Communication scientifique
Séance du 15 novembre 2011

Viande et santé humaine : excès et défauts

MOTS-CLÉS : diabète de type 2. maladies cardiovasculaires.. obésité. viande
Meat and human health : excess and errors
KEY-WORDS : acids, heterocyclic. cardiovascular diseases. colonic neoplasms. diabetes mellitus, type 2. meat. obesity

Jean-Michel Lecerf

Résumé

De nombreuses études ont analysé le lien entre la consommation de viande et la santé. Les mangeurs de viande ont un indice de masse corporelle et un gain de poids plus élevé que les végétariens. Le risque de diabète de type 2 est corrélé à une consommation élevée de viande rouge. Mais pour ces pathologies métaboliques, les relations statistiques sont modestes. Il existe inconstamment un risque cardiovasculaire accru. Dans toutes ces situations il est difficile de ne pas tenir compte du style alimentaire global. La relation entre consommation de viande et cancer est retrouvée dans la quasi totalité des études notamment pour le cancer du colon ; plusieurs études ont également montré une corrélation pour le cancer du sein, de la prostate, du poumon. Le mode de cuisson (grillé) serait en partie responsable de cet effet du fait de la production d’amines hétérocycliques, en interaction avec la présence de fer. Des recommandations quantitatives et qualitatives en découlent.

Summary

Many studies have examined the influence of meat consumption on human health. Meat eaters have a higher body mass index and more weight gain than vegetarians. The risk of type 2 diabetes has also been linked to high meat consumption. However, the statistical correlations with these metabolic disorders are weak. There is inconsistent evidence of a higher cardiovascular risk. A link between high meat consumption and cancer, particularly colorectal cancer, has been observed in nearly all epidemiological studies. Some studies have also shown a link with breast, prostate and lung cancer. The mode of cooking could be partly responsible for this effect, due for example to heterocyclic aromatic amines production during grilling and intensive cooking. Advices are given.

L’alimentation doit non seulement satisfaire des besoins nutritionnels, triples, nutritifs, hédoniques et psycho-affectifs, relationnels et symboliques, mais elle doit aussi contribuer à l’état de santé. Par définition on peut considérer que tout aliment puisqu’il s’inscrit dans cette triple fonction est bon pour l’individu puisqu’il contribue à satisfaire ces besoins. Toutefois les données épidémiologiques indiquent que certains modes alimentaires sont sources de déséquilibres pouvant augmenter le risque de survenue de certains problèmes de santé. Les produits carnés ont souvent été des cibles en ce qui concerne l’obésité, le diabète, les maladies cardiovasculaires (MCV) et les cancers.

OBÉSITÉ

L’obésité est une maladie chronique complexe multifactorielle du tissu adipeux, hypertrophié, hyperplasique et inflammatoire, extrêmement hétérogène dans son expression, ses conséquences et ses déterminants.

Une étude épidémiologique publiée en 2003 a concerné 37 875 participants de 20- 97 ans de l’étude EPIC-Oxford entre 1993 et 1999 [1]. L’étude a distingué les consommateurs de viande, les consommateurs de poisson, les végétariens (ovo lactovégétariens), les végétaliens. L’indice de masse corporelle (IMC) des consommateurs de viande était le plus élevé (H 24,41 kg/m2 — F 23,52 kg/m2) et celui des végétaliens était le plus bas (H 22,49 kg/m2 — F 21,98 kg/m2). Les consommateurs de poisson et les végétariens avaient un IMC similaire et intermédiaire. Les facteurs relatifs au style de vie et associés à l’IMC concernaient le tabac, l’activité physique, le niveau d’éducation, l’apport en protéines (associé à un IMC plus élevé) et l’apport en fibres (associé à un IMC plus bas). Il n’y avait pas de différence concernant l’apport en lipides totaux.

En 2006 la même équipe a analysé le gain de poids sur cinq ans chez 21 966 sujets de la cohorte EPIC — Oxford [2]. Le gain de poids était plus bas chez les végétaliens (H 284g — F 303g), chez les consommateurs de poisson (femmes seulement (338g) comparativement aux consommateurs de viande (H 406g — F 423g) alors que le gain de poids moyen pour l’ensemble de la population était de 389 g (H) et 398 g (F).

