Communication scientifique
Session of 23 mars 2010

Traitements de l’infertilité après traitement d’un cancer gynécologique et indication de la congélation du tissu ovarien

MOTS-CLÉS : fécondité. infertilité. tumeurs de l’ovaire. tumeurs de l’utérus.
Infertility treatments after gynecologic cancers and indications of ovarian tissue cryopreservation
KEY-WORDS : cryopreservation.. fertility. infertility. ovarian neoplasms. reproductive techniques, assisted. uterus neolasms

Joëlle Belaisch-Allart et Sophie Bringer-Deutch

Résumé

Les progrès de la cancérologie conjugués au recul du désir d’enfant vont amener des femmes qui ont bénéficié avec succès d’une prise en charge d’un cancer du sein, de l’ovaire ou de l’utérus à vouloir bénéficier d’une prise en charge de leur infertilité si la grossesse spontanée ne survient pas rapidement. La fertilité ultérieure doit être envisagée, de façon multidisciplinaire au moment de la prise en charge thérapeutique : cryoconservation embryonnaire, ovarienne ou ovocytaire. En cas d’infertilité persistante, le recours à l’Assistance Médicale à la Procréation peut dans certains cas se discuter.

Summary

Increasing numbers of young people are surviving cancer, but treatment can affect their reproductive function. Female fertility is more difficult to preserve than male fertility. Fertility-sparing treatments may be possible for some women. For others, embryo cryopreservation is the only established option, provided cancer therapy can be postponed. However, cryopreservation of eggs or ovarian tissue is now becoming a real possibility. Medically assisted reproductive options for cancers survivors include ovarian stimulation, IVF and oocyte donation. Gestational surrogacy and adoption are other possibilities.

Si le premier objectif face à un cancer gynécologique de la femme en âge de procréer est de traiter la maladie, on ne peut plus, en 2010, ignorer le problème de la préservation de la fertilité. De plus en plus, les progrès de la cancérologie conjugués au recul du désir d’enfant vont amener des femmes qui ont bénéficié avec succès d’une prise en charge d’un cancer du sein, de l’ovaire ou de l’utérus à vouloir bénéficier d’une prise en charge de leur désir d’enfant, si la grossesse spontanée ne survient pas rapidement. Bien que les possibilités de ces grossesses spontanées commencent à être connues, notamment après cancer du sein, les spécialistes de la médecine de la reproduction sont souvent démunis face aux demandes de prise en charge de l’infertilité après cancer, tant les données de la littérature sont limitées et souvent contradictoires. Les traitement de l’infertilité ont beaucoup été accusés d’induire des cancers gynécologiques, bien que la littérature récente soit plus rassurante, l’usage de ces traitements chez des femmes ayant déjà souffert de cancer doit donc se discuter au cas par cas dans un cadre multidisciplinaire.

Rappel sur les effets délétères éventuels des traitements de l’infertilité

La première grossesse obtenue par Lunenfeld après administration de gonadotrophines humaines (hMG) date de 1961, le clomifène est commercialisé depuis 1967 et la première naissance FIV, en Angleterre, Louise Brown, date de 1978. Une épidé- mie de cancers aurait largement eu le temps d’apparaître et d’être rapportée [1], néanmoins une controverse existe toujours quant au risque d’induire des cancers de ces traitements.

Cancers de l’ovaire

Il est aujourd’hui admis que le risque de cancer de l’ovaire est augmenté en cas d’infertilité prolongée (> 5 ans) et d’endométriose. De ce fait, il est très difficile d’analyser les effets des traitements de la fertilité sur le risque de cancer de l’ovaire.

