Résumé
La vaccination par le BCG demeure obligatoire en France chez l’enfant avant six ans et dans certaines professions. Le vaccin BCG évite 80 % des formes graves de tuberculose du nourrisson et de l’enfant (méningites et miliaires) et environ 55 % des formes pulmonaires. Il n’empêche pas la circulation du bacille de la tuberculose. Les effets adverses sont des adénites (1/1000 à 5 %), des ostéites, et surtout la BCGite disséminée qui survient en général chez des enfants présentant un déficit immunitaire sévère (12 cas par an en France) le plus souvent vaccinés avant l’âge de six mois. Le remplacement récent de la souche de BCG « Mérieux » par la souche « Copenhague », plus réactogène, doit être pris en compte pour évaluer les effets indésirables. De 1964 à 1997 l’incidence de la tuberculose en France a régulièrement diminué. Elle est stable, proche de 10 cas pour 100000 habitants par an depuis 1997. Cette stabilité cache une grande disparité selon les régions et les catégories de population, les migrants en provenance de pays à forte prévalence étant les plus touchés. L’incidence était, en 2003, de 5,6/105chez les personnes nées en France, de 31,7/105chez celles nées en Afrique du Nord et de 187,7/105chez les natifs d’Afrique Sub-Saharienne. L’incidence déclarée en 2003 dépasse 10/105habitants dans trois régions : Ile de France (26,4), Provence- AlpesCôte d’Azur (10,8) et Alsace (10,3) Les taux d’incidence les plus élevés chez les personnes d’origine étrangère s’observent en Ile de France (114,3/105) avec un taux de 198,9/105à Paris. L’UICTMR a défini en 1993 des critères pour modifier la politique vaccinale du BCG. La France a atteint ces critères, en particulier un taux annuel de méningites tuberculeuses chez l’enfant inférieur à 1/107 stable depuis 1996. Plusieurs stratégies sont possibles : — suppression totale de la vaccination qui exposerait probablement à une augmentation significative du nombre de cas de tuberculose disséminée chez l’enfant (16 estimés) — maintien de la vaccination généralisée : elle n’est plus justifiée pour la majorité des enfants et le retrait du BCG par multipuncture (Monovax®) en 2006, remplacée par la forme intradermique (ID) du BCG, de technique plus difficile, sera un obstacle à ce choix. — une vaccination ciblée sur les nourrissons et les enfants les plus exposés est justifiée par la grande hétérogénéité de l’épidémiologie : soit ciblée sur les régions à forte incidence, ce qui omettrait de protéger 15 à 45 % des enfants, soit préférentiellement ciblée sur les enfants à risque, définis par des antécédents personnels ou familiaux de tuberculose, une famille provenant d’une région de forte prévalence, ou la prévision d’un voyage vers une telle région. Le remplacement de l’obligation vaccinale par une vaccination BCG ciblée, ne peut être acceptable que si la lutte antituberculeuse en France (politique de dépistage, de traitement et de surveillance) est révisée en priorité et appliquée avec rigueur à toutes les régions.
Summary
BCG vaccination is mandatory in France before six years of age and for occupational exposure. It reduces by 80 % the risk of disseminated tuberculosis (meningitis and miliary forms) in infants and children. The spread of M. tuberculosis is not affected by BCG vaccination. The main adverse effects of BCG vaccination are adenitis (1/1000), osteitis and disseminated BCG infection in infants less than 6 months old with severe combined immunodeficiency (about 12 cases/year in France). The switch from the Mérieux BCG strain to the more immunogenic Copenhagen strain must be monitored for safety. The incidence of tuberculosis in France fell gradually from 1964 to 1997 and has now stabilized at about 10 cases per 100000 inhabitants per year. This apparent stability masks major disparities among districts and population groups, however. Migrants from highly endemic countries are the most at risk. In 2003 the incidence of tuberculosis was 5.6/105 in French-born people, 31.7/105 among North African immigrants and 187.7/105 among immigrants from sub-Saharan Africa. The incidence is higher than 10/105 in three French regions, namely the Paris area (26.4), Provence-Alpes-Côte d’Azur (10.8) and Alsace (10.3). The highest incidence is found among immigrants, with a rate of 114.3/105 in the Paris region (198.9/105 in Paris itself). France has met the UICTMR criteria regarding national BCG vaccination policy. The yearly rate of tuberculous meningitis is now less than 1/107 in children and has been steady since 1996. Four options are now conceivable : — To stop BCG vaccination : this would probably increase the rate of disseminated tuberculosis in infants and children (16 estimated) — To maintain universal vaccination : this is not theoretically justified for most children, given the current French epidemiological situation ; in addition, production of multipuncture BCG will be halted in 2006, to be replaced by the new intradermal BCG procedure, which is more difficult to administer to newborns and infants. — The third option is targeted BCG vaccination. The targets could be the three regions with the highest incidence, but it would only cover 55 to 85 % of cases and would omit 15 to 45 % of children at risk. — The best strategy is to target all children who are at an increased risk of tuberculosis (about 100000 children) because of exposure to potentially infectious adults (children with a personal or familial history of tuberculosis, families from highly endemic countries, and travellers to such countries). Targeted vaccination would be acceptable if the fight against tuberculosis were to be updated with the same rigor in every region.
