Les séances de l’Académie*
*Résumés rédigés par Catherine Adamsbaum, Nathalie Cartier Lacave, Jacques Delarue, Jacques Hubert et Denis Malvy
Mardi 24 septembre 2024
Vers un modèle en méta-réseau du fonctionnement cérébral : contribution de la chirurgie éveillée des gliomes de bas grade et implications thérapeutiques
Hugues DUFFAU (Neurochirurgie, Hôpital Gui de Chauliac, CHU de Montpellier)
Le cerveau est magique.
A la théorie classique du XIXe qui indiquait qu’à une zone anatomique cérébrale correspondait une fonction, s’est progressivement substituée une vision fonctionnelle du cerveau, basée sur les notions de plasticité cérébrale et de connectome, c’est-à-dire une approche en termes de réseaux. Le connectome est organisé en circuits parallèles, qui sont en interaction permanente et capables de se compenser dans une certaine mesure, d’où le potentiel de plasticité cérébrale. Il existe cependant une très grande variabilité anatomo-fonctionnelle interindividuelle et les développements de la neuroimagerie fonctionnelle (IRM fonctionnelle et imagerie par tenseur de diffusion en particulier) ne permettent pas aujourd’hui de détecter les connexions en temps réel à l’échelon individuel.
Un changement de paradigme : la chirurgie éveillée et précoce des gliomes de bas grade.
Les gliomes de bas grade sont des tumeurs cérébrales lentement évolutives de l’adulte. Elles progressent sur plusieurs années et génèrent des mécanismes de neuroplasticité c’est à dire un remodelage des cartes neurono-synaptiques permettant une compensation fonctionnelle prolongée. Ainsi, dans la première phase de développement de la tumeur, les patients porteurs de gliomes de bas grade, souvent des adultes jeunes, présentent peu de symptômes neurologiques et peuvent continuer à mener une vie active. Une fois le seuil de neuroplasticité atteint, une crise d’épilepsie inaugurale va souvent révéler la maladie. En l’absence de traitement, la tumeur continue inexorablement à progresser et envahir les principaux faisceaux cérébraux, ce qui aboutit à une détérioration des fonctions cognitives avec retentissement sur la qualité de vie. En l’absence de traitement, la tumeur se transforme inéluctablement en gliome de haut grade, ce qui engage le pronostic fonctionnel puis vital, 6 à 7 ans environ après le diagnostic. Les mécanismes précis et le moment de cette mutation restent à ce jour incompris mais le volume tumoral est un élément important du pronostic, ce qui justifie le recours à une chirurgie précoce. Celle-ci permet des bons résultats en termes d’espérance de vie, au prix d’exérèses parfois itératives.
Actuellement, un changement de paradigme a été introduit dans la pratique chirurgicale afin de prioriser la qualité de vie des patients : la résection est désormais réalisée selon des limites fonctionnelles et non plus selon des limites anatomiques de la tumeur, lesquelles sont en réalité indéfinissables. Autrement dit, l’exérèse est guidée, non plus par l’imagerie oncologique, mais par l’identification et le respect des structures cérébrales qui sont cruciales pour la fonction. C’est la raison pour laquelle la chirurgie éveillée s’est développée, permettant une cartographie par stimulation électrique directe à la fois corticale et axonale pendant que le patient effectue un véritable bilan neurocognitif en temps réel tout au long de la résection. Il est ainsi possible de bénéficier d’une carte fonctionnelle individuelle des réseaux neuronaux impliqués dans le mouvement, le langage, la cognition (conscience visuo-spatiale, fonctions exécutives, attention…) et l’émotion. Si les stimulations électriques directes génèrent un trouble fonctionnel transitoire pendant la durée de la stimulation, avec récupération immédiate dès l’arrêt de cette dernière, cela signifie que la structure neurale doit être sauvegardée. L’exérèse du cerveau infiltré est ainsi poursuivie jusqu’au contact des réseaux essentiels afin d’optimiser la balance tumeur-fonction, c’est à dire minimiser le volume tumoral pour augmenter la survie, tout en préservant les circuits cortico-sous-corticaux indispensables pour permettre le retour à une vie active après l’intervention. Une réduction significative du taux de déficit postopératoire sévère permanent (type hémiplégie ou aphasie) a été observée (moins de 1%), avec 94% de retour au travail. Si une re-progression tumorale survient, une ou plusieurs chirurgies complémentaires peuvent être envisagées de la même façon.
