Published 23 January 2025

Les séances de l’Académie*

*Résumés rédigés par Catherine Adamsbaum, Bernard Bauduceau, Nathalie Cartier Lacave, Jacques Delarue, Jacques Hubert, Jean-Pierre Richer.

 

Mardi 21 janvier 2025

Angioplastie coronaire dans le syndrome coronaire chronique : un changement de paradigme ? par Christian Spaulding (cardiologue, Paris)

 L’angioplastie percutanée est la méthode de revascularisation coronaire actuellement la plus utilisée. Une réduction de la morbi-mortalité a été démontrée dans les syndromes coronaires aigus et justifie la mise en place de réseaux de prise en charge des urgences coronaires. En revanche, chez des patients présentant un syndrome coronaire chronique (angor stable), il n’y a pas de bénéfice reconnu en termes de survie. Pourtant, malgré les recommandations, la « croyance » générale dans le rôle préventif de l’angioplastie coronaire chez des patients stables perdure. Il est donc important de préciser l’état des lieux d’autant que l’angioscanner coronaire a bouleversé la prise en charge du syndrome coronaire chronique.

 Comment faire le diagnostic du syndrome coronaire chronique en 2025 ?

La clinique prime.  L’interrogatoire doit reconnaitre la douleur rétro sternale constrictive d’effort pouvant irradier. La recherche de facteurs de risque (hypercholestérolémie, diabète, hypertension artérielle tabagisme…) et d’autres localisations d’athérosclérose permettent d’évaluer la probabilité d’une maladie coronaire. L’examen est complété par un ECG, un bilan sanguin (NFS, ionogramme, créatinine, bilan lipidique et glycémie à jeun). Une échographie cardiaque permet d’évaluer la fonction ventriculaire gauche. Si la probabilité de maladie coronaire chronique est alors intermédiaire ou forte, le patient a un angor non invalidant et la réalisation d’un angioscanner coronaire ou d’un test d’ischémie (épreuve d’effort couplée à une scintigraphie, échographie ou IRM) est nécessaire.

La coronarographie reste le moyen diagnostique de référence de la maladie coronaire mais elle nécessite une hospitalisation d’au moins quelques heures et le taux de complication grave n’est pas nul (moins de 1%). L’angioscanner coronaire est un examen non invasif, rapide et très fiable, avec un risque minime de complication grave.

Une fois posé le diagnostic de syndrome coronaire chronique, quels patients peuvent bénéficier d’une revascularisation ?

La revascularisation (angioplastie coronaire ou pontage aorto-coronarien) vise à améliorer le pronostic des patients et/ou leur qualité de vie. L’indication d’une revascularisation coronaire est basée surtout sur l’évaluation clinique de la sévérité de l’angor avec, si besoin, un test d’ischémie ou une coronarographie.

Dans la majorité des cas de syndrome coronaire chronique, la revascularisation n’a pas d’influence sur la survie des patients (infarctus, mort subite) mais elle améliore leur qualité de vie en diminuant ou supprimant les douleurs angineuses.

Certaines lésions particulières (sténoses du tronc commun, de l’IVA proximale, bi ou tri tronculaires avec altération de la fonction ventriculaire gauche…) doivent cependant conduire à une coronarographie car la revascularisation améliore le pronostic de ces patients.

Faut-il dépister la maladie coronaire chez des patients asymptomatiques à risque ?

Le traitement médical et la prise en charge des facteurs de risque de la maladie coronaire restent la base du traitement du syndrome coronaire chronique. Devant des patients sans angor mais ayant des facteurs de risque de la maladie athéromateuse, aucune étude n’a montré l’intérêt de l’angioscanner coronaire de dépistage. Le score calcique, effectué par scanner sans injection de produit de contraste, est basé sur la détection des calcifications coronaires mais il n’a aucune valeur à l’échelle individuelle.

Quels changements dans l’organisation de la prise en charge du syndrome coronaire chronique ?

La fermeture de centres de cardiologie interventionnelle est à craindre du fait des difficultés du recrutement médical et de la baisse du volume des actes. Or, la prise en charge des urgences coronaires nécessite moins d’une heure de transport vers un centre de cardiologie interventionnelle, ce qui est le cas actuellement sur plus de 90% du territoire métropolitain (cf rapport de l’Académie Nationale de Médecine publié en 2023).

Un point de vigilance est l’excès d’examens et procédures inutiles, voire contreproductifs, tels que la réalisation d’angioscanners coronaires chez des patients asymptomatiques, pouvant être suivis de coronarographies et d’angioplasties non indiquées.

 

 

Innovations thérapeutiques dans la prise en charge de la schizophrénie par Sonia Dollfus (psychiatre, Caen)

La schizophrénie est une maladie handicapante nécessitant une prise en charge souvent à vie.  Les premiers signes débutent progressivement à l’adolescence ou chez l’adulte jeune mais le diagnostic précoce est difficile car les prodromes sont polymorphes. Il peut s’agir de symptômes positifs (hallucinations auditives et idées délirantes), négatifs (anhédonie, retrait social, émoussement affectif…), de troubles du cours de la pensée et de troubles cognitifs.

