Published 5 April 2022

Résumés des séances de l’Académie*

* Par Catherine Barthélémy, Pierre Brissot, Martin Danis, Vincent Delmas, Francis Michot

 

 

Prévenir les pertes de fonctionnalités avec le vieillissement : quels sont les principaux enjeux ?

Organisateurs : Régis Gonthier et Alain Privat

 

Dans son introduction, Alain Privat, membre de l’Académie nationale de médecine, souligne les enjeux de la prévention à savoir la compréhension de la manière dont chacun passe de l’état robuste à un état de fragilité. L’important est de savoir dépister ces facteurs de fragilité et les états intermédiaires qui les précèdent. En 2018, l´OMS a proposé de promouvoir le vieillissement en santé par le biais du maintien des capacités extrinsèques tant il est vrai que vieillir en santé consiste à développer et à maintenir ses capacités fonctionnelles le plus longtemps possible pour permettre le bien-être jusqu’au bout de vie. Ainsi, se dégagent les trois enjeux stratégiques suivants : repérer en médecine communautaire, contrôler et prendre  en charge des déficits, observer l’adhésion des usagers et des professionnels malgré l’avancée en âge. La prévention des pertes de fonctionnalités avec le vieillissement est un objectif de santé publique ambitieux nécessitant d’importants changements des pratiques professionnelles.

 

Les bases biologiques du maintien des fonctionnalités au cours du vieillissement, Athanase Benetos, Pôle des maladies du Vieillissement-Gérontologie, CHU de Nancy, Inserm 1116, Université de Lorraine.

La durée de l’espérance de vie est fonction de la génétique (20-30%), de l’environnement (30-40%) et de la chance (stochastique) (30-40%). Les télomères sont un des neuf piliers biologiques du vieillissement ; les deux dernières décennies ont permis de comprendre le rôle des télomères dans le vieillissement et la longévité via leur influence directe sur la sénescence réplicative et la capacité de réparation tissulaire. La longueur des télomères est principalement déterminée par des facteurs génétiques (60-65%), par le sexe (télomères plus longs chez les femmes) et secondairement par l’influence de facteurs environnementaux au cours des premières années de la vie. Les télomères courts altèrent l’homéostasie tissulaire en favorisant les lésions tissulaires et en diminuant la capacité de prolifération des progéniteurs ; ils ont un rôle causal dans le développement des maladies dégénératives liées à l’âge et la réduction de la longévité. Par conséquent, la longueur des télomères peut être considérée comme un capital biologique constitué tôt dans la vie qui joue un rôle important dans l’équilibre lésion/réparation aux niveaux cellulaire et tissulaire et dans la trajectoire du vieillissement. L’intégration de la longueur des télomères dans un ensemble de données cliniques, biologiques et sociales permettrait de mieux individualiser les stratégies de prévention des maladies liées à l’âge, de la fragilité et de la perte d’autonomie, d’identifier de nouvelles cibles thérapeutiques et de lutter contre les mensonges de la médecine anti-âge.

 

Principaux symptômes précurseurs de perte de fonctionnalités et les moyens de les repérer en médecine communautaire, Bruno Vellas, Département de médecine interne et de gériatrie, CHU de Toulouse.

Le programme ICOPE (Integrated Care for Older People) de l’OMS propose une organisation pour la prévention de l’autonomie fonctionnelle. Vieillir en bonne santé est maintenir ses fonctions pour continuer à faire ce qui est important pour chacun d’entre nous dans une médecine participative; l’objectif est de maintenir les capacités intrinsèques de la personne : nutrition, cognition, vision, audition, mobilité, état psychologique. La mise en place en France à large échelle des soins intégrés tels que proposés par l’OMS pour permettre un vieillissement en bonne santé est un grand défi qui suppose la mise en place du programme ICOPE en cinq étapes : repérage, évaluation, plan prévention et soins personnalisé, suivi des interventions fondées sur des preuves, implication des collectivités. Depuis plus d’un an, le projet INSPIRE implémente le programme ICOPE en Occitanie (plus de 16000 séniors déjà inclus) et est   confronté à un triple changement : changement dans la pratique des soins en allant davantage vers la prévention, transformation numérique avec la médecine digitale et intégration active des séniors dans leur santé participative.

Le vieillissement est désormais modulable : l’âge chronologique ou civil est différent de l’âge biologique ; l’âge biologique doit être précisé en identifiant des cibles d’action à partir de biomarqueurs pour mieux comprendre les liens entre processus de vieillissement et pathologies liées au vieillissement. La géroscience vise à retarder les pathologies liées à l’âge en agissant sur les mécanismes du vieillissement, notamment lorsqu’ils sont accélérés.

 

La prévention gérontologique basée sur la fragilité : quels résultats ? Joël Belmin, Gériatrie, Hôpital Charles Foix, Ivry-sur-Seine.

Prévenir l’altération des capacités fonctionnelles qui se produit avec l’avancée en âge est un défi pour les sociétés du XXIe siècle et un enjeu crucial pour promouvoir chez les individus âgés un vieillissement en activité et une vie indépendante. Les objectifs de la prévention gérontologique sont de préserver la qualité de vie des individus, de retarder la survenue de la dépendance, de rester vivre à son domicile, de ne pas induire de charge pour les proches, de diminuer les coûts liés à la dépendance ; les leviers sont de préserver les capacités fonctionnelles au cours de l’avance en âge et de promouvoir un environnement favorable au bon fonctionnement des personnes âgées. Les principales études contrôlées menées pour préserver la capacité fonctionnelle des personnes âgées à risque analysent les effets de programmes d’intervention, pendant plusieurs semaines, chez des personnes âgées fragiles ou pré-fragiles. Dans une méta-analyse rassemblant 31 études dont 26 essais contrôlés, les programmes d’entraînement physique, seuls ou combinés à des interventions nutritionnelles, ont permis d’améliorer le niveau de fragilité dans 31% des cas, la vitesse de marche et la force musculaire des membres inférieurs. Un programme d’interventions multi-domaines (TIGER) chez les personnes âgées ayant trois maladies chroniques ou plus a permis d’améliorer leur qualité de vie (SF36), leurs fonctions cognitives (MoCA<26) et de diminuer la dépendance (IADL). Une étude d’intervention multi-domaines (FINGER) chez des personnes âgées à haut risque de développer une démence a permis d’améliorer leur performance cognitive globale. Ces résultats montrent qu’il est possible, par des programmes d’interventions soutenus, d’améliorer ou de préserver les capacités fonctionnelles d’individus âgés à risque d’évolution gérontologique défavorable. La mise en œuvre d’actions de prévention à large échelle chez les personnes âgées en est seulement à ses débuts : préserver voire améliorer les capacités fonctionnelles des individus âgés est une démarche cruciale pour prévenir la dépendance et pour promouvoir un vieillissement en activité.

 

En conclusion, Jean-Pierre Michel, membre de l’Académie nationale de médecine, souligne les enjeux de la vie après 65 ans et l’importance du déclin de la fonctionnalité avec l’âge ; actuellement en France, les périodes moyennes de dépendance fonctionnelle pour les femmes et les hommes de plus de 65 ans sont respectivement de 12 et 10 années ; cette trajectoire dépend du sexe, de l’âge, du style de vie, du niveau socio-économique, des capacités physiques, cognitives et sensorielles. Il insiste sur ce processus de fragilisation qui conduit de la robustesse à la dépendance en passant par des états transitionnels de pré-fragilité et de fragilité légitimant une intervention le plus précoce possible associant exercices physiques, apports en protéines et vitamine D, stimulation cognitive, éducation en santé, voire de nouveaux médicaments.