Rapport
Séance du 7 novembre 2006

06-13 Handicaps sensoriels de l’enfant

MOTS-CLÉS : dépistage néonatal.. enfants handicapés. privation sensorielle. troubles sensoriels
Sensory disabilities in children
KEY-WORDS : disabled children. neonatal screening.. sensory deprivation. sensory disorder

Henry Hamard (au nom de la Commission XII — Handicaps)

Résumé

Les déficiences visuelles et auditives ne sont pas au premier rang des handicaps de l’enfant, mais demandent une prise en charge précoce pour bénéficier des progrès techniques et pédagogiques récents. La loi du 11 Février 2005 met à leur disposition les structures existantes pour répondre à un projet personnalisé proposé par les maisons du handicap. Toutefois l’insuffisance d’évaluations statistiques nationales constitue une difficulté majeure. Les structures de prise en charge sont insuffisantes en nombre autant qu’en personnel qualifié. Quant au dépistage systématique à la naissance, il accuse en France un retard considérable par rapport aux autres pays européens. Alors que dans les deux domaines visuel autant qu’auditif, cette détection précoce sera pour la santé publique moins onéreuse à long terme que l’éducation tardive. L’Académie insiste sur la nécessité absolue d’un dépistage systématique et obligatoire dès la naissance pour un prise en charge multidisciplinaire si nécessaire ainsi que sur l’indispensable formation des personnels médicaux paras médicaux et enseignants.

Summary

Visual and auditory disorders are not the most important disabilities in childhood, but they need to be managed early in life of these children to benefit fully from the most recent technical and pedagogical advances. A law voted in France on 11 February 2005 offers ‘‘ Maisons du Handicap ’’ existing infrastructures to assist with personalized projects. The main difficulties are the dearth of national statistics and the lack institutions with sufficient qualified staff. In France, contrary to some other European countries, sensory defects are not always detected at birth. Yet early detection of both visual and auditory disorders is cost-effective. The French Academy of Medicine insists on the absolute need for systematic screening at birth, together with relevant training for medical and paramedical staff and teachers, and appropriate multidisciplinary management.

Intérêt d’une telle étude

Bien qu’elles ne soient pas à l’origine des handicaps les plus fréquents de l’enfant, les atteintes sensorielles se caractérisent par :

• le rôle fondamental d’une prise en charge précoce pour en atténuer les conséquences ;

• les progrès techniques et pédagogiques dans cette prise en charge.

Il a paru important • de savoir si les enfants handicapés sensoriels bénéficient actuellement de ces progrès ;

• d’examiner si les structures médico-sociales et médico-scolaires sont adaptées aux besoins actuels des enfants ;

• de prévoir les bénéfices qu’ils pourront tirer de la loi de février 2005.

Cadre législatif actuel

La loi sur le handicap du 11 février 2005 constitue un net progrès pour la qualité de la prise en charge des enfants handicapés sensoriels.

En effet elle :

— inscrit pour la première fois une définition du handicap, ce que n’avait pas fait le législateur en 1975 ;

— prend en compte les déficits sensoriels ;

— crée un Observatoire national sur la formation ;

— insère une formation spécifique des personnels de santé pour les handicapés dans le Code de la santé publique ;

— précise l’accueil de la petite enfance dans le Code de l’action sociale et des familles ;

— crée un établissement de formation des personnels pour l’adaptation et l’intégration scolaire ;

— prévoit, concernant la scolarité, les moyens financiers et humains nécessaires à une scolarisation en milieu ordinaire la plus proche du domicile de l’enfant (Code de l’éducation). L’enfant sera inscrit dans l’établissement
scolaire le plus proche de son domicile qui constituera son établissement de référence, mais inscription n’est pas synonyme de scolarisation. En effet, l’enfant pourra être scolarisé dans un autre établissement si ses besoins nécessitent des dispositifs spécifiquement adaptés ; ceci pourra se faire dans le cadre de l’éducation nationale (CLIS ou UPI) ou dans les établissements de santé ou services de santé médico sociaux ;

— instaure de nouvelles méthodes de formation qui incombent désormais à l’Education nationale. Il est donc nécessaire de repenser la situation des personnels enseignants pour déficients sensoriels relevant du Ministère de la Santé. Or ce sujet n’est pas abordé et ne comporte aucune disposition concrète ;

— laisse le choix pour les enfants sourds entre une éducation bilingue et une éducation en langue française uniquement.

