Les séances de l’Académie*
* Par Catherine Barthélémy, Pierre Brissot, Martin Danis, Vincent Delmas, Francis Michot
Séance dédiée :
« Les troubles du contrôle de l’agressivité »
Organisateur : Jean-Pierre OLIÉ
Communications
Les troubles bipolaires : de l’humeur aux émotions par Chantal HENRY (Perception and Memory Unit, Institut Pasteur, UMR3571, CNRS, Paris, France)
Les troubles bipolaires sont caractérisés par une alternance de phases dépressives et d’exaltations. Il s’agit d’une pathologie fréquente, survenant chez l’adulte jeune, qui peut avoir un impact considérable sur le fonctionnement des patients du fait de la fréquence et de la sévérité des épisodes, des comorbidités psychiatriques et somatiques, des symptômes résiduels ou encore de l’altération des fonctions cognitives. Le risque majeur est le suicide. Son traitement repose sur la prescription de régulateurs de l’humeur et des prises en charge psychothérapeutiques. La pathophysiologie implique des interactions gènes-environnement et, au niveau cérébral, est sous-tendue par des anomalies du système cortico-limbique. A l’heure actuelle, les modèles animaux qui permettraient de mieux comprendre les mécanismes cellulaires et moléculaires sont imparfaits car ils n’explorent qu’une partie limitée des dimensions qui constituent les troubles. L’évaluation de l’humeur du fait de son caractère subjectif est le propre de l’Homme et n’est donc pas accessible à l’expérimentation animale. Il est important d’étudier, à la fois chez l’homme et chez l’animal, les biais émotionnels, qui sont une caractéristique essentielle des troubles de l’humeur, en évaluant les biais d’attribution de valence en réponse à des stimuli hédoniques, qui sont quantifiables chez l’animal par les comportements d’approche et d’évitement. L’amygdale joue un rôle crucial pour déterminer la valeur hédonique d’un stimulus, afin de déclencher le comportement le plus adapté. Un nouveau modèle des troubles bipolaires est ainsi proposé, basé non plus sur l’humeur mais sur l’étude des réponses émotionnelles tenant compte de leur intensité et valence. L’objectif est à terme, par le biais d’une meilleure approche pharmacologique, la mise au point de médications adaptées aux différents états psychotiques.
Conduites agressives de l’enfant : de l’adaptation/survie à la pathologie par David COHEN (Service de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent, Hôpital Pitié-Salpêtrière, APHP, Paris)
L’expression des conduites agressives chez l’enfant est un phénomène complexe. Un modèle intégratif de leur développement normal ou dysfonctionnel est ici proposé.
Méthodes : Une revue sélective de la littérature permet d’illustrer que les apprentissages dysfonctionnels des conduites agressives peuvent s’inscrire dans un modèle d’épigénèse probabiliste et une perspective double développementale et écologique définissant un axe temporel, un axe environnemental, et un axe des niveaux de fonctionnements.
Résultats : Les conduites agressives relèvent de conduites ordinaires normales héritées au plan phylogénétique et participent à la survie de l’espèce. Elles sont particulièrement fréquentes en cas d’adversité précoce, soit dans une expression adaptative non pathologique définissant des traits d’histoire de vie (réactivité élevé, recherche de bénéfice à court terme, puberté et sexualité plus précoces), soit dans des expressions pathologiques dont les plus fréquentes sont les troubles dits externalisés (trouble déficit de l’attention avec hyperactivité, trouble oppositionnel, trouble des conduites). Le modèle d’épigénèse probabiliste proposé permet de rendre compte de la complexité des facteurs à l’œuvre en (1) distinguant facteurs prédisposants, facteurs de risque, de protection, et de modulation; (2) inscrivant les pathologies et leur transition éventuelle sur un axe développemental lié à l’âge; (3) distinguant une perspective micro/macro tant au plan des facteurs environnementaux (ex : alcool pendant la grossesse vs. société compétitive) qu’au plan des niveaux de fonctionnements (ex : polymorphisme fonctionnel de la monoamine oxydase A vs. stéréotypes culturels).
Conclusions : Par les interactions bidirectionnelles en niveaux micro et macro qu’il autorise au cours du développement, le modèle d’épigénèse probabiliste, proposé à partir des années 2000, semble adapté pour rendre compte des apprentissages dysfonctionnels des conduites agressives.
Santé mentale et justice pénale en France : état des lieux et problématiques émergentes par Pierre THOMAS (Université de Lille, CNRS (UMR-9193), laboratoire SCALab, équipe PsyCHIC, plateforme CURE. Service de psychiatrie de l’adulte, hôpital Fontan, CHU de Lille)
La prise en charge des personnes souffrant de troubles psychiatriques et ayant commis une infraction pénale est extrêmement variable dans le monde. Cette problématique complexe vient en effet s’inscrire au croisement de la longue histoire du système pénal et du système de soins de chaque pays. Une synthèse des liens entre santé mentale et justice pénale en France est ici proposée. Après une rapide contextualisation historique, les trajectoires possibles des personnes souffrant de troubles psychiatriques ayant commis une infraction sont décrites à partir de la décision judiciaire d’irresponsabilité pénale ou non. L’organisation des soins psychiatriques aux personnes détenues est exposée ainsi que les dispositifs psycho-criminologiques mis en place par l’administration pénitentiaire et les mesures de soins pénalement ordonnés. L’articulation entre le système de santé mentale et la justice pénale est complexe et les nombreuses problématiques émergentes sont abordées. La prévalence élevée des troubles psychiatriques sévères dans les prisons soulève en effet de multiples inquiétudes, en particulier en ce qui concerne la situation de l’expertise psychiatrique (il existe un important déficit du nombre d’experts), le manque de formation des soignants et l’absence d’alternative à l’incarcération pour les personnes souffrant de troubles psychiatriques sévères. La reconnaissance de la psychiatrie légale dans la formation des psychiatres français pourrait constituer un facteur d’amélioration pour l’avenir.
Comportements prédictifs d’un risque de transition psychotique par Éric FAKRA (Psychiatrie, CHU de Saint Etienne)
La vision de la schizophrénie s’est totalement transformée au cours des dernières décennies. Longtemps considérée comme une pathologie au pronostic inéluctablement péjoratif, il est maintenant admis que l’évolution peut s’avérer souvent favorable. Parallèlement, le concept de « staging » a fait son introduction dans le champ de la psychiatrie, distinguant plusieurs stades cliniques comme autant d’étapes distinctes répondant à une physiopathologie et des prises en charges spécifiques. L’intérêt s’est alors porté sur les phases précoces de la schizophrénie, notamment la phase prodromique des signes annonciateurs de la maladie. Dès lors, une caractérisation précise des symptômes prodromiques s’est établie. L’ambition est non seulement de débuter la prise en charge au plus tôt afin de préserver le pronostic, mais également de cerner les sujets à risque qui développeront la maladie, c’est-à-dire qui réaliseront une transition psychotique. L’identification de marqueurs de transition psychotique constitue ainsi une préoccupation centrale et continue des cliniciens et des chercheurs. Plusieurs aspects liés au comportement ont été décrits et ont pu être associés à une valeur prédictive tels que des symptômes négatifs, des troubles de la pensée, le déclin du fonctionnement social, ou encore les troubles du contrôle de l’agressivité. Il est intéressant de remarquer que certaines particularités des symptômes basiques, caractéristiques de la phase prodromique, rejoignent les descriptions physiopathologiques des auteurs plus anciens.