Publié le 21 janvier 2003
Éloge

Pierre LEFEBVRE

Éloge de Monsieur Hugues Gounelle de Pontanel (1903-2001)

Pierre LEFEBVRE

Dans quelques jours, le professeur Hugues Gounelle de Pontanel aurait eu cent ans.

En ce siècle d’existence il vécut les deux guerres mondiales, assista au bouleversement des États, des sociétés et des mœurs. Il participa à l’essor prodigieux de la Médecine. Son nom reste attaché aux aspects scientifiques de la Nutrition.

Hugues Gounelle vit le jour le 27 février 1903, à Châteauroux où son père, pasteur de l’Église réformée, exerçait son ministère. Ses aïeux, gentilshommes huguenots, cévenols de race et de conviction, avaient servi Rohan dans le Languedoc et Soubise sous La Rochelle. Plus haut dans le temps, l’un d’eux avait été premier médecin de François 1er, un autre premier consul d’Uzès. Au 18ème siècle, un chevalier Gounelle, officier du régiment de Foix, avait été décoré de la croix de Saint-Louis. Le nom de Pontanel — qu’il releva et auquel s’attacha un titre de marquisat — vient d’une propriété que sa famille possédait à Uzès.

Hugues Gounelle effectua sa scolarité d’abord au lycée de Châteauroux, puis au collège Saint-Joseph d’Arras. De son éducation première, familiale et scolaire, tout à la fois protestante, catholique, laïque, il devait garder cette vertu majeure qui a nom « esprit de tolérance ». Monsieur Gabriel Blancher quand il fit part à notre Compagnie de sa disparition, parla de « sa foi chrétienne profonde, très ouverte et œcuménique ».

1918. La Grande Guerre se termine. Hugues Gounelle a quinze ans. Son frère aîné, Jean, ancien élève du Prytanée militaire de La Flèche, a fait partie de la promotion des Saint-Cyriens de « La Grande Revanche », qui avaient fait le serment de monter à l’assaut « en casoar et en gants blancs ». C’est à côté de ce frère admiré, qui fut blessé à Perthes-les-Hurlus et décoré d’une des premières croix de guerre, qu’il assista, le 14 juillet 1919, au Défilé de la Victoire. On imagine l’ineffable enthousiasme qui emplit la poitrine de l’adolescent.

A son tour, Hugues Gounelle entrait au Prytanée militaire, dans la classe de mathématiques élémentaires. Il était devenu un Brution, nom de ralliement qui confère à tout élève de l’école une légitime fierté. Il recevait le matricule 8531 de la série A. Pour être sévère, la discipline ne s’accompagnait en aucune façon de brimades. L’austérité de l’internat était tempérée par l’agrément de sorties dans la campagne avoisinante. La Flèche est une petite ville de l’Anjou, au cœur de la vieille France, nichée aux pieds de coteaux boisés, auprès du Loir paisible que chanta Ronsard. L’air est doux, et les gens sont affables.

Le jeune Brution fut heureux. Il gardera à jamais l’orgueil de son école. Il y puisera aux heures sombres sa force de caractère et son courage. Dans les allées ombrées de son parc séculaire où tout est ordre et clarté, son esprit s’imprégna de logique, de mesure, du respect de la forme. N’est-ce pas là ce qu’avaient voulu les Pères Jésuites quand Henri IV leur confia — il y a juste quatre cents ans — l’éducation d’enfants promis au service de la France ? A cette mission première, jamais l’école n’a dérogé, quels qu’aient pu être les changements de régime, quelles qu’aient pu être ses appellations successives. Elle a formé dix-huit maréchaux, depuis le comte de Guébriant — condisciple de René Descartes et de Marin Mersenne — tué à Rotweil en 1643, et Berwick tué au siège de Philippsburg en 1743, jusqu’à Joseph Gallieni.

