Séance des membres correspondants de la 1re division
Organisateur : Yves de PROST
Introduction : Histoire des anticorps thérapeutiques. Yvon LEBRANCHU, Tours
Résumé :
Les médicaments biologiques (ou biothérapies) ciblant un antigène spécifique ont fait l’objet d’innovations thérapeutiques majeures dans les 130 dernières années. Les sérothérapie découvertes à la fin du 19ème siècle en France, puis en Allemagne, ont permis de traiter la diphtérie (von Behring, Nobel 1901), puis, avec Emile Roux et des anticorps polyclonaux, de prévenir ou traiter des maladies infectieuses (tétanos, rage, …). En 1975 Kolher et Milstein (Nobel 1984) découvrent une technique permettant de produire des anticorps monoclonaux (MAB pour monoclonal antibody) d’abord murins, puis chimériques, enfin humanisés mieux tolérés, de plus en plus spécifiques d’un antigène. Le rôle des cytokines, TNF, IL-6, IL-17, … est identifié dans les maladies inflammatoires et des MAB spécifiques, inhibiteurs ou stimulants, sont produits en grand nombre dans les années 2000. La découverte de MAB restaurant la réponse immunitaire contre les cellules tumorales (anti CTLA-4 et anti PD-1) par Allison et Honjo (Nobel 2018) modifie profondément la thérapeutique du cancer.
Communications
Cibles des biothérapies au cours des maladies inflammatoires. Pierre MIOSSEC, Lyon
Résumé :
Les maladies inflammatoires peuvent, tout particulièrement, avoir une expression clinique articulaire [polyarthrite rhumatoïde (PR), rhumatisme psoriasique (RP), spondylarthrite ankylosante (SPA)], cutanée (psoriasis), ou digestive (maladie de Crohn). Les mécanismes physiopathologiques de ces maladies font intervenir des dysfonctionnements des cytokines (TNF, interleukines Il-6, IL-17) et des lymphocytes T et B, avec des signes généraux (fièvre, troubles hépatiques, complications cardio-vasculaires), et locaux (destructions articulaires, perforations intestinales, …). Le TNF est impliqué dans toutes ces maladies et ses inhibiteurs toujours utilisés, avec un risque sur la formation de granulomes et la survenue de tuberculose grave. Les MAB anti IL-6 sont utilisés uniquement dans la PR et les anti IL-17 le RP, la SPA et le psoriasis. Les inhibiteurs de lymphocytes T et B sont indiqués principalement dans la PR. La réponse à ces biothérapies est hétérogène d’un malade à l’autre et justifie la poursuite de recherches de traitements plus personnalisés.
Traitements biologiques des rhumatismes inflammatoires chroniques : Résultats cliniques. André KAHAN, Paris
Résumé :
Le traitement de la polyarthrite rhumatoïde (PR) depuis les années 1980 comprenait souvent une trithérapie : méthotrexate +sulfasalazine +hydroxychloroquine, peu coûteuse, dont la tolérance était globalement bonne et le score de réponse au critère d’arthrite (ACR) moyen, sans rémission de la maladie. Pour les patients ne répondant plus aux traitements classiques le pronostic a été considérablement amélioré au cours des deux dernières décennies par les traitements biologiques « de fond ». Pour la PR, anti TNFa, inhibiteur de l’IL-6, blocage des lymphocytes T, déplétion des lymphocytes B sont utilisés avec un pourcentage de patients « répondeurs » variant de 54% à 74%. Mais l’objectif de rémission ou de faible activité est loin d’être atteint pour la majorité d’entre eux. Dans des études contre placebo une « amélioration » est observée dans 8% à 37% des cas selon l’un des huit produits testés. Les rares études comparant deux biothérapies associées au méthotrexate ne montrent pas de différence significative.
Le traitement du rhumatisme psoriasique (RP) fait d’abord appel aux médicaments classiques, méthotrexate et sulfasalazine. Les biothérapies ciblant le TNF sont efficaces et un monoclonal inhibiteur commun des cytokines IL-12 et IL-23 et un autre pour l’IL-17A permettent l’obtention d’ une réponse chez 44% à 54% des patients.
Le traitement de la spondylarthrite ankylosante axiale (SPA) bénéficie d’anti-inflammatoires non stéroïdiens. Les patients ayant des troubles persistants, avec des marqueurs d’inflammation élevés, des signes de sacro-iliite, peuvent être traités par les inhibiteurs de TNF (efficacité 60%), ou des monoclonaux anti-IL-17A (60% de répondeurs).
Les effets indésirables des anti TNF sont dominés par le réveil d’une tuberculose grave et plus rarement d’autres infections bactériennes ou virales opportunistes. Les inhibiteurs de l’IL-17 peuvent favoriser la survenue de mycoses (candidoses).
