Eugène NEUZIL *
Par lettre en date du 10 janvier 2006, adressée à Monsieur le Secrétaire Perpétuel, la Direction Générale de la Santé (Sous-direction de la gestion des risques des milieux, bureau des eaux) soumet pour avis à l’Académie nationale de médecine le dossier relatif à la demande d’autorisation d’exploiter en tant qu’eau minérale naturelle, telle qu’elle se présente à l’émergence et après transport à distance, l’eau du captage « Daubet 1 » situé sur la commune d’Alvignac (Lot), notamment en raison de la composition particulière de cette eau minérale naturelle.
Il s’agit en fait d’une demande de renouvellement d’autorisation de ce captage, présentée par la Société M.I.E.R.S. (Minérale et industrielle d’exploitation des Ressources du Sol), propriétaire de la ressource et qui en commercialise les eaux sous le nom d’Eau minérale de Miers-Alvignac, rappelant ainsi que la commune limitrophe de Miers, par sa source Salmière, a été à l’origine de l’exploitation de l’eau minérale naturelle locale. Le captage « Daubet 1 » a bénéficié antérieurement d’avis favorables de l’Académie nationale de médecine le 19 mars 1963 et le 24 mars 1998, à la suite des rapports présentés respectivement par les présidents René Fabre [1] et Claude Boudène [2].
SITUATION GÉOGRAPHIQUE
La commune d’Alvignac, au nord du département du Lot, se trouve située dans le plus connu des Causses du Quercy, le Causse de Gramat, vaste plateau
calcaire dénudé compris entre les vallées de la Dordogne et du Célé. Les nombreux accidents karstiques qui meublent le relief de ce Causse, igues, cavernes, gouffres, représentent, depuis 1889 et les premières explorations souterraines conduites par Edouard Martel, l’un des hauts-lieux historiques de la spéléologie française. Le parc de 38 hectares qui entoure le captage « Daubet 1 », à mi-chemin entre Rocamadour et le Gouffre de Padirac, se situe ainsi au centre d’une région fréquentée par de très nombreux touristes.
Le domaine thermal est à cheval sur les deux communes voisines de Miers et d’Alvignac ; la source Salmière émerge au fond d’un vallon, à proximité du ruisseau de Cazelle, qui constitue la limite entre les deux communes précitées.
La source Salmière, l’établissement thermal et la buvette sont au nord du ruisseau, sur le territoire de Miers, tandis que le captage « Daubet 1 » et l’usine d’embouteillage seront réalisés au sud de ce même ruisseau, sur la commune d’Alvignac.
HYDRO-GÉOLOGIE
Les eaux minérales émergent au centre du « horst d’Alvignac », dont l’histoire géologique remonte à la transgression marine du Lias. La mer, qui recouvrait alors notre actuel bassin d’Aquitaine, dépose sur les grès du Trias et sur les granites plus anciens, des calcaires, des argiles et des marnes dont la puissance, dans la région qui nous intéresse, est de l’ordre de 200 mètres ; une nouvelle transgression marine apporte sur ces sédiments liasiques les épaisses formations calcaires du Jurassique moyen et supérieur. A l’ère tertiaire enfin, ces formations sédimentaires subissent le contrecoup des plissements pyrénéen et alpin qui entraînent un soulèvement général d’une centaine de mètres, accompagné de failles et de fractures. Les Causses ainsi formés dominent au sud-ouest un affaissement qui donnera le Bassin aquitain.
L’érosion éliminera peu à peu les calcaires superficiels, amenant au jour les niveaux argilo-marneux qui donnent au horst d’Alvignac sa forme de presqu’île de Lias environnée de Jurassique et bordée à l’Est par les grès du Trias [3].
LES EAUX MINÉRALES DE MIERS-ALVIGNAC
La connaissance de la source Salmière de Miers est fort ancienne, tout comme l’utilisation de son eau pour le traitement des affections intestinales. Le nom même d’Alvignac, village plus important que Miers par son nombre d’habitants et également associé à l’exploitation de la source Salmière, pourrait être d’origine latine : l’adjectif alvina , utilisé par Pline [4] pour désigner « celle qui a le flux de ventre », semble rappeler une utilisation médicamenteuse de l’eau.
La première publication médicale, au titre élogieux [5], date de 1624 : Fabry, docteur en médecine, y décrit les indications et les vertus médicinales de l’eau ;
il relate ses observations et ses résultats thérapeutiques. Dans sa thèse de doctorat en médecine [6], Maryvonne Ducassou présente un historique très documenté des publications anciennes relatives à la source Salmière, dont la renommée se développe à partir du e XVIII siècle, sous la direction d’abord d’un apothicaire-major, puis d’un intendant-médecin, devenu médecin-inspecteur des Eaux après la Révolution.
