Résumé
Les infections nosocomiales restent en France un grand enjeu de Santé Publique malgré une législation contraignante et de nombreux règlements concernant la prévention dans le respect des recommandations européennes et des principes reconnus depuis la création du Conseil de l’Europe. L’Académie nationale de médecine a émis à plusieurs reprises depuis vingt ans des avis en accord avec les recommandations du Conseil de l’Europe à propos « des infections contractées à l’hôpital » dont la dernière en date R(84)20 reste, à quelques nuances près, le texte de base de l’organisation de la lutte contre les infections nosocomiales. Constatant que le risque en France ne diminue ni en fréquence ni en gravité l’Académie nationale de médecine estime devoir mettre en exergue les causes du danger persistant et les modalités les plus appropriées d’une lutte efficace de prévention. Après étude approfondie des connaissances étiopathogéniques, physiopathologiques et anatomocliniques, elle considère qu’une amélioration de la situation est possible à court terme par application convenable des recommandations existantes sans accroître la législation. L’Académie nationale de médecine envisage successivement : la définition et les caractéristiques des infections nosocomiales. Les facteurs de risque et les moyens sécuritaires de prévention, en insistant sur l’application réelle des règles d’hygiène et d’organisation (en particulier sur la conception et l’organisation du bâtiment hospitalier), sur la surveillance des infections nosocomiales et leur déclaration obligatoire et enfin sur l’information contrôlée des professionnels de santé, des citoyens et des médias.
Summary
Nosocomial infections remain an important public health problem in France, despite recent legislation and implementation of European recommendations. The French National Academy of Medicine has published several guidelines in this field, in keeping with European recommendations. The latest (R(84)20) describes the organisation of the struggle against nosocomial infections. Neither the frequency nor the gravity of nosocomial infections has decreased in France. The National Academy of Medicine considers it its duty to find out the reasons underying these persisting dangers and to develop better preventive measures. After a detailed study of etiopathogenic, pathophysiologic and clinical data, the National Academy of Medicine considers that improvements are rapidly achievable by implementing existing recommendations. This report deals with the definition and characteristics of nosocomial infections, risk factors and preventive approaches, real-life applications of guidelines (particularly regarding hospital design and organisation), a survey of nosocomial infections and obligatory notification, and information for health care providers, the public and the media.
CONCLUSIONS
Le groupe de travail et la commission des maladies infectieuses proposent les conclusions suivantes :
• Les infections nosocomiales sont celles scientifiquement prouvées imputables aux soins (acte d’un soignant, dysfonctionnement du système sanitaire, fait environnemental) quelles que soient la qualité du soignant et la structure où est donné le soin, qu’il s’agisse d’un acte de diagnostic, de thérapeutique, de prévention ou de santé publique.
• Une enquête de prévalence réalisée en France par le CCLIN Paris nord concerne 1533 établissements de santé (77 % du capital national) avec 305656 patients. Il a été constaté que 21010 patients étaient infectés soit 6,9 %. Il y a plusieurs types d’infection par malade ce qui porte le taux de prévalence à 7,5 %. Il est noté que la fréquence est en corrélation avec le mode et le secteur de soins, l’état de santé initial du patient, la durée du séjour, le type d’établissement.
• Dans le respect des institutions européennes dont elle a adopté notamment les recommandations du Conseil de l’Europe R (72) 31 et R (84) 20, la législation française a établi une réglementation du système sanitaire qui reste valable sous réserve d’une actualisation. Il est indispensable de faire savoir que les mesures décidées se complètent et forment un tout harmonieux excluant toute fragmentation d’emploi.
• Compte tenu des connaissances de la biologie des micro-organismes et des êtres humains, des modes de contamination par transmission d’un individu à l’autre, la lutte contre les infections exogènes doit faire diminuer considé-
rablement cette variété d’infections nosocomiales par application d’un programme de règles d’hygiène individuelles, collectives et environnementales.