Whittemore, en 1992, dans une analyse combinée de douze études cas-témoins américaines, avait mis en évidence une relation entre survenue des cancers de l’ovaire et les traitements de la fécondité [2]. Cette analyse a été l’objet de multiples critiques méthodologiques du fait de nombreux biais possibles de sélection et de diagnostic, et Whittemore elle-même a ultérieurement remis en question ses propres conclusions [3]. Rossing, en 1994 [4] sur une cohorte de 3 837 femmes avait retrouvé une augmentation du risque de cancer de l’ovaire lors d’une utilisation prolongée du citrate de clomifène (>12 mois). Par la suite, de nombreuses publications rassurantes sont parues. La revue de la littérature de Mahadevi, en 2005, n’a pas retrouvé d’association entre traitement de la fertilité et risque de cancer de l’ovaire tous types histologiques confondus [5] et la dernière étude rétrospective publiée en 2009 par Jensen sur une cohorte de 54 362 patientes danoises entre 1963 et 1998, ne met pas en évidence d’augmentation du risque global de cancer ovarien en lien avec l’utilisation des différentes thérapeutiques et leur durée d’utilisation [6]. Néanmoins toutes ces études, concluent de façon prudente : « malgré toutes les données rassurantes disponibles, de nouvelles études bien construites sont nécessaires pour comprendre les possibles effets carcinogènes des inducteurs de l’ovulation. »

Cancer du sein

De nombreuses études de cohorte ou cas témoins n’ont pas retrouvé d’augmentation du risque de cancer du sein chez les femmes ayant bénéficié de traitements de la fertilité [7]. Seul le citrate de clomifène pourrait augmenter ce risque [8]. Toutefois comme pour le cancer de l’ovaire, toutes les études restent prudentes et insistent sur le fait que des études supplémentaires sont encore nécessaires pour prouver l’innocuité des traitements ainsi qu’un suivi à long terme.

Cancers de l’endomètre

Une étude récente conforte l’idée qu’il existe une augmentation du risque de cancer de l’endomètre chez les femmes traitées par inducteurs de l’ovulation et spécialement avec le citrate de clomifène [9].

Cancer du col

Aucune étude n’a montré d’augmentation chez les femmes infertiles traitées.

Préservation de la fertilité

La loi dite de bioéthique du 6 août 2004 (article L. 2141-11) indique que « en vue de la réalisation ultérieure d’une Assistance médicale à la Procréation, toute personne peut bénéficier du recueil et de la conservation de ses gamètes ou de tissu germinal (…), lorsqu’une prise en charge médicale est susceptible d’altérer sa fertilité (…) ».

Chez l’homme la congélation des spermatozoïdes avant traitement stérilisant est entrée dans les mœurs et son efficacité est démontrée. Chez la femme, le problème est plus complexe, les ovocytes étant d’accès plus difficiles et résistant mal à la congé- lation décongélation. Parmi les moyens actuellement disponibles pour tenter de préserver la fertilité ultérieure des femmes traitées pour cancer gynécologique et exposées à des traitements stérilisants, la transposition ovarienne a été longtemps la seule technique possible. La mise au repos des ovaires par analogues du GNRH n’a pas donné de résultats, seules sont validées la conservation embryonnaire, la conservation d’ovocytes matures ou de cortex ovarien.

La congélation embryonnaire est la solution la plus sûre mais elle exige une stimulation de l’ovulation, et un partenaire. Les dernières données de l’Agence de Biomédecine (A B M) font état d’un taux d’accouchement par transfert d’embryon décongelé de 12,8 %. La fécondation in vitro (FIV) en urgence est une alternative raisonnable proposée avant traitement dans certains cancers de l’ovaire ou du sein.

C’est, affirmait en 2005 le Comité d’Éthique de l’American Society for Reproductive Médecine, la seule technique d’efficacité établie au même plan que la congélation de sperme [10]. Elle ne s’adresse toutefois qu’ à des jeunes filles post pubères et présente des inconvénients majeurs : nécessité d’un partenaire, d’une stimulation de l’ovulation (la plus efficace étant l’association analogues du GnRH, protocole long et gonadotrophines soit une durée moyenne de 25 jours) donc d’un délai avant la mise en route de la thérapeutique , elle pose le problème de l’hormono sensibilité de la tumeur et surtout du devenir de ces embryons si le pronostic vital est ultérieurement engagé. Ce cycle de FIV doit être réalisé avant toute chimiothérapie et non après une ou deux cures pour être efficace [11].

