Published 2 March 2021

Séance dédiée aux addictions

Organisateur : Jean-Pierre GOULLÉ

2 mars 2021

 

Introduction : Epidémiologie par Jean-Pierre GOULLÉ (Professeur émérite de Toxicologie, Membre de l’Académie nationale de médecine)

En France, chez les 18-75 ans, l’alcool concerne 47 millions d’expérimentateurs (dont 5 millions d’usagers quotidiens), le tabac 36 millions (dont 13 millions d’usagers quotidiens). Le cannabis est expérimenté chez 18 millions de sujets âgés de 18 à 64 ans (dont 900000 usagers quotidiens). Nombre d’addictions comportementales sont d’actualité particulière avec les contraintes sociétales d’aujourd’hui (Covid) : jeux d’argent et de hasard, jeux vidéo, internet, travail, sport…mais elles sont, pour la plupart, peu quantifiées. Si la tendance globale est à la régression de ces addictions (alcool, tabac) au cours des dernières années dans toutes les tranches d’âge, la donnée marquante est la grande précocité dans l’entrée de ces addictions. Ainsi, en classe de terminale, 90% des élèves ont expérimenté l’alcool, 60% le tabac et 40% le cannabis ; quant au temps quotidien passé devant les écrans, il est estimé, à l’âge de 15 ans, de l’ordre de 8 à 9 heures. Toutes ces données illustrent l’impact potentiel majeur des addictions sur la santé publique.

 

 

Les addictions, problème du XXIe siècle par Bruno FALISSARD (Président du Collège de l’Observatoire français des drogues et toxicomanies, Membre de l’Académie nationale de médecine)

L’addiction au tabac et l’addiction à l’alcool sont la cause, chaque année, de 125000 décès prématurés en France. Il s’agit de facteurs de risque évitables connus comme les plus importants, sur lesquels doivent se concentrer les politiques de santé publique. La perspective historique est indispensable pour comprendre les relations complexes qui existent entre ces deux toxiques et les sociétés modernes (pour l’alcool, se souvenir de son origine arabe « Al Khol » signifiant « ce qui est très subtil » …, du rôle des croisades qui ramenèrent les alambics ; pour le tabac se rappeler qu’il fut introduit par C. Colomb et transformé en produit « noble » par J Nicot ; importance, au fil du temps, des Lois Veil, Evin, du décret Bertrand). Dans les dernières décennies, des efforts ont été faits pour lutter contre le fléau de l’alcoolisme et de l’addiction au tabac. Ces efforts ont sûrement été insuffisants, ils n’en ont pas moins été efficaces : les consommations ont sensiblement diminué.

Depuis 20 ans, de nouvelles formes d’addiction apparaissent dans les classifications, en particulier relevant du champ des addictions dites comportementales. Cette donnée, ajoutée à l’épidémie désastreuse actuelle de mésusage de médicaments antalgiques en Amérique du nord, pourrait faire penser que les addictions seront le problème du XXIème siècle. Rien ne permet cependant de l’affirmer aujourd’hui. Le tabac et l’alcool, drogues licites, demeurent les produits les plus dommageables sur le plan populationnel. Il est important d’aborder le problème des addictions dans un esprit de modernité et de « maîtrise de soi », en évaluant avec une juste mesure des comportements qui ne sont pas toujours les plus favorables…

 

Mécanismes cérébraux de biais cognitifs chez les joueurs pathologiques par Jean-Claude DREHER (Directeur de l’équipe « Neuroéconomie, récompense et prise de décision » au sein du Centre de neurosciences cognitives CNRS – Institut des Sciences Cognitives Marc Jeannerod, Lyon)

Les addictions comportementales incluent l’addiction aux jeux de hasard et d’argent ou jeu pathologique, l’addiction aux jeux vidéo, les achats compulsifs, les addictions alimentaires, la dépendance à l’activité physique, les dépendances sexuelles et affectives… Il existe des similitudes neurobiologiques, psychopathologiques et comportementales entre les addictions avec produit et les addictions comportementales. La neuroimagerie (IRM fonctionnelle) est capable de mettre en évidence des changements cérébraux lors de biais cognitifs dans le jeu pathologique. Les résultats permettent de mieux comprendre les régions cérébrales dysfonctionnelles et les mécanismes mis en jeu lors de décisions inadaptées en dépit de conséquences négatives. Ainsi, le jeu pathologique est caractérisé par une sensibilité striatale moindre aux récompenses non monétaires, et des biais cognitifs ont pu être démontrés tels que le biais d’optimisme vers les options plus risquées quelles que soient les chances de gagner, ou encore le dysfonctionnement du système de contrôle exécutif pour « se refaire » après des pertes.

 

L’alcoolisme est-il une addiction comme les autres ? par Jean ADÈS (Psychiatre. Grand prix 2018 de la Fondation pour la recherche en alcoologie, Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine)

L’alcoolisme -ou addiction à l’alcool- comporte de nombreux points communs avec les autres addictions. Il partage, en premier lieu, les caractéristiques cliniques des addictions, dont les deux traits essentiels sont la perte du contrôle des consommations et la poursuite de la consommation malgré ses conséquences négatives. Les facteurs de vulnérabilité, qui déterminent l’addictivité d’un sujet, sont également communs à l’ensemble des addictions. Il s’agit de facteurs biologiques, génétiques et épigénétiques, neuropsychologiques impliquant le cortex préfrontal. Des facteurs psychopathologiques de fragilité sont également présents dans toutes les addictions : troubles anxieux, troubles dépressifs, troubles de la personnalité, schizophrénies. Ces troubles psychiatriques préexistent le plus souvent à l’addiction qu’ils favorisent. En contraste, l’alcoolisme comporte des spécificités par rapport aux autres addictions : fonctions culturelles et sociales du produit alcool, fréquence de la consommation en population générale, létalité élevée de l’usage excessif qui n’est comparable qu’à celle du tabagisme. Les spécificités de l’alcoolisme parmi les addictions rendent nécessaires des approches préventives et thérapeutiques ciblées.

 

 

Conclusion par Jean-Pierre OLIÉ (Membre de l’Académie nationale de médecine)

Quatre points forts peuvent être retenus : i) Sur le plan clinique : la fréquence des poly-addictions, l’importance de l’écoute du patient et de son interrogatoire (à la recherche notamment de la prise de diazépines), la fréquence de la comorbidité (notamment d’une personnalité présentant une dimension d’impulsivité), et une approche thérapeutique qui doit prendre en compte la motivation du patient et son engagement dans une longue route semée de rechutes ; ii) Sur le plan pharmacologique : c’est toute l’importance de la mise au point de molécules capables de contrecarrer le « craving » qui correspond à un besoin irrépressible, proche d’une véritable crise d’angoisse ; iii) Sur le plan de la santé publique : alcoolisme et tabagisme demeurent de véritables catastrophes sanitaires et la lutte gouvernementale contre le tabagisme risque d’être fortement entravée par une éventuelle dépénalisation de l’usage du cannabis ; iv) Sur le plan de la recherche : l’étude des comportements addictifs est désormais possible scientifiquement, venant grandement enrichir l’approche clinique des biais cognitifs.