepteurs des estrogènes, les données de prévention médicamenteuses à base d’anti-estrogènes (ou SERM) apportées par des essais randomisés doivent amener à réviser l’attribution de certaines AMM pour les femmes à très haut risque de cancer du sein et à encourager de nouvelles études randomisées innovantes et efficaces. Enfin un effort supplémentaire de recherche orienté vers une meilleure connaissance de la cancérogenèse mammaire humaine devrait améliorer une prévention ciblée des cancers du sein.

Summary

The incidence of breast cancer is rising in all industrialized countries. In France, with 41 000 new cases and 11 000 deaths per year, breast cancer is still the first cause of death from cancer in women. Genetic familial breast cancer is rare (only ∼ 2 % due to mutated BRCA1/2 genes). Most of the increase is due to sporadic cases associated with hormonal, reproductive and nutritional factors, some of which can be avoided. Prevention should include : — avoidance of risk factors such as alcohol, obesity, smoking, sedentarity, and, when possible, late first pregnancies and absence of breast feeding. — Lesser use of hormone replacement therapy, in order to avoid the tumor-promoting action of ovarian hormones ; this is supported by the strong fall in the incidence of breast cancer in U.S.A after 2002, following a drop in the use of HRT by post-menopausal women. — For very-high-risk women (BRCA1/2 mutations, or in situ carcinoma with proliferative atypia), chemoprevention with SERM should be authorized, based on randomized trials of tamoxifen and raloxifen. New trials of other agents should be encouraged. — Risk indexes such as that developed by the NCI should be more widely used. — More research on the early steps of human mammary carcinogenesis should be encouraged, as this should lead to individual targeted prevention.

INTRODUCTION

Le but de ce groupe de travail était d’étudier les causes de l’augmentation régulière de l’incidence des cancers du sein invasifs, dans les pays industrialisés y compris la France et d’essayer de proposer des actions de prévention pour inverser cette tendance.

Par rapport à d’autres cancers l’étiologie des cancers du sein n’est pas totalement élucidée . C’est un cancer multigénique, multifactoriel, hétérogène à l’arrivée et probablement au départ. Il n’y a que 6 à 10 % de cancers héréditaires, les autres causes sont donc principalement exogènes et probablement multiples, mais de faible pénétrance. Cependant le rôle des hormones ovariennes comme agents promoteurs de tumeur du à leur activité mitogène est bien établi et de nombreux facteurs de risque les concernent.

Cela ouvre des possibilités de prévention visant à inhiber ou à ne pas amplifier leur effet promoteur.

L’INCIDENCE DES CANCERS DU SEIN EN FRANCE ET DANS LES PAYS A REVENU ÉLEVÉ

Le cancer du sein est dans la plupart des pays industrialisés, le cancer le plus fréquent chez la femme. Chaque année dans le monde plus d’un million de nouveaux cas apparaissent, soit 30 % de nouveaux cas de cancers féminins dans les pays industrialisés et 14 % dans les pays en voie de développement.

C’est aussi la première cause de mortalité par cancer avec 410 000 décès annuels en 2002 [1].

Les taux d’incidence les plus élevés sont observés aux États-Unis et au Canada (110/ ) mais au Japon ils atteignent à peine 16/ , taux bas dû 100000 100 000 à un déficit en cancers post-ménopausiques. Les migrantes Japonaises aux USA voient leur taux d’incidence augmenter. Il croît aussi récemment dans les pays asiatiques qui adoptent un mode de vie occidentale.

Fig. 1. — Tendance temporelle de l’incidence et de la mortalité par cancer du sein en France.

En France, l’accroissement de l’incidence est, jusqu’en 2004, de 2,4 % par an et porte sur toutes les classes d’âge mais surtout à partir de 50 ans. Le nombre de nouveaux cas en l’an 2000 est de l’ordre de 41 000 soit un taux standardisé « monde » de 88,9 pour 100 000 et représente 35,7 % des cancers féminins.

La mortalité, restée relativement stable, était en 2000 de 11 000 soit un taux de 19,7/ et 19 % de la mortalité par cancer [2]. L’incidence du cancer du sein 100 000
augmente depuis l’âge de 30 ans jusqu’à environ 50 ans. A la ménopause l’augmentation d’incidence se ralentit. Cette rupture de pente n’est observée que pour les cancers hormono dépendants exprimant les récepteurs d’estrogènes (RE + ou —) et/ou de la progestérone (RP + ou —).