Cette loi apporte donc un changement radical dans la conception de la prise en charge qui doit entrer dans un projet de vie comportant la vie scolaire.

La scolarisation doit pouvoir être effectuée dans la plupart des cas dans le cadre d’un établissement de l’Éducation nationale du secteur géographique de l’enfant. Les structures existantes vont devenir prestataires de service pour aider les établissements scolaires à répondre au projet personnalisé de l’enfant proposé par la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH).

Dans l’attente des textes d’application, on sait déjà que les structures existantes sont amenées dès maintenant à revoir totalement leur projet d’établissement. Elles devront répondre à l’appel d’offre des MDPH.

Pour résumer, les structures seront au service des enfants déficients sensoriels alors que jusqu’ici c’était aux enfants handicapés de s’adapter aux structures de leur secteur. Cependant elles ne pourront être efficaces qu’en étant complémentaires et non concurrentes Cette complémentarité devrait faciliter la prise en charge des polyhandicapés trop souvent mal acceptés.

Avant d’envisager les modalités de dépistage et de prise en charge des enfants déficients sensoriels, il importe de préciser les connaissances actuelles sur lesquelles elles reposent. Elles concernent les déficiences visuelles, les déficiences auditives, les déficiences associées.

A-t-on des repères statistiques fiables ?

Très peu d’études statistiques ont été publiées concernant spécifiquement l’enfant.

La déficience sensorielle représente à peu près 14 % de l’ensemble des déficiences motrices sensorielles et mentales de l’enfant, et se répartit entre 5 % de déficiences visuelles et 9 % de déficiences auditives.

Il faut souligner la qualité et l’intérêt de l’étude publiée en juillet 2005 par l’Observatoire régional de la santé des Pays de Loire sur « La population en situation de handicap visuel en France » basée sur l’enquête HID de l’INSEE.

Mais, même si elle est originale, elle n’analyse pas la situation tout à fait particulière des jeunes enfants. De même, on doit souligner l’intérêt de l’étude du RHEOP de l’Isère qui donne chaque année l’estimation de la prévalence des déficiences sévères des enfants âgés de huit ans domiciliés dans le département de l’Isère. A cet âge de huit ans, l’évaluation du handicap est déjà bien établie et permet donc des conclusions statistiques fiables. En 2004, l’Observatoire régional de la santé des Pays de Loire a publié une étude de même type sur la prévalence et l’origine des handicaps des enfants connus des CDES dans cette région dans leur huitième année et repose donc sur l’analyse de handicaps de sévérité bien précise . Ces initiatives régionales ne peuvent se substituer à l’exploitation nationale encore insuffisante des données régionales existantes.

Toutefois, quelques remarques s’imposent : l’enquête HID est actuellement unique en Europe mais elle est mal connue des médecins car son objectif initial était essentiellement social. Elle n’est qu’une étape, puisqu’une nouvelle étude est prévue pour 2008, correspondant à l’intégration dans un dispositif européen d’enquêtes quinquennales.

Avant d’étudier respectivement les déficiences visuelles et auditives, il est indispensable de rappeler que la sévérité des déficiences visuelles est déterminée après correction optique, alors que celle des déficiences auditives l’est avant correction.

LA DÉFICIENCE VISUELLE

Nous ne retiendrons des multiples définitions de la cécité et de la malvoyance, que celles qui correspondent à des critères connus.

L’O.M.S. définit cinq catégories :

— I et II correspondent à une basse vision — III, IV et V correspondent à la cécité légale ou réelle.

Par ailleurs pour ce qui est de l’intégration scolaire :

— les amblyopes sont définis par une acuité visuelle entre 1 et 4/10 — les amblyopes profonds vont de 1/10à1/20 mais les acuités inférieures à Parinaud 6 indiquent la nécessité de l’apprentissage de l’alphabet Braille.

Prévalence

Est-il possible de faire un état des lieux ?

Pour y parvenir, quatre sources importantes ont été retenues, et donnent, sans entrer dans les détails, des renseignements très intéressants.

