Communication scientifique
Session of 20 mars 2001

Une cellule souche pluripotente dans le sang de l’homme adulte : vers une nouvelle voie de thérapie cellulaire pour la réparation des tissus

MOTS-CLÉS : cellule sanguine. cellule souche. lymphocyte t suppresseur-inducteur.. structures embryonnaires
A human circulating pluripotent tissue stem cell in adult : towards a new approach of cellular therapy for tissue repair
KEY-WORDS : blood cells. embryonic structures. stem cells. t-lymphocytes, supressor-inducer.

G. Milhaud

Résumé

La persistance chez l’Homme adulte de cellules souches possédant des propriétés de cellules souches embryonnaires ouvre de nouvelles perspectives sur le plan fondamental et thérapeutique. Nous décrivons une cellule souche présente dans le sang de l’Homme adulte, susceptible d’être recrutée lors de la réparation tissulaire, en renfort des cellules souches « de réserve » présentes dans les divers organes. Ces cellules qui circulent sous forme monocytoïde sont capables de se différencier in vitro en divers types cellulaires. Chez l’individu normal, elles sont plus ou moins quiescentes et leur devenir est étroitement contrôlé par une sous-population particulière de lymphocytes T. Elles prolifèrent spontanément dans les cas de fibrose et de chondrosarcome. Dans ces affections, elles échappent à tout contrôle par les lymphocytes T et, en conséquence, s’accumulent pour donner naissance in vitro à un tissu qui évoque la maladie du patient dont elles sont issues, faisant spontanément la preuve de leur pluripotence. Cette cellule migrante porte les marqueurs des cellules neurales, suggérant qu’elle dérive de la crête neurale qui dans cette hypothèse pourrait être à l’origine des cellules souches pluripotentes, aux propriétés de cellules embryonnaires, présentes chez l’adulte. Ces cellules circulantes pourraient constituer une source privilégiée de cellules souches pour la thérapie cellulaire et génique à condition que sa prolifération puisse être provoquée et sa différenciation dirigée. Afin de pallier tout risque de développement de fibrose ou de processus malin, le contrôle par les lymphocytes T doit nécessairement être maintenu.

Summary

The presence in normal adult man of stem cells sharing the properties of embryonic stem cells opens new avenues for basic and therapeutic research. We describe a stem cell present in normal adult human blood, probably able to give rise to the « reserve » stem cells in charge of repair, present in different organs. These monocytoid circulating cells are able to transdifferentiate into several cell types. In normal man, they are almost quiescent and are strictly controlled by a special subpopulation of T lymphocytes. In diseases such as fibrosis and chondrosarcoma, these cells proliferate and the differentiated cells escape T lymphocyte control. As a consequence, these cells accumulate, giving rise in vitro to a tissue which evoke the lesions characterizing the disorder of the patient, showing spontaneously their pluripotentiality. Neural cell markers are present in this migrating cell, suggesting that pluripotent stem cells present in adult man may derive from the neural crest. These circulating cells could offer a source of stem cells for cellular and gene therapy provided the normal cells could be expanded, their transdifferentiation directed and the control by T lymphocytes maintained.

INTRODUCTION

La thérapie cellulaire consiste à remplacer des cellules disparues ou au fonctionnement altéré, par des cellules intactes. Elle a fait la preuve de son efficacité dans le traitement par greffe de moelle osseuse de certaines maladies sanguines et d’une maladie osseuse rare, l’ostéopétrose [1]. Toutefois, jusqu’à ces dernières années, aucune « source » de cellules de remplacement n’était disponible pour traiter les pertes de fonction dues à des maladies ou à des blessures.

Les avancées récentes permettent d’isoler, à partir d’embryons précoces, des cellules souches humaines pluripotentes qui représentent une source potentiellement illimitée de différents types cellulaires en vue de la thérapie cellulaire et génique. Les États-Unis d’Amérique viennent d’assouplir leur réglementation concernant la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines en acceptant de financer la recherche sur les embryons surnuméraires. Toutefois, dans ces conditions, comme pour toute greffe de cellules étrangères, la question du rejet se pose. Afin de surmonter cet obstacle, la Grande-Bretagne vient de faire un pas de plus en demandant au Parlement d’autoriser le clonage humain. Il s’agit de transférer le noyau d’une cellule somatique du patient dans un ovocyte énucléé, dont le développement va se poursuivre sous le contrôle de ce nouveau noyau [2, 3]. Puis les cellules souches sont prélevées au stade blastocyste afin d’en dériver des lignées [4] dont la différenciation in vitro peut être dirigée vers le type cellulaire désiré, comme cela vient d’être fait chez la souris [5]. Ce travail offre un modèle pour le développement de thérapies fondées sur l’utilisation de cellules souches embryonnaires humaines.

Autrement dit, la voie du clonage thérapeutique chez l’homme vient de s’ouvrir,
dans le but de traiter des maladies graves : maladie d’Alzheimer, maladie de Parkinson, diabète, blessures de la moelle épinière, par exemple.