Sur la demande du Dr. Daval, l’un des premiers inspecteurs des Eaux, la composition chimique de l’eau de la source est élucidée en 1836 et publiée par Boullay [7], le président de l’Académie royale de médecine pour 1834. Ces résultats sont bientôt confirmés par de nombreuses analyses. L’eau de Miers est une eau froide (12° C.), fortement minéralisée (plus de 5 grammes de sels par litre), riche en sulfates, en calcium, en sodium et en magnésium. Ces eaux ne sont utilisées qu’en cures de boisson ; leur composition explique leurs propriétés purgatives et diurétiques, lorsqu’elles sont administrées à forte dose.
L’usage des eaux minérales de Miers se répand rapidement dans plusieurs départements du Midi. Le médecin inspecteur Lagasquie, en 1861, précise, dans un long rapport [8], leurs indications, leur posologie et les résultats de la cure de boisson à Miers. Les publications médicales se multiplient et, dans son rapport de 1887 publié quatre ans plus tard, Constantin Paul [9] peut écrire, au nom de la Commission permanente des Eaux minérales de l’Académie nationale de médecine :
« L’eau de Carlsbad * n’a pas dit-on, de succédané en France ; cela n’est pas exact : nous possédons, dans le département du Lot, l’eau de Miers qui s’en rapproche et qui pourrait être appelée le Carlsbad français. Cette station, peu fréquentée à cause de son éloignement, me paraît être appelée à grandir et à dispenser non pas tous les malades, mais une grande partie, d’aller en Bohême, si j’en juge par les résultats que j’en ai déjà obtenus ».
En 1885, l’ancienne fontaine d’où émergeait l’eau minérale, souvent contaminée par les eaux superficielles [10], fait place à un premier établissement thermal, bientôt doublé d’une élégante rotonde au centre de laquelle un nouveau captage de la source Salmière alimentait une buvette et une unité d’embouteillage. Un arrêté ministériel de 1911 (après l’avis favorable de l’Académie nationale de médecine du 17 janvier 1911) autorise l’exploitation de la source. Le Grand Hôtel de la Source ouvre ses portes en 1913. Plusieurs demandes d’érection de l’établissement en station hydrominérale sont rejetées en raison de l’absence de mise aux normes de l’assainissement : ce n’est qu’en 1927 que le groupe des communes de Miers et d’Alvignac obtient satisfaction, avec la création de la Chambre d’Industrie thermale siégeant à Alvignac.
L’autorisation d’exploitation de la source Salmière fut cependant renouvelée * Karlovy Vary (République Tchèque).
(Académie nationale de médecine, 15 juin 1954 et 22 mars 1955), permettant à la station de survivre. En 1960, M. Daubet, maire d’Alvignac, en devient propriétaire.
LE FORAGE DAUBET 1
Le faible débit de la source Salmière, de 2,5 m3/24h, était incompatible avec un développement rentable de la station thermale et ne permettait pas d’assurer à la fois les besoins de la buvette et de l’embouteillage ni d’envisager un service de balnéothérapie, déjà conseillé par Fabry en 1624. Aussi Daubet fait-il procéder à différents forages sur la rive gauche du ruisseau de Cazelle (Fig. 1).
Le forage Daubet 1, réalisé en 1961 au lieu-dit « La Sole », est le seul retenu ;
il fournit une eau de même composition que celle de la source Salmière ; mais le débit reste encore insuffisant. Le rapport de Fabre [1] décrit les détails techniques concernant ce forage et la canalisation permettant le transport à distance de l’eau minérale ; après ce rapport, l’autorisation ministérielle d’exploitation est donnée le 22 mai 1963.
Malgré l’approfondissement du forage en 1968, permettant un débit d’exploitation de 2,5 m3/h et les quelques améliorations apportées à l’établissement, la fréquentation de la station végète : le nombre de curistes, voisin de 500 par an, va chuter progressivement : encore de 259 en 1976, il n’atteint pas 200 en 1977. La suppression de l’agrément de la Sécurité sociale, en 1979, précède l’arrêt de l’embouteillage (1980) et enfin la fermeture du dernier établissement de crénothérapie d’un département qui, au e XIX siècle, était très riche en sources d’eaux minérales exploitées.
