Published 8 December 2020

Séance dédiée

Le 8 décembre 2020

« Le cannabis : des effets aux méfaits »

Organisateurs : Jean-Pierre GOULLÉ et Jean COSTENTIN

 

 

Introduction épidémiologique par Jean-Pierre GOULLÉ (Membre de l’ANM)

À l’heure où l’usage médical de la plante « cannabis dit thérapeutique » est pratiquement acté en Francens, l’ouverture à son usage récréatif constitue la suite « logique », à l’image de la chronologie suivie dans tous les pays. En effet, ceux qui ont légalisé la drogue – le végétal – ont auparavant approuvé son emploi en thérapeutique, étape de « justification » qui semble incontournable. Il nous a donc paru opportun de rappeler les effets et les méfaits de la drogue dans le cadre de son usage récréatif. Les enquêtes en population générale réalisées en France depuis 25 ans par Santé publique France et l’Observatoire français des drogues et toxicomanies, permettent de suivre l’évolution de la consommation de substances psychoactives. Une attention toute particulière est portée aux usages de cannabis qui, dans un contexte de large diffusion depuis un quart de siècle, n’ont cessé de progresser parmi les jeunes générations, mais également parmi les adultes plus âgés. La France est le pays européen dont la prévalence de consommation de cannabis est la plus élevée chez les jeunes et les adultes. En 25 ans, sa diffusion n’a cessé de s’étendre et le taux d’expérimentation a été pratiquement multiplié par 4. Estimé à 12,7 % en 1992, il atteint 44,8 % en 2017. De surcroît, en 2017, 25 % des usagers de 18 à 64 ans présentaient un risque élevé d’usage problématique ou de dépendance. Ce chiffre est inquiétant car en progression constante, il affecte 3 % des 18-64 ans, soit un peu plus d’un million de personnes.

 

Les conduites addictives : faits cliniques par Chloé LUCET (Addictologie, Hôpital Ste Anne)

Malgré les fréquentes comorbidités psychiatriques, le trouble de l’usage de substance doit être appréhendé comme une pathologie autonome par ses déterminants, sa sémiologie et ses modalités évolutives spontanées ou sous traitement. La mise à disposition de multiples produits de synthèse via internet jointe à la créativité des chimistes a participé à l’émergence de pratiques inédites de type « chemsex » (association du sexe à la prise de drogues), « purple drank » (cocktail de soda, de sirop antitussif et d’antihistaminiques) ou « binge drinking » (ingestion rapide de plus de 50g d’alcool). Les conduites addictives, relation de dépendance, résultent d’un ensemble de facteurs individuels (vulnérabilités biologique et psychique) et contextuels (disponibilité et banalisation du toxique dans l’environnement). Les pathologies mentales autres sont des facteurs de vulnérabilité à la pathologie addictive, tout comme les conduites addictives peuvent révéler une pathologie émotionnelle ou psychotique. Le médecin se doit d’entendre l’impuissance du malade face au besoin irrépressible de consommer (« craving ») et proposer une thérapeutique qui peut être chimique (y compris traitement de substitution) et psychologique. Dans la majorité des cas un accompagnement social s’impose pour corriger les effets désocialisants du trouble de l’usage de substances ou des comportements addictifs.

Cannabis et neurodéveloppement par Marie-Odile KREBS (CH Sainte-Anne, Paris ; Laboratoire

Physiopathologie des maladies psychiatriques au centre de Psychiatrie et Neurosciences de l’Inserm)

Le développement cérébral est un phénomène complexe, qui s’étend de la vie fœtale à l’adolescence, période pendant laquelle la maturation cérébrale suit une série d’événements ordonnés incluant des périodes critiques de plasticité. Le cerveau est particulièrement sensible à l’environnement pendant ces remaniements. Le système endocannabinoïde participe, directement et indirectement, à ces processus de plasticité et de maturation. Le delta-9-tétrahydrocanabinol (THC), principal composant psychoactif du cannabis, diffuse dans le placenta, le lait maternel et le cerveau. Il interagit avec le système endocannabinoïde, notamment par l’activation des récepteurs aux cannabinoïdes 1 CB1R, ce qui peut entraîner des altérations du neurodéveloppement et du fonctionnement des circuits neuronaux. Par conséquent, l’exposition au cannabis in utero, en période périnatale ainsi qu’à l’adolescence est susceptible de conduire à des perturbations de la maturation cérébrale dont les conséquences, sur les plans cognitif, psychotique et addictif, persistent bien au-delà de la période d’exposition. Les études réalisées sur des modèles animaux ainsi que chez l’homme ont montré qu’une exposition durant les phases critiques, en particulier durant la phase de développement périnatal et à l’adolescence, période de vulnérabilité, constitue en soi un facteur de risque. Les données actuelles incitent à diffuser une information objective aux jeunes, afin de prévenir et limiter les consommations précoces.

Les effets épigénétiques du cannabis / tétrahydrocannabinol par Jean COSTENTIN (Membre de l’ANM)

Parmi la soixantaine de cannabinoïdes présents dans le cannabis sativa indica se trouvent essentiellement des terpénophénols, dont le delta-9-trans tétrahydrocannabinol (∆9-THC) constitue le principal produit psychoactif chez l’homme. De nombreux dérivés synthétiques du ∆9-THC existent, sous le nom générique anglo-saxon de « spices », qui tous se lient sur les mêmes récepteurs CB1 et CB2. Diverses données ont attiré l’attention sur les risques épigénétiques, jusqu’alors méconnus, de l’exposition au cannabis : le « tagage » épigénétique des spermatozoïdes chez les hommes exposés au THC ; la raréfaction des récepteurs D2 dans le noyau accumbens (striatum ventral) de fœtus humains dont la mère consommait du cannabis ; la reproduction expérimentale de ces modifications épigénétiques chez le rat, qui présente alors une appétence redoublée pour les drogues morphiniques. Ces constats se complètent d’autres modifications épigénétiques, telles qu’une surexpression de la proenképhaline et des modifications des récepteurs des cannabinoïdes, du glutamate, du Gaba, ou de protéines impliquées dans la plasticité synaptique. Ils rendent compte de l’appétence pour les drogues des adolescents héritiers de ces traits épigénétiques, leurs parents s’étant adonnés au cannabis. Ils rendent compte également de divers troubles psychiques, voire psychiatriques, en relation avec des modifications de leur maturation cérébrale. Il est fortement suspecté que la prise de cannabis facilite l’escalade toxicomaniaque. Les mécanismes moléculaires précis par lesquels le THC induit des modifications post-traductionnelles des histones restent à élucider, tout en indiquant qu’il a été récemment montré que le THC entraîne une hypométhylation de l’ADN du gène codant la protéine (associée au versant post-synaptique) DGLAP2. En conclusion, les modifications épigénétiques induites par le cannabis peuvent obérer l’existence de son consommateur (cognition, pathologies psychiatriques, immunité) et de façon pré-conceptionnelle ou per-gravidique affecter sa descendance (vulnérabilité aux toxicomanies, autisme, schizophrénie via la protéine DLGAP2).