L’utilisation d’embryons humains, et en particulier le clonage thérapeutique, soulè- vent des problèmes d’ordre éthique majeurs. Toutefois, une voie alternative s’offre, mettant en jeu les cellules souches endogènes présentes chez l’adulte. L’utilisation de telles cellules souches ne comporte pas de risque de rejet et, en outre, ne pose aucun problème éthique.

La présente lecture est consacrée aux cellules souches de l’adulte. Une attention particulière est accordée aux cellules souches circulantes chez l’homme et à la régulation exercée par les lymphocytes T phagiques. En raison de leur facilité d’accès, par rapport aux cellules souches enfouies dans les organes, les cellules souches circulantes sont susceptibles de constituer une source privilégiée pour la thérapie cellulaire et génique.

LES CELLULES SOUCHES DE L’ADULTE

Les cellules souches tissulaires de l’adulte sont présentes au cœur des organes. Elles sont connues depuis longtemps dans le cas des tissus à renouvellement rapide comme le sang, la peau et l’épithélium intestinal où leur fonction est de remplacer continuellement les cellules âgées ou endommagées. Dans le cas de l’os, le remodelage, bien que permanent tout au long de la vie est plus lent et met en jeu des cellules souches mésenchymateuses qui ont été isolées de la moelle osseuse chez l’animal depuis plusieurs années [6] et tout récemment chez l’homme [7]. En revanche, dans les organes tels que le muscle strié ou le foie, les cellules souches ne prolifèrent et ne se différencient qu’à l’occasion de réparations tissulaires ou de stress : elles sont appelées « cellules de réserve ». Enfin dans le cerveau humain dont les cellules étaient considérées jusqu’à présent comme incapables de renouvellement, Fred Gage à l’Institut Salk vient récemment de battre en brèche ce dogme, en mettant en évidence des cellules souches dans le cerveau de l’homme adulte [8].

Les années 1999-2000 ont vu la fin d’un autre dogme selon lequel les cellules souches présentes dans un organe donné ne peuvent reproduire que les types cellulaires présents dans l’organe correspondant. L’étude des cellules souches du cerveau vient de montrer qu’elles peuvent au contraire changer de destin, abandonnant leur identité pour prendre un nouveau phénotype en fonction de leur environnement.

La recherche sur les cellules souches tissulaires circulant dans le sang de l’adulte s’est développée parallèlement aux études sur les cellules souches présentes dans les organes. Bien que reconnues selon les auteurs comme « cellules souches mésenchymateuses » [9], « cellules souches hépatiques » [10], « cellules souches musculaires » [11] ou « cellules souches endothéliales » [12], il s’agit vraisemblablement d’une seule et même cellule souche circulante pluripotente. Nous postulons qu’une telle cellule souche circulante se trouve en équilibre homéostatique avec les cellules souches présentes au cœur des organes.

Pluripotence probable des cellules souches circulant dans le sang de l’homme adulte

Nous avons décrit dès 1991, dans le sang de l’homme adulte, une cellule souche circulante mésenchymateuse [3]. A l’époque, elle est apparue sous forme d’une cellule monocytoïde capable de se transdifférencier en néofibroblastes [3, 4], ostéoblastes [13], myofibroblastes [15], chondroblastes [16]. Jusqu’à ces dernières années, l’existence d’une telle cellule suscitait un grand scepticisme dans la communauté scientifique, c’est la raison pour laquelle ce n’est que récemment, en avril 2000, que nous l’avons appelé « cellule souche mésenchymateuse ». En août 2000, ce travail se trouvait confirmé par Zvaifler [17] qui décrivait la présence d’une cellule progénitrice mésenchymateuse dans le sang des individus normaux. Toutefois, bien que nous l’ayons appelée, « cellule souche mésenchymateuse », nous émettions l’hypothèse, dès avril 2000, [9] qu’elle puisse donner naissance à d’autres types cellulaires, tels que les cellules endothéliales, les cellules hépatiques et les cellules musculaires.

Elle serait pluripotente. En effet, Petersen [10] décrivait une cellule souche hépatique circulante et Ferrari une cellule myogénique circulante [11], qui seraient toutes deux issues de la moelle osseuse et seraient impliquées respectivement dans la régénération du foie et du muscle. Enfin, Boyer [12] isolait à partir du sang humain une cellule souche endothéliale. La question de la relation de cette cellule avec l’hémangioblaste capable de donner naissance à des cellules sanguines et à des cellules endothéliales est posée. Postulée il y a un siècle [18], l’existence de l’hémangioblaste semble confirmée [19].

Il est vraisemblable que les cellules souches circulantes ont pour seule différence d’avoir été isolées par différents auteurs, dont l’intérêt était focalisé soit sur les cellules mésenchymateuses comme dans notre cas [9], soit sur les cellules hépatiques [10], les cellules musculaires [11] ou les cellules endothéliales [12]. Il pourrait s’agir d’une seule et même cellule souche pluripotente, circulant sous forme d’une cellule monocytoïde.

