Résumés des séances de l’Académie*
* Par Catherine Barthélémy, Pierre Brissot, Martin Danis, Vincent Delmas, Francis Michot
CONFÉRENCE
La science ouverte par Pierre CORVOL (Membre de l’Académie nationale de médecine, Président de l’Académie des Sciences)
La science ouverte a pour mission de donner à chacun la possibilité d’avoir accès au domaine de la science, tout devant pouvoir être accessible à tous. Trois idées sont essentielles: un accès libre aux publications, une ouverture des données permettant un libre accès aux données numériques et leur diffusion de manière structurée, un accès libre aux données sources : codes de calcul et algorithmes. Les principaux problèmes relatifs aux données sont les suivants: le manque de reproductibilité des résultats (25 % de données reproductibles en médecine); la perte des données (17 % par an); la faible accessibilité aux données des revues (9 % des articles); les pertes, vols ou bugs de données sensibles ; l’économie de la publication scientifique et de la conservation des données. Les attendus de la science ouverte sont le partage de la connaissance, la démocratisation du savoir, la mise à disposition des protocoles de recherche, la réutilisation des données, l’accroissement de la reproductibilité, l’attribution d’une découverte et la consultation des données en cas d’allégation d’inconduite scientifique. Ainsi, il est nécessaire de développer un modèle économique associant un libre accès aux publications et une réduction du coût des publications ; onze agences de moyens se sont fixées pour objectif de promouvoir ce modèle (plan S). Un entrepôt de données doit être ouvert au public, préserver éthique et dignité et répondre à une demande sociétale : le site ClinicalTrials.gov a été créé sous la pression du public, 208 pays ayant inclus 280 000 protocoles y participent actuellement.
L’analyse SWOT illustre parfaitement la situation actuelle de la science ouverte:
-ses forces (Strengths): partage et démocratisation de la connaissance, référence pour demande de contrat ou thèse, dialogue accéléré entre équipes, limitation de la redondance des travaux, accroissement de la reproductibilité, conservation et réutilisation des données, attribution d’une découverte, diminution des fraudes et du plagiat.
-ses faiblesses (Weaknesses): archives ouvertes et absence de reviewing, inflation possible des préprints, modalités floues d’application du plan S, motivation des équipes, coût global.
-ses opportunités (Opportunities): volonté politique, outils numériques et réseaux sociaux, partage de protocoles et codes sources, création d’archives ouvertes, aide à la recherche participative, augmentation de la confiance dans la science.
-ses craintes (Threats): multiplication des serveurs d’archives ouvertes, détournement de données à visée commerciale ou idéologique, exploitation rapide des données dans des pays à fort potentiel d’applications industrielles, ouverture aveugle et non contrôlée, protection des données personnelles, affrontement avec les multinationales de l’édition, revues prédatrices.
En conclusion, la science ouverte est une façon de lutter contre l’érosion de la confiance dans la science, substantiée par les sondages d’opinion.
SÉANCE DÉDIÉE :
« L’INFECTION CONGÉNITALE À CYTOMÉGALOVIRUS (CMV) »
Organisateurs : Yves VILLE et Jacques MILLIEZ
Cette séance est organisée par les Professeurs Yves Ville et Jacques Milliez.
Dans son introduction, le Professeur Milliez souligne que la fréquence des primo-infections pendant la grossesse est de 1 à 2 % avec un risque de contamination fœtale de 30 %. À la naissance, 1 % des nouveau-nés asymptomatiques excrètent du CMV dans les urines avec un risque de surdité congénitale de 15 % à l’âge de quatre ans. Compte tenu de ces données et des progrès réalisés ces dernières années sur le risque d’atteinte fœtale, l’efficacité et l’innocuité des traitements anti-viraux au cours de la grossesse, il devient justifié de recommander le dépistage systématique du CMV dès le début de la grossesse.
Épidémiologie et diagnostic virologique de l’infection congénitale à cytomégalovirus par Marianne LERUEZ-VILLE (Hôpital Necker Enfants-Malade, APHP, Laboratoire de Virologie, Centre National de Reference des herpes virus – Laboratoire associé infection congénitale à cytomégalovirus. Paris, France)
La transmission du virus se fait par contact rapproché via des liquides biologiques contaminés. En France, la séroprévalence chez les adultes de 15 à 49 ans était de 42 % en 2010. Chez les femmes enceintes, la séroprévalence en région parisienne est estimée à 56%, le taux de séroconversion chez les femmes enceintes séronégatives étant de 1,4 %. Le taux de transmission materno-fœtale après une primo-infection maternelle a été estimé à 32 % dans une méta-analyse de la littérature.
Des séquelles neurologiques et auditives surviennent chez 17 à 19 % des nouveau-nés infectés. Le risque est particulièrement élevé pendant le premier trimestre de la grossesse. Le diagnostic de la primo-infection peut être obtenu par une sérologie (IgG et IgM) au mieux réalisée à 12-13 semaines d’aménorrhée. À la naissance, le diagnostic est fait par PCR sur échantillon salivaire ou urinaire prélevé dans les trois premières semaines. Le dépistage systématique du CMV pendant la grossesse n’est pas actuellement recommandé ; si un tel dépistage est réalisé, il doit l’être pendant le premier trimestre. La détection de l’ADN viral dans le liquide amniotique par PCR est la méthode de référence du diagnostic prénatal de l’infection fœtale ; quel qu’en soit le résultat, il devra être confirmé en testant le nouveau-né par une PCR CMV dans la salive ou les urines.
