Les séances de l’Académie*
*Résumés rédigés par Catherine Adamsbaum, Bernard Bauduceau, Nathalie Cartier Lacave, Jacques Delarue, Jacques Hubert, Jean-Pierre Richer
Mardi du 7 octobre 2025
Séance des membres correspondants de la 4e division
L’eau et l’air, facteurs favorisant les émergences épidémiques
Antoine FLAHAULT, épidémiologie et santé publique, Paris
La vaccination n’est pas le seul levier de prévention
L’association d’une vaccination efficace et d’une mobilisation internationale a réussi à éradiquer la variole en 1980. Le choléra a régressé au début du XXe siècle par l’assainissement des eaux de consommation mais il continue à sévir dans les pays sans accès à l’eau potable. L’amélioration des conditions de vie sont indispensables pour lutter efficacement contre le Plasmodium falciparum. Les volontés politiques sont fondamentales en matière de prévention.
Le cas du « moustique tigre », particulièrement adaptable
Les maladies transmises par le moustique Aedes (dengue, chikungunya ou Zika) sont difficiles à prévenir car Aedes albopictus, dit « moustique tigre », s’est largement installé sur la planète du fait du réchauffement climatique. Des nouvelles technologies de prévention émergent comme le lâcher de moustiques infectés par une bactérie, ce qui réduit leur potentiel de transmission virale sans effet secondaire pour l’environnement.
Ventiler correctement les espaces clos empêche la transmission respiratoire
Les nombreux agents pathogènes respiratoires se transmettent par les microgouttelettes contaminées de la respiration, particulièrement en milieu intérieur mal ventilé. La stratégie vaccinale exclusive nécessite des niveaux de couverture très élevés (plus de 95% pour la rougeole). Or le scepticisme vaccinal se répand dans le monde et on constate une remontée des cas de maladies comme la rougeole. Une approche simple et proactive combinant la vaccination à la qualité de l’air intérieur et au port de masque de protection permettrait un meilleur contrôle.
L’eau et l’air ne sont pas les seules voies de transmission
Les voies sexuelle, cutanée, ou zoonotique ne sont pas abordées ici. Par ailleurs, il existe de nombreux agents pathogènes dont les mécanismes de transmission ne sont pas encore bien connus comme les rotavirus. Le lavage des mains et les solutions hydroalcooliques semblent avoir contribué à la réduction des gastroentérites pendant la période Covid 19, mais la dynamique épidémique saisonnière des gastroentérites ressemble à celle des vagues de grippe, ce qui suggère aussi une transmission par voie respiratoire.
A quand la prise de conscience collective exigeant la mise en œuvre de politiques publiques de lutte contre les risques infectieux épidémiques ?
D’une part, la lutte contre la désinformation doit être solide et d’autre part, l’évaluation précise des coûts /bénéfices résultant des investissements en matière de prévention est importante pour prioriser en connaissance de cause les mesures préventives les plus efficaces au moindre coût.
La surveillance microbiologique des eaux usées est une approche efficace et économique.
Elle permet d’évaluer l’intensité de la circulation de virus et de détecter précocement l’arrivée de nouveaux variants alors que la détection d’agents pathogènes dans l’air reste lourde et coûteuse.
En conclusion, les exemples emblématiques d’éradication de maladies infectieuses devraient inciter à mieux réfléchir, combiner et mobiliser nos moyens de lutte individuelle et collective.
Épidémies virales émergentes et persistance du virus dans le sperme : un risque latent de transmission sexuelle ?
Louis BUJAN, Médecine et biologie de la reproduction, Toulouse
« Les échanges, les migrations importeront en tous pays les maladies humaines et animales de chaque région. L’œuvre est déjà très avancée, elle est assurée d’avenir » Charles Nicolle, prix Nobel de médecine 1928.
Les changements climatiques et démographiques font craindre des épidémies émergentes, ce qui incite à une veille sanitaire internationale réactive et proactive. C’est pour le virus Zica que les preuves d’excrétion du virus dans le sperme et de transmission sexuelle sont les plus nombreuses mais d’autres virus sont aussi concernés avec des conséquences possibles chez les partenaires sexuels, les fœtus et les nouveaux-nés.
Le tractus génital mâle est un réservoir potentiel d’agents pathogènes
Le tractus génital masculin est un organe particulier car les barrières hémato-testiculaire et hémato-épididymaire limitent l’accès de cellules immunitaires, réduit la diffusion de certaines molécules effectrices (anticorps, cytokines, médicaments, toxiques) créant ainsi un environnement propice non seulement à la spermatogenèse, mais aussi à la persistance d’agents pathogènes. Ainsi, il peut persister dans le sperme humain à distance de l’épisode aigu, de l’ARN viral et du virus compétent exposant à un risque de transmission sexuelle retardée de plusieurs semaines ou mois après l’épisode infectieux. Ce risque démontré pour les virus Zika ou Ebola, est soupçonné pour de nombreux autres agents (dengue, chikungunya, fièvre jaune, Mpox, SARS CoV2…).
La persistance du virus dans le sperme a des implications en termes de procréation
Au-delà des conséquences potentielles de l’infection sur la spermatogenèse, la persistance du virus dans le sperme a des implications en procréation, qu’elle soit naturelle ou médicalement assistée. Pour mémoire, la pratique de l’assistance médicale à la procréation a été interrompue plusieurs mois lors de la dernière épidémie de Zika aux Antilles françaises.