L’enquête HID (handicap, incapacité, dépendance) de l’INSEE réalisée de 1998 à 2002 permet de retenir que :

en institution — entre 0 et 9 ans 1, 4 % des enfants ont un handicap visuel isolé et 15,69 % sont atteints d’une déficience visuelle associée à un autre handicap.

— de 10 à 19 ans 1,16 % ont une déficience isolée, et 7,37 % un déficit associé.

en maintien à domicile , sur une population de 160 000 personnes, on retrouve — de 0 à 9 ans 1,22 % de déficients visuels isolés et 0,13 % de déficits associés.

— de 10 à 19 ans 2 % de déficiences visuelles exclusives et pratiquement le même chiffre (1,7 %) de déficiences associées.

L’expertise de l’INSERM qui repose sur l’enquête HID ( Juin 2002) fixe à 0,28 % la prévalence de la cécité en France.

L’enquête de l’Association de l’ANPE de Novembre 2000 à Février 2001, très intéressante, ne concerne malheureusement que les départements possédant des structures d’accueil des déficients visuels.

La dernière enquête et la plus récente , qui concerne tous les handicapés visuels en France est celle de l ’Observatoire régional de la santé des pays de Loire — Juillet 2005 — qui exploite l’enquête HID antérieure.

Si l’on schématise au maximum les résultats de ces différentes analyses, il apparaît actuellement que :

— la cécité ne domine plus les déficiences visuelles : il y a quatre mal- voyants pour un aveugle, — la rançon de l’évolution thérapeutique a fait apparaître une nouvelle population à risques : celle des grands prématurés.

Si l’on veut analyser les statistiques les plus récentes, sur 750 000 naissances annuelles :

10 % ont des problèmes visuels qui se résument au strabisme et à l’amblyopie, 1 % a des difficultés visuelles graves : l’essentiel étant constitué par la cataracte congénitale, le glaucome congénital, la rétinopathie pigmentaire et autres dystrophies rétiniennes ainsi que les atrophies optiques héréditaires ou non.

Quant au dépistage précoce

Il est facile sous la forme d’un simple examen clinique néonatal, et ne demande aucune instrumentation particulière : en effet, la détection d’un glaucome congénital est la seule affection imposant une sanction thérapeutique d’urgence et les obstétriciens autant que les pédiatres y sont sensibilisés.

Quant à la cataracte congénitale, sa détection s’impose dans les familles à risque, et le délai opératoire est de quelques semaines.

La cécité de naissance ne représente actuellement selon les statistiques que 1/1 000 des naissances.

Il n’est pas nécessaire de rechercher une relation entre le mode d’accouchement et un déficit visuel, celui-ci se limitant aux rares traumatismes de la cornée par forceps.

Quant aux grossesses à risques (maternités de type III) le risque en est connu, plus maternel qu’oculaire à l’évidence.

Les structures de prise en charge des déficients visuels

L’objectif commun est évident :

• apprentissage des connaissances • rééducation • techniques palliatives • accompagnement des familles.

A partir de quoi deux grands types de structures existent :

— Les structures de prise en charge palliatives en intégration ou en établissement spécialisé — Les structures pédagogiques dépendant de l’Education Nationale.

Nous ne les détaillerons pas : car le constat ne peut pas être optimiste.

En effet si, sur le plan administratif, le cadre de la prise en charge de l’enfant déficient visuel est bien défini, les parents ayant théoriquement le choix entre :

— une intégration en milieu ordinaire avec ou sans soutien spécialisé, — un cursus en milieu institutionnel spécifique dont l’exemple le plus typique est l’Institut des jeunes aveugles de Paris (INJA), — ou une filière mixte.

En réalité, actuellement le manque de structures est incontestable — Sur le plan quantitatif, celui-ci est évident puisque dans un tiers des départements français, il n’y a aucun service spécialisé dans les déficiences sensorielles de l’enfant.

— Par ailleurs sur le plan qualitatif , le manque d’ergothérapeutes et de spécialistes de l’activité de la vie journalière est patent : 30 % des structures n’ont pas d’instructeur en locomotion …

Ceci retentit sur l’activité ultérieure puisque un tiers au moins des déficients visuels déclare ne pas pouvoir travailler sans un accompagnateur ce qui est exact.