DÉPISTAGE, PRÉVENTION SECONDAIRE

La mammographie de dépistage réduit de 10 à 35 % la mortalité par cancer du sein selon les études. Son rôle dans l’augmentation de l’incidence du cancer du sein est discuté. En France, l’introduction dans certains départements d’un dépistage organisé n’a entraîné aucune inflexion significative d’incidence ceci étant dû vraisemblablement au fait qu’il existait déjà un dépistage opportuniste important [3]. Au Danemark [4] le sur-diagnostic serait quasi nul. Pour Zackrisson [5], 25 ans après le début de l’essai randomisé concernant le dépistage mis en place en Suède, la surincidence serait de 10 %. D’autres auteurs trouvent des chiffres plus élevés [6]. Le fait que le nombre de petits cancers invasifs détectés à l’autopsie de femmes décédées pour d’autres causes est en très large excès par rapport à l’incidence de cancers révélés cliniquement, suggère que certains de ceux-ci ne se seraient jamais développés [7].

Certaines méthodes modernes d’imagerie, basées sur la morphologie et les propriétés mécaniques ou fonctionnelles des tissus sont en cours d’évaluation, pour permettre d’améliorer la détection et la caractérisation de lésions infracliniques [8].

Les lésions mammaires proliférantes biopsiées constituent des étapes possibles de la cancérogenèse et un facteur de risque. Les risques relatifs de cancers du sein variant de 1 à 2 pour les lésions proliférantes simples à 5-6 pour celles avec atypies. Le fibroadénome isolé n’est pas un facteur de risque.

Pour les cancers in situ , le risque relatif d’évolution invasive varie entre 5 à 10 selon leur grade [9]. La prise en charge de ces lésions pose des problèmes parfois difficiles tant à un niveau local que général.

APPORT DE LA GÉNÉTIQUE

Les mécanismes des étapes initiales de la cancérogenèse mammaire sont très mal connus bien que le rôle promoteur des hormones soit bien établi.

Les formes familiales représentent 6 à 10 % des cancers du sein . Parmi ceux-ci, les mutations BRCA1 & BRCA2 ne sont retrouvées que dans environ 20 % des cas, les mutations de TP 53, PTEN, STK 11 étant beaucoup plus rares. Au total chez seulement 2 % des femmes atteintes d’un cancer du sein une mutation délétère de BRCA1/2 est mise en évidence. Le risque au cours
d’une vie pour une femme porteuse de mutation de BRCA1 de développer un cancer du sein est de l’ordre de 60 % et un cancer de l’ovaire d’environ 40 % et de BRCA2 respectivement de 40 % et de 10 % [10, 11].

La surveillance des femmes porteuses de la mutation repose sur des protocoles précis basés sur l’examen clinique, la mammographie et l’IRM associées à l’échographie. La prévention est surtout chirurgicale avec la mammectomie bilatérale prophylactique qui réduit le risque de cancer du sein d’au moins 90 %. L’annexectomie bilatérale nécessitée par le risque de cancer de l’ovaire diminue de 50 % le risque de cancer du sein. Une chimio-prévention hormonale pourrait s’avérer ici bénéfique. En effet ces cancers pourraient être hormonodépendants, dans leur stade initial, du fait de l’effet protecteur de l’ovariectomie [12].

Hétérogénéité et complexité des mécanismes moléculaires et cellulaires de la cancérogenèse mammaire.

Pour 90 % des cancers (les cancers non héréditaires) les mécanismes sont complexes et probablement multigéniques.

Sur la base des nouvelles techniques d’analyse des gènes et de leur expression en ARN messagers une nouvelle classification moléculaire des cancers du sein est proposée. Plusieurs études [13, 14] permettent de proposer au moins quatre sous-classes moléculaires de cancers du sein invasifs, pouvant correspondre à des pronostics et des traitements différents, mais il n’y a pas de parallélisme absolu entre les classements définis par les pathologistes et ces classements moléculaires.

FACTEURS DE RISQUE DES CANCERS DU SEIN SPORADIQUES

Les facteurs de risque, mis en évidence essentiellement par l’épidémiologie, correspondent souvent à des facteurs étiologiques définis par les recherches de laboratoire.

Les facteurs liés à l’exposition aux hormones stéroïdiennes ovariennes :

par leur effet mitogène, les estrogènes sont des agents promoteurs des tumeurs hormono-sensibles. Ils augmentent l’incidence des mastopathies proliférantes ainsi que la croissance des cellules cancéreuses mammaires en culture et des tumeurs mammaires in vivo chez les rongeurs [15].

Le temps d’exposition aux hormones ovariennes augmente le risque .

Pour chaque deux ans de retard à la puberté, le risque de cancer du sein diminuerait de 10 %. Il semble augmenter de 3 % par année de retard à la ménopause (naturelle ou artificielle) [16].

A la ménopause, l’augmentation d’incidence des cancers du sein s’infléchit contrairement à celle d’autres cancers [2]. Le risque lié à une obésité post ménopausique (RR ≈ 2) s’expliquerait par l’augmentation des concentrations d’estrogènes par aromatisation des androgènes dans le tissu adipeux. Une consommation élevée d’alcool (supérieure à 20g/jour ou deux verres de vin) augmente le risque (RR ≈ 1,5-2) [7] en particulier en abaissant l’inactivation métabolique des oestrogènes par le foie.