La congélation d’ovocytes matures ne nécessite pas de partenaire lors de sa réalisation mais impose une stimulation de l’ovulation, donc le même retard à la prise en charge thérapeutique. De plus, les taux de grossesse rapportés apres congélation et décongélation jusqu’à l’apparition d’une nouvelle technique, la vitrification, étaient trop faibles pour que cette technique puisse être proposée en routine [9]. La congélation lente classique peut endommager les microtubules du fuseau méiotique, à l’origine d’un risque important d’aneuploïdies, elle entraîne également un durcissement prématuré de la zone pellucide par expulsion spontanée des granules corticaux, empêchant à la fois la pénétration du spermatozoïde et l’éclosion du blastocyste. L’ISCI est obligatoire sinon le taux de fécondation est très bas, probablement en raison d’une atteinte de la zone pellucide. La congélation ovocytaire a fait un grand pas avec la technique de vitrification. Cette technique consiste à exposer pour de courtes durées les ovocytes ou les embryons à des concentrations élevées en cryoprotecteurs puis à les refroidir ultra rapidement, ce qui induit une augmentation de la viscosité favorisant la formation d’un état vitreux intra- et extracellulaire et prévenant les effets toxiques et osmotiques associes aux gradients de concentration induits par la cristallisation. Les taux de naissances rapportés sont de 30 % par transfert contre 10 % en congélation lente classique [12, 13]. Actuellement cette technique de vitrification n’est malheureusement pas autorisée en France. Pour éviter le risque de la stimulation de l’ovulation, le recueil d’ovocytes immatures suivi d’une maturation in vitro a été proposé, les ovocytes étant soit fécondés et congelés au stade embryonnaire soit congelés tel quels, mais cette alternative est actuellement plus théorique que pratique, étant donné les résultats actuels.

La cryoconservation ovarienne est la dernière alternative possible pour tenter de préserver la fertilité de ces patientes à haut risque d’insuffisance ovarienne précoce et de stérilité [14-16]. Le prélèvement de tissu ovarien est actuellement proposé aux patientes par quelques équipes en France (une centaine de prélèvements par an, d’apres le registre national du GRECOT) et dans le monde. La stratégie vise à conserver les follicules primordiaux au sein du cortex ovarien, cette technique n’est applicable qu’en dehors d’un cancer ovarien pour lequel la résection de l’organe entier, hile compris, est requise. Elle a l’avantage de ne nécessiter ni stimulation de l’ovulation, ni conjoint et d’être possible à tout âge de la vie. Cette technique préserve des centaines de petits follicules, sans retarder la prise en charge thérapeutique et restaure la fonction gonadique endocrine apres réimplantation du tissu ovarien [17]. Inconvénient, elle est réservée aux femmes jeunes (moins de 30 ou 35 ans) elle nécessite une cœlioscopie et il faut ensuite faire maturer ces ovoytes (qui sont recueillis immatures…) soit in vivo c’est le principe de l’autogreffe de cortex ovarien soit in vitro par culture de follicules ovariens qui n’est actuellement efficace que chez les rongeurs [18]. Le tissu ovarien peut être replacé soit en position pelvienne (greffes dites orthotopiques) sur l’ovaire restant ou sur le péritoine, soit greffé à distance de sa position d’origine (tissu sous-cutané de l’avant-bras ou de l’abdomen, greffes dites hétérotopiques). Le risque est la réintroduction de la pathologie. Parmi les indications de la conservation ovarienne définies par Donnez Tableau 1 : Indications de conservation ovarienne selon Donnez [15] Pathologies malignes * Hémopathies malignes : maladie de Hodgkin, lymphome non hodgkinien, leucémies * Cancers pelviens gynécologiques à des stades précoces : cancer du col, du vagin, de la vulve, de l’ovaire au stade Ia, tumeurs borderline de l’ovaire * Tumeurs pelviennes non gynécologiques : rhabdomyosarcome, sarcome pelvien, tumeurs sacrées, tumeurs recto-sigmoïdiennes * Tumeurs solides extra pelviennes : ostéosarcome, sarcome d’Ewing, cancer du sein, mélanome, neuroblastome Pathologies bénignes * Hémopathies bénignes nécessitant une greffe de moelle osseuse : thalassémie majeure, drépanocytose précoces * Ovariectomie uni-/bilatérale : tumeurs bénignes de l’ovaire, endométriose sévère, mutation