Dans une étude épidémiologique américaine publiée en 2009 [3] et concernant plus de 15 000 sujets adultes, les gros consommateurs de viande avaient des apports énergétiques beaucoup plus élevés, de près de 700 Kcalories/jour, expliquant l’association positive entre consommation de viande et IMC, tour de taille, obésité (OR 1,27) et obésité centrale (OR 1,33) pour les quintiles de consommation les plus élevés.

 

En 2010 une étude a analysé chez 103 455 hommes et 270 348 femmes de dix pays européens et participants à l’étude EPIC-PANACEA [4], le gain de poids sur cinq ans et son association à la consommation de viande, viande rouge, volaille. La consommation totale de viande était associée au gain de poids chez les hommes et chez les femmes, de poids normal et en surpoids, fumeurs et non fumeurs. Une augmentation de la consommation de viande de 250g/jour (soit 450 Kcal/j) pourrait conduire ainsi à un gain de poids de 2 kg sur cinq ans. Les associations étaient positives pour la viande rouge, la volaille. Les données étaient obtenues après ajustement sur l’âge, le sexe, l’apport énergétique total, l’activité physique, le style alimentaire, l’IMC initial, le niveau d’éducation, la sous- évaluation.

La plupart des études ont donc concerné la comparaison avec des populations végétariennes ou végétaliennes, ce qui va largement au delà de l’apport de viande.

D’ailleurs l’étude EPIC Oxford avait bien montré que l’apport lipidique n’était pas différent, mais que l’apport en fibres était plus élevé chez les végétariens et végétaliens : ceci n’est pas directement imputé à la viande mais au style alimentaire. Bien que les ajustements soient réalisés, il est difficile de prendre en compte tous les facteurs confondants. Mais il apparaît, ainsi que l’étude EPIC Oxford le montre, que ces populations diffèrent à plusieurs égards. Il faut également noter une grande dispersion de la consommation de viande dans l’étude EPIC Panacea allant de 47 à 220 g/j chez les hommes (du 1er au 3ème tertile), ce qui signifie qu’il existe des apports excessifs ne permettant pas de généraliser. D’autre part, l’association entre gain de poids et consommation de viande dans cette étude (g/an pour 100 Kcal/j) n’est observée que dans six pays sur dix ce qui montre qu’elle dépend fortement des styles alimentaires selon les pays. Enfin c’est parce qu’ils mangent beaucoup plus de calories que les autres (du fait de leur style alimentaire), que les gros mangeurs de produits carnés ont un poids plus élevé.

DIABÈTE

Le diabète de type 2 survient dans 80 % des cas en cas d’obésité à prédominance abdominale, survenant notamment en cas de sédentarité et d’une balance énergétique chroniquement positive, et en présence de facteurs génétiques prédisposants. Dix à vingt pour cent des personnes en surcharge pondérale deviendront diabétiques. La maladie comporte deux phases, une phase d’insulino-résistance prédominante réversible ; une phase d’insulino-pénie prédominante plus ou moins précoce.

Plusieurs études concernant le lien éventuel entre consommation de viande et diabète ont été réalisées depuis 2002.

La première étude concerne les professionnels de santé aux États-Unis, auprès de 42 504 hommes de 40-75 ans suivis douze ans [5]. Pour la viande rouge non transformée et la volaille il n’y a pas d’augmentation de ce risque.

 

Dans l’étude des infirmières américaines de 26-46 ans suivies huit ans [6] le risque relatif de survenue du diabète pour une consommation élevée (≥ 5 fois par semaine) de volaille est diminué (0,78).

Dans l’étude EPIC chez 27 548 sujets suivis quatre ans [7] il apparaît qu’un mode alimentaire comportant plus de viandes rouges, de viandes transformées, de fromages, de graisses animales totales, moins de fruits, plus de légumes est associé à un risque accru de survenue de diabète.

En 2006 une étude chinoise chez 70 609 femmes indemnes de diabète initialement et suivies 4,6 ans [8] a montré qu’une consommation plus élevée de viande non transformée (volaille en particulier) était associée à une diminution de survenue de diabète de type 2.

En 2009 une méta-analyse de douze cohortes [9] a montré un risque relatif de 1,17 pour la viande totale, de 1,21 pour la viande rouge, mais les facteurs confondants n’ont pas été tous pris en considération.

En 2010 une revue de la littérature et une nouvelle méta analyse de vingt études [10] n’a pas montré d’augmentation de risque relatif de diabète de type 2 avec la consommation de viande rouge. Certains aspects méthodologiques de cette étude ont été critiqués [11].