L’agent de la tuberculose humaine,
Mycobacterium tuberculosis , a été identifié en 1882 par Robert Koch, et en a longtemps porté le nom (« bacille de Koch »).
Le genre Mycobacterium regroupe M. tuberculosis , M. bovis et M. africanum , agents de la tuberculose , M. leprae et M. ulcerans , qui sont pathogènes pour l’homme, ainsi que de nombreuses espèces de mycobactéries de l’environnement, baptisées mycobactéries atypiques, qui sont des pathogènes occasionnels (complexe M. avium – intracellulare ).
On estime qu’un tiers de l’humanité (environ deux milliards de personnes) est porteur de bacilles de la tuberculose. L’OMS a calculé que d’ici à 2020, si rien n’était fait pour lutter plus efficacement contre l’épidémie, un autre milliard de personnes s’infectera, huit millions développeront une forme clinique, et environ 1,6 millions en mourront. La situation est d’autant plus préoccupante dans les pays en développement qu’il existe une synergie entre tuberculose et SIDA, la première faisant le lit du second et réciproquement.
SITUATION DE LA TUBERCULOSE EN FRANCE
La tuberculose fait l’objet d’une déclaration obligatoire (DO) en France depuis 1964.
Depuis cette date, les données de surveillance montrent une baisse continue de l’incidence jusqu’en 1997. Depuis 1997, l’incidence est stable, proche de 10 nouveaux cas pour 100000 habitants et par an. En 2003, 6350 cas de tuberculose ont été déclarés (France métropolitaine : 6234 cas, départements d’outre-mer : 116 cas).
Le taux d’incidence des cas déclarés de tuberculose, en France métropolitaine, en 2003, était de 10,2 cas pour 100000 habitants [1]. Pour les DOM, il était de 6,7/100000. Globalement, les formes pulmonaires isolées ou associées repré- sentaient 71,5 % des cas et les formes extra-pulmonaires 26,6 % des cas (1,8 % des cas étaient non renseignés). Toutefois, chez les patients nés à l’étranger, 45,4 % avaient une localisation extra-pulmonaire. A noter que l’examen microscopique direct des crachats n’était positif que dans 59,9 % des cas renseignés de tuberculose pulmonaire.
En 2003, 114 méningites tuberculeuses (1,8 % des cas) ont été déclarées, dont deux chez des enfants de moins de 5 ans (1 vacciné par le BCG, 1 de statut vaccinal inconnu).
Les incidences de la tuberculose les plus faibles concernaient les enfants de 0-4 et 5-14 ans (4,6/105 et 2,2/105 respectivement) avec un accroissement de
l’incidence pour ces deux classes d’âge depuis 2001 parmi la population de nationalité française. Le taux d’incidence croît avec l’âge, atteignant 20,7 cas pour 100000 personnes de 75 ans et plus en France métropolitaine. A noter que le diagnostic de tuberculose chez l’enfant est difficile à porter. Ainsi en 1997, en Ile de France, sur 73 cas de tuberculose maladie, 14 % des enfants seulement avaient un examen direct positif et 34 % une culture positive. De ce fait, l’incidence de la tuberculose chez l’enfant est, selon les spécialistes, sujette à caution.
FACTEURS DE VARIABILTÉ ÉPIDEMIOLOGIQUE
Si l’incidence observée au niveau national semble stable depuis 1997, cette stabilité cache de profondes modifications avec une grande disparité selon les zones géographiques et selon les catégories de population, les migrants en provenance de pays à forte prévalence étant les plus touchés. Les adultes sont souvent atteints de tuberculose hautement bacillifère, contaminant ainsi les nourrissons très proches.