Les nombreuses études sur les THS de la ménopause vont dans le même sens . Elles ont été obtenues par le suivi de grandes cohortes et les essais contrôlés [17, 18]. L’importance du risque relatif avec l’association estroprogestatif varie selon les études entre 1,3 et 2. Le risque disparaît à l’arrêt du traitement. Le nombre annuel de cancers du sein attribuables au THS en France varie selon les études entre 1 200 et 5 300 [7].

Quatre types d’évolution sont à noter depuis les rapports de 2003.

— Selon l’étude française E3N de la cohorte des femmes MGEN, la progestérone micronisée comporterait moins de risque que les progestatifs de synthèse [19]. Cela doit être confirmé par des études indépendantes randomisées.

— Chez les femmes traitées tôt au début de leur ménopause et avant 60 ans, les estrogènes n’augmenteraient pas le risque d’infarctus du myocarde à condition qu’elles n’aient pas développé de plaques d’athérome [20]. Cela pourrait changer le rapport risques/bénéfices [21].

— Pour la première fois, l’incidence des cancers du sein a baissé aux USA à partir de 2002 soit rapidement après l’arrêt des THS chez environ 50 % des femmes, pour atteindre en 2003 une baisse de 12 % et se stabiliser à un niveau inférieur en 2004. Le fait que celle-ci en 2002 ne concerne que les cancers RE + plaide en faveur d’une liaison avec celle-ci. [22] 1.

Le cas des contraceptifs oraux est controversé mais plus rassurant. Le risque n’est retrouvé que chez les jeunes femmes nullipares ; avec des prises prolongées avant une première grossesse (RR∼1.3). Ces contraceptifs protè- gent nettement contre les cancers de l’ovaire et de l’endomètre et les bénéfices l’emportent largement. Cette contraception n’est à discuter que chez les femmes à haut risque [23].

1. Au moment où nous publions ce texte une publication du Bulletin du Cancer fait état, en

France, d’une diminution de l’incidence des cancers du sein chez les femmes ménopausées à partir de 2005. Le fait que, le dépistage ait augmenté à partir de 2004 alors que la prise de THS ait diminué de 60 % suggère fortement que cette baisse est responsable de la diminution d’incidence des cancers du sein. In : ALLEMAND H., SERADOUR B., WEILL A. et al.

— Baisse de l’incidence des cancers du sein en 2005 et 2006 en France : un phénomène paradoxal.

Bull. Cancer, 2008, 95 (1) : 11-5.

Progestatifs oraux seuls avant la ménopause. La cohorte E3N des femmes traitées entre 40 et 50 ans par progestatifs montre un risque plus élevé de cancers du sein (RR ∼1.44) pour un traitement > 4 ans ½. [19].

Le risque associé aux autres hormones est plus discuté et pourrait concerner des femmes plus jeunes voire des étapes pré pubertaire ou intra utérine . Il est admis que la concentration plasmatique élevée d’IGF-I est un facteur de risque de cancer du sein. De même pour l’IGF-II dont la concentration locale peut être augmentée dans certains cancers. L’IGF interviendrait dans l’augmentation de la taille moyenne des enfants à la naissance qui est associée au risque de cancer du sein [24]. (Une taille >53 cm provoquerait un risque de l’ordre de 1,8 par rapport à une taille < 50 cm).

Les facteurs liés à la reproduction

L’âge croissant de la première grossesse est un facteur de risque reconnu (RR1.5-2) qui peut en partie expliquer l’augmentation d’incidence des cancers du sein de ces 30 dernières années. Comparées aux nullipares, les femmes qui ont eu au moins une grossesse à terme, ont en moyenne une réduction de risque de cancer du sein de 25 %. La protection augmenterait avec le nombre de grossesses à terme et surtout plus l’âge de la première grossesse est précoce plus la protection est grande (RR de 0.75 à 0.25). Par contre un premier enfant après 30 ans entraîne un risque supérieur à celui des nullipares et le double, après 35 ans [25]. En France, l’âge moyen à la première grossesse est passé de 24 en 1970 à 29,7 en 2005 [26]. Cette tendance à l‘augmentation depuis 1970 est régulière et se retrouve dans toute l’Europe, et aux USA.

L’allaitement au sein protège non seulement l’enfant mais également la mère du risque de cancer du sein. Cet effet protecteur augmente avec la durée de l’allaitement (environ 5 % par mois d’allaitement). Il serait en grande partie responsable de la faible incidence des cancers du sein dans les pays en voie de développement, il n’est cependant pas négligeable dans les pays industrialisés et doit être fortement encouragé. Cette protection s’explique à la fois par la diminution du nombre de cycles ovariens et par l’élimination de cellules souches mutées durant et à la fin de la période de lactation [27]. La durée moyenne de l’allaitement au sein n’a cependant pas diminué ces 20 dernières années en France [7].

L’alimentation et la sédentarité.