M. J.-Cl. Prouzet, nouveau propriétaire et directeur de la société MIERS, désire alors reprendre l’exploitation des eaux de Miers-Alvignac et effacer l’idée d’une station oubliée, malgré l’estime dont elle a longtemps bénéficié auprès des curistes * et des médecins, comme en témoignent les nombreuses publications médicales, allant de la seconde moitié du e XIX siècle à la fermeture de la station, indiquées notamment dans les thèses de Ducassou [6], de Canal [11] et de Leyssales [12]. Le forage Daubet 1 a été réhabilité en 1997. La description du nouveau tubage, de sa tête, du périmètre sanitaire à l’émergence du forage et de la canalisation de transport est donnée dans le rapport de G. Popoff annexé au rapport de Cl. Boudène [2]. La composition chimique de l’eau minérale n’a guère varié par rapport aux analyses antérieures ; les nitrates ont totalement disparu. L’avis favorable de l’Académie nationale de médecine a été suivi par le Ministère, qui a accordé l’autorisation d’exploiter le 6 mai 1999.
* La station a été fréquentée par de nombreux personnages célèbres, Dorgelès, Carco, Coppée, Fujita, Albert Lebrun…, précédés au XVIIIème siècle par Mme de Pompadour.
FIG. 1. — MIERS-ALVIGNAC Implantation des captages Échelle 1/4000 PROLONGATION DE L’AUTORISATION
L’autorisation d’exploitation de 1999 ne couvrait qu’une période de cinq années : une prolongation a donc été sollicitée par le propriétaire du captage « Daubet 1 ». Cette demande a été examinée par le Conseil départemental d’hygiène du Lot en octobre 2003, par la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) en novembre 2003 et juin 2004, puis en juin 2004 également, par la Direction régionale de l’industrie, de la recherche
TABLEAU 1 Caractéristiques physico-chimiques de l’eau du forage « Daubet 1 ».
( Laboratoire d’Études et de Recherches en Hydrologie de l’AFSSA).
Analyses effectuées sur des échantillons prélevés à l’émergence le 24 mai 2005.
Les résultats obtenus à la même date avec l’eau embouteillée sont identiques.
Température en °C 13,9 Anions mg/L méq/L pH en unités pH 7,30 Conductivité à 25°C en µS/cu 4310 Bromures < 1 Potentiel redox Eh/H en mV 273 Hydrogénocarbonal 211 3,46 2 H S dissous en mg/L S< 0,02 Sulfates 2825,0 58,82 2 Oxygène dissous (MG/L 4 Chlorures 12,8 0,36 Alcalinité en +f 17,0 Nitrates < 1 SiO (Silice) en mg/L 13,1 Nitrites <0,04 2 Cyanures totaux en g/L CN< 5 Fluorures 2,30 0,12 CO libre en mg/L 42 Phosphates < 0,1 2 Carbone Organique Total en mg/L 0,2 Résidu sec à 180°C en mg/L 4681 Total anions 62,76
Résidu sulfaté en mg/L 4186 Traces g/L Cations mg/L méq.L Aluminium < 6 Antimoine < 2 Calcium 395 19,71 Arsenic < 1 Magnésium 295,0 24,97 Barium < 4 Porrassium 10,4 0,27 Bore 1310 Sodium 415 18,05 Cadmium < 0,5 Lithium 0,1 0,02 Chrome < 1 Fer 0,120 0,00 Cuivre < 3 Manganèse 0,080 0,00 Mercure < 1 Strontium 9,7 0,22 Nickel < 2 Ammonium 1,64 0,09 Plomb < 3 Sélénium < 3 Total cations 62,644 Zinc 25
et de l’environnement de la région Midi-Pyrénées (DRIRE) : tous ces organismes, ainsi que le Préfet du département du Lot, ont émis un avis favorable.
Après consultation de son comité d’experts spécialisé, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), a effectué en décembre 2005 une synthèse des analyses récentes et des contrôles réalisés depuis 1999 à l’établissement de Miers-Alvignac. Le rapport rappelle que cette eau minérale ne peut être considérée comme un simple eau de boisson, en raison de sa forte minéralisation, et de son profil sulfaté calcique, magnésien et sodique ; les teneurs en magnésium et en sulfates sont nettement supérieures aux valeurs limites recommandées pour les eaux de consommation humaine. Les concentrations en bore et en fluor ne dépassent que très légèrement les valeurs limites légales ; celles des autres éléments trace, y compris celle de l’arsenic, sont comparables à celles des eaux autorisées pour la consommation humaine.