Variations de l’incidence selon le pays d’origine
Le taux d’incidence de la tuberculose est très différent chez les personnes d’origine française et chez les personnes d’origine étrangère. Ainsi, en France métropolitaine, il était en 2003 de 5,4 cas pour 100000 personnes de nationalité française et de 72,1 cas pour 100000 personnes de nationalité étrangère.
Le taux d’incidence dans les tranches d’âge 15-24 et 25-39 ans est quelque 25 fois plus élevé chez les sujets de nationalité étrangère que chez les sujets de nationalité française (respectivement 106,1/100000 versus 3,8/100000 pour les 15-24 ans et 114,3/100000 versus 4,9/100.000 pour les 25-39 ans).
De même, pour les 0-14 ans, l’incidence en 2003 était respectivement de 2 et de 19,6/100000 selon que les enfants étaient de nationalité française ou étrangère.
L’examen du pays de naissance, meilleur indicateur de la provenance d’un pays d’endémie tuberculeuse que la nationalité, montre que l’incidence de la tuberculose était, en 2003, de 5,6/100.000 chez les personnes nées en France, de 31,7/100000 chez celles nées en Afrique du Nord et de 187,7/100000 chez les natifs de pays d’Afrique Sub-Saharienne, les plus touchés étant les 15- 39 ans nés en Afrique Sub-Saharienne. En 2002, sur les 72 cas de tuberculose à bacilles multirésistants (isoniazide + rifampicine) signalés pour la première fois, plus de 80 % étaient originaire d’un pays étranger, notamment d’Afrique Sub-Saharienne [2, 3].
Variation de l’incidence en France selon la région.
Les chiffres de 2003 montrent que le taux d’incidence de la tuberculose déclarée dépasse 10/100000 habitants dans trois régions du territoire national : Ile-de-France (24,8/100000), Provence-Alpes-Côted’Azur (10,2/100000) et Alsace (10,3/100000). En Ile-de-France, le taux d’incidence décroît de Paris intra-muros (44,7/100000), à la Seine-Saint-Denis (32,5), au Val-d’Oise (29,1), au Val-de-Marne (23,6) et aux Hauts-de-Seine (19,7). Il se situe entre 10 et 12,6 /105 pour Yvelines, Essonne et Seine-et-Marne.
Les taux d’incidence les plus élevés chez les personnes d’origine étrangère s’observent en Ile-de-France (114,3/100000) avec un taux de 198,9/100000 à Paris, 112,5/100000 dans le Val-de-Marne et 107,2/100000 dans le Val-d’Oise.
MODALITÉS D’ADMINISTRATION ET EFFICACITÉ DU BCG
Bien que le BCG soit le vaccin pour lequel le taux de couverture vaccinal est le plus élevé dans le monde, c’est aussi celui dont l’efficacité suscite le plus de controverses.
Le vaccin
La vaccination est obligatoire en France, recommandée dès le premier mois chez les enfants à risque, exigée pour les autres à l’entrée en collectivité (deux ans) et dans tous les cas avant six ans. En France, le taux de couverture vaccinale est de 84 % à vingt quatre mois et de plus de 95 % à six ans.
Le BCG est un vaccin bactérien vivant dérivant d’une souche de Mycobacterium bovis cultivée pendant treize ans, à partir de 1908, par Calmette et Guérin.
Selon l’OMS, sept souches de BCG dérivées de la souche initiale étaient utilisées dans le monde en 2001. En France, la souche « Mérieux » était jusqu’ici la seule disponible, elle sera remplacée, en 2005, par la souche danoise « Copenhague » (Danish 1331) provenant du Statens Serum Institut (SSI).
Avec la souche « Mérieux » disparaîtra aussi le dispositif de vaccination par multipuncture (Monovax®), qui était le plus fréquemment utilisé en France. De ce fait, la vaccination par voie intradermique sera dorénavant la seule possible ;
elle utilise du BCG lyophilisé et requiert une technicité supérieure à celle de la multipuncture.
Depuis juillet 2004, il n’y a plus lieu d’effectuer un test tuberculinique après vaccination. De même, la revaccination n’est plus conseillée.
Effets adverses
Les contre-indications sont limitées : certaines temporaires (dermatoses en évolution), d’autres définitives (déficits immunitaires congénitaux ou acquis).
Parmi les effets adverses, on note des adénites (entre 5 % et 1 ‰), mais un taux supérieur à 0,5 % doit faire soupçonner une technique inappropriée ; d’autres complications sont exceptionnelles (lupus, ostéite à BCG). La bécégite disséminée est une complication très grave, parfois mortelle, survenant dans un tiers des cas chez des enfants présentant un déficit immunitaire combiné sévère (DICS) ; le nombre total de bécégites disséminées est estimé à une douzaine de cas par an en France. La bécégite s’observe le plus fréquemment chez des enfants vaccinés avant l’âge de 6 mois, voire d’un an [4].