La quantité totale de calories consommées, et l’obésité après trente ans, sont des facteursderisqueétablis(RR≈2)pourlescancerspostménopausiques.Onl’avula consommation d’alcool augmente le risque de cancer du sein même à
dose modérée. La consommation importante de fruits et légumes pourrait diminuer le risque (RR ≈ 0,6) possiblement par un effet anti-oxydant ? [27] Un exercice physique modéré régulier (une demie heure de marche par jour environ) diminuerait également le risque (RR∼0.70) [27].

Certains facteurs de risque concerneraient les étapes d’initiation, ils sont observés tôt avant la ménopause.

L’irradiation du thorax accidentelle ou médicale à dose cumulée supérieure à quelques centaines de milligray peut avoir un effet mutagène. Ce facteur de risque avéré est lié à la dose reçue et à l’âge de l’irradiation. La médiane de survenue de cancer à partir de la fin de l’irradiation est autour de 18 ans, et un dépistage par imagerie est en général mis en route 8 à 10 ans après l’irradiation.

Le poids et la taille des filles à la naissance augmentent leur risque de cancer du sein avant la ménopause. Un risque de 1,5 est retrouvé pour les poids supérieurs à 3 840 g par rapport à des poids inférieurs à 3 040 g [24].

Le tabagisme passif

Pour l’IARC, en 2004 il n’y avait pas de liens entre le tabagisme et le cancer du sein, la dioxine contenue dans la fumée ayant un effet antiestrogène. Cependant une méta-analyse sur 19 études en 2005 montre un risque associé essentiellement au tabagisme passif de 1,27 [1,11-1,45], et de 1,68 [1,33-2,12] pour les cancers du sein survenant avant la ménopause [28].

Le rôle des xéno-estrogènes, pesticides et autres mutagènes contenus dans l’environnement ou l’alimentation, est beaucoup plus discuté pour les cancers du sein ce qui n’exclue pas une surveillance accentuée de la concentration de ces produits dans l’environnement et l’alimentation.

Conclusion : La plupart de ces facteurs de risques sont liés au mode de vie occidental, L’ensemble de ces facteurs de risque, intégrés aux facteurs familiaux (gènes de susceptibilité), aux marqueurs tissulaires (mastopathies à risque) et à la densité mammaire devrait permettre d’améliorer les indices permettant la quantification du risque individuel de cancer du sein (cf.

plus loin pour ces indices).

LES MOYENS D’ACTION POUR UNE PRÉVENTION DES CANCERS DU SEIN

D’après les exemples cités plus haut, il est clair que les causes d’augmentation d’incidence sont principalement à rechercher dans le mode de vie « occidental » des pays à revenu élevé, (alimentation, hormones) et les modalités de
reproduction.

Les femmes devraient ainsi éviter assez facilement les risques tels que abus d’alcool, obésité post ménopausique, sédentarité, et hormones exogènes non contrôlées en suivant des conseils d’hygiène de vie qui protègent également des risques cardiovasculaires et du diabète.

Plus difficile est la mise en place d’une chimioprévention qui devrait cependant pouvoir être proposée aux femmes à très haut risque de cancer invasif.

La chimio prévention contre le risque hormonal

La preuve de l’efficacité de la chimio prévention repose sur plusieurs essais randomisés qui sont en accord avec les mécanismes sur l’effet promoteur de tumeur des estrogènes. Cependant elle ne se conçoit au plan individuel qu’après un bilan évaluant la balance bénéfice/risque incluant d’autres pathologies que le cancer du sein.

Une chimio prévention vise à inhiber soit l’action mitogène des estrogènes au niveau des RE par les antiestrogènes ou SERM, soit la production des estrogènes après la ménopause par des anti-aromatases [29].

— L’utilisation du tamoxifène en prévention se justifie par la diminution des cancers dans le sein controlatéral sous tamoxifène en adjuvant du traitement des cancers du sein non métastasés. Plusieurs essais randomisés [30, 31], ont testé 20 mg/j de tamoxifène contre placebo avec un suivi d’au moins cinq ans. Deux essais montrent une réduction d’environ 50 % de l’incidence de cancer du sein (RR=0.51) avec un intervalle de confiance 95 % (IC) allant de 0,39-0,66. Cette diminution ne concerne que les tumeurs RE+. Cet effet très positif est associé à une protection contre l’ostéoporose mais est contrebalancé par une augmentation des phlébites et des embolies pulmonaires (RR∼1,9 ; IC : 1,4-2,6), des accidents vasculaires céré- braux (RR∼1,59) et de cancers de l’endomètre (RR∼2,4 ; IC 1,5-4,0) [30].