Activées et mobilisées en cas de réparation tissulaire, ces cellules souches circulantes prendraient alors sur le site, en fonction de la nature de l’organe à réparer, les mêmes caractéristiques que les cellules souches spécifiques de l’organe.

La cellule souche circulante pluripotente serait alors normalement en équilibre homéostatique avec les cellules souches présentes dans les différents organes. Toute rupture de cet équilibre pourrait conduire à la formation de fibroses et/ou à la survenue de certaines proliférations malignes. Un contrôle très précis doit donc être exercé sur de telles cellules souches circulantes ; ce contrôle est exercé par une sous-population particulière de lymphocytes T [20-22].

Si cette hypothèse se confirme, la cellule souche circulante que nous avons isolée chez l’homme adulte serait capable de donner naissance à toute une variété de types cellulaires. Ses propriétés seraient proches de celles des cellules souches embryonnaires. Sa facilité d’accès en ferait alors un outil privilégié pour la thérapie cellulaire et génique.

Description de la cellule souche circulant sous l’aspect d’une cellule monocytoïde exprimant constitutivement les molécules HLA-DR

Chez l’individu normal

La cellule souche présente dans le sang de l’adulte circule sous forme d’un monocyte qui exprime les molécules CD14 et CD68 [20]. Cette identification est confirmée par la présence d’estérases non spécifiques, enzymes marqueurs des monocytes/ macrophages [20]. Elle exprime constitutivement les molécules HLA-DR. In vitro , dès qu’elle adhère au support, elle révèle une grande plasticité [9] et se différencie spontanément en divers types cellulaires, dont des cellules en fuseau que nous avons appelées néofibroblastes. Ces néofibroblastes conservent les marqueurs des cellules monocytoïdes dont elles dérivent et sont capables de synthétiser divers types de collagène, dont les collagènes I et III. Les cellules monocytoïdes ont l’équipement nécessaire à la synthèse du collagène, en particulier l’enzyme prolyl-4-hydroxylase ;

elles sont déjà capables de synthétiser du collagène [20].

Ces cellules sont présentes en très petit nombre chez l’individu normal (1/104 cellules mononucléées sanguines) et se divisent très peu. Cependant, en cas de fibrose et/ou de certaines proliférations malignes telles que le chondrosarcome, elles font preuve spontanément de leur important potentiel de division et de leur pluripotence.

Dans certaines affections

C’est fortuitement qu’elle a été mise en évidence pour la première fois [13], lors de l’étude des cellules mononuclées sanguines d’un patient atteint d’ostéomyélosclé- rose, dans le cadre de nos recherches relatives aux liens entre système immunitaire et os [23].

Les cellules monocytoïdes prolifèrent spontanément et se différencient en néofibroblastes qui acquièrent un phénotype final évoquant l’affection du patient. Dans le cas de l’ostéomyélosclérose et de la maladie d’Engelmann, caractérisées par une prolifération ostéoblastique anormale, le phénotype final évoque l’ostéoblaste [13].

Dans le cas d’une fibrose induite par la ciclosporine, le phénotype évoque le myofibroblaste [15] tandis que dans le cas du chondrosarcome, il prend l’apparence d’un chondrocyte [16].

Alors que les cellules normales restent indépendantes les unes des autres après leur différenciation, les cellules pathologiques adhèrent tout d’abord les unes aux autres, avant d’être séparées par l’abondante matrice extracellulaire qu’elles sécrètent, donnant ainsi naissance in vitro à un « tissu » qui se présente parfois sous forme de nodules organoïdes [13, 16].

Contrôle de la cellule souche circulante par les lymphocytes T phagiques

La cellule souche circulante normale est présente en très petite quantité et se divise rarement chez l’individu normal. Dès lors qu’elle s’est différenciée, son existence est éphémère : elle active une sous-population particulière de lymphocytes T qui prolifèrent. Ces lymphocytes T sont alors attirés par les cellules différenciées, y adhèrent et y pénètrent [20]. La microcinématographie montre que les lymphocytes T circulent dans le cytoplasme des cellules différenciées jusqu’à les faire « exploser » [21, 22]. C’est ce qui justifie la dénomination de lymphocytes T phagiques que nous proposons.

Ainsi cette cellule souche, probablement pluripotente, est contrôlée par un processus de mort cellulaire provoquée par une sous-population particulière de lymphocytes T. Ce contrôle s’exerce in vitro sur la cellule normale différenciée et non sur la cellule ronde monocytoïde.

Les cellules pathologiques provenant de patients atteints de fibrose, d’ostéomyélosclérose ou de chondrosarcome prolifèrent spontanément in vitro . Toutefois, seules les cellules monocytoïdes peu adhérentes prolifèrent avant leur différenciation et une fois différenciées, échappent à la destruction par les lymphocytes T. En consé- quence, elles s’accumulent formant un véritable tissu. Ce phénomène observé in vitro pourrait rendre compte in vivo de l’accumulation pathologique de tissu fibreux ou osseux, ainsi que du développement du chondrosarcome.

Il est logique de postuler que cette cellule souche circulante capable de différenciation en divers types cellulaires, intervient normalement dans la réparation tissulaire.