BRCA-1 ou BRCA-2, cancer du col * Pathologies à risque d’insuffisance ovarienne précoce : syndrome de Turner, antécédents familiaux d’insuffisance ovarienne précoce, maladies auto-immunes nécessitant le recours à la chimiothérapie (tableau 1) figurent certains cancers gynécologiques à des stades précoces cancer du col, cancer du vagin, de la vulve, cancers de l’ovaire au stade Ia, tumeurs borderline de l’ovaire [15]. Seules les greffes orthotopiques ont à ce jour permis l’obtention de grossesses soit spontanées soit en FIV. Il faut noter que dans les onze naissances rapportées à ce jour (sur une quarantaine de greffes) aucune ne concernait une femme traitée pour cancer gynécologique. Il faut bien cerner la profondeur de l’insuffisance ovarienne éventuelle attendue pour proposer une technique adaptée au risque et ne pas être plus délétère avec les techniques de préservation de fertilité qu’avec le traitement, et mettre en balance les chances de grossesse spontanée et les options de préservations de la fertilité [14, 19].

La cryoconservation ovarienne paraît être une technique porteuse d’espoir, bien que le nombre de naissances publié à ce jour reste très limité.

Traitements de l’infertilité après cancers du sein

L’amélioration du pronostic, le désir tardif de grossesse, le fait qu’environ 10 % des cancers du sein surviennent chez des femmes de moins de 40 ans, tout concourt à ce que les femmes envisagent désormais une grossesse après cancer du sein. La fertilité après cancer doit être envisagée avant le traitement et de façon multidisciplinaire.

 

Les études plus récentes montrent qu’il n’y a pas de raisons objectives de contre indiquer une grossesse en particulier en cas de cancer de bon pronostic. Il n’y aurait pas d’effet péjoratif d’une grossesse après cancer du sein ni pour la survie ni pour le taux de récidive voire même un effet protecteur pour certains auteurs, néanmoins la prudence s’impose car les effectifs sont faibles et les études rétrospectives. Après la chirurgie et avant le début de la chimiothérapie l’Assistance Médicale à la Procréation (AMP) d’urgence peut être proposée avec congélation embryonnaire ou ovocytaire (dès que la vitrification sera légale en France), si l’on dispose du délai nécessaire avant la mise route de la chimiothérapie. Dans la pratique, les équipes pratiquant l’AMP d’urgence sont rares dans le monde. Des stimulations de l’ovulation par anti aromatase pour limiter les risque liés à l’hyperoestrogénie ont été proposées [20], mais ces drogues n’ont pas l’autorisation de mise sur le marché (AMM) dans cette indication en France. Azim a utilisé une stimulation avec anti aromatase et gonadotrophines sur 79 femmes avant mise en route de leur traitement et les a comparées a un groupe témoin ne bénéficiant pas de préservation de leur fertilité, sans observer plus de risque de récidive à deux ans [21]. Le recueil d’ovocytes immatures est une possibilité plus théorique que réelle actuellement. La cryoconservation ovarienne ne serait pas la technique idéale de préservation de la fertilité dans cette indication, car risquant d’aggraver le risque d’insuffisance ovarienne [19].

À distance du traitement du cancer (délai actuels incertains et empiriques) la décongélation de l’ovocyte ou de l’embryon et son transfert en cycle avec substitution hormonale pourront être réalisés ou la greffe ovarienne. À défaut de conservation, la prise en charge de l’infertilité après cancer du sein reste controversée [22]. La prise en charge chirurgicale d’une infertilité est admise mais la stimulation de l’ovulation pose problème, certains cancérologues redoutant l’effet néfaste des taux élevés d’oestrogènes. Les inséminations intra utérines en cycles spontanés peuvent parfois s’envisager. La fécondation in vitro en cycle spontanée pourrait se discuter mais ses résultats sont très faibles. Les inhibiteurs de l’aromatase (sans AMM, en France) ont été proposés pour stimuler l’ovulation [20, 23]. Une stimulation dite modérée peut se discuter mais ses résultats restent inférieurs à ceux des stimulations classiques. Par ailleurs une des rares études publiées sur les résultats de la FIV après cancer montre que les femmes ayant eu une chimiothérapie répondent moins bien que celles ayant eu exclusivement un traitement local (deux grossesse sur quinze cas contre quatorze sur cinquante-six) et conclut qu’il est préférable chaque fois que possible de faire la FIV avant la chimiothérapie pour cancer du sein [24]. Il est important d’évaluer la réserve ovarienne avant la chimiothérapie, la comparaison des valeurs d’AMH avant et après chimiothérapie permettant d’affiner les prédictions de chance de récupération de la fonction ovarienne [19].