Elle compta dans ses rangs le prince Eugène, Théophile Malo Coret de La Tour d’Auvergne, Premier Grenadier de la République, tombé à Oberhausen le 27 juin 1800, et Aubert Dupetit-Thouars qui, le 1er août 1798, à Aboukir, les deux jambes emportées par un boulet, refusa d’amener son pavillon et s’abîma dans les flots à la dunette de son bateau, le Tonnant . Le martyrologe gravé dans le marbre du péristyle de la cour d’honneur est un lieu de méditation. Peu de Brutions n’y retrouvent le nom d’un père, d’un frère, d’un camarade. Le drapeau du Prytanée porte, agrafées à sa Légion d’honneur, les trois Croix de guerre.

En 1921, Hugues Gounelle était admis à l’École du Service de Santé militaire de Lyon. Il se faisait détacher à la Faculté de Médecine de Strasbourg où il devenait interne des hôpitaux et acquérait une licence ès-sciences. En 1927, il soutenait sa thèse, consacrée aux Avitaminoses, puis il accomplissait son stage d’application au Val-de-Grâce. Il s’y faisait distinguer par le professeur Pilod, qui deviendra membre de notre Compagnie. A l’issue de ce stage — classé major — il se faisait affecter à Strasbourg au 1er régiment du génie et à l’infirmerie de garnison, ce qui lui permettait en même temps de poursuivre son internat. Le doyen Prosper Merklen qui l’a apprécié, et qui sera son véritable maître, le prend comme chef de clinique. Avec lui, il présentera ses premières communications, devant la Société médicale de Stras- bourg, la Société médicale des hôpitaux de Paris, la Société de Médecine militaire.

Parmi ces communications, il en est une dont le titre m’a frappé, non qu’il révolutionnât la médecine, mais parce qu’il évoque un aspect de la médecine militaire, bien banal à l’époque, mais qui a disparu : « Fermeture des maisons closes et maladies vénériennes. Constatations d’un médecin de régiment ». C’était le temps de « l’armée de Grand-Papa » ; d’accueillantes maisons entrouvraient leurs portes aux tourlourous impatients et farauds. L’appel sous les drapeaux avait valeur de passage initiatique. Le service militaire — tout au moins dans sa forme traditionnelle — n’existe plus, et même s’il existait encore, il y a belle lurette que les garçons et les filles n’attendraient plus l’âge de la conscription pour jeter leur bonnet par-dessus les moulins.

Nonobstant, le médecin lieutenant Gounelle suit l’enseignement des prestigieux patrons strasbourgeois : Ancel, Aron, Ambert, Barré, Leriche, Nicloux, Oberling, Pautrier, et de Robert Courrier, André Benoît, Jean Roche, qui, tous les trois, entreront à l’Académie de Médecine et à l’Académie des Sciences. En 1935, il décide de venir à Paris afin de suivre les cours de l’École supérieure de Guerre et de préparer le concours d’agrégation du Val-de-Grâce. Il se fait affecter au 11ème de cuirassiers, ce qui lui vaudra d’être chargé du suivi médical des souverains britanniques quand ils viendront à Paris en visite officielle, au mois de juillet 1938. Cette même année, il est reçu à l’agrégation du Val-de-Grâce dans la Chaire d’Hygiène et Prophylaxie, devant des camarades qui ne sont autres que Roger Sohier et Eugène Aujaleu, ce qui donne une idée de la hauteur du concours. Il est vrai qu’il a été préparé par Noël Fiessinger, Pierre Abrami et Pierre Mollaret, le président du jury étant Paul Harvier.

Le jeune professeur se voit confier le service de 3ème médecine au Val-de-Grâce. Il y donne tout de suite sa mesure : il fait adopter la chloropicrine pour la désinsectisation des locaux à la place du gaz sulfureux jusque-là utilisé ; il attire l’attention sur les complications des vaccinations ; il renforce les mesures contre l’alcoolisme et les maladies vénériennes ; il identifie la myocardite alcoolique et montre qu’elle est sensible à la vitaminothérapie B1.

