Published 24 November 2020

 

Séance dédiée : « Les mémoires oubliées »

Organisateur : Bernard LAURENT

Mardi 24 novembre 2020

 

 

Introduction par le Pr Bernard LAURENT (Neurologie, Hôpital Nord, CHU de Saint-Etienne)

Plus que de mémoires oubliées il faudrait parler de mémoires méconnues. Il importe de rappeler les travaux de Serge Brion, Jean Delay, Jean Cambier, Bernard Lechevalier et de l’Ecole de Caen. Il y a plusieurs types de dissociations des mémoires : la première est clinique entre la mémoire antérograde avec l’apprentissage de nouvelles informations (rôle de l’hippocampe) et rétrograde avec le rappel de souvenirs antérieurs au début de la maladie (stockés dans le néocortex associatif) , la seconde entre la mémoire à court terme (de travail) inférieure à 2 minutes et celle à long terme (enregistrement et récupération des souvenirs sur des années). D’autres dissociations sont méconnues : la mémoire implicite (inconsciente) comprend surtout la mémoire procédurale (mémoire du faire, des gestes) mais aussi l’acquisition de réflexes ou la mémorisation d’images subliminales en opposition à la mémoire explicite (consciente et déclarative); dans cette dernière une dissociation singulière est décrite depuis les années 90 entre la mémoire épisodique (mémoire du fait unique que l’on peut revivre dans sa précision sensorielle initiale) et la mémoire sémantique (mémoire-savoir décontextualisée) qui ne nécessite pas le rappel de la situation d’apprentissage. La conservation sémantique avec abolition de l’épisodique caractérise une amnésie développementale singulière par anoxie des hippocampes à la naissance où les enfants acquièrent des connaissances scolaires générales tout en n’ayant aucune mémoire épisodique.

 

Les amnésies transitoires par le Pr Fausto VIADER (Neurologie, CHU de Caen)

La cause la plus fréquente en est l’ictus amnésique (IA), décrit par Guyotat et Gourjon en 1956. Celui-ci se présente comme une atteinte subite de la mémoire épisodique antérograde et rétrograde avec des questions itératives, durant quelques heures (parfois brève pouvant passer inaperçue), sans autre trouble neurologique ni cognitif, mais souvent associé à un état anxieux. Il est fréquemment déclenché par un stress physique ou psychologique. L’amnésie régresse sans séquelles en moins de 24h et dans la plupart des cas l’IRM en séquence de diffusion montre de façon légèrement différée des hypersignaux punctiformes à la partie latérale de l’hippocampe témoignant d’un stress métabolique. En général c’est un épisode unique, le risque de récidive étant entre 5 et 10%.

L’épilepsie amnésique transitoire (EAT) donne lieu à des épisodes pouvant être pris pour un IA, mais plus brefs, de survenue préférentiellement matinale, et répétitifs, sans hypersignaux hippocampiques à l’IRM. L’épilepsie amnésique transitoire peut s’accompagner d’hallucinations ou de discrets automatismes moteurs. Elle est curable, régressant avec une monothérapie antiépileptique.

Les autres causes sont beaucoup plus rares : il en est ainsi des amnésies transitoires d’origine vasculaire en rapport avec un infarctus ou exceptionnellement une hémorragie affectant une structure du circuit de Papez ; quant à la responsabilité d’une dissection aortique elle est exceptionnelle. Certains cas ont tous les critères cliniques diagnostiques de l’IA : l’IRM cérébrale est donc recommandée en présence d’un tel tableau. Certains médicaments (benzodiazépines,  anticholinergiques, …) sont une cause d’amnésie transitoire, surtout chez le sujet âgé. Une cause psychogène doit être envisagée devant une amnésie purement rétrograde, en particulier après un choc émotionnel.

 

Mémoire procédurale  et mémoire non déclarative par le Pr Bernard LECHEVALIER (Académie Nationale de Médecine)

Par opposition  à la mémoire déclarative  (qui comprend la mémoire sémantique et la mémoire épisodique), la mémoire procédurale appartient à la mémoire non déclarative, distinction déjà pressentie par les philosophes  Descartes (1640), puis Bergson (Matière et Mémoire 1896) et affirmée par la neuropsychologue Brenda Milner (Test de l’étoile 1950). La mémoire procédurale naît de la persistance d’une capacité motrice, perceptive ou cognitive fruit d’un apprentissage. Trois catégories de tests explorent ces trois domaines. Alors que la mémoire déclarative est sous-tendue par le cortex temporal, la mémoire procédurale relève principalement du striatum et du cervelet. Son altération résulte d’une atteinte du striatum, comme il en existe dans la maladie de Huntington, la maladie de Parkinson ainsi que dans les affections du cervelet (atrophie). En revanche, elle est longtemps conservée dans la maladie d’Alzheimer. L’imagerie cérébrale fonctionnelle a permis de dresser la carte des régions cérébrales de la mémoire procédurale.  A côté de l’apprentissage procédural explicite, il existe un apprentissage implicite, inconscient, source de nos habitudes, de nos goûts, qui s’enrichit au fur et à mesure et forge notre personnalité.

 

 

La mémoire traumatique : postulats historiques et débats contemporains par le Pr Francis EUSTACHE (Neuropsychologie et Imagerie de la Mémoire Humaine, GIP Cyceron, Caen)

 Le Trouble de Stress Post-Traumatique (TSPT) résulte de l’exposition à un événement extrêmement stressant. Il s’est inscrit tout particulièrement dans un contexte psychiatrique et militaire. Il reste une pathologie contemporaine largement débattue. Les recherches des dernières décennies et la révision récente des critères diagnostiques du manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (en anglais Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, DSM IV/5 – 1994/2013) ont conduit de nombreux chercheurs et cliniciens à considérer le TSPT comme une « pathologie de la mémoire ». Après l’exposition à un événement traumatique, le TSPT est caractérisé par quatre critères cliniques : les intrusions traumatiques, le syndrome d’évitement, l’altération négative de l’humeur et une hyperactivité neurovégétative. Il se traduit par la présence simultanée d’une hypermnésie des éléments centraux et émotionnels de l’événement, par une fragmentation des souvenirs périphériques et contextuels, rendus incohérents par leur manque d’intégration autobiographique. Ces atteintes mnésiques sont liées à une atteinte neuroanatomique de l’hippocampe, de l’amygdale, du cortex préfrontal. La symptomatologie traumatique est définie par des atteintes mnésiques caractéristiques, marquées par un manque de cohérence narrative et une fragmentation des souvenirs rappelés. Elle fait intervenir l’intrication entre la mémoire individuelle et la mémoire collective : un événement historique retentit sur la mémoire individuelle, la mémoire partagée et la mémoire culturelle aboutissant à une mémoire collective.. La prise en charge immédiate est importante ainsi que la réactivation du souvenir traumatique dans un contexte bienveillant dégradant la charge émotionnelle vers l’autobiographie.

Une présentation des considérations actuelles de la mémoire traumatique développée dans le cadre du TSPT fait l’objet des études REMEMBER et ESPA-13 Novembre (conséquences des attentats du Stade de France, du Bataclan et des restaurants du quartier). La discussion porte autour de deux éléments : la fragmentation et l’incohérence du souvenir traumatique mémorisé, et la récupération tardive des souvenirs « réprimés » du traumatisme initial.