Récemment le suivi des trois études européennes de prévention indique que les femmes anglaises [32] et italiennes [33] traitées cinq ans par le tamoxifène, font moitié moins de cancers du sein après vingt ans de suivi, et restent protégées de huit à treize ans après l’arrêt de la prévention alors que les effets délétères du tamoxifène diminuent. Bien qu’on manque de recul pour juger du bénéfice en terme de mortalité globale et d’études contrôlées pour préciser leur indication, les études de simulation indiquent qu’il y aurait un net bénéfice en mortalité globale pour les femmes à très haut risque projeté sur cinq ans (indice de Gail>3).

— L’étude MORE [34] montre que le raloxifène (60 mg/j) par rapport au placebo, réduit à la fois le risque d’ostéoporose et de cancer du sein RE+ de 84 % après quatre ans d’utilisation mais pas celui des tumeurs RE—. Il n’augmente pas le nombre de cancers ou d’hyperplasies de l’endomètre.

Cette étude poursuivie quatre ans (soit huit ans de raloxifène) par l’essai

CORE confirme son efficacité sur la réduction de l’incidence des cancers du sein RE+ (RR : 0,34, IC : 0,18-0,66) particulièrement pour les cancers à risque familial. L’étude STAR montre que l’efficacité du raloxifène est identique à celle du tamoxifène en prévention du cancer du sein invasif chez les femmes ménopausées [35]. L’étude RUTH ne montre aucun effet positif ou négatif du raloxifène au plan cardiovasculaire. Cependant, outre les effets secondaires (bouffées de chaleur, thrombo embolies), les SERMS actuels ne protègent pas des cancers RE —. Des SERMs de troisième génération sont à l’étude.

Les anti aromatases (stéroïdiens et non stéroïdiens) bloquent la transformation des androgènes en oestrogènes dans les corticosurrénales, le tissu adipeux, et la glande mammaire. Elles ont un effet légèrement supérieur au tamoxifène en traitement adjuvant chez la femme ménopausée [36].

Plusieurs essais sont initiés en prévention [37]. Par rapport aux SERMs qui conservent des activités estrogèniques, les anti aromatases ont des avantages. Ils inhiberaient aussi une éventuelle action mutagène des estrogènes dans les cancers RE — et induiraient moins d’accidents vasculaires cérébraux et thrombo emboliques. ? Mais elles augmentent le risque d’ostéoporose. Elles sont inefficaces avant la ménopause et sont moins bien tolérées que le tamoxifène (douleurs articulaires et musculaires).

Les phytoestrogènes sont largement distribués dans les pharmacies et le soja dans les grandes surfaces. Les populations orientales soumises à un régime riche en soja font moins de cancers du sein post ménopausiques.

Les phytoestrogènes contenus dans le soja et en particulier la génistéine, se lient aux RE et de préférence à la forme , ce qui atténuerait l’activité mitogène du RE. La génistéine pourrait donc avoir une activité préventive d’autant qu’elle inhiberait également l’activité tyrosine kinase de certains récepteurs de facteur de croissance. Cependant la génistéine via sa faible activité estrogénique pourrait avoir des effets contradictoires [38]. De fortes concentration plasmatiques de génistéine (mais pas de lignanes) sont associées à une baisse de risque de cancer du sein de ∼40 % dans une cohorte de femmes hollandaises ; cette étude n’a pas été confirmée. Au total la prudence s’impose surtout chez les enfants en attendant les résultats d’études randomisées indispensables.

De nombreuses autres pistes de chimio-prévention sont à l’étude et se proposent d’agir sur d’autres voies de régulation, tels que d’autres récepteurs nucléaires, ou de diminuer l’inflammation qui agit sur le microenvironnement par des inhibiteurs de COX ou de diminuer l’activité de protéines kinases membranaires activant le cycle cellulaire ou de mimer ou favoriser par un traitement hormonal le fort effet protecteur d’une première grossesse précoce (avant vingt-cinq ans).

Une prévention efficace repose sur une meilleure estimation du risque individuel de cancer du sein ?

Afin d’aider dans la décision d’actions de prévention, il est nécessaire d’évaluer le risque individuel de cancer du sein. Les études épidémiologiques ont permis de définir des risques relatifs projetés sur cinq ans et ont conduit l’Institut National du Cancer aux USA à la construction de l’indice de Gail [39] (disponibles sur le site Internet du NCI des USA (www.cancer.gov/bcrisktool) qui s’est révélé valable au niveau d’une population . Le même type de calcul devrait être disponible en France.

La plupart des essais contrôlés de prévention par les antiestrogènes concernent les femmes à risque avec un indice de Gail>1,67. Cependant, au niveau individuel , le degré de prédiction est très insuffisant (seulement ∼60 % de bon classement). Particulièrement intéressants pour l’avenir sont l es indicateurs individuels de risque non invasifs (sans biopsie) et quantifiables . On dispose actuellement de dosages hormonaux, tels que les concentrations plasmatiques d’estradiol libre, de testostérone, d’IGF1. La densité mammaire après la ménopause traduit le degré de prolifération des cellules épithéliales, sa mesure doit être standardisée avant d’entrer en pratique médicale dans un indice de risque. D’autres bio-marqueurs non invasifs sont à l’étude tels que la cytologie ou la biologie moléculaire des sécrétions mammaires et le dosage de nouveaux marqueurs circulants ou urinaires issus de la protéomique.