La chirurgie éveillée est aussi une opportunité unique d’explorer l’architecture anatomo-fonctionnelle du cerveau
La chirurgie éveillée des gliomes diffus permet d’explorer l’architecture anatomo-fonctionnelle du cerveau, in vivo, à la fois au niveau des structures corticales et sous-corticales. Des nouveaux modèles cognitifs ont été proposés sur la base des données obtenues par les stimulations électriques directes per-opératoires, avec une organisation en réseaux interactifs et capables de se compenser au moins partiellement. Le concept de « méta-réseau » repose sur le principe d’interactions transitoirement constituées entre plusieurs circuits, dans le but de créer une réponse comportementale adaptée à une demande environnementale – ou autogénérée. Ainsi, l’instabilité permanente du connectome au sein et entre les circuits peut être modélisée, ce qui donne une ouverture dans la compréhension de la complexité des comportements humains.
Cette vision anatomo-fonctionnelle ouvre des portes entre la médecine et les sciences en allant à la fois vers de nouveaux modèles cognitifs en neurosciences et vers des stratégies thérapeutiques innovantes chez les patients cérébrolésés, que ce soit en neurochirurgie, neurologie, rééducation fonctionnelle ou en psychiatrie.
Nouveaux critères diagnostiques des mastocytoses : des progrès mais encore des interrogations
Michel AROCK (Centre de référence des mastocytoses, GH de la Pitié-Salpêtrière, DMU BioGeMH ; Plateforme d’analyse moléculaire des mastocytoses et des syndromes d’activation des mastocytes, Hôpital Saint-Antoine, DMU BioGeMH, AP-HP. Sorbonne Université, Paris)
Les mastocytoses constituent un groupe hétérogène d’hémopathies rares.
Les mastocytoses sont caractérisées par l’accumulation de mastocytes clonaux dans divers organes, notamment la peau, et dans leurs formes systémiques la moelle osseuse, la rate, le foie et le tube digestif. Les mastocytes sont des cellules multifonctionnelles du système immunitaire présentes dans les tissus conjonctifs et les muqueuses de nombreux organes. Ces cellules produisent et stockent un certain nombre de médiateurs pro-inflammatoires et immunomodulateurs dans leurs granulations métachromatiques, notamment de l’histamine, de l’héparine, de la tryptase, des cytokines et des chimiokines. Les mastocytes expriment également de nombreux récepteurs (sites de liaison au complément, récepteurs de cytokines et récepteur de haute affinité pour les IgE). Lors de l’activation par un agent externe tel qu’un allergène, les mastocytes libèrent leurs médiateurs granulaires dans l’espace extracellulaire, synthétisent et libèrent des médiateurs lipidiques dérivés de la membrane, des cytokines et des chimiokines.
Deux classifications pour les critères diagnostiques des mastocytoses co-existent actuellement.
Depuis 2001, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) distingue deux variantes selon leur pronostic, les mastocytoses cutanées isolées et les mastocytoses systémiques. Dans les pays occidentaux, la prévalence des formes systémiques de la maladie, qui atteint essentiellement des adultes, est estimée à environ 2 à 3 cas pour 10 000 habitants, tandis que la prévalence des formes cutanées isolées, retrouvées essentiellement chez l’enfant, est légèrement plus élevée. Bien que cette classification reste valable à ce jour, de nouvelles données diagnostiques et pronostiques ont rendu nécessaire son amélioration.
