Communication scientifique
Session of 13 juin 2006

Troubles mentaux non démentiels des personnes âgées

MOTS-CLÉS : anxiété. delire avec confusion. depression. hysterie. psychiatrie. psychopathologie.. sujet âge. trouble bipolaire
Psychiatric disorders in non demented elderly people
KEY-WORDS : aged. anxiety. bipolar disorder. delirium. depression. hysteria. psychiatry. psychopathology.

Jean-Pierre Clément, Jean-Marie Léger

Résumé

La psychiatrie du sujet âgé est en plein développement. Elle a permis de mieux appréhender des pathologies psychiatriques avec leurs spécificités sémiologiques, diagnostiques et thérapeutiques. En France, l’intérêt grandissant pour cette discipline est corrélé à un enseignement qui est devenu ciblé et à de nombreuses initiatives en rapport avec des soins spécifiquement orientés. Chez le sujet âgé, une maladie psychiatrique peut se manifester sous des formes atypiques et peut être difficile à différencier du vieillissement ou d’une maladie somatique. Les principales pathologies rencontrées sont la dépression, le délire tardif, l’anxiété, l’hystérie, la confusion et la manie. La dépression comporte des formes spécifiques, des équivalents dépressifs, des facteurs de risque particuliers et une approche thérapeutique catégorielle et dimensionnelle. Son dépistage doit être amélioré. Le délire tardif est organisé autour du préjudice et réalise un mécanisme actif de lutte contre l’isolement, la dépression et l’anxiété. On parle de psychose d’allure schizophrénique d’apparition très tardive. L’anxiété a aussi des présentations propres à la personne âgée et a des liens étroits avec la dépression. Non traitée, ses conséquences sont très dommageables. L’hystérie, pathoplastique avec le temps, l’est aussi avec l’âge et le niveau culturel. On voit ainsi apparaître des conversions « pseudo-cognitives » chez le sujet âgé. La confusion, très fréquente à cet âge, y est souvent multifactorielle, mais les causes psychosociales ne doivent pas être sous-estimées. La manie est souvent secondaire et plutôt de présentation mixte. La démence peut aussi être abordée sur un plan psychopathologique, en particulier dans sa dimension étiopathogénique où on lui reconnaît désormais des facteurs de risque psychosociaux et des facteurs protecteurs en lien avec la biographie et la personnalité de la personne âgée. La psychiatrie de la personne âgée est une discipline médicale intégrative et les troubles mentaux qu’elle aborde reposent sur une clinique spécifique, alimentée par une recherche orientée et soutenue par un enseignement structuré.

Summary

Psychogeriatrics is a rapidly growing field. In France, the focus is currently on targeted education and specific management. Psychiatric disorders may be atypical in the elderly, and may also be difficult to distinguish from the effects of aging or somatic disorders. The principal disorders observed in old age are depression, late delusion, anxiety disorder, hysteria, delirium and mania. Depression has specific features, depressive equivalents, particular risk factors, and a categorical and dimensional therapeutic approach. Diagnosis and screening must be improved. Late delusion is organized around a notion of injury, and is an active attempt to deal with isolation, depression and anxiety. The term ‘‘ very late-onset schizophrenia-like psychosis ’’ has been proposed. Anxiety also has specific features in the elderly and is intimately related to depression. If left untreated, the consequences can be severe. Hysteria is pathoplastic with time, age and educational status. Pseudocognitive conversions are starting to be seen in old age. Delirium is very frequent in the elderly ; it is often multifactorial, but psychosocial factors must not be underestimated. Mania can also be provoked by somatic disease, and mixed syndromes are far from rare. Dementia can be approached from its psychopathological dimension, particularly in terms of psychosocial risk factors and protective factors relating to the individual’s biography and personality. Thus, psychogeriatrics is an integrated medical discipline in which psychiatric disorders are approached through specific clinical management, oriented research and structured training.