Des progrès remarquables ont été obtenus par le développement des nombreuses biothérapies, en particulier dans les PR, avec une efficacité importante et une sécurité satisfaisante. Les premiers biosimilaires sont devenus disponibles, permettant de diminuer le coût élevé de ces médicaments. De nouvelles biothérapies sont en cours de développement avec l’objectif d’améliorer la tolérance, et d’optimiser l’efficacité, en particulier le pourcentage de patients avec rémission ou « faible activité » de la maladie.
Thérapeutiques ciblées dans les maladies inflammatoires cutanées. Hervé BACHELEZ, Paris
Résumé :
Le psoriasis est une pathologie inflammatoire chronique dont la prévalence est estimée en France à environ 4% de la population générale. Les lésions érythémateuses, squameuses, prurigineuses, et ses formes diffuses, sévères, nécessitent le recours précoce, aux traitements systémiques. Longtemps limité aux photothérapies, au méthotrexate, à la ciclosporine, le traitement s’est enrichi de l’arrivée des inhibiteurs du TNF, puis de molécules inhibant l’IL-12 et l’IL-23, enfin des anti-IL-17. Plus récemment, le développement de biothérapies ciblant spécifiquement l’IL-23 permet d’entrevoir des progrès supplémentaires dans le contrôle à long terme de la maladie. Mieux encore, les anti IL-17A et IL-17RA ont montré des niveaux d’efficacité élevés, avec jusqu’à 90% des malades améliorés de 75% ou plus sur le court terme. Mais un anticorps humanisé anti-CD11a qui avait obtenu un agrément dans le psoriasis modéré-à-sévère a fait l’objet d’une décision de retrait en 2009 du fait de cas de leucoencéphalopathie multifocale progressive (LEMP). Il faut ajouter l’arrêt en phase III d’un autre anticorps humain anti-IL12/23p40 au vu de l’émergence d’évènements cardiovasculaires ischémiques majeurs. A côté des biothérapies ciblées, de « petites molécules » immunosuppressives de synthèse ont été identifiées, dont l’apremilast, agréé dans l’indication du psoriasis modéré-à-sévère après échec des traitements conventionnels. Mais il n’est que modérément actif et génère des troubles neuropsychiques, avec changements d’humeur, idées suicidaires. D’autres « petites molécules », ayant fait l’objet d’un développement dans le psoriasis en plaques, sont des inhibiteurs de janus kinases (Jaks). Le tofacitinib, qui inhibe préférentiellement Jak1 et Jak3, et donc la production de cytokines inflammatoires, a montré une non-infériorité en termes d’efficacité par rapport à l’étanercept. Mais la survenue de cas d’infections opportunistes graves a empêché son agrément.
La dermatite atopique modérée-à-sévère de l’adulte est la deuxième grande indication en dermatologie inflammatoire des biothérapies ciblées. Le dupilumab, anticorps monoclonal réagissant au récepteur commun à l’IL-4 et à l’IL-13, a montré une efficacité remarquable dans les formes modérées à sévères, avec 36% des malades « blanchis ou quasiment blanchis ». Des « petites molécules », correspondant à des inhibiteurs de Jak1 et Jak2, comme le baricitinib donnent aussi des résultats prometteurs en termes d’efficacité.
Dans la pelade et le vitiligo des études sont en cours avec plusieurs inhibiteurs de janus kinases, avec des résultats intéressants.
Les biothérapies et les « petites molécules » ont permis une diversification de l’arsenal thérapeutique, et d’offrir ainsi de nouvelles perspectives de contrôle de la maladie pour des malades en impasse thérapeutique sous stratégies conventionnelles. Une meilleure définition des algorithmes thérapeutiques est souhaitable, basée notamment sur les profils d’efficacité et de tolérance en vie réelle. Mais, les coûts directs de ces nouvelles molécules et leur nombre croissant ne sont pas sans conséquence au niveau sociétal.
Effets endocriniens et métaboliques des immunothérapies anticancéreuses (d’après les recommandations de la société française d’endocrinologie) Jean-Louis WEMEAU, Lille, Xavier BERTAGNA, Christian BOITARD, Paris
Résumé :
Les inhibiteurs du point de contrôle de l’immunorégulation sont utilisables dans les tumeurs non guéries par la chirurgie comme les mélanomes, les cancers pulmonaires et rénaux métastatiques. Leurs effets indésirables sur le système endocrinien et métabolique sont parmi les plus fréquents, de présentation trompeuse, invalidants : thyropathies, hypophysites, surrénalites auto-immunes, diabète sucré souvent à forme fulminante. En préciser la fréquence, le mécanisme, la prise en charge, et la surveillance est une nécessité. Ces effets endocriniens indésirables ne contre-indiquent pas la prolongation de l’immunothérapie.
Conclusion : Yves de PROST, Paris
Les biothérapies témoignent de progrès majeurs dans la connaissance de l’immunologie, mais
– L’efficacité sur les symptômes est limitée dans le temps et la guérison n’est pas encore obtenue ;
– Des effets indésirables surviennent, notamment des infections opportunistes ;
– Le coût des traitements est élevé mais devrait baisser.