Les séances de l’Académie*
*Résumés rédigés par Catherine Adamsbaum, Nathalie Cartier Lacave, Jacques Delarue, Jacques Hubert et Denis Malvy
Mardi 15 octobre 2024
Apport des techniques de séquençage de l’ADN de nouvelle génération en pratique et en recherche médicale en France
Pierre Brousset, anatomie et cytologie pathologique, Toulouse
Qu’est-ce que le séquençage nouvelle génération ?
Les techniques de séquençage nouvelle génération (NGS) englobent le séquençage à haut débit de l’ADN avec l’analyse du génome entier, de l’exome entier, ainsi que l’ARNseq qui correspond au séquençage de tous les ARN messagers. Il est également possible d’effectuer un séquençage à haut ou moyen débit ciblé sur un panel défini de gènes ou sur un panel ciblé d’ARNs (points de rupture de transcrits de fusion). La France dispose de plateformes de séquençage nouvelle génération et de centres de recherche spécialisés dans ce domaine. Le NGS permet le diagnostic et le dépistage prénatal de maladies génétiques constitutionnelles, la prédiction du risque et de la sévérité de certaines pathologies, l’identification de mutations génétiques spécifiques au sein de cellules tumorales, le typage des agents pathogènes bactériens ou viraux. Le NGS est largement utilisé, en particulier en génétique moléculaire pour développer des approches de médecine personnalisée et dans la recherche en génomique.
Quelques exemples de la place du NGS en pratique médicale
Il s’agit du diagnostic de maladies héréditaires notamment en prénatal, de la caractérisation génique tumorale utile à la définition de la stratégie thérapeutique et à l’analyse de certains agents infectieux. Un exemple est celui du dépistage des formes familiales de cancers liés à des mutations des gènes BRCA1 et BRCA2. En oncologie, l’utilisation de ces techniques se fait au niveau somatique pour la recherche de mutations ou de gènes de fusion susceptibles d’avoir des implications diagnostiques et/ou thérapeutiques. Par exemple, la présence de gènes de fusion a un intérêt diagnostique dans certaines hémopathies et de nombreux sarcomes.
Les maladies rares du métabolisme illustrent aussi la place des analyses NGS dans leurs diagnostic et prise en charge thérapeutique, mais aussi sa nécessaire intégration dans une approche globale de médecine moléculaire. La médecine moléculaire s’appuie sur les examens de biologie de première ligne, la biologie spécialisée, les bio-marqueurs innovants et les technologies de pointe d’étude du génome, de l’épigénome, du transcriptome, du protéome et du métabolome pour l’interprétation des analyses NGS de l’exome ou du génome entier. L’importance de l’interaction entre les facteurs génétiques et environnementaux a été mise en évidence dans le développement de l’obésité et du diabète de type 2. En comparant les séquences génétiques de personnes atteintes d’obésité ou de diabète de type 2 à celles de personnes normoglycémiques et/ou de poids normal, on peut identifier des variants génétiques fréquents ou rares qui sont plus fréquents chez les personnes atteintes de ces maladies. Ces variants peuvent se trouver dans des gènes connus pour être impliqués dans le métabolisme, la régulation de l’appétit, l’absorption des nutriments ou d’autres processus biologiques pertinents. D’autres variants peuvent affecter la production ou la sensibilité à l’insuline.
Quelques points d’intérêts du NGS en recherche
Les applications des techniques NGS en recherche vont de travaux fondamentaux impliquant des modèles de plantes, microorganismes ou animaux expérimentaux à des indications dites « translationnelles », en lien avec la clinique, jusqu’à la paléogénomique (cf infra). La recherche clinique en oncologie est actuellement basée sur l’identification de biomarqueurs diagnostiques et de suivi thérapeutique. L’exemple du COVID-19 est intéressant. Le génotypage du virus au cours de l’émergence de nouveaux variants, permet non seulement d’identifier ces variants (variant delta) mais surtout de dresser une évaluation de l’épidémie dans le temps et dans l’espace.