Une analyse des trois cohortes américaines (Health Professionals Follow-up Study, Nurses’ Health Study I et II), publiée en 2011 [12] a montré pour chaque cohorte après ajustement pour l’âge, l’IMC, les autres éléments du style de vie et les facteurs de risque alimentaire une association positive entre consommation de viande rouge et risque de diabète de type 2 (p < 0,001). Le HR (Hazard Ratio) « poolé » est de 1,12 (1,08-1,16) pour chaque portion de viande non transformée et de 1,14 (1,10-1,18) pour chaque portion de viande rouge. Une nouvelle méta-analyse auprès de 442 101 sujets montre un HR de 1,19 (1,04-1,37) pour chaque accroissement quotidien de 100g de viande rouge [12].

Au total, l’augmentation du risque de survenue de diabète est inconstante avec la viande rouge et ne semble pas observée pour la volaille dans les pays faibles consommateurs de produits carnés. On invoque le rôle du fer de la viande rouge susceptible d’accroître le stress oxydant lui-même agressif pour les cellules β des ilots de Langherans pancréatiques [13].

RISQUE CARDIO VASCULAIRE

Les maladies cardiovasculaires non infectieuses et non congénitales sont essentiellement représentées par l’athérosclérose.

Les facteurs de risque de l’athérosclérose sont représentés par le tabagisme, les dyslipidémies athérogènes, le diabète de type 2, l’hypertension artérielle, les trois derniers facteurs étant eux-mêmes favorisés par l’obésité mais aussi par des facteurs génétiques. De façon schématique l’athérosclérose est une pathologie inflammatoire et dégénérative des artères de gros et moyen calibre, comportant une accumulation de lipides dans la paroi artérielle au sein des cellules macrophagiques.

Les données épidémiologiques concernant l’athérosclérose sont considérables ; elles font apparaître un rôle modeste de la consommation d’acides gras saturés dans les études les plus récentes [14], bien qu’ils soient un facteur d’élévation du cholestérol plasmatique.

Dans l’étude des sept pays, avec un suivi de vingt-cinq ans [15], la mortalité coronarienne (définie comme une mort subite coronarienne ou un infarctus du myocarde fatal) a montré une association positive avec la consommation de viande.

Chez des Adventistes le risque de mortalité coronarienne était plus élevé (+ 60 %) chez ceux consommant de la viande rouge quotidiennement comparativement à ceux en consommant moins d’une fois/semaine [16].

L’étude CARDIA en 2005 auprès de près de 4 300 sujets de 18 à 30 ans suivis quinze ans a montré que la consommation de viande rouge et de viande transformée est corrélée de façon linéaire au risque d’hypertension artérielle [17].

L’étude grecque CARDIO 2000 est une étude cas-témoin menée, auprès de 848 sujets ayant présenté un syndrome coronarien aigu et de 1 078 témoins [18]. Les sujets atteints consommaient plus souvent de la viande que les témoins (6,5 fi 2,9 vs 4,9 fi 2,1 portions par mois). La consommation de viande rouge est associée à un accroissement de 52 % du risque relatif et la viande blanche à 18 % d’augmentation seulement. Les sujets consommant plus de huit portions de viande rouge/mois et ceux consommant plus de douze portions de viande blanche par mois avaient respectivement 4,9 et 3,7 fois plus de risque de présenter un syndrome coronarien aigu que ceux consommant moins de huit portions respectivement.

Deux autres études cas témoins [19, 20] ont mis en évidence un association entre risque d’infarctus du myocarde et risque de maladie coronarienne et fréquence de consommation de viande.

Toutefois une étude écologique avait montré en 1991 qu’avec la consommation de viande plus élevée en Europe à l’époque, la France avait la plus faible mortalité coronarienne ce qui suggère l’existence de facteurs protecteurs associés [21].

Une méta-analyse récente (2010) de vingt études [10] a montré que la consommation de viande rouge (quatre études) n’est pas associée à un risque accru de maladie coronarienne. La consommation de viande n’est pas associée à un risque accru d’accident vasculaire cérébral.

Une étude britannique [22] analysant les facteurs de risque et la consommation de viande rouge en 1989 et 1999 n’a pas montré d’association avec le cholestérol, la pression artérielle. Seule la combinaison de la consommation de viande et de charcuterie chez les hommes, en 1999, avait un impact sur la pression artérielle dix ans après. La consommation de viande rouge en 1989 est associée au tour de taille en 1999.

