Rapport
Session of 10 janvier 2006

06-02 Sur la demande d’autorisation d’exploiter en tant qu’eau minérale naturelle, telle qu’elle se présente à l’émergence et après transport à distance, l’eau du captage « Duchesse de Berry » situé sur la commune de Luz-Saint-Sauveur (Hautes Pyrénées)

MOTS-CLÉS : eau minérale — luz-saint-sauveur (hautes pyrénées) — source duchesse du berry.

Jean-Pierre Nicolas, au nom de la commission IX (Eaux de consommation et Thermalisme)

RAPPORT 06-02

Au nom de la Commission XI (Eaux de consommation et Thermalisme)

Sur la demande d’autorisation d’exploiter en tant qu’eau minérale naturelle, telle qu’elle se présente à l’émergence et après transport à distance, l’eau du captage ‘‘ Duchesse de Berry ’’ situé sur la commune de Luz-Saint-Sauveur (Hautes Pyrénées)

Jean-Pierre NICOLAS*

CONTEXTE GÉNÉRAL DE LA DEMANDE

Par lettre, en date du 6 juillet 2005, le Ministre de la Santé et des Solidarités, sollicite l’avis de l’Académie nationale de médecine sur la demande d’autorisation d’exploiter en tant qu’eau minérale naturelle, telle qu’elle se présente à l’émergence et après transport à distance, l’eau du captage ‘‘ Duchesse du Berry ’’ situé sur la commune de Luz-Saint-Sauveur (Hautes-Pyrénées).

La commune de Luz-Saint-Sauveur est située dans le département des Hautes-Pyrénées à 30 km de Lourdes. Les sources émergent en moyenne montagne, à 730 m d’altitude, en rive gauche de la vallée entaillée par le Gave de Gavarnie.

Les bienfaits de ces eaux destinées à des fins thérapeutiques en otorhinolaryngologie, phlébologie et gynécologie sont reconnus depuis longtemps, puisqu’en 1495 les autorités locales durent prendre une ordonnance pour garantir le calme et la propreté des lieux. En 1730, après étude du Corps médical, elles sont classées sources d’Etat. Un premier Etablissement thermal est construit pour une illustre clientèle : le Roi de Hollande et la Reine Hortense (1807), les Duchesses du Berry et d’Angoulême (1823 et 1828), Cha-
teaubriand, Thiers, G. Sand, Flaubert, Victor Hugo, l’Impératrice Eugénie et Napoléon III (1859).

À la fin du e XIX siècle, quatre sources étaient en exploitation dans deux Établissements thermaux :

— ‘‘ Hountalade ’’, autorisée par l’arrêté ministériel du 3 mars 1869.

— ‘‘ des Dames ’’ et ‘‘ Fabas ’’, captées sous la rue devant les thermes.

— ‘‘ Dufau ’’ captée en contrebas des thermes.

Ces sources ne sont plus exploitées aujourd’hui par l’actuel Etablissement.

Après la réalisation d’un sondage L5 en 1982 qui n’a jamais été exploité, le captage des ’’ Dames ‘‘ est réalisé en 1983 (Forage L6), il assèche la source du même nom située à proximité. Il est autorisé le 4 août 1995.

Depuis 1995, les thermes de Luz-Saint-Sauveur ont fait l’objet d’importants travaux de rénovation et d’extension et ont conduit à un nouveau captage :

‘‘ Duchesse du Berry ’’.

De février 1996 à juillet 1997, un suivi de longue durée est réalisé en vue d’obtenir l’autorisation d’exploitation du mélange des eaux du nouveau captage ‘‘ Duchesse du Berry ’’ et de l’ancien captage ‘‘ des Dames ’’. Il apparaît que les eaux du captage ‘‘ des Dames ’’(en raison de sa conception : tubage en fibre de verre et cimentation superficielle de mauvaise qualité) sont régulièrement contaminées (coliformes,streptocoques et Pseudomonas aeruginosa) car vulnérables aux infiltrations d’eau.