Elle renforcerait l’action des cellules souches de réserve présentes dans les organes.

Une cellule possédant de telles potentialités doit nécessairement être soumise à une régulation très précise. Une fois terminée la réparation tissulaire, la prolifération de la cellule monocytoïde circulante doit s’arrêter et, s’il lui arrive de se différencier, elle doit être détruite par les lymphocytes T phagiques. Toute rupture de l’équilibre entre les lymphocytes T et les cellules souches peut conduire au développement de fibroses et/ou de certaines proliférations malignes. Ces résultats s’accordent avec le rôle promoteur de tumeur de la cicatrisation mis en évidence par Bissel [24]. En 1826, Broussais postulait déjà l’existence d’un lien entre cicatrisation et cancer [25].

Nous émettons l’hypothèse que les cellules souches circulantes pluripotentes sont en équilibre homéostatique avec les cellules souches présentes dans les différents organes, qui sont douées d’une grande plasticité et possèdent les caractères de cellules souches embryonnaires.

Pluripotence des cellules souches « de réserve » présentes dans les organes

Pluripotence des cellules souches neurales

C’est l’étude des cellules souches neurales qui a permis d’établir la notion de plasticité des cellules souches tissulaires « de réserve » présentes dans différents organes.

La découverte de la génération de nouveaux neurones dans le cerveau adulte humain, faite par Gage [8, 26] a mis fin à l’infaillibilité du dogme selon lequel le capital cellulaire du cerveau ne pouvait que décroître avec l’âge. Bien que Reynold et Weiss aient isolé et cultivé des cellules souches neurales à partir du cerveau de rongeur dès 1992 [27, 28], leur isolement chez l’homme s’est révélé beaucoup plus difficile. Ce n’est qu’en 1999 que Frisen, à Stockhom [29], réussit à cultiver à partir du cerveau humain des cellules souches multipotentes capables d’autorenouvellement. Chez l’homme [29] comme chez l’animal [27, 28], une cellule souche multipotente existe donc dans le cerveau, qui peut donner naissance aux trois lignées de cellules neurales, c’est-à-dire aux neurones, aux astrocytes et aux oligodendrocytes.

En 1998, Vescovi, à Milan [30], ouvre une première brèche dans un autre dogme selon lequel une cellule souche adulte n’est que multipotente, c’est-à-dire que ses potentialités se limitent à donner naissance à des types cellulaires spécifiques du tissu d’origine. Il observe que les cellules souches neurales présentes dans le cerveau adulte de souris peuvent se dédifférencier, changer de destin, adopter un phénotype différent, en l’occurrence celui de divers types de cellules sanguines, en fonction de l’environnement. Ce travail fut accueilli avec un certain scepticisme. Cependant, la plasticité des cellules souches a été confirmée en juin 2000, par Frisén [31], qui a démontré que les cellules souches nerveuses de souris adultes peuvent être reprogrammées et donner naissance à tous les types tissulaires : cœur, foie, muscle, rein et autres organes — à l’exception des cellules sanguines —, lorsqu’elles sont injectées dans un embryon au stade blastocyste. Ces expériences impliquaient qu’une cellule adulte placée dans un « environnement » embryonnaire, subissait une sorte de régression (dédifférenciation ?) préalable nécessaire à sa reprogrammation. En octobre 2000, Vescovi montre que les cellules souches du système nerveux, murin ou humain, sont capables de se différencier en cellules musculaires, aussi bien in vitro , lorsqu’elles sont cocultivées avec des myoblastes, qu’ in vivo , lorsqu’elles sont injectées dans un muscle [32]. Ces résultats indiquent que, contrairement aux conclusions précédentes, la reprogrammation d’une cellule souche adulte ne nécessite aucune étape de « régression », mais qu’elle peut s’effectuer directement d’un type de cellule adulte à un autre, en fonction de l’environnement. La pluripotentialité des cellules souches adultes, reprogrammables « à volonté », apparaît donc établie.

Pluripotence des cellules souches mésenchymateuses

Les cellules souches mésenchymateuses isolées de la moelle osseuse chez l’animal peuvent donner naissance, en fonction du milieu où elles sont cultivées, à diverses lignées de cellules mésenchymateuses de phénotypes différents tels que fibroblastes, ostéoblastes, chondrocytes, myoblastes, ou adipocytes [6]. En 1999, Pittenger [7, 33] isolait de la moelle osseuse, chez l’homme, une cellule souche mésenchymateuse aux propriétés similaires. Indépendamment, Wang [34] montrait que les cellules souches mésenchymateuses issues de la moelle étaient une source de cardiomyocytes. En août dernier, Woodbury [35] montrait que cette même cellule souche mésenchymateuse donnait naissance à des cellules non mésenchymateuses telles que les neurones.

En décembre 2000, Blau [36] démontre que les cellules souches présentes dans la moelle osseuse, transplantées chez des rongeurs irradiés, se dirigent vers le cerveau et s’y différencient en cellules qui ressemblent aux neurones. La part respective qui revient aux cellules souches hématopoïétiques et aux cellules souches stromales n’a pas été établie. Enfin, il serait intéressant de mettre en évidence l’activité électrique des « neurones » obtenus par ces deux équipes.