Introduction

Avant de développer les troubles psychiques observables chez la personne âgée, il paraissait important de situer ce qu’est la psychiatrie du sujet âgé. On peut considérer que c’est une discipline médicale « presque » nouvelle. Antérieurement, la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, aussi intitulée pédopsychiatrie, s’est démarquée de la psychiatrie générale. Il en a été de même de la gériatrie par rapport à la médecine interne. Ainsi, depuis de nombreuses années, on a aussi vu s’individualiser une psychiatrie orientée spécifiquement vers le diagnostic et le soin des troubles psychiques du sujet âgé. Elle s’est appelée « psychiatrie gériatrique » en Grande-Bretagne qui est la pionnière de la discipline, puis de façon plus consensuelle et plus opérationnelle « psychiatrie du sujet âgé » (old age psychiatry), « gérontopsychiatrie » dans les pays germaniques, mais aussi « psychogériatrie » aux USA, au Canada, en Suisse et depuis une vingtaine d’années en France avec la création de la « Société de Psychogériatrie de Langue Française ». Le terme peut sembler discutable, mais il voulait marquer le lien avec la gériatrie.

La France accuse un retard, puisque si l’on tient compte des moyens, des initiatives et des formations spécifiques pour une pratique de la psychiatrie du sujet âgé sur l’ensemble de la planète (enquête réalisée par la WPA (World Psychiatric Associa-
tion)) elle ne se situe qu’au 18ème rang mondial[1], malgré les initiatives au demeurant éparses qui ont été réalisées depuis une trentaine d’années.

Sur le plan d’une formation à la pratique psychogériatrique, il y a eu, par exemple entre autres, la création de diplômes d’université, le premier à Limoges en 1994, suivi par celui d’Ivry en 1999, puis par Lyon en 2002 et Besançon-Reims-Dijon en 2004.

Le diplôme d’études spécialisées complémentaires (DESC) de Psychiatrie du sujet âgé, qui serait un aboutissement de cette « sur-spécialité » devrait voir le jour à la rentrée universitaire 2006.

Dans ce contexte, la psychiatrie du sujet âgé, individualisée de la psychiatrie d’adulte, se doit aussi finalement de l’être vis-à-vis de la gériatrie, même si ces deux disciplines distinctes, mais complémentaires, se retrouvent, face à de nombreuses pathologies, en particulier la démence.

En quoi donc, la psychiatrie du sujet âgé est-elle spécifique ?

Une maladie psychiatrique peut en effet se manifester chez le sujet âgé sous des formes atypiques et peut être difficile à différencier du vieillissement ou d’une maladie somatique du fait des nombreuses interférences[2]. De plus, pour ce qui concerne l’approche thérapeutique, il s’agit d’un traitement global avec des règles particulières sur le plan psychopharmacologique, tenant compte du contexte somatique souvent précaire et de la polymédication, des interventions psychothérapiques plus empathiques et interpersonnelles où la place de la famille n’est pas négligée, tout autant que les démarches sociales très souvent nécessaires au bon déroulement du projet de soin. Il faut insister sur le poids de l’environnement physique qu’il ne faut pas négliger dans l’approche diagnostique et thérapeutique, comme cela sera souligné par la suite.

Dépression

Tout d’abord, la dépression qui est la pathologie mentale la plus fréquente chez le sujet âgé. Sa prévalence est importante en population générale, mais encore plus dans le secteur hospitalier et dans les institutions où elle peut avoisiner 40 %. A côté de la présentation caractéristique relativement identique à celle que l’on peut observer chez l’adulte, il y a des formes plus spécifiques où une symptomatologie particulière prend le devant du tableau, concernant par exemple le domaine de la cognition et réalisant une présentation parfois pseudo-démentielle. Chez telle autre personne âgée dépressive, ce sont des symptômes délirants qui prévaudront avec une thématique persécutoire et de préjudice. On peut aussi être confronté à une personne âgée dépressive devenue hostile qu’il ne faut pas confondre avec un trouble du caractère. On a aussi décrit la dépression conative où démotivation, émoussement affectif, absence de tristesse aboutissant à des négligences de soi, des autres et de l’environnement sont caractéristiques, spécifiques et qui est volontiers rencontrée dans les institutions[3].

Facteurs de risque

De plus, cette pathologie dépressive de la personne âgée comporte des facteurs de risque aussi spécifiques. C’est l’âge des pertes et le vieillissement les rend d’autant plus dépressogènes, mais c’est aussi certains profils de personnalité qui sont plus à même de développer une pathologie dépressive tardive, comme les personnalités narcissiques, évitantes, obsessionnelles et dépendantes[4]. La biographie pèse aussi sur ce risque et ce dès l’enfance, car une personne âgée qui a eu une enfance malheureuse, qui a été victime de maltraitance a un risque accru de déprimer. Il y a aussi des facteurs de risque de nature organique : ce sont certains gènes de susceptibilité, mais surtout des facteurs de risque vasculaires.