Le remplacement annoncé de la souche de BCG « Mérieux » par la souche « Copenhague » du SSI, au potentiel plus réactogène, doit être pris en compte dans l’évaluation des effets indésirables de la vaccination BCG. De plus, avec la généralisation de la vaccination par voie intradermique, on peut s’attendre à un nombre accru de suppurations sous-cutanées et d’adénites. Ce nombre pourrait atteindre 38,7/100000 chez les enfants vaccinés avant l’âge d’un an et 2,5/100000 pour les vaccinations entre un et vingt ans.
Efficacité
L’efficacité du BCG a donné lieu très tôt à des polémiques. Deux métaanalyses publiées au début des années 1990 ont permis de confirmer l’efficacité du BCG dans la prévention des méningites et des miliaires tuberculeuses de l’enfant avec un pouvoir protecteur estimé entre 64 % et 86 % selon le type d’analyse. La protection conférée par le BCG est légèrement supérieure pour le nourrisson que pour l’enfant, de l’ordre de 80 % pour les formes graves (miliaires et méningites) et seulement de 55 % pour les formes pulmonaires [5, 6, 7].
Le BCG protège donc essentiellement contre les formes extra-pulmonaires de l’enfant et, dans une certaine mesure, contre les formes pulmonaires exceptionnellement bacillifères à cet âge. Il n’a pratiquement pas d’impact sur la circulation du bacille tuberculeux : c’est de ce fait un vaccin « égoïste ».
Les études concernant l’impact de l’arrêt de la vaccination sur l’épidémiologie de la tuberculose (expériences allemande, irlandaise, suédoise et tchèque) ont confirmé le rôle de la vaccination dans la prévention des méningites tuberculeuses de l’enfant. L’étude irlandaise estime à près de six cents le nombre de vaccinations BCG nécessaires pour éviter un cas de tuberculose.
Il convient de noter que le BCG a un pouvoir protecteur vis-à-vis de certaines infections dues à des mycobactéries atypiques de l’environnement, telles les bactéries du groupe M. avium intracellulare responsables essentiellement d’adénites ; en Suède, l’incidence de ces infections est passée de 0,15 à 25 pour 100000 enfants de moins de cinq ans après l’interruption de la vaccination [8].
Perspectives vaccinales
De nombreuses tentatives sont en cours pour développer de nouveaux vaccins contre la tuberculose : soit en utilisant des BCG recombinants dont on a renforcé le potentiel vaccinal par insertion de gènes de M. tuberculosis codant pour des antigènes potentiellement protecteurs que le BCG n’exprime pas ; soit en partant de ces mêmes gènes pour fabriquer des vaccins vivants recombinants à base de vecteurs viraux (virus de la vaccine, adénovirus..) ou bacté- riens ( Salmonella ) ; soit encore en développant des vaccins sous-unités constitués directement de ces antigènes purifiés, seuls ou en combinaison (Ag85A et 85B, protéines R8307, ESAT-6, Mtb32, Mtb39, Mtb72, etc). La plupart de ces vaccins en sont à un stade préclinique du développement ou à un stade clinique peu avancé, et leur commercialisation éventuelle demeure encore lointaine.
MODIFICATIONS DE LA POLITIQUE VACCINALE BCG
Critères de l’UICTMR 1 et modifications de la politique vaccinale du BCG
L’effet bénéfique du BCG porte principalement sur la tuberculose de l’enfant.
Avant de modifier la politique vaccinale, il est indispensable d’apprécier l’impact de la vaccination sur la maladie tuberculeuse, en tenant compte de différents niveaux d’efficacité et de couverture vaccinale. Dans les hypothèses les plus favorables, la vaccination actuelle par le BCG en France évite seize cas de méningites et /ou de miliaires sur les vingt deux cas attendus chez l’enfant de 0 à 14 ans.
L’UICTMR a défini en 1993 des recommandations et des critères précis auxquels un pays doit se référer pour envisager une modification de sa politique vaccinale par le BCG [9]. Le préalable indispensable est de disposer d’un programme de lutte antituberculeuse opérationnel et d’une information exacte sur l’évolution de la tuberculose dans le pays sur les cinq dernières années. Le pays doit répondre à l’un des trois critères suivants :
1. Union Internationale contre la tuberculose et les maladies respiratoires.
— un taux d’incidence annuel moyen sur les trois dernières années des cas à expectoration bacillifère positive (BAAR 2 +) inférieur à 5/100000, — un taux d’incidence annuel sur les cinq dernières années des cas de méningites tuberculeuses des enfants de moins de cinq ans inférieur à 1/10 millions d’habitants, — un risque annuel infectieux inférieur à 0,1 %.