 

La consommation de viande semble donc associée à un risque cardiovasculaire accru.

Toutefois aucune étude n’a pu établir, ni de relation de cause à effet directe, ni de responsabilité d’un facteur nutritionnel spécifique propre aux produits carnés.

Certaines données pourraient mettre en cause la contribution des acides gras saturés mais la part fournie par les produits carnés est faible et le rôle des acides gras saturés est aujourd’hui minimisé, en dehors d’excès caractérisés via leur effet sur le cholestérol LDL. Certaines données suggèrent un rôle du fer via son effet pro-oxydant mais ceci n’est pas établi à dose nutritionnelle. Le rôle direct des protéines n’est pas confirmé. Il pourrait s’agir là aussi d’un effet indirect lié au style alimentaire associé à la consommation de viande et de produits carnés, lorsqu’il est trop faible en nutriments protecteurs (fibres, phytoconstituants, antioxydants…). On évoque aussi le rôle intermédiaire des facteurs de risque (obésité, diabète) plus souvent présents chez les gros consommateurs de viande.

C’est donc l’excès et le style alimentaire global qui seraient en cause.

CANCER

Un très grand nombre d’études suggèrent un lien entre consommation de viande et survenue de cancer. Les cancers concernés sont :

— les cancers digestifs et en particulier le cancer colorectal — le cancer du sein — le cancer de la prostate — le cancer du poumon — dans une moindre mesure le cancer de l’ovaire, de la vessie,…

L’implication possible de facteurs alimentaires dans des cancers non digestifs suggère des mécanismes non seulement locaux mais aussi systémiques.

Le rôle de l’alimentation dans la survenue des cancers a été largement discuté dans le rapport 1997 et plus récemment dans le rapport 2007 du comité AICR/WCRF [23]. Nous n’envisagerons que les études publiées après 2007 excepté deux métaanalyses antérieures, principalement pour le cancer colorectal.

Norat et Riboli ont publié en 2002 [24] une méta-analyse avec trente-quatre études cas-témoins et quatorze études prospectives montrant un risque relatif (RR), de cancer colorectal de :

— 1,14 (0,99-1,31) pour le total viande et viande transformée (1 charcuterie).

— 1,35 pour la viande rouge — 1,01 pour la volaille

Ils ont établi une dose réponse avec un RR de 1,12 (0,98-1,30) NS pour 120 g de viande/jour — 1,24 pour 120g de viande rouge/jour — 1,36 pour 30g de viande transformée/jour. À noter dans cette étude chez les Argentins une consommation de viande de 168g/j pouvant expliquer 25 % des cancers colorectaux.

En 2006 Larson [25] a publié une méta-analyse avec dix-huit études prospectives concernant un million de sujets dont 15 % en commun avec l’étude de Norat et a montré des chiffres très proches avec un RR de 1,28 pour viande rouge.

En 2009 Huxley a réalisé une méta-analyse avec cent-trois cohortes [26] : le risque relatif pour la viande rouge était de 1,21. Les autres facteurs de risque étaient représentés par l’obésité (1,41 chez les hommes), l’alcool (RR 1,56), le diabète (1,23), le tabac (RR 1,16), tandis que l’activité physique était associée à une réduction du risque de cancer colorectal (RR 0,81) mais pas la consommation de fruits (RR 0,99 IC 1,90-1,08) ni celle de légumes (RR 0,95 IC 0,88-1,04).

Dans l’étude des infirmières américaines [27] c’est le mode alimentaire global qui a été analysé en 2008, montrant chez 72 113 femmes de 30-55 ans suivies dix-huit ans qu’une alimentation occidentale ( high western pattern ) comprenant viande rouge, viande transformée, céréales raffinées, frites, desserts, sucreries, était associée à un risque de cancer colorectal de 1,46 après ajustement sur l’âge et de 1,16 (IC 1,03-1,30) après ajustement multivarié (p 0,004).

Une autre publication de l’étude des infirmières américaines [28] a montré une réduction du risque en cas d’usage de traitement hormonal substitutif, d’aspirine, d’activité physique et de dépistage, une augmentation en cas d’antécédents familiaux de cancer colorectal, de tabagisme, celui-ci étant associé à une taille plus élevée, une activité physique plus faible, de faibles apports en folates (vit B9) et une consommation quotidienne de viande rouge ou transformée.