Traitement

Pour ce qui concerne l’approche thérapeutique, elle a aussi ses spécificités dans le choix de l’antidépresseur en fonction à la fois d’une approche catégorielle, mais aussi dimensionnelle de la symptomatologie, et ainsi les masques de la dépression chez le sujet âgé justifient l’emploi de telle ou telle molécule, comme par exemple le moclobémide dans la dépression conative du fait de son activité « dopaminergiante ». Le traitement, et surtout si la dépression est récurrente, doit être maintenu après le traitement de « consolidation » qui évite la rechute. Ce traitement de « maintenance » chez le sujet âgé s’envisage au moins sur deux ans pour éviter les récidives, voire indéfiniment et surtout si l’épisode a eu une présentation pseudodémentielle[5]. Dans cette situation, on a même facilement recours à l’électroconvulsivothérapie qui s’avère plus efficace et moins délétère que les antidépresseurs dans de nombreuses situations cliniques. On pratique aussi de plus en plus des sismothérapies d’entretien dans un même but de prévenir les récurrences. Enfin, la psychothérapie dite « interpersonnelle » a pour principal objectif une renarcissisation du sujet âgé.

Néanmoins, la dépression reste encore une pathologie de mauvais pronostic du fait d’une suicidalité importante surtout chez l’homme âgé, mais aussi du fait des conséquences organiques de la dépression qui est délétère et qui favorise certaines pathologies organiques (infectieuses et cardio-vasculaires). Enfin, parce que beaucoup pensent que la dépression peut faire le lit de la démence[6].

Équivalents dépressifs

En clinique psychogériatrique, on sait aussi qu’il existe des équivalents dépressifs parfois plus difficiles à repérer, c’est le cas de l’alcoolisme tardif souvent très dissimulé, des préoccupations hypocondriaques, des glossodynies… Ce sont aussi certaines présentations déroutantes et pour ce qui concerne la dépression dite « pseudo-démentielle », c’est-à-dire qui se présente comme une démence, dans 10 % des cas, elle est diagnostiquée démence et prise en charge comme telle. La dépression dite « vasculaire » de survenue tardive, qui est encore à l’état de concept et qui est marquée par un ralentissement psychomoteur profond, des troubles dyséxécutifs et la confirmation d’une atteinte vasculaire cérébrale par imagerie est aussi déroutante,
car son diagnostic, mal aisé à réaliser, débouche pour l’instant sur le constat d’une faible efficacité des antidépresseurs[7].

Dépistage

Enfin, et surtout pour améliorer le pronostic de la dépression de la personne âgée, il est important de traiter tôt car c’est une pathologie délétère pour certains neurones en particulier hippocampiques et surtout si elle perdure. Le dépistage est ainsi une mission de santé publique qui doit être réalisé par le médecin généraliste référent. Il dispose pour cela d’outils rapides et faciles d’utilisation et suffisamment fiables pour ce dépistage en routine, comme il utilise son tensiomètre et son stéthoscope, ce sont la mini-GDS [8,9,10] et la mini-ERD [11] toutes deux issues d’échelles de passation beaucoup plus longues mais qui gardent des qualités métrologiques (en particulier pour ce qui est de la sensibilité et de la spécificité) très bonnes. Comme on peut aussi proposer l’EDDI (échelle de dépistage de la dépression en institution) [12]. Ainsi mieux dépister, c’est permettre de poser le diagnostic et de déboucher sur un traitement qui doit être bien mené tant sur le plan qualitatif, le bon choix de l’antidépresseur, que sur le plan quantitatif, la bonne posologie et la bonne durée.

Délire tardif

Psychose d’allure schizophrénique d’apparition très tardive

Le délire chez le sujet âgé reste un débat clinique intéressant. En effet, une question qui a fait l’objet d’une conférence internationale de consensus où la France était présente et publiée dans l’American Journal of Psychiatry [13], s’est intéressée à la schizophrénie d’apparition tardive, ou plus précisément à la « very late onset schizophrenia-like psychosis », psychose d’allure schizophrénique d’apparition très tardive. Donc dans le premier cas après 40 ans et dans celui-ci après 60 ans. En fait, le débat n’est pas clos puisqu’il s’agit d’une affaire de terminologie et d’appréciation phénoménologique de la pathologie délirante chez le sujet âgé. Dans ce cadre diagnostique, il y a une absence de trouble du cours de la pensée, d’émoussement affectif et de dissociation. Il s’agit le plus souvent d’une femme âgée, isolée, hallucinée et persécutée.