Ainsi donc la capacité à changer de destin cellulaire n’est-elle pas réservée aux cellules souches du cerveau, mais semble une propriété des cellules souches « de réserve » dans les différents organes, quel que soit l’organe considéré.

C’est dans ce contexte que la cellule souche circulante chez l’homme adulte, dont nous postulons qu’elle dérive de la crête neurale, prend toute sa signification.

LA CRÊTE NEURALE EST-ELLE LA SOURCE DES CELLULES SOUCHES CIRCULANTES CHEZ L’ADULTE ?

La cellule souche circulante, qu’elle se présente sous forme ronde monocytoïde ou après sa différenciation, exprime in vitro les marqueurs des cellules neurales tels que la synaptophysine, l’énolase spécifique du neurone et le neurofilament 160 [9]. Ces propriétés, ainsi que sa nature de cellule migrante, suggèrent qu’elle pourrait avoir pour origine la crête neurale [3].

En effet, les cellules issues de la crête neurale sont capables de donner naissance non seulement à des cellules neurales mais aussi à des cellules non neuronales telles que des ostéoblastes et des chondrocytes au niveau de la face, des cellules du muscle lisse [37, 38] et des péricytes [39]. Or, les ostéoblastes impliqués dans le renouvellement de l’os adulte et la réparation des fractures dérivent des péricytes [40], ce qui s’accorde avec une origine située dans la crête neurale CONCLUSION

Les cellules souches ayant conservé des potentialités de cellules embryonnaires circulent chez l’homme adulte, sous forme de cellules monocytoïdes. Elles sont en équilibre homéostatique avec les cellules souches « de réserve » présentes dans différents organes.

Elles sont présentes en très petit nombre chez l’individu normal où leur devenir est étroitement contrôlé par les lymphocytes T. Lorsqu’elles proviennent de patients atteints de fibrose ou de chondrosarcome, elles prolifèrent spontanément en montrant leur pluripotentialité. Dans ces conditions, elles échappent à tout contrôle par les lymphocytes T.

D’un point de vue fondamental, la présence de marqueurs des cellules neurales sur cette cellule souche circulante, probablement pluripotente, capable de migrer dans
les différents organes et d’intervenir dans les processus de réparation tissulaire chez l’adulte, suggère qu’elle pourraient être originaire de la crête neurale. La preuve définitive sera établie en utilisant la technique élégante et complexe découverte par Le Douarin, qui permet de suivre le devenir des cellules issues de la crête neurale [37, 38, 41].

D’un point de vue thérapeutique, ces cellules souches circulantes représentent une cible privilégiée pour la thérapie cellulaire et génique, dans la mesure où leur prolifération pourra être induite, leur différenciation contrôlée et le nécessaire contrôle par les lymphocytes T maintenu. Ce dernier point doit être pris en compte lors de l’utilisation de lignées cellulaires dérivées de l’embryon.

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DISCUSSION

M. Michel BOUREL

Quelles sont les différences morphologiques entre ces cellules souches monocytoïdes et les monocytes sanguins circulants ? En dehors des cas de fibrose et de chondrosarcome, ces cellules souches sont-elles retrouvées dans d’autres conditions pathologiques comme les fibroses rétro-péritonéales, les fibroses des néphropathies et/ou des hépatopathies chroniques ?

Rien ne distingue morphologiquement, avant son adhésion au support et sa différenciation, la cellule souche monocytoïde du monocyte. Comme les monocytes, la cellule souche exprime les molécules CD68 et CD14 ainsi que les estérases non spécifiques.

Toutefois, la cellule souche exprime constitutivement, à un niveau élevé, les molécules HLA-DR du système majeur d’histocompatibilité de classe II, tandis que ces molécules ne sont exprimées qu’à un faible niveau par les monocytes où elles peuvent être induites par l’interféron-gamma. De plus, les cellules souches expriment spontanément les marqueurs des cellules neurales telles que la synaptophysine, l’énolase spécifique du neurone
et le filament neuronal intermédiaire, NF 160. Menke 1 a retrouvé cette cellule proliférant dans des cas de fibrose rétropéritonéale et cite nos travaux concernant les fibroses des néphropathies et/ou des hépatopathies chroniques, l’étude reste à faire. La prolifération des monocytes est notée dans ces affections mais, à notre connaissance, leur transdiffé- renciation en fibroblastes n’a pas été décrite.

M. Maurice GUÉNIOT

Au départ de ce remarquable travail, il y a une condition matérielle indispensable, c’est l’isolement des cellules souches ; pouvez-vous expliquer comment vous le réalisez ?