Une étude cas-témoin récente en Italie avec 20 000 cas et 18 000 témoins [29] a confirmé le rôle d’une consommation élevée de viande comparativement à une consommation basse (≥ 7 fois/semaine / I 3 fois/semaine) avec un RR de 2,0 pour le colon et 1,9 pour le rectum. Elle a aussi mis en évidence le rôle bénéfique de certains facteurs protecteurs légumes, fruits, poisson, whole grain , huile d’olive, calcium,

Vit D.

L’étude NIH-AARP aux USA auprès de 293 615 hommes et 195 767 femmes [30] a montré un risque relatif de cancer colorectal de 1,14 (non significatif) chez les hommes, et de 1,48 (significatif) chez les femmes pour la consommation de viande rouge.

En Uruguay où la consommation de viande est très élevée une étude cas-témoins [31] a montré un risque de cancer colorectal de 3,83 (RR 2,37-6,20) associé à la consommation de viande totale.

Dans une très vaste cohorte de 545 643 personnes de 50-71 ans suivies dix ans aux USA publiée en 2009 [32] la consommation de « viande rouge » (bœuf et porc) était associée (HR) à une mortalité par cancer accrue (H 1,22-F 1,20), alors que le risque était diminué pour la viande blanche (H 0,84-F 0,89).

 

Concernant les adénomes colorectaux l’étude EPIC Heidelberg chez 25 540 sujets (516 adénomes colorectaux) [33] a montré une augmentation du risque en cas d’apports élevés en amines hétérocycliques (Ph IP RR 1,47 pour les petits adénomes et adénomes distaux), de consommation de viande bien cuite (RR 1,36 p. 0,04), mais pas pour la consommation de viande rouge et transformée (p = 0,07). (Une revue de littérature avait montré une augmentation du risque de cancer colorectal en cas de consommation de viande « bien cuite » dans 15 études). Dans l’étude EPIC Heidelberg un apport faible en flavonols (polyphénols) augmentait nettement l’effet d’un apport élevé de PhIP, le risque relatif passant de 1,47 à 1,76.

Une autre étude [34] a été réalisée chez 807 femmes asymptomatiques chez lesquelles 158 adénomes colorectaux ont été découverts lors d’une coloscopie, a montré une augmentation du risque d’adénomes colorectaux en cas de consommation élevée de viande rouge (OR 2,02), de viande cuite à la poêle (OR 1,72), d’apport élevé d’amines hétérocycliques (MeIQx) (OR 1,90), mais ni de fer ni de fer héminique.

(Plusieurs études épidémiologiques sont aussi en faveur du rôle de la consommation de viande grillée ou bien cuite dans le cancer du sein [35]).

La consommation de viande en particulier de viande rouge, mais pas celle de volaille, est donc associée à une augmentation modérée du risque de cancer colorectal.

Il faut souligner le fait que le terme viande rouge aux États-Unis concerne toutes les viandes excepté la volaille, ce qui est donc très différent de la signification française, où ce terme concerne la viande de boeuf et d’agneau.

En 2007 la consommation de viande de boucherie était de 46 g/ j (42g étude CCAF — 53g (étude INCA2) par adulte en France ce qui permet d’extrapoler en utilisant les courbes de Norat [24] un RR de 1,10 pour la viande « fraîche » et de 1,25 pour la charcuterie, ce qui est effectivement faible mais n’est pas nul.

Cette augmentation est calculée statistiquement par rapport au plus bas quintile ou quartile ou tertile ; à consommation égale de facteurs protecteurs. Une consommation élevée de facteurs protecteurs (fibres, calcium, polyphénols, vitamine E…) atténuera beaucoup ce risque : par exemple dans l’étude EPIC consommer 30 g de fibres par jour au lieu de 15 g est associé à une réduction de 30 % du risque de cancer colorectal (RR = 0,7) [36].

Ce sont les gros consommateurs réguliers qui sont réellement à risque, d’autant plus qu’il y a d’autres facteurs associés (surpoids, sédentarité, tabac, alcool, antécédents familiaux) et qu’il n’y a pas de facteurs protecteurs, notamment alimentaires en distinguant alcool et vin, puisque ce dernier, riche en polyphénols est protecteur.

En terme d’hypothèse mécanistique on peut exclure le rôle spécifique des graisses saturées et des protéines. L’apport lipidique total joue peut-être un rôle via l’augmentation des acides biliaires secondaires mais ce sont d’une part le fer héminique, d’autre part les NOC ( N-Nitroso Compounds ) et les composés néoformés issus de la cuisson (amines hétérocycliques, hydrocarbures aromatiques polycycliques) qui semblent plus en cause avec sans doute un effet synergique.