CONCLUSION

Du fait de sa fréquence qui continue à augmenter en France et de sa gravité, le cancer du sein est un problème majeur de santé publique et sa prévention devrait être une priorité. Cette prévention repose sur la connaissance des mécanismes moléculaires responsables de son installation qui reste encore très insuffisante du fait de l’hétérogénéité de ces cancers. La prévention secondaire, visant à un diagnostic précoce des lésions à risque, des cancers in situ et des micro cancers invasifs, repose sur le dépistage par mammographie chez les femmes de 50 à 74 ans. À ce jour la prévention primaire consiste à supprimer les facteurs de risque évitables par une stratégie globale de prévention (information, éducation, promotion, législations) et à proposer aux femmes à haut risque des actions de prévention visant à inhiber ou au moins ne pas amplifier l’effet promoteur de tumeur des hormones ovariennes. Ces actions reposent sur une amélioration de la prédiction des risques, sur les études contrôlées de chimioprévention hormonale, associées à des analyses coûts/bénéfices : elles peuvent être évaluées sur le suivi de grandes cohortes et sur les données de l’évolution de l’incidence des cancers du sein dans les départements français disposant de registres.

De ces constatations découlent les recommandations de l’Académie nationale de médecine que l’on trouvera dans ce même numéro du Bulletin [40].

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RECOMMANDATIONS

Introduction

Du fait de sa fréquence en France (son incidence a doublé de 1980 à 2000) et de sa gravité, (c’est la première cause de mortalité par cancer chez les femmes françaises), le cancer du sein est un problème majeur de santé publique et sa prévention devrait être une priorité. Cette prévention repose sur la connaissance des mécanismes moléculaires responsables de son installation qui reste encore très insuffisante du fait de l’hétérogénéité de ces cancers.

Cependant le rôle des hormones ovariennes comme agents promoteurs de tumeur du à leur activité mitogène est bien établi et de nombreux facteurs de risque (obésité post ménopausique, alcool, temps d’exposition aux hormones ovariennes, modalités de reproduction) concernent ces hormones. A ce jour, la prévention primaire consiste à supprimer les facteurs de risque évitables par une stratégie globale de prévention (information, éducation, promotion, législations, taxes…) et à proposer aux femmes à haut risque des actions de prévention visant à inhiber ou au moins ne pas amplifier l’effet promoteur de tumeur des hormones ovariennes. Ces actions reposent sur une amélioration de la prédiction individuelle des risques, sur les études contrôlées de chimioprévention hormonale, associées à des analyses coûts/bénéfices : elles peuvent être évaluées sur le suivi de grandes cohortes et sur les données de l’évolution de l’incidence des cancers du sein dans les départements français disposant de registres.

La prévention secondaire, visant à un diagnostic précoce des lésions à risque, des cancers in situ et des micro cancers invasifs, repose sur le dépistage par mammographie chez les femmes de 50 à 74 ans et sur leur prise en charge.

Recommandations : nous proposons une série de six mesures pour diminuer l’incidence des cancers du sein.

En pratique médicale : améliorer les comportements par une large information des femmes et des médecins. Il y a consensus pour conseiller à toutes les femmes de ne pas s’exposer à des risques évitables, et qui n’apportent aucun bénéfice, tels que la consommation exagérée de boissons alcoolisées (>2 verres de vin/jour), la sédentarité, le tabac et l’obésité après la ménopause. Le consensus est d’autant plus grand que la plupart de ces recommandations protégent également du risque cardio vasculaire, du diabète et d’autres types de cancer.

Les traitements hormonaux des symptômes (THS) de la ménopause.

Ils augmentent le risque de cancer du sein , d’après les essais contrôlés WHI et les résultats de plusieurs cohortes : le risque relatif (RR) variant de 1.3 à 2 selon les études. Il n’existe pas de démonstration à ce jour que les hormones naturelles soient moins agressives que les produits de synthèse bien que cela ait été récemment suggéré.

Si on veut diminuer l’incidence des cancers du sein, il faut éviter un THS prolongé et travailler sur les moyens de sevrage. L es recommandations de

L’Académie nationale de médecine et de l’AFSAPSS (sept. 2005) : « Informer les femmes sur les risques, limiter le THS aux femmes symptomatiques et pendant un temps limité avec une réévaluation annuelle qui pourrait être accompagnée de tentatives de sevrage et tenir compte des contre-indications, etc. », apparaissent toujours valables. A noter que les progestatifs associés aux estrogènes qui sont nécessaires pour protéger du risque des cancers de l’endomètre et de l’ovaire, augmentent cependant nettement le risque de cancer du sein par un mécanisme encore non totalement élucidé.