Les cellules souches sont isolées avec les cellules mononucléées sanguines, par centrifugation de Boyüm, sur Ficoll-Hypaque. Les cellules souches sont sélectionnées par leurs besoins nutritifs réduits : aucun facteur de croissance spécifique tel que le M-CSF ou le GM-CSF n’est ajouté en milieu de culture. Au bout d’un mois de culture, seules survivent les cellules souches. Les monocytes représentent environ 1 % des cellules mononucléées sanguines et les cellules souches sont encore 100 fois moins nombreuses (environ 100 cellules souches pour 1 million de cellules mononucléées mises en culture).

M. Jean-Paul GIROUD

Comment pensez-vous contrôler les CD4 pour éviter le développement de fibrose ou de processus malin ?

Les lymphocytes-T phagiques, CD4 + représentent une sous-population particulière de lymphocytes CD4+. Leur caractérisation n’a pas été définie avec plus de précision. Cette étude pourra être faite chez certains individus normaux, où les cellules souches activent spontanément cette population particulière de lymphocytes T, sans stimulation par la phytohaemagglutinine et l’interleukine 2. Il conviendra de déterminer la molécule du soi, exposée lorsque la cellule souche se différencie et qui joue le rôle d’antigène lorsqu’elle est présentée par les molécules du système majeur d’histocompatibilité de classe II aux lymphocytes T qu’elle active. On comprendra alors pourquoi les cellules souches pathologiques, bien qu’exprimant les molécules HLA-DR (du moins pendant un certain temps, en culture), ne peuvent activer les lymphocytes T phagiques qui procèdent à leur destruction.

M. Géraud LASFARGUES

La cellule isolée est-elle compatible ou identique aux cellules souches isolées dans le sang du cordon chez le nouveau-né ?

La cellule souche isolée du sang humain adulte est probablement similaire aux cellules souches isolées du sang du cordon et de la moelle osseuse. La différenciation des cellules 1. MENKE D.M., GRIESSER H., ARAUJO I., FOSS H.D., HERBST H., BANKS P.M., et al. — Inflammatory pseudotumors of lymph-node origin show macrophage-derived spindle cells and lymphocyte-derived cytokine transcripts without evidence of T-cell receptor gene in retroperitoneal fibrosis-like sclerosing immune reaction. Am. J. Clin. Pathol. , 1996, 105 , 430-439.

souches ombilicales en cellules mésenchymateuses a été décrite 2 (tandis que leur diffé- renciation en cellules nerveuses vient d’être rapportée par Paul Sanberg lors du 31ème congrès de « l’American Association for the Advancement of Science » en février 2001.

L’isolement des cellules souches d’organes à partir de la moelle osseuse, du sang adulte et du sang du cordon bénéficiera de la technologie développée pour l’isolement des cellules souches hématopoïétiques à partir de ces mêmes sources.

M. Claude DREUX

Ces cellules souches paraissent dérivées de la crête neurale. Le mégacaryocyte dérive également de la crête neurale et possède des propriétés neuro-endocrines (captation et stockage de neuromédiateurs…). Ces cellules souches possèdent-elles les mêmes proprié- tés ?

C’est une excellente suggestion et nous avons observé que cette cellule souche capte, comme les cellules nerveuses, les drogues neurotropes telles que les phénothiazines.

M. René KÜSS

Pensez-vous que l’on puisse aujourd’hui attribuer à l’action de ces cellules souches la formation de l’hypertrophie compensatrice observée particulièrement dans le foie et les reins et cela même dans les organes transplantés ?

Cette question est très importante et le mécanisme que nous décrivons peut en effet en rendre compte. Il convient de le démontrer en étudiant le comportement de la cellule souche circulant dans le sang de ces patients, en particulier son éventuelle prolifération spontanée et sa capacité à activer les lymphocytes T phagiques.

M. Jacques-Louis BINET

Il a aussi été possible, chez la souris, de produire des cellules myocardiques à partir des cellules « souches sanguines » mais le problème est d’induire et de diriger cette évolution.

Vous vous référez aux travaux de Wang et al 3. Dans cette expérience, les cellules souches mésenchymateuses étaient implantées directement dans le myocarde ou elles se différenciaient en cardiomyocytes. Selon les auteurs, il s’agissait d’une différenciation en fonction du milieu où elles se trouvaient implantées. Une différenciation de ce type, en fonction du milieu, a aussi été observée par l’équipe de Vescovi, qui a montré que des cellules souches neurales implantées in vivo dans le muscle d’une souris, se comportaient en cellules souches musculaires 4.

2. ERICES A., CONGET P., MINGUEL L. — Mesenchymal progenitor cells in human cord blood.

British J. Hématol. , 2000 , 109 , 235-242.

3. WANG J.S., SHUM-TIM D., GALIPEAU J. et al . — Marrow stromal cells for cellular cardiomyopathy : feasibility and potential clinical advantages . J. Thorac. Cardiovasc. Surg. , 2000 , 120 , 999- 1006.

4. GALLI R., BORRELLO U., GRITTI A., MINASI M.G., BJORNSON C., COLETTA M., MORA M. et a l. —

Skeletal myogenic potential of human and mouse neural stem cells.

Nat. Neurosci. , 2000, 3 , 968-991.