 

En terme de recommandation, le WCRF avait recommandé en 2007, pour les consommateurs de viande, moins de 500 g de viande rouge cuite / semaine (soit moins de 700 g de viande rouge crue), soit 70 g de viande rouge / jour : il est clair que la consommation moyenne en France est inférieure à ce seuil (qui lui-même peut être atteint en consommant de la viande rouge à raison de 150 g trois fois par semaine).

Un niveau de 300 g par semaine a été avancé pour l’ensemble de la population. Il n’y a pas de telles recommandations pour les autres viandes (viande blanche, volaille) qui, bien que moins riches en fer, peuvent comprendre autant ou plus d’amines hétérocycliques.

Les études de l’INRA [36) et de Cross [37] suggèrent à travers des travaux expérimentaux menés chez l’animal, un rôle des NOC et des processus d’oxydation (pour la charcuterie) et un rôle du fer héminique. Les données s’accumulent chez l’homme mais il s’agit encore de données indirectes ; la prudence s’impose cependant.

CONCLUSION • En terme de risque d’obésité, de diabète, de MCV, deux facteurs apparaissent déterminants :

— une consommation excessive de viande est associée à un risque accru, en notant le fait que cette consommation excessive est le fait de gros mangeurs ce qui explique que l’on ne peut dissocier ce fait de l’excès calorique, lipidique ou protidique, — c’est le mode alimentaire global et le style de vie associés à la consommation de viande, qui peut être favorable (facteurs protecteurs) ou défavorable. Il apparaît cependant qu’une consommation plus faible est plus souvent observée chez des personnes ayant un style alimentaire associé considéré comme plus favorable (style méditerranéen …).

• En terme de cancer :

— La quantité est aussi fondamentale et il faut cibler les 25 % des sujets consommant plus de 70 g de viande par jour.

— L’ensemble du mode de vie et du mode alimentaire joue un rôle majeur et les recettes culinaires traditionnelles sont intéressantes de ce point de vue, en focalisant sur l’intérêt des fibres, des polyphénols et du calcium.

— Le mode de cuisson (composés néoformés) pour la viande est un facteur important. Des conseils culinaires peuvent être prodigués.

— La composition propre de la viande concerne éventuellement le rôle du fer héminique. Des recherches doivent être poursuivies pour affirmer sa responsabilité chez l’homme à dose nutritionnelle, et pour déterminer comment en atténuer les effets.

 

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DISCUSSION

M. Claude JAFFIOL

Vous avez montré une augmentation de fréquence des accidents cardiovasculaires chez les consommateurs de charcuterie. Parmi les facteurs confondants, pouvez-vous préciser le rôle du sel et des additifs ?

La charcuterie ne contient pas d’autres additifs que ceux autorisés par le code des usages.

Les nitrites en particulier sont nécessaires pour des raisons microbiologiques : leur teneur est la plus faible possible pour concilier sécurité sanitaire et santé. Ils n’ont aucun impact négatif en terme de risque cardiovasculaire. Le sel est aussi un additif indispensable sur le plan microbiologique dans de nombreuses charcuteries : il a en outre un intérêt technologique et organoleptique. Sa consommation excessive favorise la survenue de cancers gastriques et de maladies cardiovasculaires (hypertension). Le sel de la charcuterie ne représente que 11 % des apports quotidiens en France. La profession a fait des efforts importants depuis quelques années et la teneur en sel des charcuteries a diminué en moyenne de 10 % en dix ans. Mais c’est l’ensemble de l’alimentation (sel rajouté à table et lors de la cuisson, sel caché) qui doit être pris en considération pour la question du sel.

Heureusement nous sommes très loin des apports considérables observés (deux à trois fois ceux des français) dans le nord du Japon où les accidents vasculaires cérébraux étaient très fréquents.

 

<p>* Nutrition, Institut Pasteur de Lille, 1, rue du Professeur Calmette — 59019 Lille cedex, e-mail : jean-michel.lecerf@pasteur-Lille.fr Tirés à part : Professeur Jean-Michel Lecerf, même adresse. Article reçu le 7 octobre 2011, accepté le 14 novembre 2011</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, no 8, 1801-1812, séance du 15 novembre 2011