Au regard de ces recommandations, la France est dans la perspective d’une modification de la politique vaccinale. La lutte antituberculeuse est apparemment efficace puisque l’on observe une baisse progressive de l’incidence de la tuberculose et une stagnation de la prévalence des souches de BK résistantes à l’isoniazide et à la rifampicine. La surveillance de l’infection à VIH montre une diminution des co-infections tuberculose-VIH. Enfin le suivi des formes graves et des tuberculoses bacillifères est connu par classes d’âge grâce à la déclaration obligatoire et aux Centres de référence.
— Le premier critère n’est cependant pas entièrement satisfait. En effet, sur la période 2000-2002, le taux d’incidence annuel moyen des cas de tuberculose BAAR + peut être évalué à 4,6/105 .Cependant la comparaison des données de la DO avec celle du Centre national de référence pour la surveillance des infections à mycobactéries et de leur résistance aux antituberculeux, a permis d’évaluer le taux d’exhaustivité de la déclaration des formes BAAR+ à 80 %. Le taux moyen des formes BAAR + serait donc de 5,7/105 cas, soit un peu supérieur au seuil proposé par l’UICTMR. Mais il est de 4,1/105 pour la population française contre 33/105 pour la population de nationalité étrangère [10].
— Le second critère est rempli car le taux annuel des méningites de l’enfant est de 0,4/107, stable en France depuis 1996.
— Le critère « risque infectieux » ne peut être mesuré en raison de la vaccination généralisée BCG en France.
Au total, sur ces critères, il est licite d’envisager aujourd’hui une modification de la politique vaccinale du BCG en France.
Les données épidémiologiques exposées précédemment démontrent que les critères de l’UICTMR sont certes applicables en moyenne pour la population française dans la majorité des régions mais que la disparité des situations est très grande à l’intérieur de ces régions, chez les sujets étrangers et selon leur âge. Il est donc primordial d’en tenir compte pour le choix d’une adaptation de la politique vaccinale du BCG, d’autant plus qu’il s’agit de tuberculoses bacillifères.
2. bacilles acido-alcoolo-résistants.
Différentes politiques vaccinales
Quatre possibilités ou scénarios sont à envisager :
• Suppression totale de la vaccination • Maintien de la vaccination généralisée actuelle • Ciblage sur les régions à forte incidence • Ciblage pour les enfants à risque Suppression de la vaccination
Les deux avantages de l’arrêt total du BCG sont d’une part l’économie estimée en 1996 à 115 millions d’euros, coût supérieur à celui du traitement des malades, d’autre part la disparition des effets indésirables évalués à trois cents adénites dues au BCG et douze bécégites disséminées par an. Le coût de la vaccination BCG par cas évité serait de 35950 euros [11]. L’interprétation des tests tuberculiniques sera plus facile chez des sujets non vaccinés.
Sur la base des données disponibles, l’arrêt complet de la vaccination exposerait probablement à une augmentation significative du nombre de cas de formes graves de tuberculose chez l’enfant, estimée à seize méningites ou miliaires et, dans l’hypothèse la plus favorable d’efficacité, à huit cents cas de tuberculose extra-méningée [12]. Il faut y ajouter une possible augmentation des infections à mycobactéries atypiques.
Maintien de la vaccination généralisée actuelle
Si la poursuite de la vaccination généralisée évite d’introduire la notion de ciblage et assure une couverture plus régulière de la protection chez les enfants, l’évolution actuelle de la tuberculose en France pose la question de son utilité pour les enfants qui sont éloignés de tout risque, les plus nombreux.
Un obstacle nouveau va rapidement apparaître, fin 2005, pour la poursuite de cette vaccination généralisée obligatoire, à savoir le retrait du BCG par multipuncture (Monovax® ou bague tuberculinique), qui a permis depuis des décennies, en France, l’application du BCG obligatoire chez les nourrissons et les jeunes enfants. Seule sera disponible la forme intradermique (ID) du BCG, avec une autre souche, la souche « Copenhague » du SSI, plus réactogène.
Or, la technique de la voie ID est mal maîtrisée actuellement par la plupart des médecins français. On se voit donc presque contraint à modifier la politique vaccinale sous la seule pression d’un changement du vaccin BCG.