En cas d’insuffisance ovarienne avérée, le recours au don d’ovocyte peut être envisagé. Une préparation de l’endomètre est nécessaire mais la prescription d’un traitement hormonal à doses quasi physiologiques paraît moins délétère aux cancé- rologues qu’une hyperstimulation ovarienne [22]. Vernaeve a comparé trente-trois femmes ayant recours au don d’ovocyte après chimiothérapie et/ou radiothérapie à des femmes ayant recours au don d’ovocyte sans antécédent de cancers, et rapporté des taux de grossesse identiques [25].

Traitements de l’infertilité après cancers de l’ovaire

Tumeurs border line

Chez les patientes jeunes présentant un stade précoce de la maladie, une chirurgie conservatrice, peut être envisagée dans le but de préserver la fertilité. Dans les stades plus avancés, le traitement conservateur est moins consensuel.

L’AMP en urgence, avant chirurgie radicale, tumeur laissée en place, et la cryopré- servation d’embryons ou d’ovocytes sont une alternative pour les atteintes bilaté- rales ou les récidives. Une telle prise en charge a permis l’obtention de plusieurs grossesses [26]. Cette stratégie peu évaluée impose une stimulation de l’ovulation.

Malgré un nombre limite de tentatives (souvent une seule avant le traitement radical), le faible nombre d’ovocytes recueillis (difficulté d’accès aux ovocytes avec la tumeur en place) et un nombre limité d’embryons obtenus, la stimulation d’urgence donne des résultats intéressants qui devraient encourager la diffusion de cette pratique dans certaines situations particulières. En l’absence de conjoint la congélation ovocytaire est possible et a permis l’obtention d’au moins deux enfants [27]. La cryopréservation ovarienne a été évoquée [28], mais toutes les grossesses rapportées a ce jour l’ont été après réimplantation, or il parait difficile de réimplanter des fragments d’un ovaire dont l’exérèse a été décidée en raison de son atteinte par un processus néoplasique.

D’après la littérature [29], environ un tiers des patientes désirant une grossesse après traitement conservateur d’une tumeur border line ont pu être enceintes spontanément, le seul facteur pronostique significatif est l’âge de la patiente au moment du diagnostic. Dans la meta-analyse de Swanton, regroupant neuf études et 213 patientes ayant subi un traitement conservateur d’une tumeur border line, le taux de grossesse observé est de 48 % en cumulant grossesses obtenues spontanément et par AMP [30].

La demande d’AMP après cancer border line est fréquente dans la mesure où 10 à 35 % de ces patientes présentaient déjà un antécédent d’infertilité [29]. De plus, malgré les précautions opératoires, une infertilité de novo, post opératoire est possible. L’atteinte quantitative de la réserve ovarienne est un risque certain [29].

Koskas a recensé dans la littérature 74 femmes ayant bénéficié d’une AMP après traitement conservateur (dont 24 % en stade II/III), la FIV est plus fréquemment proposée que les stimulations ovariennes simples ou associées à des inséminations (81 %versus 19 % des cas). Le taux de grossesse cumulé obtenu par AMP est estimé à 59,5 % avec un taux de récidive global estimé à 10,8 %. Dans l’étude multicentrique française [31], 27 patientes ont eu une fécondation in vitro et trois, une stimulation ovarienne simple. Treize grossesses ont été obtenues (43,3 %) et quatre récidives ont été enregistrées (13,3 %). Ces données sont plutôt rassurantes quant au risque délétère du traitement hormonal de stimulation ovarienne. Se pose toutefois la question d’un biais de sélection, l’AMP n’aurait-elle pas été réservée aux cas de meilleur pronostic ?