Cela montre bien ici la limite des outils diagnostiques internationaux comme le DSM dans lequel pour poser le diagnostic de schizophrénie, il n’est plus fait état de la dissociation schizophrénique si chère à Bleuler et aux autres auteurs qui l’ont si bien décrite en son temps. Ce manuel intègre aussi la psychose hallucinatoire chronique et la paraphrénie dans la schizophrénie et utilise le terme de dissociation dans le contexte de l’hystérie. Par ailleurs, cette conférence de consensus a été d’une grande prudence pour ce qui concerne l’attitude thérapeutique.

Délire tardif de préjudice

Dans le « délire tardif du sujet âgé », il n’y a pas d’antécédent du même ordre. On retrouve par contre très souvent des antécédents dépressifs. Il s’agit d’un délire
systématisé interprétatif, imaginatif, parfois hallucinatoire dont la thématique est le préjudice et où cette problématique persécutoire s’articule autour des valeurs principales de la personne âgée : la propriété, la santé et la réputation et, à la différence de la schizophrénie, il n’y a, par définition, pas de syndrome dissociatif caractéristique qui, lorsqu’il est présent, génère chez l’interlocuteur une impression bizarre d’étrangeté, d’impénétrabilité, d’hermétisme, de détachement de la réalité et qui peut s’accompagner d’un délire flou, sans logique, sans référence solide à la réalité (ainsi, l’inverse de ce que l’on observe chez notre sujet âgé délirant) [14].

Ce délire tardif de préjudice de la personne âgée est favorisé par l’isolement, la solitude, le célibat, donc la désafférentation sociale mais aussi sensorielle, les sentiments d’insécurité, les traumatismes infantiles, les événements récents et les troubles de la mémoire. Certaines de ces situations délirantes auraient aussi une parenté avec la démence : facteur de risque, prodrome ou mode de début. La question se pose de la même façon que pour la dépression. Cependant sur un plan psychopathologique, ce délire de préjudice peut être considéré comme un mécanisme actif de lutte contre l’isolement, la dépression et l’anxiété [15]. Le traitement le plus fiable ne repose d’ailleurs pas sur un neuroleptique prescrit seul, mais idéalement sur l’association d’un antidépresseur et d’un antipsychotique à dose filée, le premier pour maîtriser la problématique dépressive, le second pour atténuer l’hyperdopaminergie corrélative au délire. Le délai d’efficacité est cependant plus long que lorsqu’il s’agit d’une problématique dépressive simple.

Conduite à tenir devant l’apparition de troubles psychotiques

En pratique, devant l’apparition de troubles psychotiques chez un sujet âgé sans antécédent, les diagnostics à évoquer ou à éliminer sont dans l’ordre : un état confusionnel, un trouble dépressif, un mode d’entrée dans une démence en particulier à corps de Lewy ou de type Alzheimer. Il faut aussi éliminer une pathologie somatique ou une complication iatrogène et, en dehors de ces situations, avant de conclure à un délire tardif de préjudice, évoquer aussi la psychose hallucinatoire chronique qui est cependant plutôt d’installation progressive entre 40 et 50 ans, sur une personnalité sensitive préalable et très marquée par des hallucinations, un automatisme mental, un syndrome d’influence, avec des voisins vécus facilement comme persécuteurs et des capacités relationnelles par ailleurs préservées, sans aucun signe dissociatif et très souvent pas d’anosognosie. Il faut aussi évoquer l’épisode psychotique aigu réactionnel (EPAR) qui découle d’un événement de vie difficile, et qui correspond à une décompensation (ou à une adaptation) sur une sensibilité cérébrale plus grande entraînant une propension à délirer, sur un ou des déficits sensoriels, chez un sujet âgé avec un niveau de vigilance altéré et pour lequel le meilleur traitement est la réassurance [16]. On voit que cet EPAR et le délire tardif plus durable ont des points communs intéressants.