Les antipsychotiques oraux, dont l’action pharmacologique principale est de bloquer les récepteurs dopaminergiques, constituent le traitement de fond. Actuellement, de nouvelles molécules agissant sur d’autres systèmes de neurotransmission ouvrent de nouvelles perspectives. D’autres innovations portent sur l’organisation des soins et les thérapeutiques adjuvantes, avec notamment l’activité physique. Tous ces espoirs thérapeutiques soulignent l’intérêt d’un diagnostic très précoce.

Le schéma thérapeutique classique de la schizophrénie repose sur un traitement médicamenteux associé à des mesures adjuvantes.

Les antipsychotiques oraux doivent être utilisés en équilibrant efficacité, effets secondaires et préférences individuelles. Une thérapie cognitivo-comportementale doit être envisagée dès la phase aigüe et des interventions psychosociales doivent être proposées en phase d’entretien.

De nouveaux espoirs naissent avec les molécules ciblant des systèmes de neurotransmission autres que dopaminergiques.

Pour citer quelques exemples, dans le système cholinergique, KarXT (xanomeline) est la première des molécules sans effet antidopaminergique à avoir été approuvée par la Food Drug Administration (FDA) dans le traitement de la schizophrénie. Les récepteurs associés aux amines traces (TAAR1) modulent les neurotransmissions dopaminergiques, sérotoninergiques et glutamatergiques. L’hypothèse d’une dysrégulation de la neurotransmission glutamatergique via les récepteurs NMDA est étayée. Dans le système sérotoninergique, la pimavanserine (approuvée par la FDA pour le traitement des symptômes psychotiques du Parkinson) semble avoir des effets prometteurs sur les symptômes négatifs.

 L’organisation des soins évolue

Le retard thérapeutique est un facteur pronostique péjoratif. Des équipes ambulatoires se sont développées, à l’instar de l’expérience du CHU de Caen, afin d’instaurer un traitement rapide et personnalisé chez des jeunes présentant un premier épisode psychotique.

Les outils numériques (téléphones portables, objets connectés) peuvent permettre d’optimiser le suivi des patients (par exemple, par autoévaluation des hallucinations auditives avec retour médical instantané) sous réserve de validation. L’objectif est aussi de rendre le patient plus autonome par une meilleure reconnaissance de ses symptômes.

Les traitements adjuvants

Les traitements par neurostimulation cérébrale, comme la stimulation magnétique transcranienne répétitive (rTMS), peuvent être utiles en association avec les antipsychotiques pour améliorer les hallucinations auditives et les symptômes négatifs.

L’implémentation en France des centres ressources régionaux de réhabilitation a permis de développer des mesures bénéfiques comme la thérapie cognitivo-comportementale et la psychoéducation. L’activité physique est une mesure phare chez les patients atteints de schizophrénie en raison de leur sédentarité, des comorbidités métaboliques et cardiovasculaires fréquentes et de leur longévité réduite. L’activité physique adaptée à distance (par e-coaching) a démontré son efficacité et devrait se développer, notamment pour des patients souffrant de troubles schizophréniques avec isolement et forte anxiété sociale.

 

 

La boucle fermée hybride : évolution ou révolution dans la prise en charge du diabète de type 1 par Charles Thivolet (endocrinologue, Lyon)

Depuis 1922, date de la première vie sauvée par l’insuline, la technologie a considérablement progressé. L’administration continue d’insuline chez des personnes atteintes d’un diabète de type 1 est devenue possible dès le diagnostic. Des pompes combinées à des algorithmes et des systèmes connectés permettent une diffusion automatisée d’insuline. La boucle fermée hybride appelée également pancréas artificiel, est aujourd’hui opérationnelle mais il faut bien en comprendre les avantages, contraintes et limites, afin d’optimiser l’efficacité thérapeutique.

Les avantages de la boucle fermée hybride

Le diabète de type I correspond à une carence absolue ou quasi absolue en insuline, secondaire à la destruction des cellules béta des îlots de Langerhans du pancréas par un mécanisme auto-immun. Le traitement par insuline doit donc subvenir aux besoins physiologiques et les enjeux thérapeutiques sont doubles : éviter le coma acidocétosique et obtenir un bon contrôle de la glycémie pour limiter les complications chroniques du diabète, notamment la rétinopathie, la néphropathie et la neuropathie. Or, la variabilité glycémique n’est pas reflétée par le dosage de l’hémoglobine glyquée. L’introduction de la mesure continue du glucose a permis de modéliser les besoins en insuline afin de permettre une automatisation partielle du traitement avec une pompe à insuline pilotée par un algorithme approprié. Une boucle fermée est un système qui délivre l’insuline en sous-cutané par une pompe externe, effectue la mesure continue du glucose interstitiel avec un capteur, intègre un algorithme faisant le lien entre la pompe et le capteur, avec possibilité d’un suivi des données par télésurveillance médicale. La boucle fermée permet d’optimiser la régulation glycémique sans augmentation des hypoglycémies sévères. Les utilisateurs témoignent d’une nette amélioration de leur qualité de vie et de leur sommeil du fait de la stabilité de l’équilibre obtenu.