Si on dispose d’éléments pour définir une femme à haut risque de cancer du sein, par contre on ne peut définir les femmes qui seraient sans risque de cancer du sein et en particulier celles qui seraient protégées d’une augmentation de risque apportée par un THS. Celles ci peuvent exister, mais on ne peut actuellement les reconnaître.

Pour la première fois aux USA, après une stabilisation de l’incidence des cancers du sein celle ci a baissé de 12 % en 2003, soit assez rapidement après l’arrêt chez environ 50 % des femmes, des THS de la ménopause dès 2002 suite au résultat des essais WHI. Cette baisse touche surtout les femmes ménopausées et les cancers RE+. Elle a été rapide ce qui serait en accord avec l’effet de promoteur de tumeur des hormones ovariennes 1.

1 En France l’incidence des cancers du sein n’a diminué chez les femmes ménopausées qu’à partir de 2005. Le fait que le dépistage ait augmenté à partir de 2004 alors que la prise de THS a diminué de 60 % suggère fortement que la

Cependant le débat continue avec les gynécologues et certains généralistes qui voient le bénéfice direct de ce traitement sur la vie quotidienne des femmes souffrant de bouffées de chaleur handicapantes. En effet un message plus rassurant a été diffusé récemment avec d’une part la possibilité, à confirmer, d’un meilleur THS « à la Française » associant progestérone micronisée et estradiol transdermique et la notion qu’un THS précoce n’entraînerait pas de risque cardio vasculaire. L’évaluation de la balance risque /bénéfice chez la femme symptomatique (avec bouffées de chaleur) est difficile, elle devra tenir compte des autres risques (vasculaires, osseux, etc.) et s’appuyer sur des tests prédictifs quantifiés de risque individuel de cancer du sein à améliorer. La décision in fine doit être prise par la femme et son médecin bien informés des risques et bénéfices.

Comment faciliter l’effet protecteur des premières grossesses précoces ?

En France l’âge moyen pour le premier enfant est passé de 24 ans en 1970 à 28-29 ans depuis 2001 et n’a aucune tendance à baisser. Une 1re grossesse tardive augmente aussi beaucoup les risques de prématurité. Dans l’attente d’une chimio-prévention hormonale reproduisant l’effet protecteur d’une diffé- renciation précoce des glandes mammaires, les femmes doivent être informées du bénéfice d’une première grossesse avant 25 ans. Celle ci pourrait également être encouragée par une meilleure politique familiale (allocations familiales dès le 1er enfant à moduler éventuellement en fonction de l’âge de la mère, crèches, etc…) Cela permettrait d’abaisser à la fois l’incidence des cancers du sein, et des grossesses pathologiques.

Il pourrait être socialement plus facile d’encourager les femmes à allaiter leur enfant au sein (si possible pendant au moins six mois).Outre le bénéfice pour l’enfant, la protection pour la femme est maintenant démontrée par l’épidémiologie et comprise quant aux mécanismes.

Améliorer l’évaluation des risques individuels de cancer du sein.

Afin d’aider les femmes et les médecins dans la décision d’actions de dépistage et de prévention , il est urgent de définir plus précisément le risque individuel de développer un cancer du sein. Cela est réalisé pour les femmes à très haut risque (RR≥3) qu’il soit héréditaire (mutation des gènes BRCA1 ou BRCA2, 2 parentes directes ayant eu un cancer du sein) ou histologique (cancer in situ ou hyperplasie avec atypie). Cependant pour la majorité des femmes qui présentent plusieurs facteurs de risque de moindre pénétrance, l’intégration de ces facteurs sous forme d’indice de risque chiffré serait très utile pour quantifier leur risque individuel de cancer du sein. Ceci est en cours de réalisation à baisse de prise de THS est responsable de la diminution d’incidence des cancers du sein, comme aux USA mais avec un certain retard.. in : ALLEMAND H., SERADOUR B., WEILL A. et al. — Baisse de l’incidence des cancers du sein en 2005 et 2006 en

France : un phénomène paradoxal.

Bull Cancer, 2008, 95 (1) : 11-5 (publication postérieure à la publication de ces recommandations).

l’Institut National du Cancer des USA (construction d’indice de Gail amélioré, qui met à la disposition des médecins et des femmes, les bases de calcul de ces indices sur son site internet (http : /www.cancer.gov/bcrisktool/). L’INCA (et/ou les ministères de la santé et de la recherche) pourrait préparer ce type d’information adaptée à la population française.

A plus long terme des recherches seront nécessaires pour définir des indices de risque individuels tenant compte de la grande hétérogénéité des cancers du sein. Peut on différencier le risque de cancers exprimant le récepteur des estrogènes (REα+) de ceux qui ne l’expriment pas (REα—) etc. ? Peut on introduire de nouveaux indicateurs individuels de risque et améliorer le dépistage non invasifs de lésions à haut risque ? (dosages circulants, imagerie nouvelle, protéomique, marqueurs issus de la pharmaco génétique etc.).