Les deux classifications proposées en 2022, celle de l’International Consensus Classification (ICC) et celle de l’OMS, basées sur l’existence d’un critère majeur (infiltrats denses multifocaux de mastocytes (> 15 mastocytes en amas) dans des biopsies de moelle osseuse et/ou dans des coupes d’autre(s) organe(s) extracutané(s)) et/ou de critères mineurs, diffèrent sur quelques détails et il persiste un questionnement sur la place des cas « limites », que l’on pourrait qualifier de pré-mastocytoses systémiques ou de désordres mastocytaires clonaux.
Selon l’OMS, les mastocytoses systémiques sont divisées en différentes variantes de pronostic différent : la mastocytose médullaire isolée et la mastocytose systémique indolente, de bon pronostic, la mastocytose systémique lentement progressive de pronostic intermédiaire, et celles de pronostic défavorable, dont font partie la mastocytose systémique agressive, la mastocytose systémique associée à une autre hémopathie maligne et la leucémie à mastocytes.
Chez la majorité des patients atteints de mastocytose systémique, on retrouve dans les mastocytes pathologiques une mutation ponctuelle acquise et activatrice du gène KIT, qui code pour le récepteur KIT, dont le ligand, le stem cell factor (SCF) est le principal facteur de croissance des mastocytes.
Le pronostic et l’évolution des mastocytoses systémiques varient selon les patients, en fonction de la variante de la maladie et de la présence ou non des différentes caractéristiques cliniques et moléculaires. Tous les patients atteints de mastocytose, qu’elle soit systémique ou cutanée isolée, peuvent souffrir de symptômes multiples liés à la libération des médiateurs mastocytaires. Ces symptômes peuvent être graves, marqués parfois par un choc anaphylactique, et sont souvent résistants aux traitements symptomatiques, à type d’antihistaminiques et/ou de corticoïdes et/ou d’antileucotriènes et/ou de biothérapies anti-IgE comme le Xolair®. S’ils sont récurrents, ils définissent alors chez le patient l’existence d’un syndrome d’activation mastocytaire. Dans les formes avancées de mastocytose systémique, les symptômes prépondérants sont surtout liés à l’envahissement tumoral de différents organes. Un facteur important concernant la progression de la maladie et la survie des patients atteints est la présence d’une autre hémopathie maligne associée telle qu’une leucémie myélomonocytaire chronique, un syndrome myélodysplasique, un syndrome myéloprolifératif ou une leucémie aiguë myéloïde.
Des nouvelles thérapeutiques existent.
Au cours des 20 dernières années, plusieurs facteurs pronostiques de la mastocytose systémique ont été validés et des systèmes de scores multiparamétriques ont été développés afin d’améliorer les prédictions de survie et d’évolution. Des nouvelles approches thérapeutiques ont amélioré le pronostic, la survie et la qualité de vie des patients atteints de mastocytose systémique, comme les inhibiteurs de tyrosine-kinase (ITKs) ciblant le récepteur muté KIT D816V ou la greffe de cellules souches hématopoïétiques allogéniques combinée ou non à ces inhibiteurs. Par ailleurs, il a été montré très récemment qu’un trait génétique, l’alpha-tryptasémie héréditaire (HT), pouvait influencer la gravité et la fréquence des symptômes liés aux médiateurs dans les mastocytoses.
La protéine S100B, premier marqueur pour le diagnostic biologique du traumatisme crânien léger
Jean-Louis BEAUDEUX (Biologiste médical, PUPH de biochimie, hôpital Necker-enfants malades, APHP, Faculté de Pharmacie de Paris, Université Paris Cité)
Le traumatisme crâniocérébral est un problème mondial majeur de santé publique en raison de sa fréquence.
Il s’agit de la première cause de mortalité avant 45 ans et l’incidence du traumatisme craniocerebral est en augmentation dans la population âgée. Chaque année, 69 millions de personnes dans le monde présentent un traumatisme crânien, avec plus de 1 000 cas pour 100 000 habitants dans les pays occidentaux. Parmi l’ensemble des traumatismes craniocérébraux, les traumatismes crâniens légers représentent environ 80 % et constituent une source croissante de morbidité et de mortalité dans le monde.