Dès lors, seul le captage ‘‘ Duchesse du Berry ’’ est exploité et celui ‘‘ des Dames ’’ abandonné. L’objet de ce dossier concerne l’autorisation d’exploiter ce nouveau captage.

CALENDRIER — 8 mars 2002 : Pétition présentée par Monsieur le Président de la Commission syndicale de la Vallée de Barèges, qui sollicite l’autorisation d’exploiter, en tant qu’eau minérale naturelle, à l’émergence et après transport à distance, l’eau du captage ‘‘ Duchesse du Berry ’’ situé sur la commune de Luz-Saint-Sauveur (Hautes Pyrénées).

— 27 juin 2003 : Avis favorable de la DDASS des Hautes Pyrénées.

— 3 juillet 2003 : Avis favorable de la DRIRE de Midi-Pyrénées.

— 18 juillet 2003 : Avis favorable du CDH des Hautes-Pyrénées.

— 25 mai 2004 et 5 octobre 2004 : Analyses du Laboratoire d’Etudes et de Recherches en Hydrologie de l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments (AFSSA).

— 30 juin 2005 : Avis de l’AFSSA, séance du 3 mai 2005.

CONTEXTES GÉOLOGIQUE ET HYDROGÉOLOGIQUE

Les analyses chimiques et isotopiques des eaux et les études géologiques du corps granitique de Cauterets ont conduit à proposer un schéma explicatif du circuit hydrothermal des eaux de Luz-Saint-Sauveur comparable à celui de Cauterets.

L’eau s’infiltre à une altitude comprise entre 2300 et 2500 m dans les fissures du granite, sur le versant oriental du Massif de l’Ardiden, puis elle circule à une profondeur d’environ 3000 m dans le massif de Cauterets. Le transfert de l’eau vers Luz-Saint-Sauveur s’effectue selon un circuit complexe dont le cheminement exact n’a pû être déterminé.

ANALYSE DU DOSSIER DE LA DEMANDE

Constitution du captage

L’eau du captage ‘‘ Duchesse du Berry ’’, profond de 144,5 m, provient d’une seule fissure productrice située à 44,5 m de profondeur dans des schistes et calcschistes.

La conception et l’équipement du captage sont réalisés dans les règles de l’art.

Ce captage peut être exploité par pompage au débit maximum de 5,5 m3/h. En effet, le suivi pour homologation de ‘‘ Duchesse du Berry ’’ à 6,5 m3/h ayant donné toute satisfaction sur le plan qualitatif, le débit a été ramené à 5,5 m3/h pour des raisons de sauvegarde de la ressource et de sécurité de l’équilibre des pressions de l’aquifère.

Vulnérabilité et protection de la ressource

Vulnérabilité

Les sources anciennes et les forages sont tous situés le long d’une fissure unique qui constitue le conduit terminal du chemin ascendant de l’eau.

Cette fissure est ouverte dans des terrains schisteux très peu perméables, c’est donc sur l’axe de la fissure que l’éventualité d’une contamination est plus grande.

Le contexte géologique à l’emplacement du forage, ses caractéristiques, dont la profondeur et le caractère artésien, assurent une bonne protection de la ressource en l’isolant des eaux superficielles.

Sont à placer en état de délaissement toutes les sources considérées captant le même aquifère que le captage ‘‘ Duchesse du Berry ’’ :

— Source ‘‘ des Dames ’’ : l’écoulement de cette source, située sous la route en face de l’Établissement thermal, est soumis à la pression de l’aquifère et au pompage dans le captage ‘‘ Duchesse du Berry ’’. Cette source doit être conservée en bon état, de façon à ce que son écoulement puisse s’effectuer naturellement via le conduit de trop-plein. L’état actuel du captage et de son rejet est conforme pour un état de délaissement.

— Source ‘‘ Fabas ’’ : cette source (située à proximité de la source ‘‘ des Dames ’’) dont l’écoulement n’est plus visible peut être placée en état de délaissement ; néanmoins le captage doit présenter une étanchéité pour son environnement immédiat et permettre un éventuel écoulement.