Anxiété

La pathologie anxieuse du sujet âgé peut être ancienne ou émergente. On estime sa prévalence entre 3 et 10 % des sujets de plus de 65 ans.

Ses conséquences sont importantes : augmentation de la consommation de soins, augmentation de la morbidité associée, augmentation de la dépendance [17].

Les particularités chez le sujet âgé par rapport à l’adulte sont donc une co-morbidité importante entre la pathologie somatique et la survenue de trouble panique (à savoir la récurrence de crises d’angoisse), mais aussi l’importance des troubles cognitifs que cela génère et beaucoup de troubles cognitifs légers (le mild cognitive impairment) sont en fait sous-tendus par une anxiété généralisée. L’apparition d’une anxiété tardive est souvent favorisée par un facteur déclenchant (en particulier l’insécurité, une agression, mais la personnalité antérieure joue aussi un rôle déterminant et comme les pathologies précédentes, elle correspond à un défaut d’adaptation. On a proposé un continuum entre anxiété et dépression ainsi qu’une forte co-morbidité. Il existe en effet des présentations anxieuses, voire anxio-confuses dans la dépression, et l’anxiété du sujet âgé non traitée évolue vers une pathologie dépressive. Il existe des formes d’anxiété spécifiques à la personne âgée comme le syndrome post-chute, le syndrome du coucher du soleil, les déambulations (anxiolytiques ?), le syndrome de Diogène, le syndrome de Godot… [18] Face à cette pathologie, améliorer le dépistage est aussi un enjeu de la psychiatrie du sujet âgé. Un instrument d’évaluation de l’anxiété du sujet âgé : la MASA ou mesure de l’anxiété du sujet âgé a récemment été proposée [19].

Hystérie

L’hystérie du sujet âgé a aussi évolué avec le temps. Du spectaculaire, on est passé à l’intrigant. Et dans le contexte de la vieillesse vécue comme une crise existentielle faite de pertes en tous genres, des remaniements s’imposent : aménagements à trouver, travaux de deuil à réaliser, compromis à trouver dont le seul but est de préserver le narcissisme et de se maintenir en vie. Les modalités réactionnelles classiques sont ainsi faites de retrait relationnel, de rigidification, de recentrage sur soi, de repli, voire de régression.

Dans ce contexte, une personnalité préalablement disposée à utiliser des mécanismes conversifs peut tout à fait s’en servir pour passer ce cap par rapport à l’angoisse que cela peut générer et surtout s’il y a des conflits relationnels. On peut, dans le contexte de nos pays post-industrialisés avec des sujets âgés dotés d’une certaine culture, voir apparaître des tableaux conversifs hystériques qui peuvent facilement emprunter à la dépression et/ou à l’hypocondrie [20]. Chez le sujet âgé, comme autres conversions, on peut citer les chutes à répétition, les incontinences d’installation brutale, les brûlures périnéales inexpliquées, le puérilisme, les épisodes pseudo-confusionnels, mais aussi de façon plus anecdotique, mais qui restent
déroutants pour les collègues qui nous les confient : les dysphagies, les dysphonies, l’astasie-abasie… Le plus étonnant en ce début de 21ème siècle semble être le tableau pseudo-démentiel marqué par des aberrations mnésiques déroutantes. Et on sait bien que l’hystérie emprunte à la culture et à la connaissance. Donc on ne voit plus d’opisthotonos, ni de crise comitiale, mais de la conversion qui emprunte aux craintes de la société et aux perplexités de la médecine : on pourra bientôt parler de conversion pseudo-alzheimériforme…

Confusion

La confusion mentale est une pathologie d’approche souvent pluridisciplinaire. Sa prévalence est importante chez le sujet âgé, car elle peut survenir dans une multitude de contextes et les causes psychosociales ont une place plus importante que chez l’adulte, ainsi que la multifactorialité. Sur le plan symptomatique, les spécificités sont que la clinique peut être très atténuée et beaucoup plus fluctuante. L’anxiété est souvent très présente, ainsi que la désorientation et l’inversion nycthémérale avec pour conséquence des troubles du comportement fréquents. Dans la démarche étiopathogénique, il faut rechercher une modification récente (sans oublier le versant social). L’école suisse a décrit des formes hypo-alertes qui peuvent confiner à la stupeur et des formes hyper-alertes où l’agitation est importante [21]. Des causes spécifiques à la personne âgée ne doivent pas être oubliées : traumatisme autant physique que psychologique donc deuil, changement de cadre de vie, perte d’un animal, sans oublier la situation fréquente du sevrage en benzodiazépine et le cours évolutif de la démence. La prise en charge qui doit être hospitalière est importante car il ne faut pas oublier son mauvais pronostic puisque qu’on observe un décès dans 15 à 30 % des cas. De plus, il est fréquemment observé des idées fixes post-oniriques.