La difficulté majeure est également l’accueil des jeunes présentant des handicaps associés et malgré l’existence d’établissements spécialisés dans la déficience visuelle, le manque de qualification en personnel aboutit à une inadéquation entre le type de l’établissement et les caractéristiques de la population des enfants accueillis…

Par ailleurs, les enfants sont classés selon leur déficience majeure, ce qui est difficile à déterminer chez les plus petits alors que la proportion d’enfants déficients visuels présentant un autre handicap se situerait entre 30 et 50 % soulignant ainsi l’importance d’une prise en charge globale.

Dans près d’un tiers des départements il n’y a pas de service adapté pour soutenir les enfants.

D’autre part, les enseignants demandent à être formés à l’accueil dans des structures normales, d’enfants handicapés, mais cette formation n’est à l’évidence pas suffisamment réalisée.

L’amélioration de la qualité de la prise en charge ne doit pas être uniquement considérée sur le plan administratif où on limite l’évaluation du retentissement fonctionnel d’un déficit à l’acuité visuelle et au champ visuel ce qui est contraire à la réalité car cela ne tient pas compte de la capacité visuelle réelle d’un individu, laquelle associe aux deux éléments précités, la normalité ou non de l’équilibre oculomoteur et les capacités cognitives du sujet.

LA DÉFICIENCE AUDITIVE

La déficience auditive est qualifiée de sévère lorsqu’une atteinte bilatérale se situe entre 70 et 90 dB de perte, et de profonde au-delà de 90 dB.

Prévalence

La déficience auditive de l’enfant a fait l’objet de nombreux travaux depuis plusieurs décennies. Les données épidémiologiques et les répercussions sur le langage sont unanimement admises. Les modalités de prise en charge ont bénéficié depuis une vingtaine d’années de très grands progrès avec les apports techniques des implants cochléaires. Comme pour les déficiences visuelles, il n’existe pas de statistiques globales pour l’ensemble de la France,
cependant on estime que chaque année dans notre pays, naissent 800 à 1 000 enfants atteints de surdité bilatérale ou profonde, la surdité apparaissant secondairement au cours de l’enfance a une prévalence d’un enfant sur 2000.

Une récente étude de prévalence des déficiences et origine des handicaps des enfants connus des CDES des Pays de la Loire dans leur huitième année donne une prévalence régionale de la déficience auditive sévère (i.e. ayant au moins 70 dB de perte) de 0,8 pour 1 000. Ce résultat correspond à celui de l’étude du RHEOP de l’Isère.

Le dépistage et l’éducation précoce

La précocité de la prise en charge, dès les premiers mois, influe considérablement sur la qualité du développement du langage. Il est donc indispensable d’organiser un dépistage systématique très précoce. Les meilleures conditions se trouvent réalisées dans les maternités. Deux grands types de techniques peuvent être utilisées : les Oto Émissions Acoustiques (OEA) et les Potentiels Évoqués Auditifs Automatisés (PEAA). Chaque méthode a des avantages et des inconvénients, appréciés différemment selon les équipes des personnels soignants qui réalisent ces examens. Une expérimentation est actuellement en cours pour évaluer ces méthodes. Elle a été initiée par l’Association régionale Nord Pas-de-Calais pour le dépistage et la prévention des handicaps de l’enfant, elle est menée dans six sites pilotes et concerne 150 000 bébés.

Les résultats provisoires sont les suivants :

— le coût du dépistage pour P.EAA. ne dépasse pas vingt euros tout compris par enfant, — l’acceptabilité du test par les parents est unanime, — La fréquence des troubles de l’audition dépistée n’est pas négligeable (1/478).

Un tel dépistage généralisé à la naissance suppose l’existence de centres de référence pour former et coordonner les équipes de dépistage, et pour prendre en charge les familles dont l’enfant a une anomalie au dépistage. Ces centres doivent savoir compléter les examens pour infirmer ou confirmer la surdité, savoir annoncer la surdité, expliquer les modalités de prise en charge, les perspectives d’avenir. Ils orientent vers les structures les mieux adaptées en accord avec les parents.