— Source ‘‘ Dufau ’’ : cette source, située en contrebas du côté sud de l’Établissement thermal, est la plus basse de tous les captages de LuzSaint-Sauveur. Pour cette raison, il n’est pas souhaitable de favoriser son écoulement mais seulement de l’entretenir pour permettre son écoulement en cas de montée en pression, afin d’éviter des désordres dans le terrain ou le bâtiment. Cette source doit en effet clairement permettre la décharge hydrostatique de l’aquifère et donc être aménagée (écoulement à surface libre) pour ne pas induire de surcharge hydraulique.

— Source ‘‘ Hountalade ’’ : cette source n’est plus exploitée pour l’Établissement thermal mais doit être protégée et conservée en état d’écoulement.

Elle alimente cependant une buvette publique. Le contrôle sanitaire, limité aux paramètres température, conductivité, pH, alcalinité et sulfures est stoppé depuis mai 2000. Par conséquent, en raison du manque d’informations sur la qualité de cette eau, l’accès à la buvette devra être interdit.

— Sondage ‘‘ L5 » et forage ‘‘ des Dames ’’ (L6) : ces deux forages, qui présentent des défauts d’étanchéité, doivent être mis en état de délaissement, mais ils nécessitent des travaux d’obturation par cimentation. ANTEA recommande :

• L’extraction pour le premier, du tubage acier et pour le second, du tubage en fibre, sur toute la longueur par surforage, • le contrôle de chaque trou et l’évacuation des déblais, • la cimentation complète avec coulis adapté, • le recouvrement de la tête par une dalle bétonnée.

Périmètre sanitaire d’émergence.

Le local de captage (3 m2), situé à l’intérieur de l’Établissement thermal, est assimilé au périmètre sanitaire d’émergence.

Périmètre de protection de la ressource.

ANTEA propose un périmètre de protection représenté par un quadrilatère tracé à partir de quatre points définis avec précision sur la carte topographique.

À l’intérieur de ce périmètre :

• Tous travaux souterrains de plus de 10 m de profondeur devraient être soumis à autorisation, • Toute activité polluante pour le sol et les eaux souterraines est à exclure ou à réglementer spécifiquement, de même que toute activité présentant des risques de contamination du sous-sol.

De plus, une zone plus restreinte constituée par une bande de terrain orientée N 130°/E de 300 m de largeur approximativement, pourrait faire l’objet d’une attention renforcée. Les travaux souterrains devraient être soumis à autorisation à partir de 5 m de profondeur. Les fertilisants agricoles et les produits phytosanitaires sont à exclure. L’évacuation des eaux usées doit être parfaitement maîtrisée. Le tracé de cette zone renforcée s’obtient en retenant l’axe N 130°/E qui passe par les sources ‘‘ des Dames ’’ et ‘‘ Hountalade ’’ et en se fixant une largeur de 200 m vers le Sud-Ouest, de 100 m vers le Nord-Est.

Ces dispositions pourraient être mises en œuvre dans le cadre du Plan Local d’Urbanisme (PLU) de la commune de Luz-Saint-Sauveur.

Transport à distance.

Le transport de l’eau de captage ‘‘ Duchesse du Berry ’’ commence à l’aval de la manchette de mesure. Un jeu de piquage permet de diriger séparément l’eau vers une décharge, la buvette, les soins ORL et le stockage. Les trois piquages sont équipés de vannes de sectionnement.

La désinfection des réseaux est assurée par traitement thermique avec injection d’eau de consommation humaine, chauffée à 80° C.

Le transport et l’exploitation sont réalisés selon les règles de l’art dans des conditions sanitaires satisfaisantes.

Analyses physico-chimiques

Conformément à l’article R. 1322-4 du Code de la Santé Publique, le Laboratoire d’Etudes et de Recherches en Hydrologie de l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments a procédé à des prélèvements pour analyses, les 25 mai et 5 octobre 2004.

