Published 21 June 2022

Séance dédiée :

« Chirurgie reconstructrice de la face : perspectives »

Organisateur : Jacques de SAINT-JULIEN

21 juin 2022

Résumés des séances de l’Académie*

* Par Catherine Barthélémy, Pierre Brissot, Martin Danis, Vincent Delmas, Francis Michot

 

Enjeux et perspectives des allo transplantations de tissus composites en chirurgie reconstructrice pour les très grands brûlés par Patrick DUHAMEL (Chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique, Hôpital d’Instruction des Armées Percy)

En dépit des progrès de la chirurgie reconstructrice depuis les « Gueules Cassées » au début du 20ème siècle, certaines situations cliniques exceptionnelles restent de véritables impasses thérapeutiques telles que les carbonisations et mutilations faciales majeures avec destruction complète de la sangle labiale et/ou les amputations bilatérales de main. Les allotransplantations de tissus composites vascularisées (ATC) représentent une approche nouvelle de la chirurgie reconstructrice conciliant les règles de la microchirurgie et de la transplantation interhumaine, permettant, non pas de sauver la vie, mais d’améliorer la qualité de la vie, offrant ainsi un véritable espoir pour des patients gravement mutilés sans solution thérapeutique réellement satisfaisante. Malgré des incertitudes à long terme concernant les risques d’une immunosuppression chronique et l’altération possible des résultats fonctionnels avec le temps, à l’instar des greffes d’organes, les premières applications cliniques chez l’homme ont démontré la faisabilité de ces procédures et la qualité des résultats fonctionnels obtenus, bien qu’incomplets, sous réserve d’un « traitement immunosuppresseur à vie ». La prise en charge initiale des très grands brûlés pose des problèmes spécifiques (transfusions multiples incontournables voire utilisation d’allogreffes de peau) susceptibles d’induire une alloimmunisation anti-HLA et de rendre ainsi plus complexe le choix d’un éventuel donneur « compatible ». Cent ans après la naissance de l’association des « Gueules Cassées », l’activité d’un “trauma center” militaire nous confronte aux difficultés rencontrées dans de telles situations, de la prise en charge initiale au stade aigu jusqu’à la reconstruction au stade des séquelles.

 

Perspectives et voies de recherche dans les allotransplantations composites vasculaires par Laurent LANTIÉRI (Chirurgie plastique et esthétique, Hôpital Européen Georges Pompidou, APHP)

Les greffes composites vascularisées permettent de reconstruire des pertes de substances de structures anatomiques complexes pour lesquelles la chirurgie reconstructrice n’offre pas de solution satisfaisante. Parmi celles-ci les greffes de main et de face sont les plus fréquentes. Avec environ 130 greffes de mains et 40 greffes de face dans le monde en 20 ans, ces greffes restent exceptionnelles. Elles sont, comme toutes les greffes, soumises à la lourdeur des traitements immunosuppresseurs et de leurs conséquences. En particulier, le rejet chronique entraine des conséquences dramatiques avec amputations pour les membres et risques vitaux pour la face.  Afin d’améliorer les résultats, plusieurs pistes de recherches sont en cours reprenant les trois éléments qui assurent le succès d’une greffe : la technique chirurgicale (prélèvement et transplantation), le transport du greffon et le traitement immunologique. L’amélioration des techniques chirurgicales passe par l’organisation de répétitions cadavériques permettant de rédiger des « check-list » et d’entrainer les équipes. Des modélisations 3D permettent, de plus, de préparer les ostéosynthèses et de faire des répétitions virtuelles au bloc opératoire. Le transport dans des conditions classiques d’ischémie hypothermique ne met pas à l’abri de lésion d’ischémie – reperfusion. Deux axes ont été développés pour améliorer le transport par l’utilisation de machines de perfusion et par l’utilisation de transporteur d’oxygène (Hemo2life) issu de la recherche en biologie marine. Pour le traitement immunologique, force est de constater que la trithérapie (tacrolimus, mycophénolate mofétil, corticothérapie), après une phase d’induction par anticorps, reste pratiquement inchangée depuis 20 ans. Notre recherche est axée vers un protocole d’induction de tolérance. S’il est possible d’envisager une tolérance lors d’une greffe avec une absence d’histocompatibilité d’un seul groupe HLA «partial mismatch», la tolérance n’est pas obtenue pour les incompatibilités en «full mismatch». Nous avons orienté nos recherches vers l’axe du traitement du greffon en effectuant une décellularisation/recellularisation permettant d’obtenir des greffons acellulaires donc non immunogènes qui sont recolonisés à l’aide de cellules du receveur. Les premiers résultats sont encourageants. Les techniques de décellularisation/recellularisation permettent, par ailleurs, de mieux comprendre l’interaction existant entre la matrice extra cellulaire et la cellule ainsi que l’ingénierie tissulaire des bio imprimantes 3D.

 

Pour un accompagnement pluridisciplinaire du parcours de reconstruction des blessés de la face par Marie-Dominique COLAS (Psychiatrie et psychologie clinique appliquées aux armées, École du Val de Grâce, Paris)

En médecine, les lésions du visage sont identifiées par la zone anatomique formant le masque facial.  Les progrès technologiques et l’art chirurgical permettent aujourd’hui de réaliser une allotransplantation de tissus composites (ATC) de cette partie du corps. Celle-ci est dissécable, réparable, mais elle revêt une dimension plus intime que le terme « visage » incarne : l’aspect particulier et reconnaissable du sujet, ce qui l’identifie, porte son rapport à autrui et le met en relation avec le monde. A partir de notre expérience de psychiatre au sein d’un « trauma center » militaire, nous souhaitons mettre en perspective une clinique de la défiguration – « refiguration » qui nécessite de coconstruire avec le chirurgien les différentes étapes de la réparation, de la suture entre l’avant et l’après, en étant particulièrement attentif au moment crucial de la présentation du miroir par un spécialiste de la santé mentale. La défiguration est à envisager comme une triple amputation physique, psychique et morale. Il est alors impératif de penser le parcours de soins et de réhabilitation du lien à l’autre dans une approche globale et continue, en ne perdant pas de vue l’évolution de la position subjective de celui qui cherche à ne plus être dévisagé. Les enjeux médico-psychologiques se situent autant du côté du patient, de ses proches, du regard de la société, que de celui de l’équipe médicale pluridisciplinaire investie du pouvoir de redonner vie à l’image de soi, de « sourire quand même », devise de l’association des « Gueules Cassées » créée il y a 100 ans pour venir en aide à leurs camarades atrocement défigurés au cours de la Première Guerre mondiale.