Mme Marie-Odile RETHORÉ

Pourriez-vous nous parler des cellules de l’embryon qui passent très tôt dans le sang de la mère et que l’on retrouve 20 ans, 30 ans après ?

Les cellules souches d’organes sont présentes dans le sang du cordon et ont déjà fait l’objet d’études expérimentales, comme nous l’avons indiqué dans notre réponse à M. Géraud Lasfargues. Si des cellules souches exprimant le type tissulaire HLA-DR du père passent dans la circulation de la mère, elles ne pourront pas activer les lymphocytes T phagiques de la mère : ces cellules souches embryonnaires ne pourront pas être détruites selon le mécanisme présenté dans le film. En conséquence, elles pourront perdurer dans la circulation de la mère. L’absence de rejet des cellules souches humaines transplantées dans un système xénogénique relève vraisemblablement du même mécanisme 5.

M. Pierre CANLORBE

L’utilisation des cellules souches circulantes, telles que décrites, permettrait d’éviter l’instrumentalisation des embryons humains qui pose des questions éthiques majeures. Mais quelle est la possibilité de collecter ces cellules souches circulantes, dont vous avez souligné la rareté, à des fins thérapeutiques ?

Cette possibilité est très grande et les cellules circulantes sont d’un accès facile. De grands progrès ont été réalisés au cours de ces derniers mois en ce qui concerne la mobilisation des cellules souches adultes de la moelle osseuse 6. Les mêmes techniques s’appliqueront vraisemblablement aux cellules souches du sang. D’autre part, la caractérisation des cellules souches adultes progresse et devient de plus en plus spécifique 7.

M. Denys PELLERIN

Les milieux de la recherche et leur instance en charge de la réflexion sur les interrogations éthiques qu’elles suscitent font aujourd’hui apparaître une rivalité dans les espoirs mis dans la thérapie cellulaire pour répondre aux besoins de traitement de maladies dégénératives.

Vous avez démontré que les perspectives ouvertes par l’utilisation de cellules souches adultes ne sont pas seulement théoriques. Pouvez-vous nous dire si les progrès réalisés en ce domaine sont susceptibles de démontrer rapidement que les recherches qui font appel aux cellules souches d’origine embryonnaire pourraient être désormais inutiles, que les débats, en partie philosophiques sur le clonage thérapeutique, pourraient-être désormais sans objet ?

En effet, ce débat a commencé en 1998, lorsque deux équipes financées par des compa5. LIECTHY K.W., MACKENZIE T.C, SHAABAN A.F. et al . — Human mesenchymal stem cells engraft and demonstrate site-specific différentiation after in utero transplantation in sheep. Nature

Medicine , 2000, 6, 1282-1286.

6. COLTER D.C., CLASS R., DI GIROLAMO C.M., PROCKOP D.J. — Rapid expansion of recycling stem cells in culture of plastic-adherent cells from human bone marrow. Proc. Natle. Acad. Sci. USA , 2000, 97 , 3213-3218.

7. GESCHWIND D., KORNBLUM H. — A genetic analysis of neural progenitor differentiation.

Neuron , 2001, 29 , 325-339.

gnies privées ont montré que l’on pouvait dériver des cellules souches soit à partir de la masse interne du blastocyte de l’embryon humain de 4 à 7 jours après la fécondation 8, soit à partir des cellules germinales du fœtus 9. Leur isolement implique la destruction d’un embryon ou d’un fœtus humain. Les lignées de cellules souches ainsi obtenues sont capables de se diviser à l’infini. Du fait de leur pluripotence, elles apparaissent comme une source inépuisable de cellules pour la thérapie cellulaire et génique et elles ont suscité de grands espoirs pour traiter des maladies dégénératives, en particulier neurodégénératives. En 1998, on connaissait mal les cellules souches adultes qui semblaient difficiles à produire en quantité suffisante en vue d’une utilisation thérapeutique. Ce n’est plus le cas, comme nous l’avons indiqué en réponse à M. Pierre Canlorbe. Les cellules adultes sont pluripotentes et on sait aujourd’hui produire des cardiomyocytes à partir des cellules souches de la moelle et des cellules souches pancréatiques viennent d’être isolées chez l’homme. En théorie, les cellules souches embryonnaires peuvent donner naissance à tous les tissus de l’organisme. En fait, il est difficile d’induire leur différenciation univoque 10.