Composition et caractéristiques de l’eau

La composition de l’eau du captage ‘‘ Duchesse du Berry ’’ situe cette eau dans la catégorie des eaux faiblement minéralisées (résidu sec à 180° C > 50 mg/l et < 500 mg/l). C’est une eau sulfurée chaude (32,2° C) de profil chloruré sodique. Il faut également noter la présence de fluor (3,4 à 3,8 mg/l) et
d’ammonium (0,31 mg/l). En raison des teneurs en fluor, l’eau ne doit être consommée que sous contrôle médical.

Stabilité

La composition physico-chimique de cette eau est restée stable entre les deux prélèvements effectués à cinq mois d’intervalle.

Le transport de l’eau du captage ‘‘ Duchesse du Berry ‘‘ n’affecte pas les caractéristiques minérales de l’eau déterminées à l’émergence et notamment les sulfures.

Contaminants

La recherche de métaux n’a pas révélé d’éléments à des concentrations supérieures aux limites réglementaires.

La recherche de composés organohalogénés volatils et BTEX, de pesticides organochlorés, azotés, phosphorés, de phénylurées et d’hydrocarbures aromatiques polycycliques sur l’ensemble des prélèvements s’est révélée négative.

Radioéléments

Les analyses de radioactivité, réalisées le 9 avril 2001, sur des échantillons prélevés le 5 avril 2001, par l’Office de Protection contre les Rayonnements Ionisants (OPRI) appellent les commentaires suivants :

Présence de potassium naturel, Présence de radon 222, Aucune activité significative en tritium.

Les activités alpha globale et bêta globale sont inférieures aux valeurs guides respectivement de 0,1 Bq/l et 1 Bq/l recommandées par l’OMS.

La dose totale indicative pour une consommation de 730 l par an de cette eau serait donc inférieure à 0,1 mSv, valeur limite recommandée par l’OMS.

Analyses bactériologiques.

Les analyses bactériologiques effectuées sur des échantillons obtenus à l’émergence et après transport à distance montrent qu’il y a absence d’indicateurs de contamination bactérienne. Il n’a pas été décelé de germes témoins de contamination fécale, de Pseudomonas aeruginosa , ni de Legionella pneumophila .

Evaluation thérapeutique.

La Commission XI regrette que le dossier ne comporte aucun élément d’appréciation de l’efficacité thérapeutique.

CONCLUSIONS

Au vu des informations fournies dans le dossier, des résultats des analyses réglementaires et des propositions de l’AFSSA du 30 juin 2005, la Commission XI de l’Académie nationale de médecine, réunie le 25 octobre 2005 sous la présidence du Professeur Claude Boudène :

Donne un avis favorable à l’exploitation par pompage, au débit maximum de 5,5 m3/h du captage ‘‘ Duchesse du Berry ’’.

Demande qu’en raison des teneurs élevées en fluor, l’eau de captage ‘‘ Duchesse du Berry ’’ ne soit consommée que sous contrôle médical dans le cadre d’une cure thermale et que sa consommation soit interdite aux enfants âgés de moins de dix ans.

Souhaite que :

— les sources ‘‘ des Dames ’’, ‘‘ Fabas ’’, ‘‘ Dufau ’’ et ‘‘ Hountalade ’’, en état de délaissement, soient protégées contre toute infiltration.

— les forages ‘‘ L5 » et ‘‘ des Dames ’’ (L6) qui présentent des défauts d’étanchéité soient obturés par cimentation selon les règles de l’art.

— l’accés à la buvette publique de la source ‘‘ Hountalade ’’ soit interdit.

Rappelle que :

— la création d’un périmètre de protection du captage ‘‘ Duchesse du Berry ’’ nécessite au préalable une déclaration d’intérêt public (DIP) dont les limites devront être justifiées par des arguments hydrogéologiques.

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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 10 janvier 2006, a adopté le texte de ce rapport moins une abstention.

* Membre de l’Académie nationale de médecine.

Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, no 1, 209-215, séance du 10 janvier 2006