• Le concept d’espace d’hospitalisation au sens d’espace de soins doit remplacer la terminologie classique « d’hôpital » en raison des méthodes nouvelles en hospitalisation de jour, hospitalisation à domicile et pratiques ambulatoires. Il en résulte que les mêmes règles d’hygiène et de comportement sécuritaire sont applicables à tout système sanitaire et que la conception architecturale des centres de soins doit être adaptée à la lutte contre les infections exogènes.
• Le bâtiment hospitalier doit répondre à des normes architecturales tenant compte :
— des risques de transmission des micro-organismes en respectant la pratique d’isolement en trois zones selon la probabilité de risque.
— du danger potentiel des matériels utilisés et des systèmes tels que ventilation d’air, stagnation d’eau, faux plafonds.
— des conditions fonctionnelles et d’organisation des matériels et des équipes soignantes.
Les résultats obtenus par les « hôpitaux pilotes » démontrent aisément le bien fondé de cette orientation à but préventif : le danger d’infection est moindre dans un hôpital propre et fonctionnel mais il y a un risque résiduel inévitable, si faible soit-il.
• La lutte contre les infections endogènes est plus délicate : elle répond à deux schémas différents :
• la préparation soigneuse du site de traitement invasif (incision chirurgicale, voies endoscopiques, mise en place de cathéter veineux surtout pour les voies centrales). Elle est parfaitement définie dans les protocoles rédigés par consensus. Son application avec fiche de traçabilité est impérative.
• La prévention du risque d’un réservoir profond chez le patient justifiant deux mesures :
Le dépistage préopératoire en dehors de l’urgence thérapeutique par un bilan clinique, biologique voire radiologique. C’est le cas notamment pour les territoires ORL, intestinal, digestif, urologique et gynécologique.
La pratique de l’antibioprophylaxie en flash au moment de l’incision cutanée et pendant la durée de l’intervention.
Le risque d’infections nosocomiales à germes multi-résistants aux antibiotiques nécessite le respect absolu des règles de bonne pratique de l’antibiothérapie en général pour limiter l’émergence de cette flore notamment dans les unités de réanimation polyvalente et soins intensifs, pour les populations de sujets immunodéprimés et dans les établissements pour personnes âgées (EHPAD).
• La réalisation d’une politique réfléchie de lutte contre les infections nosocomiales tenant compte des recommandations sus énoncées doit s’accompagner de mesures incitatives :
— Formation continue des personnels médicaux et paramédicaux — Surveillance constante par l’équipe opérationnelle d’hygiène hospitalière de chaque centre de soins et par le comité de lutte contre les infections nosocomiales (CLIN) avec interconnexion régionale et nationale.
— Reconnaissance de qualité par le système d’accréditation — Aides financières des établissements pour investissement en matériel et charges des personnels en raison du coût supplémentaire pour le budget d’exploitation.
• Il est indispensable que les décisions politiques confirment officiellement que :
— Les infections nosocomiales ne sont pas obligatoirement imputables à une faute des professionnels de santé ou à un dysfonctionnement du système sanitaire. Il ne peut pas y avoir faute en l’absence de preuve donnée par un expert en Infectiologie du non respect de la réglementation en vigueur dans le contexte et au moment des faits. La condamnation systématique en pratique judiciaire doit être récusée ce qui faciliterait la déclaration obligatoire des infections nosocomiales.
— L’information rationnelle et véridique doit être donnée aux citoyens et aux relais médiatiques en expliquant l’étiologie des infections nosocomiales, les possibilités et limites de prévention, en sachant qu’il y a un risque résiduel incontournable. L’éducation du grand public fait partie de la gestion scientifique et sociale du risque nosocomial infectieux.
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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 28 juin 2005, a adopté le texte de ce rapport moins deux abstentions.
Bull. Acad. Natle Méd., 2005, 189, no 6, 1285-1288, séance du 28 juin 2005