Le 2 septembre 1939, le canon tonne. Le médecin capitaine Gounelle rejoint l’état-major de la 1ère armée afin d’y diriger le 4ème bureau auquel l’a préparé son stage d’organisation sanitaire à l’École de guerre. Il met à profit l’attente de « la drôle de guerre » pour monter la logistique sanitaire en prévision de l’affrontement.

Le 10 mai 1940, la Wehrmacht attaque. Dans les Flandres embrasées, les armées alliées combattent pied à pied, sous les coups de boutoir des Panzers et les piqués de Stukas, dans l’encombrement des routes, l’exode des populations civiles, les destructions. Le médecin capitaine Gounelle improvise des moyens d’évacuation de fortune. Maître de lui, lucide, il révèle ses qualités de chef. Dunkerque ! au cours de l’opération Dynamo, il parvient à embarquer 500 blessés sur une barge anglaise qu’il a réquisitionnée d’autorité. Il ne partira sur un contre-torpilleur français qu’à l’ultime moment. A peine le pied posé sur le sol anglais, il revient en France poursuivre le combat. Il débarque à Brest. Dans le premier bistrot ouvert, hâtive- ment, sur un coin de marbre, il jette quelques mots destinés à sa tante. La feuille est à l’en-tête : « La Brasserie de la Marine. Place Wilson. Brest » avec, en dessous :

« Bar-Dancing-Soupers, ouvert jusqu’à 3 heures ». L’écriture est à l’encre violette.

La lettre porte la date du 4 juin 1940. L’armistice n’est pas signé. Lettre d’anthologie. Admirable. Souffrez que je vous en lise un extrait. Avec l’autorisation familiale, photocopie du document sera déposée aux archives de l’Académie nationale de médecine, et aux archives du Musée du Service de Santé des Armées, au Val-deGrâce.

« Me voilà débarqué à Brest depuis une heure. Je repars dans trois heures. Tu es la seule personne de ma famille à qui je puisse donner de mes nouvelles puisque je n’en ai plus depuis un mois. Car je ne sais où est Maman ? Henri ? Sont-ils restés à Berck ? Ont-ils pu partir ? Et Jean ? J’ignore où ils peuvent être.

« Je sors d’un enfer de feu et de flammes. Sois persuadée, ma chère Tante, que j’ai fait mon devoir. Je suis resté le dernier de tous… Je devais monter sur un torpilleur à Dunkerque ; il venait d’être coulé une heure avant ; j’en ai pris un second sous le feu des canons allemands et de l’aviation qui juste mitraillait et bombardait. Six bombes sont tombées à moins de cinquante mètres, mais nous ont ratés. Nous avons filé à toute vitesse. Autour de nous, trois bateaux brûlaient et coulaient… Arrivé en Angleterre, j’ai repris un bateau pour filer sur Cherbourg, mais près de l’arrivée, le capitaine a été avisé que des avions boches avaient posé des mines. Nous avons été obligés de reprendre la haute mer et d’arriver à Brest.

« Mais tout cela ce n’est rien. Si tu savais tout ce que nous avons dégusté comme bombardements à Dunkerque et à Malo-Les-Bains. Le premier bombardement a duré deux heures avec 2 000 bombes dont la plupart incendiaires. Pas une maison ne reste debout à Dunkerque. Le port est totalement en ruines et quand même on continue à se battre tout autour pour évacuer tous les hommes possibles. On embarque sur la plage avec des barques qui rejoignent le large. Il faut entrer avec de l’eau jusqu’aux aisselles. Quant aux affaires personnelles, tout est perdu. Je rentre avec comme seul bagage la clé de ma cantine. Mes travaux personnels scientifiques, livres, ont brûlé. Plus rien.