Or, la situation actuelle en France accuse un retard considérable en ce domaine. Le dépistage n’est systématique à la naissance que pour les « enfants à risque ». Il repose sur les tests prévus à 9 mois et 24 mois. L’âge moyen des diagnostics était de 16 mois pour les surdités profondes et 23 mois pour les surdités sévères dans une étude de 1987. Aucun progrès n’a été noté depuis par la même équipe. L’étude des circonstances de suspicion de la surdité révèle une grande diversité (personnels de crèche, milieu familial, etc.)
mais très peu lors des examens des 9 et 24e mois. De plus, les conditions dans lesquelles est annoncée la surdité sont très variables. Elles ne tiennent pas toujours compte de la psychologie des parents concernant un handicap qu’ils méconnaissent le plus souvent.

Seul, un dépistage systématique à la naissance dans les maternités peut améliorer ces résultats, comme il existe dans de nombreux pays. Un examen de rattrapage s’impose pour les enfants non examinés à la naissance. Toutefois, un tel dépistage ne doit pas désarmer la vigilance au cours de l’évolution de l’enfant.

Le dépistage systématique ne peut s’envisager qu avec des centres référents spécialisés dans la surdité de l’enfant.

La scolarisation des déficients auditifs

La nouvelle loi devrait faciliter la scolarisation des enfants déficients auditifs, non seulement en permettant pour beaucoup une prise en charge dans leur secteur géographique mais en adaptant l’offre aux besoins. Dans certaines régions, la concurrence entre certaines structures se faisait au détriment des enfants. Cependant, certaines d’ente elles initialement destinées à la prise en charge des déficients auditifs ont changé leur orientation en prenant en charge des enfants ayant des troubles des apprentissages, ce qui atténue la concurrence.

LES DÉFICIENCES SENSORIELLES ASSOCIÉES

Association déficience visuelle et déficience auditive.

Très peu d’études statistiques concernent cette association. Pour le CRESAM de Poitiers, on peut admettre les données suivantes :

• sourds-aveugles congénitaux (14 %) • sourds congénitaux qui perdent la vue à l’âge adulte (35 %) • aveugles congénitaux qui perdent l’audition à l’âge adulte (6 %) • surdité et cécité acquis à l’âge adulte (45 %).

Il est intéressant de noter le faible pourcentage de sourds-aveugles congénitaux. Une des causes majeures de surdi-cécité est le syndrome de Usher dont il existe plusieurs formes. Dans ce syndrome, la déficience visuelle apparaît après la surdité congénitale. Il est donc fondamental de le dépister très précocement avant les manifestations cliniques pour permettre d’orienter la thérapeutique. En particulier, l’implantation cochléaire précoce a révolutionné la prise en charge audiophonologique de ces enfants.

C’est dire l’importance d’une étude génétique précoce chez tout enfant ayant une déficience auditive congénitale et le rôle que doivent jouer les centres référents de dépistage.

La surdi-cécité constitue un handicap très sévère et unique imposant une prise en charge adaptée à chaque handicapé.

Cette prise en charge nécessite des compétences spécifiques qui dépassent celles acquises pour chacun des déficits. En effet, pour compenser chacun de ces déficits sensoriels pris isolément, on fait appel au développement d’autres sens qui se trouvent justement atteints à des degrés divers dans la surdi-cécité.

L’environnement et les modalités de communication imposent une prise en charge personnalisée Les centres de ressource ont, entre autres missions, l’aide et la formation des équipes des établissements d’accueil.

Aussi est il important de mettre l’accent :

— d’une part sur une formation spécifique pour le personnel des institutions, — d’autre part sur l’aide à la formation des personnes en contact avec des enfants ou des adultes atteints du double handicap sensoriel pour une prise en charge adaptée.

Le poly handicap

Le poly handicap caractérise les situations où les déficiences se multiplient ou s’ajoutent.

Le problème des enfants dont le handicap ne se limite pas à une déficience unique, est compliqué par le fait que les institutions se renvoient généralement l’enfant car les passerelles nécessaires entre professionnels n’existent pas en particulier lorsque la déficience intellectuelle est sévère et que les troubles du comportement se surajoutent aux déficiences motrices et sensorielles ; un bilan global en hospitalisation est parfois nécessaire.

Cette situation complique la prise en charge « géographique » des enfants grandissants ; la solution de l’Internat étant de plus en plus difficile à admettre par les familles actuellement.