Paléogénomique : Variabilité du génome des populations humaines
Des différences génétiques sont observées entre les individus d’une même espèce (variations ponctuelles de nucléotides, variations structurales, variations du nombre de copies de gènes….). La diversité génétique est le résultat de plusieurs facteurs dont la dérive génétique qui se produit lorsque les fréquences alléliques dans une population changent au hasard du fait des fluctuations démographiques. Les migrations humaines ont façonné la variabilité génétique des populations en contribuant à la diffusion de variations génétiques spécifiques dans les différentes régions du monde. Un autre facteur important est la sélection naturelle qui agit sur les variations génétiques présentes dans une population en favorisant les caractères qui confèrent un avantage sélectif. Par exemple, dans des environnements où la malaria est endémique, certaines variations génétiques conférant une résistance à cette maladie peuvent augmenter en fréquence par sélection naturelle. Enfin, les mutations génétiques, changements aléatoires se produisant dans l’ADN et transmis à la descendance, sont une source majeure de variabilité génétique.
L’aspect épigénétique (méthylation de l’ADN) joue aussi un rôle important dans les variations phénotypiques des populations et leur adaptation à de nouvelles conditions environnementales.
Rôle de la génétique dans l’interaction des humains avec les agents infectieux
Les travaux sur l’origine génétique des formes sévères de nombreuses infections et, notamment de la Covid-19, apportent un nouvel éclairage sur le fonctionnement du système immunitaire, la prévention et la prise en charge des pathologies infectieuses. Il existe désormais de plus en plus de preuves que la génétique humaine joue un rôle majeur dans la réponse à un microbe donné et explique en grande partie cette variabilité interindividuelle
Quelles perspectives de développement des techniques NGS ?
Les techniques de NGS de l’ADN continuent d’évoluer rapidement avec des implications majeures pour la recherche et la pratique clinique (séquençage de longs fragments, le séquençage en temps réel, séquençage de l’ADN sans amplification, le développement de l’utilisation enzymes innovantes, étude des modifications épigénétiques et du méthylome, développements en bio-informatique.
Forces Mécaniques et Cavéoles : Nouveaux Aspects Physiopathologiques
Christophe Lamaze Chimie et Biologie cellulaire, Paris
De l’importance des forces mécaniques pour les cellules
Nous évaluons le degré de maturité des fruits en les pressant. De même, les cellules sont sensibles aux informations sur la force, la rigidité et l’adhésion de leur environnement. Les cellules et les tissus de l’organisme subissent constamment des forces mécaniques, telles que l’étirement des cellules musculaires, la compression des cellules adjacentes aux tumeurs solides et les forces de cisaillement dues à l’écoulement des fluides dans les vaisseaux. La plupart des détecteurs mécaniques (mécano-senseurs) se situent au niveau de la membrane plasmique qui constitue à la fois une barrière physique entre la cellule et son environnement extérieur, et une plateforme biochimique. Cette membrane plasmique est une interface permettant à la fois la réponse cellulaire aux stimuli mécaniques et l’initiation des signaux biochimiques qui en résultent. Cette traduction en signaux biochimiques est la mécano-transduction qui constitue un processus fondamental capable d’exercer des effets sur des processus cellulaires tels que la différentiation, la prolifération, la migration et la mort cellulaire. Les forces mécaniques influencent le comportement cellulaire, régulant des fonctions allant de la signalisation à la transcription des gènes. Elles jouent donc un rôle important dans un nombre croissant de pathologies, notamment le cancer, la fibrose, les maladies cardiovasculaires et neurodégénératives.
L’énigme de la cavéole
Les cavéoles sont des petites invaginations de la membrane plasmique riches en cholestérol et en glycosphingolipides, associées à la signalisation intracellulaire. L’intégrité structurelle et fonctionnelle des cavéoles repose sur deux groupes de protéines essentielles, les cavéolines et les cavines. Le rôle des cavéoles dans la réponse cellulaire aux stress mécaniques est crucial. Ces organelles sont à la fois mécano-protecteurs et mécano-senseurs, en régulant également la mécano-transduction. L’une des caractéristiques essentielles des cavéoles est leur rôle multifonctionnel dans divers processus cellulaires, notamment l’endocytose, le transport des lipides, la transduction des signaux, et plus récemment, la mécanique cellulaire. Une des premières fonctions clairement associées aux cavéoles a été la régulation de la signalisation intracellulaire.
Quelles applications cliniques ?
La découverte récente de la fonction mécanique des cavéoles permet de revisiter la pathogenèse des maladies impliquant ces structures. Les mutations responsables de la mauvaise localisation ou de la déficience des cavéolines et des cavines entraînent une large gamme de troubles affectant plusieurs organes et systèmes.