« Si je te donne ces détails, ma chère Tante, c’est que je sais qu’ils t’intéresseront ? Et puis, dans quelques jours je n’aurai plus le courage de te raconter tout cela. Les visions d’horreur devront être oubliées pour recommencer la lutte. Mais ces cortèges de réfugiés mitraillés par des avions boches, le sang répandu, ce sang d’un petit enfant avec le crâne ouvert que je ne pouvais abandonner, bien que je ne devais m’occuper que des militaires ! Quelle horreur ! Ma vareuse souillée de sang et de la boue des blessés. Quelle vie d’enfer, sans eau potable depuis huit jours, sans sommeil. Mais une chose consolante. Nous avons travaillé et, quant à moi, avec mon général, nous n’avons laissé aucun blessé évacuable dans les mains des Allemands, et les hôpitaux de Mons, Maubeuge, Valenciennes, Saint-Quentin, Cambrai, ne leur ont donné aucun prisonnier. Nous avons tout évacué et, de Dunkerque, j’ai évacué près de 3 000 blessés par bateaux… »

Le médecin capitaine Gounelle était cité au feu, promu au grade de médecin commandant, proposé pour la Légion d’honneur.

L’armistice est signé. Le professeur Gounelle rejoint le Val-de-Grâce, juste pour se trouver aux prises avec une grave épidémie de dysenterie bacillaire, qu’il parvient à juguler par les sulfamides et la correction des troubles hydro-électrolytiques. Malgré la tristesse de l’heure, il garde confiance en l’avenir, et d’autant plus qu’il trouve le bonheur en épousant une jeune infirmière de la Croix-Rouge, Mademoiselle Jeanne Gamas, fille d’un officier de marine qui s’était distingué à Dixmude avec les fusiliers marins de Ronarc’h, et qui sera grand Croix de la Légion d’honneur. Elle aussi décorée de la croix de guerre.

Soudain, sa carrière va changer. Son maître, le professeur Félix Codvelle, l’appelle.

Il s’agirait de diriger la participation française à l’étude des problèmes alimentaires dans le monde que la Fondation Rockefeller a inspirée. Il accepte. Mais devant l’ampleur de la tâche à accomplir — et afin de pouvoir s’y consacrer complètement — il sollicite, en 1941, son admission dans le cadre de réserve de l’armée. On peut être persuadé que sa décision n’a pas été prise sans déchirement de cœur.

Le Centre de Recherches sera d’abord installé au Val-de-Grâce, puis à l’annexe de la Faculté des Sciences, boulevard Raspail, enfin dans les locaux de la Faculté, grâce à l’intervention du recteur Sarrailh. Dès le début, il rencontre des difficultés de fonctionnement car, si les deux premières années il reçoit l’aide de la Fondation Rockefeller, cette aide va se tarir. Des subventions de l’Institut National d’Hygiène et de l’Institut de la Santé et de la Recherche Médicale ne couvrent qu’en partie les dépenses. Pourtant des travaux fondamentaux vont voir le jour. Ils ont trait à la pathologie due en ces années de disette à la restriction alimentaire. En 1941, Hugues Gounelle, Yves Raoul, Jean Marche, publient les résultats de la première grande enquête française. Ils démontrent l’importance des facteurs protidiques dans les œdèmes de carence. Ils étudient le rôle des vitamines : avec Raoul celui de la vitamine A ; avec Valette, celui de la vitamine C ; avec Mande, celui de la vitamine PP.

Au printemps 1945, la fin des hostilités ouvre les camps de prisonniers, déversant le flot de leurs misères sur le sol français. Surgis de l’horreur, les Déportés portent en eux leur mort vivante. C’est à l’honneur du corps médical dans son ensemble que d’avoir réussi à mettre sur pied en un temps record une chaîne d’évacuation, d’accueil et de traitement. Comment ne pas citer ici, mes chers Confrères, deux des nôtres de grande mémoire : Louis Justin-Besançon et Pierre Bourgeois, qu’Henri Frenay, chef de la Mission de Rapatriement sanitaire, avait su s’adjoindre ?