LA PRISE EN CHARGE EDUCATIVE DES ENFANTS DEFICIENTS SENSORIELS

La prise en charge actuelle était insuffisante et inadéquate tout en reposant cependant sur une bonne volonté institutionnelle, mais elle butait sur les difficultés géographiques (comme détaillé ci-dessus) alors que l’intégration des enfants, en milieu scolaire normal apparaissait plus efficace pour les malentendants que pour les malvoyants (Intégration scolaire, CLIS pour le primaire et unités pédagogiques d’intégration, UPI pour le collège et le lycée).

L’application de la nouvelle loi bouleverse totalement les conceptions d’accueil de ces enfants puisqu’elle met les établissements au service des enfants et les
oblige à devenir complémentaires et à offrir une structure pour les poly handicapés.

Mais il est encore trop tôt pour évaluer dans ce rapport, l’impact de ces nouvelles données.

Les professionnels de santé

Ils jouent un rôle fondamental tant dans le dépistage que dans la prise en charge des enfants déficients sensoriels.

Annoncer un handicap à des parents est toujours un moment particulièrement douloureux. La proposition d’un accompagnement, éducatif et thérapeutique, apporte toujours un relatif soulagement.

Une des plus importantes difficultés consistera à réaliser un projet individuel spécifique , établi en commun avec l’entourage familial et les équipes de prise en charge Il est important :

• de sensibiliser les futurs ophtalmologistes et ORL à la partie médicale de ces spécialités, et en particulier aux handicaps sensoriels ;

• d’avoir en nombre suffisant des auxiliaires médicaux formés à la prise en charge du handicap En ORL , la formation actuelle des internes intègre un cursus spécifique en audiologie. Mais il faut voir se concrétiser le projet de création d’un diplôme de technicien en audiologie.

En ophtalmologie, l’enseignement insiste tout particulièrement sur le traitement des déficits visuels du sujet âgé, mais insuffisamment sur la détection du handicap visuel de l’enfant. Une formation des internes aux déficits d’origine génétique est indispensable ; ceci est de la responsabilité de l’enseignement universitaire. Il est utile de souligner l’apport du diplôme d’Université d’ophtalmo-pédiatrie récemment créé qui commence de porter ses fruits tant auprès des ophtalmologistes que des pédiatres et des obstétriciens.

Le personnel en contact avec les enfants • Orthoptistes • Rééducateurs de la vie journalière • Ergothérapeutes • Orthophonistes • Psychomotriciens Les uns et les autres jouent un rôle considérable dans les handicaps sensoriels de l’enfant, tant pour le dépistage que pour la surveillance.

Aussi faut-il insister sur l’importance • non seulement de la formation spécifique du personnel des institutions ;

• mais aussi de l’aide à la formation des personnes en contact avec tous les enfants pour savoir dépister l’apparition d’une déficience sensorielle.

REMARQUES

On ne peut nier une méconnaissance dans le corps médical en général du handicap sensoriel visuel et auditif de l’enfant d’où un retard considérable dans le dépistage et l’orientation vers une prise en charge adaptée. Par rapport à d’autres pays européens, la France est sous équipée en structures de prise en charge. Vingt-neuf départements sont équipés pour enfants de zéro à trois ans, trente départements n’ont aucune structure de suivi de trois à vingt ans et trente-cinq départements n’ont rien.

Le paragraphe 67 des « indicateurs de suivi de l’atteinte des cent objectifs du rapport annexé à la loi du 9 Août 2004 » préconise la recherche de la surdité en maternité, mais souligne qu’à défaut le dépistage devrait intervenir avant l’âge de un an, ce qui apparaît tardif.

Il en est de même pour le dépistage des anomalies oculaires, proposé entre neuf et douze mois ainsi que celui de « l’ensemble des déficits visuels et de l’audition » avant l’âge de quatre ans.

Pour les déficients visuels

La qualité de la prise en charge des enfants déficients visuels, dépend en partie du dépistage. On sait qu’il existe une différence considérable entre l’enfant dépisté à la naissance ou le nourrisson et celui dépisté à six, sept ans c’est-à-dire à l’âge scolaire.