Le diagnostic et la prise en charge de l’infection fœtale à cytomégalovirus par Yves VILLE (Service d’obstétrique, d’imagerie et de médecine fœtale, Hôpital Necker Enfants-Malades)
La détection de l’ADN viral par PCR dans le liquide amniotique, réalisée à partir de la 17ème semaine d’aménorrhée et au moins 8 semaines après l’infection maternelle, est la seule méthode permettant le diagnostic de certitude de l’infection du fœtus qui excrète alors le virus dans ses urines. Lorsqu’un fœtus est infecté par le CMV, les objectifs sont de prédire le pronostic à la naissance et le risque de séquelles à long terme. La perte d’acuité auditive, unilatérale ou bilatérale, variable dans son intensité, est l’expression clinique néonatale la plus fréquente de l’infection. La gravité de l’infection fœtale repose sur l’âge gestationnel lors de l’infection maternelle et à l’échographie fœtale sur la découverte fortuite d’une image échographique évocatrice ou compatible avec le diagnostic. L’I.R.M. fœtale est devenue incontournable dans l’évaluation du pronostic de l’infection fœtale particulièrement pour l’examen du cerveau fœtal : sulcation, lissencéphalie, polymicrogyries. Ainsi, les fœtus infectés peuvent être classés en trois catégories : asymptomatiques, gravement symptomatiques présentant des anomalies échographiques ou I.R.M. cérébrales graves pouvant justifier une interruption de grossesse si elle est demandée, peu symptomatiques imposant une surveillance échographique bimensuelle afin de ne pas méconnaître l’apparition de lésions cérébrales graves. Aucune séquelle neurosensorielle n’est associée à une infection maternelle après le premier trimestre. Les infections prouvées du premier trimestre peuvent bénéficier d’un traitement antiviral par valaciclovir (ValACV) pendant toute la grossesse en attendant la commercialisation du letermovir.
Devenir et prise en charge du nouveau-né infecté par le cytomégalovirus par Jean-François MAGNY (Service de pédiatrie et réanimation néonatales, CHU Necker – Enfants malades, APHP)
Les critères de Fowler sont les plus utilisés pour définir le caractère asymptomatique des infections congénitales à cytomégalovirus. Parmi les formes symptomatiques à la naissance, les séquelles neurosensorielles sont par ordre de fréquence: les troubles de l’audition par dysfonctionnement cochléaire au niveau de l’oreille interne, les troubles vestibulaires par aréflexie vestibulaire responsable de troubles du développement avec retard des acquisitions motrices, les troubles neurologiques qui concernent les fonctions motrice, cognitive, relationnelle et comportementale, les troubles du spectre autistique, l’atteinte de la fonction visuelle dominée par la choriorétinite. Les facteurs prédictifs de survenue de ces différentes séquelles neurosensorielles sont des facteurs anténatals : âge gestationnel de survenue de l’infection maternelle et du passage transplacentaire, données de l’imagerie cérébrale et des facteurs post natals : éléments cliniques, charge virale sanguine néonatale, imagerie cérébrale post natale.
Le traitement repose sur le ganciclovir et sa prodrogue le valganciclovir, molécules les plus utilisées permettant une diminution de la charge virale. En revanche, les indications de traitement ne sont pas consensuelles ; les seules indications admises sont le traitement du nouveau-né infecté ayant une atteinte du système nerveux central, les formes systémiques évolutives, les choriorétinites évolutives. La possibilité de voir apparaître des déficits auditifs retardés impose la surveillance de tous les nouveau-nés infectés au cours de la petite enfance en particulier par des tests auditifs et un examen neurodéveloppemental. La surveillance doit être poursuivie jusqu’à l’âge de quatre à sept ans chez les enfants asymptomatiques à la naissance, jusqu’à l’âge adulte en cas d’atteinte auditive.
Atteintes neurosensorielles de l’infection congénitale à cytomégalovirus par Natacha TEISSIER (ORL et chirurgie cervicofaciale pédiatrique, Hôpital Robert Debré, APHP)
Une infection congénitale par le cytomégalovirus est la deuxième cause de retard mental et de surdité neurosensorielle après les causes génétiques. Les cibles préférentielles du virus au sein de l’oreille interne sont les cellules de la strie vasculaire, de la membrane de Reissner et des cellules sombres du labyrinthe ; ces cellules ont en commun de faire partie des structures régulatrices du potassium du secteur endolymphatique de l’oreille interne. Les atteintes de l’oreille interne sont auditives (surdité neurosensorielle), vestibulaires (fatigabilité à la marche, difficultés de stabilisation du regard, atteinte du graphisme fin, atteinte de l’orientation dans l’espace, gêne à la lecture).Les traitements par molécules antivirales ont démontré leur efficacité dans le ralentissement de la dégradation de l’audition chez les enfants symptomatiques; ils permettent, dans certains cas, une récupération partielle du seuil auditif et plus souvent une stabilisation de l’audition. Les modalités optimales de durée du traitement et d’administration ne sont pas encore définies. En revanche, le traitement des enfants asymptomatiques n’a pas démontré sa pertinence. Malgré l’avis défavorable du Haut Conseil de Santé Publique, l’instauration d’un dépistage viral systématique à la naissance permettrait de repérer les enfants asymptomatiques et ainsi, à terme, de cibler les enfants susceptibles de présenter une dégradation auditive pour leur proposer une surveillance rapprochée et une prise en charge adaptée.