Tumeurs malignes

Le pic d’incidence des formes épithéliales qui sont les plus fréquentes est de soixante ans la question du traitement conservateur se pose donc plus rarement. Pour les tumeurs non épithéliales un traitement conservateur est possible pour les stades 1 et 2 et les chimiothérapies utilisées permettent de préserver la fonction ovarienne. Les publications sont rares et limitées. Steinkampf a rapporté le cas de quatre femmes ayant bénéficié d’une AMP après tumeurs malignes sans récidive neuf ans plus tard [32).

Une publication américaine fait état sur un cas de cancer de stade III c d’une stimulation de l’ovulation avant ovariectomie bilatérale et hystérectomie et transfert des embryons obtenus trois ans plus tard à une mère porteuse avec naissance d’un enfant en bonne santé [33].

Traitements de l’infertilité après cancer de l’utérus

Après cancer du col de l’utérus

L’incidence du cancer invasif du col de l’utérus est actuellement en décroissance, le dépistage permets un diagnostic de plus en plus précoce, mais paradoxe, on voit de plus en plus de cancers chez des femmes qui n’ont pas encore d’enfant et ce d’autant plus que l’âge de la première grossesse a, dans les dernières décennies, reculé [34]. Les lésions cervicales actuelles sont, plus souvent qu’autrefois, des états précancéreux ou des cancers à leur début. Les cancers in situ peuvent être traités par une simple conisation (à condition que les marges de la pièce opératoire soient libres de tumeur) Il en est de même pour les« cancers in situ avec invasion stromale débutante » et, pour beaucoup d’auteurs, pour les cancers mesurant moins de 7 mm d’extension horizontale et 3 mm d’extension en profondeur (Stade Ia1). Au-delà de ce seuil, une opération radicale conservatrice est encore possible : la trachélectomie élargie.

Si les risques obstétricaux de ces traitements sont bien documentés, (FCS, accouchement prématuré, hypotrophie, césariennes), il existe peu de données précises sur la fertilité ultérieure. Théoriquement, la conisation peut entraîner une infertilité par trois mécanismes : disparition de la glaire cervicale, sténose cicatricielle (16 % dans la trachélectomie élargie) et fausses couches spontanées précoces par incompétence cervicale [35]. La thérapeutique à proposer est l’insémination intra utérine (IIU). Le problème est que les meilleurs taux de grossesse s’observent avec l’association stimulation de l’ovulation et IIU mais que la stimulation de l’ovulation peut être source de grossesse multiples, qui sont à éviter tout particulièrement dans ce contexte à risque d’incompétence cervicale, ce d’autant plus que la chirurgie a été étendue.

 

Apres traitement d’hyperplasies atypiques et de cancer de l’endomètre

Le cancer de l’endomètre survient le plus souvent après la ménopause, mais 20 % des cas surviennent chez des femmes de moins de quarante ans. Le traitement conservateur est possible chez ces femmes. Deux études récentes font état d’excellents résultats de la FIV sur de petites séries dans ces cas. Jadoul et Donnez ont rapporté en 2003, le cas de cinq femmes ayant recours à la FIV, dont quatre enceintes dès la première tentative [36]. Une équipe israélienne a rapporté les résultats de huit femmes ayant eu recours à trente et un cycles de FIV après cancer de l’endomètre traité par curetage et progestatifs, soit d’emblée soit après échec d’autres traitements [37]. L’épaisseur de l’endomètre le jour de l’hCG a été comparée à celles des femmes en cours de F I V pendant la même période. Il y a significativement plus d’endomètre inférieur à 8 mm dans le groupe cancer, le taux de fécondation n’est pas abaissé. Le taux de grossesse par cycle est de 28 % et par transfert de 29 %, malheureusement les auteurs ne donnent pas leur taux global de grossesse aucune comparaison n’est donc possible, quatre femmes sur les huit ont accouché d’enfants en bonne santé. Les auteurs concluent donc que le pronostic de la FIV dans ces cancers est bon et qu’il y a tout intérêt à y recourir rapidement avant un traitement définitif.