Par ailleurs, il existe un problème d’importance : la désaffection des jeunes générations pour l’ophtalmologie médicale ainsi que chez les ophtalmologistes installés alors que l’on connaît les familles à risque, les « victimes » de la pathologie néonatale et de la prématurité qui induisent les polyhandicapés, lesquels ne pourraient que bénéficier d’un dépistage précoce.

Pour les déficients auditifs

Comme pour les déficients visuels, la qualité du dépistage est capitale.

La qualité du résultat de l’éducation dépend directement de la précocité du diagnostic et des compétences de l’équipe assurant la prise en charge.

Or les conditions actuelles du dépistage de la surdité de l’enfant donnent des résultats qui ne s’améliorent pas depuis des années car les âges du diagnostic
se situent pour la plupart entre un et deux ans ; les examens des neuvième et vingt-quatrième mois sont peu riches en enseignements voire faussement rassurants.

Pour les déficients associés

Il est capital de rappeler l’importance pour la prévention de la vaccination rubé- olique PROPOSITIONS

L’actuelle et habituelle distinction fondée sur la prise en charge du « sanitaire » au plan national et du « social » au plan départemental relève d’un raisonnement contre nature.

Il ne saurait y avoir de séparation entre le « médical » et le « social » concernant ici les handicapés sensoriels, mais ailleurs tous les handicapés.

A l’évidence cette distinction doit disparaître.

Le but du dépistage, chez l’enfant, des insuffisances sensorielles est d’accompagner le futur adulte qu’il deviendra en tentant de lui fournir une autonomie.

Ceci est d’ailleurs valable non seulement pour les déficits sensoriels, mais aussi pour les autres déficits.

Une nécessaire coordination entre les différents acteurs de soins s’impose. A fortiori lorsqu’il existe plusieurs handicaps et la recherche des handicaps associés n’est pas toujours réalisée.

Il importe donc que la multi sensorialité soit fondée sur une analyse multidisciplinaire, cela étant valable pour la vision et l’audition : un dépistage systématique devant être réalisé dès la naissance pour tous les nouveaux nés dans les maternités ou dans les structures relais. Faut il préciser que la détection précoce se révèlera, pour la Santé Publique moins onéreuse que la prise en charge tardive, car elle conditionne, à long terme, le pronostic social et donc le niveau d’insertion du handicapé.

Les dépistages précoces doivent être obligatoires et les résultats inscrits sur le carnet de santé.

Plusieurs centres expérimentaux le réalisent en France à l’instar de nombreux pays étrangers.

Mais ce dépistage à la naissance ne se conçoit que dans une relation avec des centres référents : cela exige que travaillent en coordination, orthoptistes, orthophonistes, ergothérapeutes et psychologues.

Il faut également éviter aux familles des démarches pour obtenir une prise en charge.

Par ailleurs, si l’on veut à la fois faire une évaluation et entreprendre une rééducation l’unité de lieu est indispensable bien que cela puisse engendrer des difficultés d’ordre géographique.

Il convient donc d’organiser par département le fonctionnement de la Maison du Handicap.

Sa mission est de regrouper l’ensemble du système de saisie, d’évaluer les besoins et de diriger sur les centres de rééducation mono ou pluri disciplinaires appropriés.

Mais cette maison du handicap n’aura sa réelle efficacité qu’à condition que le personnel soit spécialisé, qu’il s’agisse des médecins ou des para médicaux.

L’Académie nationale de médecine a déjà insisté sur le rôle des médecins dans ces structures.

La scolarisation en milieu ordinaire supposerait également une formation du personnel enseignant qui est particulièrement demandeur.

De plus est-il nécessaire de souligner le rôle et l’importance du médecin référent dans ce système à condition qu’il y soit préparé. Il serait alors le coordinateur de l’ensemble des intervenants.

Mais pour mener à bien ces différentes actions, il importe de s’appuyer sur des statistiques fiables évaluant l’ensemble des handicaps. Or il n’en existe pas actuellement en dehors de certaines régions ; c’est donc une nécessité absolue et une urgence de les mettre en place.

Enfin il serait souhaitable que les associations s’occupant à un titre ou à un autre des handicaps se fédèrent pour définir les besoins et une politique. Leur multiplicité et leur fonctionnement en ordre dispersé nuisent à leur efficacité et à leur immense bonne volonté.