Au professeur Gounelle sont confiés deux services organisés pour les Déportés : l’un au Val-de-Grâce, l’autre à l’hôpital Broussais. Il y étudie les états de dénutrition extrême, et leurs complications par la tuberculose, les comas hypoglycémiques, les infections intercurrentes. Charles Richet, lui-même déporté, les décrira dans l’Univers concentrationnaire.

Le Professeur Gounelle est alors accueilli pour ses recherches à l’hôpital de la Fondation des médaillés militaires, l’Hôpital Foch de la rue Vergniaud que dirige le

Professeur Maurice Sureau. Ce sera là l’origine de la dénomination « Centre de recherche Foch » qui s’attachera désormais à son laboratoire.

Les difficultés rencontrées par le Centre Foch ne s’arrêtent pas avec la paix retrouvée. Elles dureront longtemps. En 1960, le Centre deviendra autonome et fonctionnera comme une association de type 1901. Ses chercheurs travailleront le plus souvent dans le bénévolat. Claude Boudène, qui vient d’être élu à la Vice-Présidence de notre Compagnie, alors agrégé du professeur Truhaut, les rejoindra. Il deviendra le disciple du professeur Gounelle. Mieux que personne, il vous aurait parlé de ces temps féconds et difficiles, s’il ne m’avait confié l’honneur de prononcer cet éloge. Il vous aurait dit comment son Maître rejeta le pont d’or que lui faisaient les ÉtatsUnis d’Amérique pour aller travailler dans leurs laboratoires, et comment, fidèle à ses aïeux qui refusèrent de s’exiler après la Révocation de l’Edit de Nantes — à l’encontre de 240 000 protestants — il ne quitta pas la mère Patrie.

En 1946, le Professeur Gounelle est entré au Conseil de Coordination des Études et Recherches sur la Nutrition du CNRS, qu’a créé son maître strasbourgeois, le professeur Terroine. Il représente la France aux commissions interalliées de nutrition en Allemagne. Il préside la commission interministérielle de produits diététiques et de régime, ainsi que la section alimentaire au Conseil Supérieur d’Hygiène.

Sa notoriété a dépassé les frontières. En 1952, il devient consultant d’hygiène pour les Nations Unies, se voit confier des missions dans le Tiers Monde au titre de l’Organisation Mondiale de la Santé. Il préside la commission des produits diététiques de la Communauté européenne à Bruxelles. Il fonde des Instituts de la Nutrition à Bagdad, au Gabon, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, aux Indes, dans les Territoires du Pacifique Sud.

Le Professeur Gounelle n’en poursuit pas moins ses recherches et son enseignement : à l’hôpital Foch jusqu’en 1954, à celui d’Arpajon jusqu’en 1971. A ses collaborateurs du début se sont joints Christiane Gulat-Marney, Jean Vigne et Monique Astier-Dumas dont il dira avec affection l’intimité intellectuelle qui était la leur. Il étudiera l’anémie nutritionnelle du vieillard, dont il décrira la parotidite de carence, les besoins alimentaires de la femme enceinte, ceux des travailleurs, des sportifs, des enfants d’âge scolaire, insistant sur l’importance du petit déjeuner, sur l’éducation sanitaire. Il s’intéressera au pain, au lait, au beurre, à l’huile d’olive, au soja, aux épices, ainsi qu’aux techniques de conservation des aliments et aux procédés de culture.

L’œuvre écrite du professeur Gounelle a commencé très tôt. En 1937, il rédigeait pour l’ Encyclopédie médicochirurgicale le chapitre consacré au rein ; avec Noël

Fiessinger celui des maladies d’actualité ; avec Charles Richet celui des régimes dans les maladies de l’adulte. La guerre n’arrêta pas ses publications. En l’année 1940, malgré la bataille, la débâcle, l’Occupation, il ne présenta pas moins de huit communications devant la Société médicale des Hôpitaux de Paris. Il entre dans son conseil d’administration en 1942, et sera de ceux qui maintinrent aux jours sombres la flamme de la science médicale française.