Enfin, chez le sujet âgé, les benzamides et les carbamates sont plus indiqués que les benzodiazépines pour traiter la confusion.

Manie

Concernant l’état maniaque, il va pouvoir être observé dans le trouble bipolaire vieilli et il n’est pas inutile de rappeler que cette maladie se découpe de façon consensuelle en cinq types : le type I qui correspond à des épisodes maniaques avec plus ou moins des épisodes dépressifs majeurs, le type II à des épisodes dépressifs majeurs avec des épisodes hypomaniaques spontanés, le type III à des épisodes dépressifs majeurs avec des hypomanies induites (par le traitement antidépresseur), le type IV à des épisodes dépressifs majeurs avec des antécédents familiaux évidents et le type V à la cyclothymie [22].

Mais la manie tardive est très souvent secondaire, liée soit à une atteinte cérébrale, soit dans un contexte post-opératoire, soit liée à la prise de corticoïdes ou de L-dopa.

L’exaltation et l’euphorie y sont souvent remplacées par l’agitation et l’agressivité.

On y observe aussi facilement des éléments confusionnels, délirants ainsi que des
troubles cognitifs. En fait l’état mixte (mélangeant manie et dépression) est fréquent à cet âge. Le lithium, considéré comme le traitement idéal, est souvent remplacé par un autre thymorégulateur.

Le paradigme de la démence

Le regard du psychogériatre sur la psychopathologie de la démence devait être évoqué. Tout d’abord parce que, depuis que la psychiatrie du sujet âgé s’est individualisée, elle a rappelé que cette affection ne touchait pas seulement la cognition, mais comme l’avait déjà si bien décrit J-E-D Esquirol avec les termes de l’époque (1838), elle touchait aussi l’affectivité et la conation, autrement dit qu’elle modifiait la personnalité, les sentiments, les émotions, l’humeur, la motivation et la volonté [23]. Cette prise de conscience a d’ailleurs fait émerger un regain d’intérêt pour les signes et symptômes psychologiques et comportementaux des démences sous l’égide de l’International Psychogeriatric Association [24]. Et ce nouveau regard va progressivement faire envisager l’approche étiopathogénique autrement, à savoir considérer une dimension psychopathologique au processus démentiel. Il en a découlé des facteurs de risque de nature psychosociale : le plus troublant, repéré par une équipe suédoise, étant la perte d’un parent pendant l’enfance [25] ; mais aussi des facteurs protecteurs encore une fois de nature psychosociale comme la qualité des relations sociales, la qualité ou le style de vie, la profession, le type de loisirs, la qualité du conjoint, les événements de vie, autrement dit, une bonne part revenant donc à la personnalité et à la biographie [26, 27]. Une approche psychosociale intégrative dans la recherche étiopathogénique est donc indiquée et fait l’objet d’un PHRC à Limoges [28]. Elle tente d’évaluer les facteurs de vulnérabilité à développer une démence en combinant évaluation de la personnalité (par le VKP), de la biographie (par le questionnaire EVVIE), sans omettre les axes génétique et surtout neuro-endocrinologique et émettant l’hypothèse que les sujets vulnérables sont ceux qui ont un axe corticotrope dérégulé, des traits de personnalité particuliers donc des stratégies d’adaptation, d’affrontement, de coping particuliers face à l’adversité et qui ont donc déjà vécu des événements de vie négatifs et ce, dès l’enfance [29]. Cette perspective pourrait déboucher sur des propositions de prévention (psychothérapie précoce au décours des traumatismes, traitements novateurs de certaines dépressions par des anti-glucocorticoïdes…) [30, 31, 32].

Conclusion

La psychiatrie de la personne âgée se veut donc être une discipline médicale intégrative. Les troubles mentaux reposent sur une clinique spécifique. Ils se doivent d’être enseignés dans un cadre aussi spécifique et structuré et faire l’objet de recherches avec des paradigmes orientés.

