Published 13 April 2021

Séance  du 13 avril 2021

Communications

Les organoïdes : une modélisation tridimensionnelle des organes in vitro aux usages multiples par Raymond ARDAILLOU, Patrice DEBRÉ, Marc DELPECH au nom de la Commission I (Biologie, Génétique, Technologies Biomédicales)

Les organoïdes sont des copies d’organes chez l’animal et l’homme. Ils sont utilisés essentiellement in vitro. Les cellules à leur origine sont, à partir de fibroblastes cutanés, les cellules souches induites pluripotentes (iPS), les cellules souches embryonnaires, les progéniteurs et les cellules souches multipotentes d’organe. Les plus utilisées sont les iPS, soit allogéniques pour un usage multiple, soit autologues comme outil d’une médecine personnalisée. Pratiquement tous les organes ont été copiés. Les avantages de la méthode sont nombreux : éviter l’expérimentation sur l’animal in vivo, étudier les interactions cellulaires et les médiateurs chimiques qui les conditionnent, analyser le génome de sujets atteints de maladies héréditaires et rechercher quel médicament peut modifier leur phénotype, cribler les médicaments actifs, en particulier sur des copies de cancers, étudier le métabolisme des cellules humaines d’organes non accessibles. Il existe aussi des limites : car les organoïdes sont des copies imparfaites ; les réponses aux médicaments constatées in vitro ne sont pas constantes in vivo ; leur utilisation soulève des problèmes éthiques dont le consentement du donneur de cellules et la protection des données génétiques individuelles. Les cérébroïdes  posent des problèmes particuliers : leur personnalité, dont on ne sait jusqu’à quel point elle copie un cerveau humain, et le caractère aventureux des xénogreffes. Les utilisations in vivo commencent à voir le jour avec l’injection chez le malade de cellules régénératrices provenant de l’organoïde et l’espoir de parvenir à suppléer un organe défaillant. S’opposent actuellement à ce dernier usage le caractère imparfait des organoïdes, leur faible capacité fonctionnelle, leur durée de vie et les réactions immunitaires. Exemples pour quelques organes : le pancréas avec la double utilisation du choix du médicament face à un adénocarcinome et de l’injection de cellules β dans les vaisseaux porte d’un malade atteint de diabète de type 1,  ; le poumon et le rectum chez des enfants atteints de mucoviscidose en vue de définir la ou les mutations et les associations médicamenteuses qui corrigent leurs effets : la moelle épinière permettant d’étudier la genèse et le traitement du spina bifida ; l’intestin grêle et le colon avec l’étude des interactions des cellules de la muqueuse et la reconnaissance des mutations du cancer du côlon ; le rein et la formation des kystes dans la polykystose rénale ; la rétine comme source de cellules et modèle de maladies ; le cœur avec la copie d’un ventricule et de cardiomyocytes contractiles et électrogènes.  Tous ces exemples sont une illustration de l’utilité des organoïdes et de l’avenir de la méthode comme fournisseurs de cellules ou greffes d’ilots.

L’épigénétique ou le changement transmissible du phénotype sans modification de la séquence de l’ADN par Claudine JUNIEN (Inra UMR1198, Biologie du développement et de la reproduction, Jouy-en-Josas, France, Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine)

L’épigénétique étudie les mécanismes permettant une modification du phénotype sans aucune modification de la séquence de l’ADN. Cette modification phénotypique est notamment induite par l’environnement. Elle peut être réversible mais aussi transmissible de génération en génération. Les mécanismes impliqués sont multiples et ne sont pas encore tous connus. La méthylation de certaines cytosines de l’ADN ainsi que les méthylations et les acétylations des histones jouent un rôle majeur. D’autres mécanismes moins bien connus jouent un rôle important :  les modifications de la structure de la chromatine, l’intervention de divers ARN non codants courts, comme les miARN (ou microARN), et longs, comme les lncARN (ou long ARN) non codants certains événements impliquant des phénomènes biochimiques ou de régulation. Les modifications épigénétiques peuvent être à l’origine de pathologies et pratiquement tous les domaines de la Médecine peuvent être concernés, des maladies chroniques aux infections microbiennes : Listeria monocytogenes. est très dangereuse en cas de grossesse car elle est capable de traverser la barrière placentaire et est inhibitrice de la machinerie épigénétique en induisant la modification de l’expression de gènes. L’impact de l’environnement pendant la grossesse peut induire une mémorisation épigénétique de comportement chez la descendance.

Les progrès dans le domaine de l’épigénétique ont permis d’apporter une explication à des observations telles que certaines discordances du phénotype chez les jumeaux monozygotes, qui partagent pourtant le même patrimoine génétique, ou la transmission à la descendance d’une obésité ou de maladies cardiovasculaires.