La vaccination ciblée
La grande hétérogénéité de l’épidémiologie conduit à envisager une vaccination ciblée sur les sujets les plus exposés, soit par régions, soit selon le risque individuel.
—
La vaccination ciblée sur les régions à forte incidence
Trois régions ont une incidence supérieure à la moyenne nationale et devraient donc théoriquement bénéficier du maintien du BCG pour les enfants. Cette solution est imparfaite car les enfants à risque sont disséminés dans toutes les régions et la mobilité des populations est importante.
Cette proposition ne couvre que 55 à 85 % des cas de tuberculose déclarés et omettrait donc de protéger 15 à 45 % des enfants, dont la maladie aurait pu être évitée par le BCG, selon l’hypothèse haute ou basse de son efficacité. On en conclue donc que ce scénario, fixant le seuil de 5/105 d’individus BAAR positifs pour choisir les régions où vacciner, est plus théorique que pratique et en quelque sorte insuffisant en matière de protection.
— La vaccination ciblée sur les enfants à risque
Ce scénario est plus satisfaisant puisqu’il consiste à ne vacciner que les nourrissons exposés à un risque de contage par des adultes tuberculeux bacillifères sur tout le territoire. On peut définir le risque en se servant de l’expérience d’autres pays et en particulier de l’expérience suédoise. Les enfants appartenant à des groupes à risque pourraient être ainsi définis sur les critères suivants :
• Histoire familiale de tuberculose même très ancienne ou contact familial avec un malade tuberculeux • Famille provenant d’une région de forte prévalence même, pour les enfants nés en France • Prévision d’un voyage dans une région de forte incidence, exposant à des contacts étroits avec la population locale : Afrique, en particulier SubSaharienne, Asie, Europe Centrale et de l’Est, Amérique latine.
En Ile de France, 75 % des enfants recevant un traitement antituberculeux répondent à au moins l’un de ces critères [13]. L’effectif cible actuel pour la France est de 12 % des naissances (sur 720000 naissances en France). Si l’on envisage trois possibilités de couverture vaccinale du BCG après l’abrogation de la loi d’obligation vaccinale : soit 10 %, 50 % ou 95 %, on constatera respectivement, chez les enfants, 14,9 ou 4 cas de tuberculose grave (méningite ou miliaire) et 739, 486, ou 200 cas de tuberculose dans l’hypothèse d’efficacité du BCG la plus favorable [13]. L’âge de la vaccination de ces enfants à risque est à discuter. En effet, en vaccinant après l’âge de 6 mois, on diminue le risque des bécégites disséminées graves. Mais on risque alors des tuberculoses sévères par des contaminations très précoces chez les enfants exposés à un contage massif familial et pour lesquels la vaccination est jusqu’à présent recommandée au cours du premier mois.
Une fois défini le risque de ces enfants, en général issus de l’immigration, vis-à-vis de la tuberculose, il faudrait mettre en place un dispositif efficace sur
l’ensemble des régions. Les difficultés sont de communiquer sur le ciblage d’une vaccination en évitant d’introduire une notion de discrimination et d’appliquer avec efficacité une telle politique pour atteindre le maximum d’enfants à protéger [13].
De ce fait, si la vaccination par le BCG est maintenue en France, qu’elle soit généralisée ou ciblée, elle ne constitue que l’un des éléments de la politique de lutte contre la tuberculose et, de toutes façons, quelle que soit l’option vaccinale retenue, la politique doit être repensée pour un meilleur contrôle et une meilleure prise en charge de la maladie.
LUTTE ANTITUBERCULEUSE
Parmi les différentes actions visant :
— à prévenir la tuberculose maladie essentiellement grâce à la vaccination, mais aussi grâce à une meilleure sensibilisation des médecins au diagnostic difficile de tuberculose de l’enfant et en évoquant cette maladie systé- matiquement dans tout contexte à risque (migrants, milieux sociaux défavorisés…), — à dépister et à prendre en charge précocement les cas et à encadrer les traitements, — à réduire la transmission, en particulier la contamination des enfants par des adultes bacillifères (dépistage des contacts, dépistage des populations à risque…), aucune n’est mise en place de façon satisfaisante et optimale en France à ce jour. Pour cette raison, les autorités sanitaires et la Société Française de Pneumologie ont élaboré récemment des recommandations concernant la prise en charge et le traitement de la tuberculose [14-17].
Il existe une trop grande disparité dans l’application de ces mesures selon les départements et les régions ; de plus l’implication locale ou nationale est en voie d’éclaircissement.
