Published 23 March 2021

 Résumés de la séance dédiée

« Médicaments psychotropes de demain »

Organisateur : Jean-Pierre OLIÉ

  

Mardi 23 Mars 2021

Introduction par Jean-Pierre OLIÉ (membre de l’ANM)

Longtemps les médecins ont disposé de substances végétales pour calmer l’agitation voire provoquer un état léthargique. La plus ancienne de ces substances est sans doute l’opium qu’Hippocrate utilisait déjà.

Mais ce n’est qu’au vingtième siècle que la psychopharmacologie a véritablement pris son essor. Il a été écrit que ce fut le fruit du hasard. Le terme de sérendipité convient mieux s’agissant de découvertes certes inattendues mais résultant d’une conjonction entre hasard et capacité du chercheur à saisir la chance offerte par le hasard.

Après le chemin parcouru depuis bientôt un siècle, illustré par les communications de cette séance, se pose la question : que sont les médicaments psychotropes de demain ?

 

 

Communications

Psychotropes du futur : de l’imipramine à la kétamine par Fabien VINCKIER (Centre hospitalier Sainte-Anne ; Institut du Cerveau et de la Moelle épinière, Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris)

 

La découverte des premiers traitements antidépresseurs date des années 1950. Les propriétés des deux premières classes de traitements antidépresseurs, les inhibiteurs de la mono-amine oxydase (IMAO) et les tricycliques, furent découvertes par sérendipité. L’iproniazide, alors utilisé comme antituberculeux, avait pour « effet secondaire » une « stimulation du système nerveux central » : élévation de l’humeur, vitalité accrue. Les effets antidépresseurs de cette substance furent ensuite montrés en psychiatrie chez des patients déprimés ne présentant pas de tuberculose. Concernant les tricycliques, c’est au décours de la caractérisation des effets neuroleptiques de la chlorpromazine que la future imipramine, alors développée comme anti-histaminique, fut identifiée comme ayant des effets antidépresseurs ce qui conduisit à sa commercialisation en 1957. Si ces molécules furent découvertes ainsi, la description de leurs mécanismes neurobiologiques permit d’établir le rôle des mono-amines (sérotonine, noradrénaline, dopamine) dans la maladie dépressive. Cette hypothèse a dominé la conception neurobiologique de la dépression et a guidé le développement de générations de molécules agissant via cette neurotransmission. Dans le traitement de la dépression la démarche de construction d’une molécule sur la base d’un rationnel scientifique a montré ses limites. De nouvelles stratégies sont nécessaires. Il en est ainsi des études actuelles sur les mécanismes d’action de la kétamine utilisée depuis les années 1970, initialement pour ses propriétés anesthésiques et sédatives puis à plus faible dose dans l’analgésie. L’activité antidépressive de ces substances passe par un antagonisme du récepteur NMDA (N-méthyl-D-aspartate), par une possible action sur les récepteurs opioïdes, mais aussi par une action directe sur les cellules microgliales, modulant ainsi l’état inflammatoire du système nerveux central. Ces travaux permettent non seulement de progresser dans la compréhension des mécanismes d’action mais aussi d’affiner nos connaissances sur la physiopathologie cognitive de la dépression, et plus encore de transformer en profondeur les représentations de cette maladie chez les patients ainsi que chez leurs proches et les soignants. De par leurs effets spectaculaires, y compris dans les formes résistantes, ces molécules sont actuellement les plus prometteuses.

 

La voie vers de nouveaux médicaments antipsychotiques par Olivier GUILLIN (Centre hospitalier du Rouvray, Sotteville les Rouen)

 

Souvent compris comme les médicaments des schizophrénies, les antipsychotiques sont l’une des plus anciennes classes de médications psychotropes toujours en usage. Les propriétés antipsychotiques de la première de ces molécules, la chlorpromazine, ont été découvertes fortuitement; ce n’est que secondairement que leur propriété d’antagonisme de la dopamine en même temps que le rôle de la dopamine cérébrale furent élucidés.

Le point commun de tous les antipsychotiques commercialisés reste d’être des antagonistes ou des agonistes partiels des récepteurs dopaminergiques D2/D3.

De multiples cibles pharmacologiques autres que la dopamine ont été testées pour traiter les symptômes dits psychotiques, en particulier ceux qui fondent le diagnostic de schizophrénie : les modulateurs des voies de transmission glutamatergique, sérotoninergique, cholinergique, neuropetidergique et des systèmes inflammatoires. A ce jour, aucune n’a pu apporter la preuve d’un effet convaincant pour  traiter les troubles schizophréniques.