Sur le terrain, par rapport à la psychiatrie générale, cette psychiatrie du sujet âgé se positionne de plus en plus dans une approche intersectorielle et en réseaux et
s’intègre dans des fédérations inter-hospitalières (comme c’est le cas à Limoges avec la neurologie et la gériatrie : ce qui a débouché sur un Centre Mémoire de Ressources et de Recherche tripartite multidisciplinaire, basé comme à Nice en psychiatrie, en l’occurrence le centre hospitalier de psychiatrie du sujet âgé « Jean-Marie Léger »).

Il faut émettre le vœu, comme dans tant d’autres pays, que cette discipline arrive à l’Université dans les études médicales et puisse être une sous-section de la psychiatrie générale au collège national universitaire.

Elle est pour l’instant soutenue par la SPLF, reconnue distinctement dans le Schéma Régional d’Organisation Sanitaire 3ème version (en tout cas en Limousin). Il reste à souhaiter que l’Académie nationale de médecine lui apporte sa considération et la reconnaisse comme telle.

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Étude intégrative des facteurs de vulnérabilité neuroendocrinologique, psycho-environnementale et génétique : comparaison entre sujets présentant une démence de type Alzheimer ou apparentée et sujets contrôles . Programme Hospitalier de Recherche Clinique, Promoteur : CHU Dupuytren,

Limoges (en cours).

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DISCUSSION

M. Henri LÔO

Quelle est la place de l’électroconvulsivothérapie dans certaines affections psychiatriques du sujet âgé, notamment les dépressions délirantes ?

L’électroconvulsivothérapie est tout à fait indiquée chez la personne âgée. Elle a une meilleure efficacité que les psychotropes antidépresseurs et en dehors des situations où elle est contre-indiquée, elle présente une meilleure tolérance que les médicaments. La dépression délirante est en effet une très bonne indication, de même que la présentation hypocondriaque et la dépression pseudo-démentielle.

M. Patrice QUENEAU

Que pensez-vous de la fréquente trilogie « antidépresseur-anxiolytique-hypnotique ’’ fré- quemment employée chez les personnes âgées et dont les effets délétères sont bien souvent inquiétants, en particulier par le fait d’emploi excessif des benzodiazépines ?

Cette association trop classique est de plus en plus délaissée en psychiatrie du sujet âgé au profit de monothérapies antidépressives tenant compte du diagnostic dimensionnel de la pathologie. On prescrit donc plutôt un antidépresseur sédatif du soir chez le sujet âgé dépressif, mais aussi anxieux et insomniaque comme la mirtazapine, et plutôt un antidé- presseur stimulant chez le sujet âgé dépressif ralenti et apathique comme le moclobé- mide. Les benzodiazépines sont de moins en moins prescrites, et en particulier chez le sujet âgé.

Mme Odile RÉTHORÉ

Dans le diplôme universitaire sur le vieillissement y aura-t-il une formation concernant les personnes souffrant de maladies chromosomiques, en particulier la trisomie 21. Les adultes trisomiques 21 vieillissent plus vite que la population générale. L’âge du « mauvais tournant » est très variable d’un sujet à l’autre, de 30 ans à 60 ans. L’évolution n’est pas toujours démentielle mais elle est souvent sur le mode parkison.

Le diplôme d’études spécialisées complémentaires de psychiatrie du sujet âgé va voir le jour à la rentrée 2006. L’enseignement théorique qui se veut exhaustif comporte une réflexion sur le devenir et la prise en charge des handicapés mentaux avec le vieillissement.

C’est une réalité de la pratique en psychiatrie du sujet âgé que de savoir faire face aux difficultés que peuvent présenter avec l’âge à la fois les handicapés mentaux « cognitifs » aussi bien que ceux qui ont un handicap « psychique », sachant que souvent les deux handicaps s’interpénètrent avec le vieillissement.


* Centre de Psychiatrie du sujet âgé « Jean-Marie Léger », Centre Mémoire de Ressources et de Recherche du Limousin, Centre Hospitalier Esquirol, 15, rue du Dr Marcland, 87025 Limoges Cedex. ** 36, Rue Croix verte, 87000 Limoges. Tirés à part : Professeur Jean-Pierre CLÉMENT, même adresse. Article reçu et accepté le 29 mai 2006.

Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, no 6, 1175-1186, séance du 13 juin 2006