Le cadre de l’épigénétique est maintenant bien cerné. Depuis une trentaine d’années, et avec une forte accélération récemment, les mécanismes impliqués ont été progressivement découverts. Cependant cette histoire n’en est qu’à ses débuts et d’autres mécanismes, qui restent à découvrir, permettront de mieux comprendre comment l’homme s’adapte à son environnement ou le subit parfois au cours du vieillissement.

Phénomène de radicalisation à l’adolescence : comment intégrer les recherches de ces dernières années ? par David COHEN (Service de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent, Hôpital Pitié-Salpêtrière, APHP.SU, Paris, France)

La radicalisation de l’adolescent est un phénomène relativement récent qui est devenu un problème de santé publique depuis les attentats de 2015 et l’avènement de l’État Islamiste. L’auteur propose un point de vue basé sur l’étude de la littérature et sa propre expérience pour délimiter les principaux facteurs de risques et les trajectoires possibles qui peuvent mener à la radicalisation. Il revient sur les premières définitions de la radicalisation issues des études de criminologie sur le terrorisme, résume la littérature en distinguant enquêtes sur la sympathie aux idées radicales, enquêtes sociologiques, études longitudinales sur échantillons, et séries de cas provenant de consultations spécialisées ou d’expertises judiciaires. Cet ensemble de données montre la diversité des trajectoires et comment le phénomène de radicalisation à l’adolescence est infiltré de la question adolescente avec ses enjeux d’individuation et de sexualité. Pourtant trois situations semblent émerger. La première, la plus rare, s’inscrit sur une décompensation psychiatrique aigüe. La deuxième concerne des jeunes pour qui les enjeux développementaux sont au premier plan (individuation, fragilité dépressive, doute identitaire) et qui recourent au début presque exclusivement aux réseaux sociaux. Elle est plus fréquente chez les convertis et les enjeux familiaux y sont très fréquents, mais elle est plus sensible aux interventions éducatives et psychologiques. La dernière enfin, plus fréquemment associée à une radicalisation violente assumée, s’inscrit dans un terreau de proximité ou de quartier avec des individus particulièrement perméables à l’emprise extérieure dans une forme d’accrochage relationnel ou déjà inscrits dans une radicalité religieuse depuis plus longtemps. Au plan de la prévention, il faut repérer les indices de radicalisation le plus tôt possible : existence d’antécédents de psycho-traumatisme, d’abus, de violence familiale. Il paraît légitime de prendre en compte tous ces facteurs et trajectoires, et de considérer, comme pour les conduites suicidaires, différents niveaux de radicalisation : la sympathie, les idées sans ou avec engagements sectaires ou violents, l’intentionnalité et le passage à l’acte. Cette gradation a aussi l’avantage de pouvoir s’appliquer à d’autres expressions de la radicalisation (mouvances d’extrême droite, Black Blocs, militance écologique par l’action directe) que l’on voit également émerger dans les sociétés occidentales de plus en plus polarisées.

Transmission iatrogène des protéines β-amyloïde et tau : importance clinique et pour la recherche biomédicale sur la maladie d’Alzheimer par Marc DHENAIN (Laboratoire des Maladies Neurodégénératives UMR9199 CEA, CNRS, Université Paris Saclay – MIRCen, Fontenay aux Roses. France)

Depuis la découverte du caractère transmissible des maladies à prions (maladie de Creutzfeldt-Jakob, maladie de la vache folle, encéphalopathie spongiforme, greffe de dure-mère, utilisation en France d’hormone de croissance extraite du cerveau du cadavre de personnes âgées, le « kuru » encéphalopathie dégénérative chez les aborigènes de Nouvelle-Guinée après des rites anthropophagiques mortuaires), d’autres maladies neurodégénératives ont été soupçonnées d’être transmissibles. La maladie d’Alzheimer est caractérisée par des dépôts cérébraux de peptide β-amyloïde (Aβ, sous la forme de plaques et angiopathie amyloïdes) et de protéines Tau hyperphosphorylées (dégénérescences neurofibrillaires, fibres tortueuses, couronnes de prolongements cellulaires dilatés autour des plaques amyloïdes neuritiques). Plusieurs études épidémiologiques suggèrent 76 cas de transmissions iatrogènes des dépôts β-amyloïdes chez l’Homme suite à différentes procédures médico-chirurgicales, sans transmission de protéine Tau. Cette transmission aurait dans certains cas un impact clinique majeur pouvant entrainer la mort par hémorragies cérébrales. Au-delà de cette importance clinique, la transmission des protéines β-amyloïde et tau a permis de créer des nouveaux modèles animaux (souris transgéniques, primate non humain : le microcèbe : Microcebus murinus) afin d’explorer les mécanismes fondamentaux associés à cette maladie. L’inflammation déclenchée par l’extension des plaques amyloïdes active la microglie (mastocytes du tissu cérébral glial) qui phagocyte les plaques. Ces modèles sont en train de révolutionner la recherche sur les maladies neurodégénératives.