Les politiques de santé publique doivent intégrer cette possible transmission sexuelle différée de certains virus
Plusieurs instances internationales et nationales tiennent à jour des recommandations mais il est difficile de les actualiser en temps réel. Les politiques de santé publique doivent intégrer la recherche du génome viral dans le sperme dans l’algorithme de décision pour la prise en charge clinique et les stratégies de prévention individuelle et collective. Ainsi pour les survivants du virus Ebola, l’OMS préconise l’abstinence sexuelle ou des rapports protégés durant 12 mois ou une surveillance mensuelle du sperme avec l’obtention de deux prélèvements sans génome viral avant de lever les restrictions concernant les rapports sexuels. Les médecins généralistes doivent être informés et des campagnes de sensibilisation des populations à risque doivent être menées.
Intégration de la surveillance et de la réponse aux maladies zoonotiques à base communautaire dans les pays à revenu faible et intermédiaire
Hervé Bourhy et Katherine Worsley-Tonks, Institut Pasteur, Paris
Les zoonoses sont des maladies transmissibles des animaux vertébrés à l’homme par contact direct ou indirect. Il s’agit d’une priorité de santé publique, en particulier dans les pays à revenu faible et intermédiaire (PRFI). Plus de la moitié de la population mondiale n’accède pas à des soins de santé adéquats et des solutions adaptables et répondant à des objectifs de développement durables doivent impérativement être mises en place pour limiter la propagation de zoonoses.
Les interactions limitées entre les communautés rurales et les services de santé empêche le contrôle des maladies zoonotiques
Dans les zones rurales et isolées des PRFI, les établissements de santé (hôpitaux, dispensaires, services vétérinaires) sont situés au sein de structures administratives (départements, comtés…) qui disposent de peu d’acteurs, souvent non médecins (infirmiers ou techniciens) et de budgets très limités. L’absence de prise en compte des perceptions des communautés aboutit souvent à leur méfiance à l’égard des solutions proposées par les services de santé. Par exemple, le déploiement de tests de diagnostic rapide (TDRs) sur le terrain ne peut être efficace que si les communautés signalent effectivement les cas et qu’il soit procédé rapidement aux prélèvements nécessaires.
De l’intérêt d’une intégration des agents de santé communautaires (ASC) et des agents communautaires de santé animale (ACSA) dans les programmes de santé
Le recours à des personnes relais permet de proposer des approches collaboratives entre les services de santé publique, les services vétérinaires et les communautés. D’autres membres de la communauté en première ligne comme les bouchers, chasseurs, gardes forestiers, peuvent aussi jouer un rôle proactif essentiel. Les ASC travaillent principalement sur les soins maternels et infantiles et l’éducation sanitaire générale. Les ACSA, moins nombreux que les ASC, commencent à jouer un rôle important et les progrès technologiques permettent à tous ces acteurs de partager des données en temps réel.
Professionnaliser et évaluer le programme au moyen d’une approche structurée et progressive
L’absence de rémunération des ASC et ASCA et la lenteur de réaction des services de santé génère un désintérêt, voire une méfiance. Il importe donc de reconnaitre officiellement le rôle des agents de santé, d’établir clairement leur mission, et d’y assigner un budget et d’élaborer un programme structuré qui sera évalué.
L’approche « Une seule santé » réunissant les secteurs de la santé humaine, animale et environnementale est essentielle pour gérer les zoonoses. Cette stratégie, prouvée comme étant efficace, contribue aux objectifs de développement durable (ODD) mais elle n’est pas encore bien maitrisée dans toutes les régions concernées.
IA et big data : quelle place pour améliorer la prédiction des épidémies et les réponses globales ?
Etienne MINVIELLE, Institut Gustave Roussy
Le recours à l’IA en matière d’épidémies est récent.
Surtout exploité après la période Covid 19, le recours aux algorithmes d’IA peut être envisagé dans 3 catégories d’objectifs : prévisions épidémiologiques, modélisation épidémique, réponse épidémique.
Dans les prévisions épidémiques (« now casting »), l’IA permet effectivement d’améliorer la connaissance en temps réel et à très court terme, c’est à dire d’améliorer le dépistage et la surveillance des infections épidémiques. La vitesse et la précision de la trajectoire future des cas se sont améliorées en réduisant l’impact du bruit et des biais de déclarations, en particulier avec l’utilisation de réseaux neuronaux. Les collectes de données peuvent être multimodales avec méthode de langage naturel pour une détection rapide.
En revanche, dans les prévisions épidémiques à long terme (« forecasting »), l’IA qui ne connait ni la nouveauté ni l’imprévu, est peu contributive comme en a témoigné l’échec historique à prévoir la pandémie à Covid 19, c’est à dire une maladie dont ni les données de survenue, ni les mécanismes de propagation ne sont connus. De même, dans l’aide à l’amélioration des réponses globales à donner (vaccins, traitements médicamenteux, modélisation de scénarios), les modèles patinent notamment en raison de comportements des populations insuffisamment compris et sont l’enjeu d’autant de défis.
Les défis restent nombreux.
Ils portent en particulier sur l’accessibilité des données notamment dans les pays à faibles revenus, la qualité des données qui sont souvent peu structurées, leur stockage coûteux et consommateur d’énergie. L’avenir est à la modélisation multidonnées intégrant des composantes sanitaires mais aussi économiques et sociales, climatiques et environnementales, biologiques et immunologiques…où chaque strate d’information peut contribuer à la prédiction/modélisation. Par ailleurs, peu d’éléments sont connus sur la part cognitive des choix et décisions des individus, le rôle des émotions, des croyances et des phénomènes d’identité sociale. Il semble que le porteur du message est aussi important que le message lui-même. Les modèles sont souvent développés par des acteurs privés, posant des vastes défis éthiques collectifs pour atteindre l’objectif d’une santé publique transparente, précise, juste et équitable dans le monde.