L’organisation de la surveillance épidémiologique doit être repensée en commençant par une amélioration de l’identification, de l’observance et du suivi du traitement des cas index, de l’identification, du dépistage et du suivi des contacts en mettant en place des stratégies appropriées pour les migrants et les personnes en situation précaire.
Il est nécessaire que les services de lutte antituberculeuse (SLAT) soient mis au centre d’un réseau regroupant l’ensemble des partenaires impliqués dans la lutte antituberculeuse en mettant en œuvre les moyens adéquats.
CONCLUSIONS
La vaccination par le BCG est obligatoire en France chez l’enfant avant six ans et pour certaines professions. L’incidence de la tuberculose demeure stable en France en moyenne et les critères préconisés par l’UICTMR 3 pour modifier la politique vaccinale par le BCG sont atteints. Mais en raison de la grande disparité de l’incidence de la tuberculose, qui demeure très élevée pour certaines régions et dans les populations migrantes ou issues de l’immigration, différentes stratégies sont à comparer avec soin. Le changement du vaccin BCG en France est également à prendre en compte pour apprécier la portée de ces différents scénarios, qui sont le principal objet de ce rapport.
La suppression totale de la vaccination par le BCG en France ne paraît pas souhaitable à ce jour en raison de la persistance de la maladie tuberculeuse avec une incidence très élevée dans certaines régions et pour certaines populations, d’autant plus que certains malades demeurent difficilement accessibles à un traitement antituberculeux nécessaire mais contraignant. La vaccination ciblée des enfants à risque, vivant en général dans des familles originaires de pays de forte endémie, est une orientation possible mais d’application difficile. Cependant la disparition à très brève échéance du BCG Monovax® oblige à envisager, éventuellement et dès maintenant, une telle modification. A ce sujet on s’inquiète de la réactogénicité plus forte de la souche de BCG « Copenhague » du SSI, dont la tolérance et les effets adverses devront être particulièrement bien surveillés. L’Académie nationale de médecine regrette que la possibilité de la vaccination par multipuncture soit prochainement supprimée car elle assure plus facilement une couverture vaccinale satisfaisante chez le nourrisson. La perception de la vaccination ciblée serait meilleure si le BCG était replacé dans une refonte du plan de lutte antituberculeuse en France. En effet, la suppression de la vaccination par le BCG obligatoire, remplacée par une vaccination ciblée, ne peut être acceptable que si la lutte antituberculeuse (politique de dépistage, de traitement et de surveillance) est révisée en priorité et appliquée avec rigueur à toutes les régions.
C’est actuellement l’objet d’une réflexion des autorités de santé publique qu’il faut donc encourager. La redéfinition des moyens à l’échelon du département ou de la région semble le préalable à toute modification de la politique actuelle de la vaccination.
Dans une telle perspective de réorganisation globale de la lutte antituberculeuse, la perception du ciblage vaccinal devrait être perçue favorablement par les professionnels de santé et les personnes concernées.
3. Union Internationale contre la tuberculose et les maladies respiratoires.
BIBLIOGRAPHIE [1] CHÉ D., BITARD D., DECLUDT B. — Les cas de tuberculose déclarés en France en 2003.
BEH., 2005, 17-18 , 669.
[2] ROBERT J., JARLIER V. — Tuberculose et résistance aux antituberculeux.
Surv. Nat. Mal.
Infect ., 2005.
[3] ROBERT J., TRYSTRAM D., TRUFFOT-PERNOT C., GROSSET J., JARLIER V. — Surveillance de la tuberculose à bacilles multirésistants en France en 1996 et 1997. Bull. Epidemiol.
Hebdom. , 2000, 40 , 175-77.
[4] LÉVY-BRÜHL D., DENIS F., GICQUEL B. — BCG Encyclopédie médico-chirurgicale 2005 (à paraître).
[5] COLDITZ G.A., BERKEY C.S., MOSTELLER F., BREWER T.F., WILSON M.E., BURDICK E., FINEBERG H.V. — The efficacy of Bacillus Calmette Guerin vaccination of newborns and infants in the prevention of tuberculosis : meta analysis of the published literature. Pediatrics , 1995, 96 , 29-35.
[6] COLDITZ G.A., BREWER T.F., BERKEY C.S., WILSON M.E., BURDICK E., FINEBERG H.V., MOSTELLER F. — Efficacy of BCG vaccine in the prevention of tuberculosis. Meta-analysis of the published literature. JAMA , 1994, 271 , 698-702.