A l’heure actuelle, très peu de travaux ont été publiés à propos de l’utilisation clinique des cellules embryonnaires et fœtales. Des rats mutants incapables de produire de la myéline ont été traités par des cellules souches embryonnaires qui ont migré dans le cerveau où elles ont produit de la myéline 11. Des cellules souches embryonnaires ont rétabli quelques mouvements chez des rats partiellement paralysés : s’ils ont pu à la suite du traitement fléchir leurs pattes, ils demeuraient incapables de se tenir debout 12. Les essais de traitement de la maladie de Parkinson avec des cellules fœtales humaines se sont soldés par des échecs 13. Seules les cellules souches adultes peuvent être induites à se différencier vers un type cellulaire défini. Des cellules souches mésenchymateuses implantées dans le myocarde se sont différenciées en cardiomyocytes, ainsi que l’a évoqué M. Jacques-Louis Binet. Des cellules souches pancréatiques de souris normales transplantées chez des souris atteintes de diabète insulino-dépendant, ont amélioré leur condition 14. Chez l’homme, les cellules souches adultes ont été utilisées avec succès pour le traitement de l’ostéogenèse imparfaite 15. Enfin, il faut noter que la capacité à se diviser sans fin des cellules souches embryonnaires, qui est apparue d’abord comme un avantage, peut constituer un danger. Si quelques cellules non différenciées, qui ont donc gardé toute leur capacité de prolifération, contaminent le transplant de cellules différenciées, leur proli8. THOMSON J.A., ITSKOVITZ-ELDOR J., SHAPIRO S.S., WAKNITZ M.A et al . — Embryonic stem cell lines derived from human blastocysts.

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9. SHAMBLOTT M.J., AXELMAN J., LITTLEFIELD J.W., et al . — Derivation of pluripotent stem cells from cultured human primordial stem cells.

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10. SCHULDINER M., YANUKA O., ISTKOVITZ-ELDOR J., MELTON D.A., BENVENISTY N. — Effect of eight growth factors on the differentiation of cells derived form embryonic stem cells. Proc. Natle Acad. Sci. USA , 2000, 97 , 11307-11312.

11. BRUSTLE O., JONES K.N., LERISH R.D., KARRAM K., CHOUDHARY K., WIESTLE O.D., DUNCAN J.D., MC KAY R.D. — Embryonic stem cell-derived glia precursors : a source of myelinating transplants . Science, 1999, 285 , 754-756.

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15. HORWITZ E.M., PROCKOP D.J., FRITZPATRICK L.A., KOO W.W., GORDON P.L. et al . —

Transplantability and therapeutic effects of bone-marrow derived mesenchymal stem cells in children witch osteogenesis imperfecta. Nature Medicine , 1999, 5 , 309-31.

fération peut conduire au développement de tumeurs. La prolifération incontrôlée des cellules souches embryonnaires comporte de plus grands risques que celui du rejet qui a motivé l’adoption du clonage thérapeutique par le gouvernement anglais. En fait, il semble que les cellules souches obéissent à des lois de transplantation différentes des autres cellules. Nous avons vu, dans le film projeté, que seules les cellules souches normales sont reconnues et détruites par les lymphocytes T phagiques qu’elles ont activés. Depuis 1999, des progrès très rapides ont été réalisés dans la connaissance des cellules souches adultes et de leur régulation par les lymphocytes T phagiques. Il en résulte que l’utilisation de cellules souches adultes présente actuellement des avantages majeurs sur le clonage thérapeutique.

M. François DARNIS

Pensez-vous qu’il y ait une relation entre ce processus de destruction et certaines maladies auto-immunes ?

Oui, car l’expression aberrante des molécules du système majeur d’histocompatibilité de classe II chez des cellules qui normalement ne les expriment pas constitutivement, pourrait conduire à l’activation excessive des lymphocytes T phagiques. De fait, les lymphocytes CD4+ ont été impliqués dans des maladies auto-immunes telles que les encéphalopathies allergiques expérimentales.

M. Gabriel BLANCHER

Le nombre de cellules souches pluripotentes présentes dans le sang circulant varie-t-il selon l’âge du sujet ?

Le nombre de cellules souches pluripotentes présentes dans le sang circulant ne semble pas varier en fonction de l’âge du sujet. En effet, chez la plupart des individus normaux, il y en a très peu et ce sont des cellules quiescentes. Quelques cycles de division peuvent être obtenus en ajoutant au milieu le surnageant de lymphocytes T activés. Chez quelques individus normaux, la cellule souche est présente en un peu plus grand nombre et se divise spontanément, sans ajout de surnageant de lymphocytes T activés. Nous l’avons observé chez des individus de 25 ans comme de 60 ans, en nombre limité il est vrai. Nos études ne comportaient pas de sujets normaux de plus de 60 ans. En revanche, l’activité des lymphocytes T phagiques est susceptible de diminuer avec l’âge. Le phénomène « d’immunosénescence » affecte surtout les lymphocytes-T 16, 17.

16. PAWELEC G., WAGNER W., ADIBZADEH M., ENGEL A.— T cell immunosenescence in vitro and in vivo . Ex. Gerontol., 1999, 34 , 419-429.

17. CHAKRAVARTI B., ABRAHAM G.N. — Ageing and T-cell-mediated immunity.

Mech. Ageing. Dev. , 1999, 108 , 801-808.


* Département de Biophysique. Université Pierre et Marie Curie. Faculté de Médecine SaintAntoine, 27 rue Chaligny — 75012 Paris. Tirés-à-part : Professeur Gérard MILHAUD, à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 2 octobre 2000, accepté le 20 novembre 2000.

Bull. Acad. Natle Méd., 2001, 185, no 3, 567-582, séance du 20 mars 2001