 

Parmi les ouvrages parus en librairie, il convient de citer aux Editions Foucher, la collection consacrée aux « Professions médicales et sociales », et celle « Savoir interpréter » aux Éditions de Visscher à Bruxelles et Maloine à Paris.

Médecine préventive et Hygiène , tiré à 130 000 exemplaires, a été traduit en anglais, en allemand, en espagnol, en roumain, en japonais. La revue

Médecine et Nutrition , aux Editions de la Simarre, a permis à un vaste auditoire, du monde agroalimentaire autant que médical, de se tenir au courant de toutes les informations relatives à l’alimentation. Madame Astier-Dumas a été l’âme de cette revue.

Le professeur Gounelle avait été élu à l’Académie nationale de médecine dans la 7ème section, celle de médecine sociale et membres libres. Dans l’hémicycle, il siégeait à côté de Jacques Bréhant. Tous deux étaient d’une exquise politesse. Si Monsieur Bréhant tirait la sienne des Lumières, Monsieur Gounelle rattachait plutôt la sienne au Grand Siècle. Ses interventions étaient vivantes, mesurées, courtoises, même quand il haussait le ton. C’était le cas si l’on parlait d’homéopathie dont il était un vigoureux contempteur. Des thèmes qu’il aborda, certains ont fait date : ceux consacrés à la réglementation alimentaire dans le Marché commun, en 1967 ; à la réglementation de la profession de diététicien, en 1968 ; à l’hygiène de l’alimentation et à la prévention des toxi-infections alimentaires en 1974. Il prenait la parole chaque fois qu’il était question d’un grand fléau : l’alcoolisme, la traumatologie routière, la prostitution. Parmi les fléaux, je n’hésiterai pas à placer le crime insidieux qui, chaque jour et de plus en plus ouvertement, atteint notre langue française. Sans cesse, le professeur Gounelle proclama haut et ferme sa prééminence dans la communication scientifique, dans celle de la médecine et de la biologie. Il réunit plusieurs rapports dans un fascicule que présenta Stanislas de Sèze, auquel participèrent Jean-Louis Parrot, René Küss, Jean di Matteo, rapport qui fut adressé au Haut Comité de la Défense de la Langue française.

Le Professeur Gounelle de Pontanel présida l’Académie nationale de médecine en 1983. Monsieur Gabriel Blancher nous a rappelé qu’il fut un grand Président. Et pourquoi. Mais il fut aussi un bienfaiteur. Il légua à l’Académie un don qui lui permit d’avoir un salon de réception digne d’elle. Son fils, Paul-Émile, architecte d’intérieur de talent — qui m’a spontanément et généreusement ouvert les archives familiales — le conçut et l’installa avec un goût parfait. Il fonda deux Prix : l’un annuel, le Prix Pierre et Céline Lhermite, l’autre, biennal, le Prix Hugues Gounelle de Pontanel. Ils sont destinés à récompenser des études originales consacrées à l’alimentation ou à la nutrition humaine ou animale.

Le 26 janvier 1979, les élèves et les amis du Professeur Gounelle de Pontanel, organisèrent un jubilé en son honneur. Ils lui offrirent une médaille gravée par Serge Santucci. Elle symbolisait, lui dit le médecin général inspecteur Baylon en la lui remettant, « cinquante ans d’une carrière consacrée à la médecine, à la recherche, et, avec un inlassable dévouement, aux actions de santé publique ». Sur l’avers, était inscrite la parole de Jésus à Thomas : « sois fidèle ».