[7] RODRIGUES L.C., DIWAN V.K., WHEELER J.G. — Protective effect of BCG against tuberculous meningitis and miliary tuberculosis : a meta-analysis. Int. J. Epidemiol ., 1993, 22 , 1154-58.
[8] DENIS F., MARTIN C., LÉVY-BRÜHL D. — Vaccinations par le BCG et autres approches vaccinales contre les mycobactéries In ‘‘ Mycobacterium tuberculosis et mycobactéries atypiques ’’. F. Denis et C. Perronne Ed.Elsevier Paris 2004, p. 257-272.
[9] UICTMR. — Criteria for discontinuation of vaccination programmes using BacilleCalmette-Guérin (BCG) in countries with a low prevalence of tuberculosis. Statement of the International Union Against Tuberculosis and Lung Disease. Tuber. Lung Dis., 1994, 75 , 179-180 [10] INSERM. — Expertise collective. Tuberculose. Impact épidémiologique de différentes options de vaccination en France. Ed INSERM Paris 2004, 207-217.
[11] BOUVET E., ABITEBOUL D., ANTOUN F. et coll. — Prévention et prise en charge de la tuberculose en France. Synthèse et recommandations du groupe de travail du Conseil Supérieur d’Hygiène Publique de France , 2002-2003, Méd. Mal. Inf., 2004, 34 , 337-434.
[12] LÉVY-BRÜHL D. — Perspectives d’évolution de la politique vaccinale BCG en France.
BEH , 2005, 17-18 , 83-2.
[13] INSERM. — Expertise collective. Tuberculose. Place de la vaccination dans la maîtrise de la maladie. Synthèse. Ed INSERM Paris 2004, 44 p.
[14] CHOUAID C., ANTOUN F., BLANC-JOUVAN F., CORMIER K., PORTEL L., FRAISSE P. — L’organisation médico-sociale et administrative peut-elle améliorer la prise en charge individuelle et collective de la tuberculose en France ? Rev. Mal. Respir ., 2004, 21 , 3S98-3S104.
[15] CHOUAID C., ANTOUN F. — Organisation de la lutte anti-tuberculeuse : la mobilisation des pneumologues. Rev. Mal. Respir ., 2004, 21 , 475-7.
[16] Prévention et prise en charge de la tuberculose en France. Synthèse et recommandation du groupe de travail du Conseil Supérieur d’Hygiène Publique de France, 2002-2003. Rev.
Mal. Respir., 2003, 20 , 7S7-7S106.
[17] Recommandation de la Société de Pneumologie de Langue Française sur la prise en charge de la tuberculose en France. Rev. Mal. Respir., 2004, 21 , 3S5-3S104.
Textes législatifs
Décret no 96-775 du 5 septembre 1996 relatif à la vaccination par le vaccin antituberculeux BCG et modifiant le Code de la santé publique.
Circulaire D.G.S No 41 du 4 mai 1995 relative à l’organisation de lutte antituberculeuse Décret no 2004-635 du 30 juin 2004 relatif à la vaccination par le vaccin antituberculeux BCG, modifiant les articles R.3112-2 et R.3112-4 du code de la santé publique (Journal Officiel « Lois et décrets » 152 du 2 juillet 2004 page 12061) Arrêté du 13 juillet 2004 relatif à la pratique de la vaccination par le BCG et aux tests tuberculiniques.(Journal Officiel du 29 juillet 2004) Circulaire No DGS/SD5C/2004/373 du 11 octobre 2004, relative à la pratique de la vaccination par le vaccin antituberculeux BCG et à la pratique des tests tuberculiniques.
Personnalités auditionnées par le Groupe Vaccinations • Dr Didier CHÉ (IVS) : épidémiologie de la tuberculose en France • Dr Daniel LÉVY-BRÜHL (IVS) : scénarios de politique vaccinale BCG • Pr Christian PERRONNE (Président duCSHPF) : avenir du BCG dans la politique vaccinale française • Dr Nicole GUÉRIN (CTV) : le BCG en Europe • Pr Elisabeth BOUVET (hôpital Bichat-Claude-Bernard) BCG : maintien ou suppression ?
• Dr Benoît SOUBEYRAND et Dr Alain SABOURAUD (Laboratoire Sanofi Pasteur MSD) :
Questions sur la suppression du Monovax® *
* *
L’Académie, saisie dans sa séance du 28 juin 2005, a adopté le texte de ce rapport à l’unanimité.
Bull. Acad. Natle Méd., 2005, 189, no 6, 1305-1318, séance du 28 juin 2005