Initialement cantonnées aux dystrophies musculaires, les cavéolinopathies intéressent aujourd’hui un nombre grandissant de pathologies : augmentation de la pression intraoculaire dans le glaucome, anomalies de prolifération des fibroblastes dans les cicatrices chéloïdiennes, dans la fibrose hépatique ou pulmonaire. Lors des remaniements tissulaires et mécaniques associés à la fibrose, à la pression des fluides, ou encore à la croissance de la masse tumorale, les capacités de protection mécanique des cavéoles sont mises à contribution pour contrecarrer ces désordres et préserver l’homéostasie des cellules. Cette protection est probablement altérée lorsque l’expression des constituants des cavéoles est anormalement basse ou élevée, ou lors de mutations, conduisant au dysfonctionnement des cavéoles.
Comprendre ces nouveaux aspects physiopathologiques nécessite une approche multidisciplinaire associant biologie cellulaire et biophysique. Les avancées dans ces domaines ouvrent des perspectives pour de nouvelles stratégies thérapeutiques et biomarqueurs diagnostiques basés sur la fonction mécanique des cavéoles. D’ores et déjà, la cavéoline est proposée comme nouvelle cible thérapeutique dans un certain nombre de pathologies comme le cancer, la fibrose pulmonaire, le glaucome, les maladies neuro-dégénératives, cardio-vasculaires, et infectieuses.
Myélites aiguës flasques à entérovirus : des poliovirus aux entérovirus D68 et A71 ; épidémies et circulation dans les eaux usées.
Alain Yelnik, médecine physique et réadaptation, Paris
Et Daniel Levy-Bruhl, épidémiologiste, Paris
Les myélites aiguës flasques
Les myélites aiguës flasques sont un sous-groupe de l’ensemble composé par les paralysies aiguës flasques qui désignent toutes les formes de déficiences paralytiques aigues quelle qu’en soit la cause. Les myélites aiguës flasques désignent parmi celles-ci, les paralysies dues à une atteinte de la corne antérieure de la moelle épinière. Deux critères diagnostiques sont nécessaires : l’atteinte paralytique de type périphérique, de survenue aigue dans un contexte fébrile, sans trouble sensitif ni autre manifestation neurologique et l’atteinte de la corne antérieure de la moelle épinière, objectivée en imagerie par résonance magnétique (IRM). Le type en est la poliomyélite dont la très forte diminution, grâce à la vaccination, laisse espérer une éradication complète. Mais depuis le début des années 2010, le nombre de cas de myélites aiguës flasques non poliomyélitiques augmente régulièrement, par vagues épidémiques de dizaines de cas, ce qui justifie à la fois une étroite surveillance et la recherche de vaccins.
La poliomyélite aujourd’hui
La poliomyélite antérieure aiguë est une affection virale très contagieuse par voie orale, faisant encore partie du « péril fécal » dans les zones endémiques. Le virus de la poliomyélite est un entérovirus qui a été historiquement le premier et longtemps le seul virus identifié comme responsable de myélite aiguë flasque. Le virus de la polio ne peut se développer que chez l’homme qui est son réservoir naturel, ce qui peut laisser espérer son éradication comme pour la variole. Mais le combat est plus difficile d’une part parce que le virus de la polio survit plusieurs mois dans l’environnement, et d’autre part en du fait de la grande fréquence des formes asymptomatiques qui rend difficile l’identification des foyers résiduels de transmission.
L’espoir d’une éradication complète s’est aussi heurté à des refus de vaccination et à l’émergence de poliovirus dérivés du vaccin oral. Il s’agit d’un effet inattendu du vaccin oral : les virus atténués sont relâchés avec les selles dans l’environnement et un nombre faible mais suffisant retrouve sa neurovirulence et sa transmissibilité. Deux processus peuvent expliquer ces faits : soit une dérive génétique par accumulation de mutations, favorisée par une circulation dans une population peu immunisée ; soit un évènement de recombinaison survenant en cas de co-infection par un autre entérovirus, la réplication des deux virus dans une même cellule entraînant l’émergence d’un virus chimérique ayant hérité des séquences génétiques de ces deux virus. Il faut aussi mentionner le risque de diffusion chez les immunodéprimés qui excrètent le virus vaccinal durant de nombreuses semaines voire mois. Le risque de reprise de foyers épidémiques au niveau mondial n’est donc pas nul. L’OMS organise le renforcement des campagnes d’information et de vaccination avec une adaptation des vaccins.