 

Fidèle, il le fut toute sa vie : aux lieux de sa formation, à ses maîtres, aux institutions qu’il servit, aux siens. Il n’oublia jamais le Val-de-Grâce, attentif à l’évolution de son École, conseiller écouté de son Directeur, et du Directeur du Service de Santé des Armées. Il assistait aux leçons inaugurales et aux repas des agrégés. Avec Laurent Scarbonchi, il fonda l’Association des Agrégés du Val-de-Grâce dégagés du cadre actif.

Au crépuscule de la vie, c’est aux souvenirs de jeunesse qu’on se rattache le plus.

Chaque année, à la fin du mois de juin, j’allais le prendre chez lui. Nous partions à La Flèche pour assister à la « Fête de Trim » et à la Distribution des Prix. Quand il apparaissait dans la Cour d’Austerlitz, une formidable ovation l’accueillait. Vous auriez eu plaisir, mes chers Confrères, à voir votre Président, plus jeune que les plus jeunes, participer au monôme qui se répandait dans les rues de la ville, chantant « Le Huron » à tue-tête, derrière le Prix d’Honneur juché sur son pavois, et qui allait déposer ses lauriers sur la tête de la statue d’Henri IV, barbouillée pour la circonstance.

La dernière fois — c’était en 1995 — Monsieur Gounelle me sembla plus triste.

Après la cérémonie il me demanda de le conduire sur les lieux qu’il avait aimés. Au pied du coteau de Saint-Germain-du-Val, nous fîmes halte à la maison natale de Léo Delibes, le doux compositeur qui nous laissa l’Air des clochettes de Lakmé, et le Ballet de Coppélia. Puis nous allâmes nous asseoir au bord du Loir, à l’endroit où, en 1640, s’étaient embarquées cinq religieuses hospitalières de Saint-Joseph — ordre fondé par Jérôme Le Royer de la Dauversière — pour aller soigner les sauvages du Canada. Elles fondèrent Ville-Marie, à l’embouchure du Saint-Laurent, qui devait devenir Montréal. En silence, nous regardâmes couler l’eau.

A la rentrée d’octobre, le professeur Gounelle ne revint pas à l’Académie. Entouré de l’affection des siens, c’est chez sa fille Thérèse qu’il se retira à Saint-Raphaël. Il n’avait gardé aucune amertume de la vie, et pourtant les chagrins ne l’avaient pas épargné. Il avait perdu son épouse et sa fille aînée Chantal. Beaucoup d’entre nous se souviennent du délicat accueil de Madame Gounelle de Pontanel quand elle recevait dans sa belle maison de la rue Auguste Maquet. A la fin du repas, le maître se levait, faisait tinter son verre pour réclamer le silence, puis « portait une santé », à la mode d’autrefois.

Le professeur Gounelle de Pontanel avait la joie de réunir autour de lui ses trois enfants, ses dix petits-enfants, ses cinq arrière-petits-enfants. Il était comblé. Il avait reçu toutes les distinctions et les honneurs. Il n’y était pas insensible. Fait exceptionnel, il avait gravi les trois grades de l’Ordre national de la Légion d’honneur, au titre de trois ministères différents : chevalier à titre militaire, officier au titre de la Santé publique, commandeur au titre de l’Education nationale. C’est à l’Académie que sa cravate lui fut remise par Monsieur André Lemaire, son Secrétaire perpétuel.

Monsieur Gounelle s’éteignit le 25 novembre 2001, à Saint-Raphaël, à quelques dizaines de mètres du tombeau de son grand ancien, Gallieni. Les obsèques furent célébrées dans l’intimité familiale. Il repose en terre cévenole. Quelques jours après, un service religieux était célébré en l’Église réformée d’Auteuil, sa paroisse. Sous la pluie d’automne, la délégation de l’Académie était conduite par son Président, Monsieur Gabriel Blancher, celle du Prytanée par le général d’armée Yves Capdepont. Nombreux étaient les Anciens Elèves du Val-de-Grâce.

L’Académie nationale de médecine gardera vivant le haut souvenir du Professeur Hugues Gounelle de Pontanel.