Les contraintes de la boucle fermée hybride

Une boucle fermée dite hybride signifie que le système n’est pas entièrement ajusté automatiquement, en particulier pour l’insuline prandiale que l’utilisateur doit toujours doser manuellement (bolus repas). À l’heure actuelle, il n’existe aucun dispositif pouvant être considéré comme une boucle totalement fermée et la gestion de la glycémie lors de repas, sports, maladies intercurrentes, nécessite encore des progrès techniques. Il y a donc des facteurs humains à prendre en compte, avec une nécessité de formation puis d’adhésion au système. Cette nouvelle prise en charge est une révolution pour les personnes qui l’adoptent, avec des niveaux de contrôle inégalés au prix d’une charge mentale moindre. C’est aussi une transformation des pratiques nécessitant la formation des professionnels de santé ainsi que l’adaptation des organisations sanitaires et de leur financement.

 

 

Le baclofène à fortes doses dans le trouble de l’usage de l’alcool 20 ans après par Bernard Granger (psychiatre, Paris)

En 2004, l’auto observation d’un cardiologue français, Olivier Ameisen, soulignait l’intérêt du baclofène à hautes doses dans le trouble de l’usage de l’alcool. Au cours des 20 ans qui ont suivi, l’utilisation du baclofène dans l’indication du trouble de l’usage de l’alcool a été l’objet de travaux scientifiques internationaux mais aussi de polémiques médicales et règlementaires en France. Le trouble de l’usage de l’alcool est un fléau mondial, diversement réparti mais le pourcentage de patients traités est inférieur à 20 %. Parmi les conditions d’une lutte efficace contre ce fléau, il convient de souligner en premier lieu l’importance des politiques de santé publique. Au plan individuel, les stratégies thérapeutiques optimales associent traitement médicamenteux et psychothérapies mais l’approche pharmacologique reste limitée. Actuellement, la France est le seul pays où le baclofène est autorisé dans le trouble de l’usage de l’alcool.

Le baclofène et son histoire

Le baclofène, utilisé habituellement pour le traitement de contractures spastiques, est un agoniste spécifique du récepteur GABA-B. Dans l’espèce humaine, sa demi-vie est de 3 à 4 heures, ce qui oblige à des prises quotidiennes répétées. Son élimination est rénale, ce qui a un intérêt chez les patients ayant une altération des fonctions hépatiques.

Dès les années 1970, l’équipe de Carlsson, prix Nobel de physiologie et de médecine en 2000 pour ses travaux sur la dopamine, a montré que les voies gabaergiques pouvaient moduler les voies dopaminergiques et que les substances gabaergiques comme le baclofène pouvaient avoir un intérêt dans l’alcoolisme. En 2008, Olivier Ameisen a publié le récit de son addiction et de son auto-expérimentation dans Le Dernier Verre, ce qui a favorisé l’utilisation large du baclofène. Une vigoureuse polémique médicale s’en est suivie, avec des « pour » et des « contre » le baclofène à fortes doses, au motif de l’absence d’études cliniques avec niveau de preuve élevé et de l’absence de données de sécurité.

Que disent les études ?

Les études observationnelles indiquent une efficacité assez élevée du baclofène à hautes doses dans le maintien de l’abstinence ou d’une consommation modérée, y compris à partir de données obtenues après deux ou trois ans de suivi, ou chez des patients atteints de cirrhose. Des effets indésirables ont été notés parmi lesquels une asthénie, des troubles du sommeil, des symptômes musculaires, et un syndrome de sevrage en cas d’arrêt brutal. Pour chaque patient, il convient donc de bien évaluer la balance bénéfices-risques, en prenant notamment en compte la gravité médicale et sociale de son alcoolisme.

Les études du baclofène en double aveugle contre placebo dans le trouble de l’usage de l’alcool sont assez nombreuses, mais aucune ne respecte le même protocole et celles qui ont recours à de fortes doses ne sont qu’au nombre de quatre.

Les nombreuses méta-analyses sont de qualité variable, donnent des résultats contradictoires, et paraissent être le reflet des difficultés à étudier l’efficacité d’une molécule dans un tel contexte.

A ce jour,

Après plusieurs rebondissements dans le processus règlementaire, la France est actuellement le seul pays où le baclofène est autorisé officiellement « chez les patients adultes ayant une dépendance à l’alcool et une consommation d’alcool à risque élevé (> 60 g/jour pour les hommes ou > 40 g/jour pour les femmes) » (Vidal). Les conditions de l’utilisation du baclofène sont bien définies, notamment l’adaptation individuelle de la posologie à doses progressives. Nombre de patients ont pu guérir de leur trouble de l’usage de l’alcool grâce à ce médicament, qui a pu leur être prescrit grâce à la ténacité des associations de malades et de médecins qui avaient perçu l’intérêt de cette molécule dans cette indication.