Nous nous heurtons à trois points essentiels : (1) L’absence de modèle physiopathologique du trouble,(2) L’incapacité à étudier séparément les effets des molécules sur les différentes dimensions cliniques d’un trouble psychotique tant leurs interdépendances sont fortes,(3) La notion même de schizophrénie qui sous-entend qu’il s’agirait d’une maladie unique malgré l’hétérogénéité des réalités cliniques ainsi amalgamées. Des agents non conventionnels ont été testés pour traiter les schizophrénies et une mise en perspective de ce que pourrait être les molécules de demain est proposée en s’attachant plus particulièrement aux hypothèses issues des travaux les plus récents de la génétique moléculaire.

Les antipsychotiques actuellement disponibles, qu’ils soient de première ou de seconde génération, restent des antagonistes des récepteurs D2/D3 de la dopamine. À ce jour, toutes les tentatives pour agir sur d’autres voies de neurotransmission ont été infructueuses. Considérer la schizophrénie comme une maladie à la physiopathologie unique est une erreur conceptuelle probablement limitante dans notre capacité à identifier de futurs médicaments Gageons que l’identification, en cours, des facteurs génétiques et environnementaux qui contribuent à l’émergence de ces troubles permettra les avancées attendues.

 

 

 

Les futurs médicaments des troubles du sommeil et de la vigilance par Yves DAUVILLIERS (Neurologie, Troubles du sommeil et de l’éveil, CHU de Montpellier)

 

L’insomnie est le plus fréquent des troubles du sommeil. Traditionnellement traitée par des hypnotiques, tels les benzodiazépines et les médicaments apparentés dits en Z, qui agissent sur le récepteur GABA-A, et plus récemment par les thérapies cognitivo-comportementales, des hypnotiques innovants ciblant le système orexine (ou hypocrétine) sont maintenant en cours de développement. Ces nouveaux traitements (Daridorexant), récemment commercialisés dans plusieurs pays à l’échelle mondiale, sont très prometteurs, efficaces et comportent moins d’effets secondaires sur la vigilance, l’équilibre, la mémoire, et la dépendance.

À l’opposé de l’insomnie, on retrouve l’hypersomnolence caractérisée par une altération de la qualité de la veille et/ou une quantité excessive de sommeil de jour et/ou de nuit (appelée hypersomnie). La prise en charge doit aussi être comportementale via une meilleure hygiène de sommeil, puis médicamenteuse pour les formes sévères. Plusieurs médicaments agissant sur des cibles pharmacologiques différentes (transporteur de la dopamine, recapture de l’histamine et de la noradrénaline, récepteurs GABA-B) permettent de diminuer la somnolence et d’améliorer l’éveil des patients. Toutefois, il reste des besoins non couverts, et de nouveaux traitements innovants agissant sur de nouvelles cibles thérapeutiques ont été récemment développés. Les agonistes des récepteurs de l’orexine devraient permettre de stimuler le système défaillant dans la narcolepsie de type 1, et d’améliorer l’éveil dans les autres formes d’hypersomnolence centrale.

Le screening des anticancéreux : une piste moléculaire ? par Alexandre HAROCHE (Service Hospitalo-Universitaire, GHU Paris Psychiatrie & Neurosciences, Paris)

 

La plupart des traitements disponibles en psychiatrie ont été découverts de façon fortuite. En oncologie, depuis les années 1990, des traitements ciblés ont été mis au point pour le traitement des cancers, permettant une augmentation significative de l’espérance de vie. Certaines voies biologiques d’intérêt en oncologie pourraient également être les cibles de traitements de pathologies psychiatriques. Ainsi, la voie mTOR (mammalian Target of Rapamycin), ainsi que la voie de la kynurénine, intéressent aussi bien les oncologues que les psychiatres. Le développement de l’interdisciplinarité dans la recherche permettrait d’identifier les effets psychotropes de molécules développées dans d’autres spécialités. Par ailleurs, afin d’atteindre le niveau actuel de développement des médicaments en oncologie, il est nécessaire de développer des biomarqueurs des pathologies psychiatriques, mais également d’augmenter l’investissement dans la recherche en psychiatrie et de favoriser les initiatives interdisciplinaires.

 

Conclusion par Jean-Paul TILLEMENT (Membre de l’ANM)

 

Pour des progrès en neuro-psycho-pharmacologie, la recherche fait face à trois grands défis :

– La nécessité d’une observation clinique approfondie, l’acuité clinique et l’attention aux informations issues de la pharmacovigilance (effets indésirables et inattendus) ;

– L’identification de voies biologiques via l’approche physiopathologique des troubles observés ;

– La recherche translationnelle dotée de moyens suffisants pour « dénicher les cibles » et développer les thérapeutiques.