Mais le poliovirus n’est qu’un des entérovirus responsables de myélites aigues flasques.
L’entérovirus D68 et autres virus responsables de myélites aigues flasques « polio-like »
Le terme de myélite aigue flasque définit parmi les paralysies aigües flasques sans trouble sensitif, celles spécifiquement liées à une atteinte virale des motoneurones dans la corne antérieure de la moelle épinière. L’atteinte peut porter sur les motoneurones de l’ensemble de la moelle épinière et/ou du tronc cérébral, avec troubles respiratoires et de déglutition sévères. L’IRM révèle le plus souvent un hypersignal en T2 de l’ensemble du cordon médullaire, même en l’absence de signe clinique. Cet examen relativement récent, n’a bien sûr pas pu être pratiqué lors des épidémies de poliomyélite et reste peu ou pas accessible dans certaines régions du monde. Distinguer les myélites aigues flasques des autres causes de paralysies aigues flasques, au premier rang desquelles le syndrome de Guillain-Barré, suppose donc la mise en œuvre de moyens qui n’existent pas encore partout dans le monde.
Les enfants sont les principales victimes, avec un âge médian allant de 2 à 7 ans selon les séries. Les adultes touchés sont souvent immunodéprimés. Les paralysies flasques surviennent 2 à 7 jours après un épisode fébrile initial souvent accompagné de manifestations respiratoires parfois sévères et/ou digestives. Ce délai est un peu plus court que celui observé dans les syndromes de Guillain-Barré (en moyenne de 3 contre 8 jours) et un peu plus long que celui observé avec la poliomyélite où les paralysies surviennent dès les 48 premières heures. Comme dans la poliomyélite, l’installation des paralysies, de caractère asymétrique, est en règle accompagnée de douleurs dans les membres concernés. L’atteinte des nerfs crâniens est fréquente, parfois isolée, avec une forme bulbaire comme celle connue avec le poliovirus. La seule manifestation neurologique initiale qui parait la distinguer de la poliomyélite est la relative fréquence de signes précoces d’ataxie cérébelleuse, toujours régressifs en quelques jours. La sévérité des paralysies est très variable, allant d’une monoparésie, fréquente, à une tétraparésie dans 20% des cas. Un à deux tiers des enfants hospitalisés nécessitent une ventilation assistée. Une dysfonction urinaire voire fécale peut survenir. Aucune étude des séquelles sur le long terme n’est actuellement disponible mais il est logique de considérer les conséquences des paralysies notamment sur le rachis et la croissance.
Parmi les entérovirus « non-polio » responsables de troubles neurologiques sévères, l’EV A71 connu pour être un des agents du syndrome « mains-pieds-bouche », est la cause d’atteintes respiratoires sévères et parfois myocardiques, d’atteintes neurologiques sévères, touchant surtout l’enfant. Il s’agit le plus souvent d’encéphalites, en particulier de rhombencéphalites et de méningites. L’entérovirus D68 est devenu le principal responsable de myélite aiguë flasque.
La surveillance virologique est fondamentale
Le risque d’émergence de nouvelles épidémies doit faire redoubler la surveillance. La quantification épidémiologique des myélites aiguës flasques est permise par la mise en place d’observatoires de surveillance : aux USA par le Center for Disease Control (Atlanta), en Europe par l’European Centre for Disease Prevention and Control et spécialement le groupe « 2016 Enterovirus D68 Acute Flaccid Myelitis working group ». En France, la surveillance des entérovirus est essentiellement assurée par le Réseau national de surveillance des entérovirus (RSE), constitué de plus de 30 laboratoires de virologie et coordonnée par le Centre national de référence des entérovirus et Santé publique France (CNREV). La certitude diagnostique suppose que toutes les équipes médicales (pédiatrie réanimation, neurologie) pensent à adresser les prélèvements à un laboratoire de virologie effectuant la recherche d’entérovirus.
Il est nécessaire de veiller à la couverture vaccinale contre la poliomyélite et rechercher un entérovirus devant tout tableau fébrile avec manifestations neurologiques, d’autant qu’il a été précédé de prodromes respiratoires ou digestifs, en faisant appel aux laboratoires de référence.