Apres hystérectomie

Apres ablation de l’utérus à l’âge adulte (cancer de l’endomètre ou du col) si les ovaires ont été conservés on peut proposer dans les pays où elle est possible le recours à la gestation pour autrui (GPA) qui trouve dans cette indication une des raisons de lever l’interdiction absolue française. En Grande Bretagne où la pratique de la GPA est encadrée une étude de 2003 avait montré que les antécédents de cancer étaient la cause la plus fréquente de GPA [38], de même en Israël ou plusieurs cas de GPA réussie ont été publiés notamment après transposition ovarienne.

La prise en charge du désir d’enfant après traitement du cancer pose encore de nombreuses questions sur son efficacité, sur son innocuité et doit être envisagée au cas pas cas par une équipe multidisciplinaire. Un traitement conservateur chaque fois que possible et la cryoconservation embryonnaire avant traitement du cancer restent à ce jour les préventions les plus efficaces de l’infertilité en cas de cancer gynécologique.

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DISCUSSION

M. Yves VILLE

Cinquante deux pour cent des cancers de l’ovaire et 10 % des cancers du sein sont génétiquement déterminés en particulier avec le gène BRCA2. Ce cas de figure est d’autant plus probable que ces femmes sont jeunes. Cette possibilité est-elle envisagée ? Comment, dans la prise en charge du cancer, mais aussi dans le cadre du conseil génétique de ces femmes désirant une grossesse et a fortiori lorsqu’elles entrent dans un programme de FIV avec la possibilité technique et légale d’un diagnostic préimplantatoire ?

Chaque fois que cela est possible un conseil génétique est effectivement demandé.

M. Guy DIRHEIMER

La radiothérapie et/ou les traitements médicamenteux n’augment-ils pas les mutations dans le stock d’ovocytes, donc les risques de malformations chez la descendance ? En rétablissant la fertilité, ne courre-t-on pas des risques importants ?

D’où l’importance de la conservation ovocytaire ou embryonnaire avant traitement.

Mme Monique ADOLPHE

La congélation d’ovocytes me paraît importante sur le plan éthique par rapport à l’embryon.

Pourquoi les ovocytes ne sont-ils pas choisis en premier ?

La congélation d’ovocytes telle qu’elle est actuellement autorisée en France ne donne pas de bons résultats. La congélation rapide ou vitrification serait particulièrement adaptée mais elle n’est pas autorisée en France malgré les données extrêmement encourageantes de la littérature internationale.

M. Pierre JOUANNET

L’essentiel des données que vous avez rapportées concernent les jeunes femmes postpubères. Peut-on adapter la même stratégie thérapeutique et préventive quand le cancer gynécologique touche la petite fille avant la puberté ? A partir de quel âge peut-on proposer une cryoconservation du tissu ovarien ?

La cryoconservation de tissus ovariens est possible chez la petite fille pré-pubère après avoir pesé avantages et inconvénients avec les parents.

M. Henry LACCOURREYE

Qu’en est-il de la fertilité, après cancers non gynécologiques traités par chimiothérapie ?

La chimiothérapie a des effets variables selon la chimio et selon l’âge de la femme.

M. Roger HENRION

Le désir d’avoir un enfant chez les femmes atteintes de cancer est-il plus intense de nos jours ?

Désormais les femmes savent qu’actuellement des techniques de préservation de leur fertilité sont possibles. Oui, le désir d’enfant est de plus en plus présent.

 

M. Jean NATALI

À la lumière de ce que nous venons d’entendre, quelle est votre position sur la GPA ?

Je pense que la GPA au cas par cas, encadrée, devrait être autorisée pour les femmes qui naissent sans utérus mais avec ovaires (syndrome de Rokitansky) ou qui perdent leur utérus pour des raisons d’hémorragies de la délivrance ou pour des raisons carcinologiques tout en conservant leurs ovaires.

 

<p>* Gynécologie Obstétrique et Médecine de la Reproduction, Centre Hospitalier des 4 Villes, 141 grande Rue 92318 Sèvres cedex, e-mail : j.belaischallart@ch4v.fr Tirés-à-part : Professeur Joëlle Belaisch-Allart, même adresse Articlereçu le 11 février 2010, acceptés le 15 mars 2010</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2010, 194, no 3, 495-507, séance du 23 mars 2010