L’eau de Miers-Alvignac ne renferme aucune pollution organique ; elle ne présente aucune nocivité sur le plan bactériologique et sur celui de la radioactivité. Les conditions de protection de la ressource, du captage, du transport à distance et de l’embouteillage sont satisfaisantes mais les contrôles à ces différents niveaux doivent être permanents. Les recommandations de l’AFSSA sont partagées par notre commission.
AVIS DE LA COMMISSION XI
La Commission, après avoir examiné les rapports et les diverses pièces d’accompagnement du dossier qui lui a été remis par Monsieur le Secrétaire perpétuel, a noté la qualité des recherches hydro-géologiques qui ont permis la réalisation puis la réhabilitation du forage « Daubet 1 », ainsi que l’originalité de composition de l’eau de Miers-Alvignac, qui occupe ainsi une place unique parmi les eaux minérales françaises. Aussi la Commission, réunie le 21 mars 2006 sous la présidence du Professeur Claude Boudène, s’associe-t-elle aux avis favorables cités ci-dessus et demande que l’eau embouteillée ne soit vendue qu’en pharmacie ou dans les magasins de produits diététiques, avec un étiquetage mentionnant les indications suivantes :
— Ne pas donner aux nourrissons et aux enfants de moins de 15 ans.
— Ne convient ni aux personnes âgées ni aux insuffisants rénaux.
— Peut provoquer des troubles digestifs en cas de consommation excessive.
— A n’utiliser de façon prolongée qu’après avis médical.
La Commission a été frappée par le nombre important de publications médicales consacrées, pendant près de deux siècles, aux propriétés médicinales de l’eau minérale de Miers-Alvignac qui, par sa composition et ses indications, se rapproche beaucoup de l’eau de Karlovy Vary, station dont la
célébrité a attiré — et attire toujours — une large clientèle venue de toute l’Europe centrale. La Commission souhaite que la réouverture de l’établissement de Miers-Alvignac amène les médecins, qui prescrivent une cure de boisson dans cette station, à publier les résultats thérapeutiques obtenus en suivant les directives d’estimation adoptées par l’Académie nationale de médecine.
BIBLIOGRAPHIE [1] FABRE R. —
Bull. Acad. Natle Méd ., 1963, 147 , 244-251.
[2] BOUDÈNE C. —
Bull. Acad. Natle Méd., 1998, 182 , 733-747.
[3] MONTPEYROUX J. — Etude géologique de la région d’Alvignac-les-Eaux . Travaux du
Laboratoire de Géologie et Minéralogie, Faculté des Sciences de Clermont-Ferrand. Série Documentation, 1962, no 18, 55 f.
[4] PLINUS SECUNDUS (Pline l’Ancien) —
Naturalis historia . 37 livres, édit. Detlefsen, 1882, 27- 172.
[5] FABRY — L’admirable vertu des Eaux et Fontaines nouvellement découvertes au pays de Quercy, au lieu de Miers, proche de Gramat , appelées eaux de Salmière . 1 vol. Toulouse, 1624, Bibliothèque Nationale no 455 .
[6] DUCASSOU M. (née Dublineau) — Les ressources hydro-minérales du Lot. La source Salmière de Miers-Alvignac. Th. Doct. Méd ., Bordeaux, l962, no 26 ; 1 vol. 175 p. + 3 p.
biblio., Edit. Tex, Bordeaux.
[7] BOULLAY — Bull. Acad. Royale Méd ., 1836, 1 , 310-311.
[8] LAGASQUIE A. — Extrait du rapport officiel de M. le Médecin inspecteur sur les eaux minérales de Miers ( Inspection de 1861 ). 1 broch., 20 p., Dupont et Cie, 1862.
[9] PAUL C. —
Mém. Acad. Méd ., 1891, 36 , pp. 25-27.
[10] CROZAT F. — Miers et son eau minérale.
Th. Doct. Méd ., Bordeaux, 1887-1888, no 76 ; 1 vol., 61 p. + 2 p. biblio. ; Edit. Vve Cadoret, Bordeaux, 1888.
[11] CANAL C. — À la limite du Limousin, Miers-Alvignac. station thermale oubliée. Th. Doct.
Pharm ., Limoges, 1985, no 27 ; 1 vol., 166 f. (dactyl.).
[12] LEYSSALES F. — L’eau de Miers-Alvignac (Lot) — Ses propriétés.
Th. Doct. Pharm.,
Bordeaux, 1987, no 44 ; 1 vol., 89 f (dactyl.).
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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 20 juin 2006 a adopté ce rapport à l’unanimité.
Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, no 6, 1291-1298, séance du 20 juin 2006