L’examen clinique, indispensable, permet de définir le score de Glasgow. Le scanner cérébral est essentiel pour la détection de lesions intracrâniennes mais ses inconvénients (coût, exposition aux rayons X, disponibilité) ont favorisé le développement de régles de bonnes pratiques telles que la prise en compte d’éléments cliniques complémentaires au score de Glasgow (Canadian CT Head Rule, National Institute for Health and Care Excellence (NICE) Rules, règles pédiatriques du réseau de recherche appliquée en soins d’urgence pédiatriques – PECARN). Parallèlement, s’est développée depuis une trentaine d’années la recherche de biomarqueurs qui pourraient permettre, en association avec les signes cliniques, d’identifier les patients pour lesquels une imagerie n’est pas nécessaire.
La protéine S100B est essentiellement exprimée par les astrocytes.
La protéine S100B est une petite protéine exprimée principalement par les astrocytes, mais également par les oligodendrocytes et les progéniteurs neuronaux. La protéine S100B est présente dans la circulation sanguine après passage de la barrière hématoméningée. Les fonctions physiologiques de la protéine 100B sont à la fois intra et extracellulaires. Elle assure la régulation de la phosphorylation de protéines cytosoliques, permet l’homéostasie du calcium et contrôle la régulation des composants cytosquelettiques et des facteurs de transcription. En tant que facteur extracellulaire, S100B libérée par les astrocytes interagit avec les cellules environnantes (neurones, cellules microgliales et astrocytes eux-mêmes) et module ainsi leurs fonctions physiologiques. L’interaction moléculaire passe par la fixation de la protéine S100B à un récepteur non spécifique (RAGE). L’effet de la protéine S100B libérée par les astrocytes est neuroprotecteur et neurotrophique à faible concentration, mais devient neuroinflammatoire à des concentrations submicromolaires/micromolaires en présence d’une densité cellulaire RAGE relativement élevée, notamment lors d’une libération extracellulaire accrue, par exemple dû à un traumatisme crânien.
Le dosage sanguin de la protéine S100B dans les 3 heures suivant un traumatisme crânien léger doit être utilisé comme un marqueur de tri négatif (exclusion de lesion cérébrale).
Le recours au dosage sanguin de la protéine S100B lors de traumatismes crâniens légers permet d’éviter environ 30 % des scanners. Le dosage de la protéine S100B est aujourd’hui fiable et accessible.
Le seuil de pathologie, en deçà duquel un diagnostic de traumatisme crânien léger peut être éliminé avec une sensibilité d’environ 100 %, est aujourd’hui bien établi, chez l’adulte comme aux âges extrêmes de la vie (nourrissons et enfants, personnes âgées). Le dosage doit cependant avoir été effectué dans les 3 heures suivant l’évènement traumatique cérébral. Par contre, considérant la faible spécificité du biomarqueur, un résultat supérieur au seuil de pathologie ne permet pas de statuer définitivement sur l’existence ou non d’une lesion intra crânienne.
La connaissance des mécanismes moléculaires a permis de faire de la protéine S100B et son récepteur RAGE des cibles thérapeutiques potentielles lors de lésion cérébrale.
La protéine S100B est aussi un médiateur/facteur de l’évolution de la lésion et des dommages consécutifs au traumatisme crânien léger. Les études in vivo sur l’animal sont très rapides et ont déjà donné des premiers résultats.
La protéine S100B a ouvert également la voie à l’identification de nouveaux biomarqueurs potentiels. l’Ubiquitin Carboxyterminal Hydrolase L1 (UCH-L1) et la Glial Fibrillary Acidic Protein (GFAP) semblent apporter, lors de leur dosage simultané, des informations biocliniques similaires à celles fournies par le dosage de la protéine S100B. Des biomarqueurs liés aux processus physiopathologiques du traumatisme crânien léger sont en cours d’évaluation : anticorps anti-S100B, IL-6, IL-10, marqueurs de stress oxydant, exosomes cérébrospécifiques, mi-RNA spécifiques.