Mais pour tout ce qui vient d’être exposé ne soit pas une série de vœux pieux sans efficacité réelle, l’inventaire précis des difficultés matérielles, comportementales, sociologiques et géographiques est indispensable, quelque soit la lourdeur de cette tâche que l’Académie ne méconnaît pas.

L’Académie nationale de médecine

Consciente des nombreuses difficultés de la tâche qu’elle propose, ainsi que du retard important de notre système de santé, dans ce domaine.

Recommande :

— le dépistage systématique et obligatoire des déficits sensoriels dès la naissance, qui est aisé et devrait être une réalité dès maintenant.

— l’inscription des résultats de celui ci sur le carnet de santé ainsi que la mise en route des mesures préventives qui peuvent en découler.

— la prise en charge multidisciplinaire si besoin, dès le diagnostic confirmé ou seulement suspecté.

— la formation appropriée des personnels médicaux, paramédicaux et éducatifs qui n’est pas actuellement réalisée.

— l’éducation précoce qui en découle.

Insiste sur :

— la nécessité d’études statistiques nationales établies en collaboration avec les sociétés savantes.

Abréviations

CDES = Commissions Départementales de l’Éducation Spéciale.

A partir du 1 janvier 2006, la Commission des Droits et de l’Autonomie (CDA) des maisons départementales des personnes handicapées (MDH) doit regrouper les missions assurées par les CDES (de la naissance à 20 ans) et les COTOREP (Commission Technique d’Orientation et de Reclassement Professionnel) au-delà de 20 ans.

CLIS = Classes d’Intégration Scolaire. La CLIS est une classe de l’école et son projet intégratif est inscrit dans le projet d’école. Elle a pour mission d’accueillir de façon différenciée dans certaines écoles élémentaires ou exceptionnellement maternelles, des élèves en situation de handicaps afin de leur permettre de suivre totalement ou partiellement un cursus scolaire ordinaire.

UPI = Unités Pédagogiques d’Intégration. Structure similaire à la CLIS au sein du collège pour des élèves de 11 à 16 ans.

CRESAM (Poitiers) = Centre de Ressource Expérimental pour enfants et adultes Sourds-

Aveugles et sourds-Malvoyants, a pour vocation de venir en aide à toute personne sourde et aveugle ou sourde et malvoyante sur le territoire français.

HID = Enquête Handicaps-Incapacités-Dépendance réalisée en 1999 par l’ I.n.s.e.e. Institut

National de la Statistique et des Études Économiques. A été exploitée par l’Observatoire de la Santé des Pays de Loire pour une étude sur la « population en situation de handicap visuel » publiée en juillet 2005, a réalisée à son initiative. Actuellement le même type d’étude est entreprise pour l’audition.

RHEOP : Registre des Handicaps de l’Enfant et Observatoire Périnatal. Ce registre de morbidité, créé en 1991, a pour objectif de surveiller l’évolution de la prévalence des handicaps de l’enfant dans le département de l’Isère. L’objectif est de donner une estimation de la prévalence des déficiences sévères des enfants âgés de huit ans domiciliés dans le département en extrayant les informations des dossiers de la CDES, et en interrogeant les services hospitaliers et les CAMSP pour les enfants non connus des CDES. Ce registre a servi de modèle notamment pour une enquête menée par l’Observatoire de la Santé des Pays de Loire en 2004 et par le département d’Ille et Vilaine en 2003.

REMERCIEMENTS

La commission remercie les personnalités qui ont accepté de lui apporter leur collaboration : Mr Y. Bernard, Dr J.P. Boissin, Pr C. Corbé, Pr J.L. Dufier,

Dr.G. Dupeyron, Mr J. Fontaine, Dr.A. Guérin, Dr B. Lebail, Mr D. Parent, Mr J.

Souriau, Mme N. Tagger. Elle est particulièrement reconnaissante envers Monsieur Patrick Gohet, Délégué Interministériel aux personnes handicapées pour sa participation effective à l’établissement du rapport présenté.

RÉFÉRENCES

La liste des documents et des textes législatifs concernés, peuvent être consultés sur le site www.academie-medecine.fr *

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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 7 novembre 2006, a adopté le texte de ce rapport moins une abstention.

* Membre de l’Académie nationale de médecine

Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, no 8, 1775-1790, séance du 7 novembre 2006