Chimioprévention hormonale pour certaines femmes à très haut risque.

L’ensemble des études de prévention avec les SERMs montre une diminution d’incidence des cancers du sein d’environ 50 % ce qui est cohérent avec l’action des estrogènes comme agents promoteurs de tumeur. Avec le tamoxifène, cette protection persiste de 8 à 13 ans après les cinq ans de prévention aux USA et en Europe alors que les risques vasculaires disparaissent. L’aspect économique pouvant ne pas être négligeable, cinq ans de prévention avec le tamoxifène chez les femmes à très haut risque et hystérectomisées pouvant être moins onéreux que le traitement prolongé d’un cancer du sein et de ses séquelles. Il devrait cependant être précisé.

Le tamoxifène est d’ailleurs autorisé en prévention aux USA par la FDA et est souvent mieux supporté par les femmes que les anti-aromatases. Le raloxifène vient également d’être autorisé en post ménopause par la FDA américaine.

A ce jour, il paraît opportun de proposer la délivrance d’une autorisation de mise sur le marché en France du tamoxifène et du raloxifène pour la prévention des femmes ménopausées à très haut risque de cancer du sein (RR≥3). Cette chimio prévention devrait être limitée aux femmes à très haut risque de cancer du sein (RR≥3). C’est le cas des femmes ayant un cancer in situ ou une hyperplasie mammaire avec atypie ainsi que les femmes à risque héréditaire élevé avec deux antécédents familiaux de premier degré ou celles porteuses de mutations BRCA1/2 et chez lesquelles le tamoxifène semble comme l’ovariectomie avoir un effet protecteur. Le risque des autres pathologies (thromboembolique, cardiovasculaire, osseuse, etc.) et la conception individuelle de la qualité de la vie devront également être considérés. In fine le dialogue praticien/patiente et le choix de la patiente bien informée des risques et bénéfices seront décisifs pour la mise en place de cette chimio prévention.

Le raloxifène , qui est autorisé après la ménopause, en France (AMM) en prévention de l’ostéoporose et aux USA également en prévention des cancers
du sein devrait pouvoir aussi être proposé aux femmes françaises fortement exposées au risque de cancer du sein qui ont conservé leur utérus, car il n’expose pas au risque de cancer de l’endomètre. Le suivi au plan de la mortalité des nombreuses études randomisées multicentriques lancées dans le monde sera utile. Des essais cliniques de prévention chez les femmes à haut risque, en particulier avant la ménopause , où il n’a pas été validé, sont à encourager, leur faisabilité est à l’étude par le groupe d’oncogénétique de la Fédération nationale des Centres de Lutte Contre le Cancer. La comparaison des effets du tamoxifène, du raloxifène et de l’ovariectomie chez les femmes non ménopausées à très haut risque est un exemple de ce qui pourrait être initié.

Dans tous les cas, nécessité de plus de recherches

Recherches fondamentales. Elles sont indispensables et ne peuvent être programmées. En physiopathologie, il y a beaucoup d’inconnues sur les causes et l’hétérogénéité des cancers du sein rendant leur prévention très difficile pour les cancers RE négatifs. Développer des modèles d’étude des étapes initiales de la cancérogenèse et préciser le rôle des cellules souches.

Pour faciliter des préventions ciblées et à la carte qui soient adaptées aux cancers à phénotype luminal ou à phénotype basal, il serait utile de préciser (par micro arrays et protéomique, etc.) les gènes et protéines responsables au départ de chaque sous type de cancer. La constitution de centres de ressources biologiques et en particulier de banques de lésions précancéreuses et de cancers in situ dans les centres de recherche, les hôpitaux et les centres de lutte contre le cancer, capables de les utiliser sera décisive.

Recherches épidémiologiques et cliniques, pour une prévention ciblée et à moindre risque

Le THS français est il à moindre risque ? Le suivi des cohortes avec

THS « à la française » peut donner une 1ère indication. Surtout une étude randomisée de prévention européenne est souhaitée bien que difficile à mettre en place.

Des essais cliniques contrôlés de prévention sont indispensables. Les essais utilisant des produits déjà commercialisés pour évaluer en prévention leur rapport bénéfice/risque par rapport à d’autres moyens doivent être institutionnels et donc indépendants. Les essais avec l’industrie pharmaceutique sur des molécules originales issues des laboratoires de recherche français sont à encourager, en s’aidant de marqueurs de risque non invasifs dont l’efficacité doit être validée.

Ce rapport, dans son intégralité, peut être consulté sur le site www.academiemedecine.fr *

* *

L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 8 janvier 2008, a adopté le texte de ces recommandations moins trois abstentions.

Bull. Acad. Natle Méd., 2008, 192, no 1, 161-179, séance du 8 janvier 2008